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12 août 2022

Filant vers Gaspé (sixième lettre de voyage)

Avez-vous déjà remarqué que le retour est toujours plus rapide que l’aller? On roule, on vole, nos yeux se sont habitués au paysage. Et la mer placide et accommodante est encore à nos côtés. Même en passant par la haute GASPÉSIE, ses montagnes et ses vallons, le décor est à couper le souffle. Je roule maintenant sur la 132 Nord-Ouest en direction de QUÉBEC avec un arrêt vers 18 h pour un dodo à GRANDE-VALLÉE, les pieds du gîte trempant dans l’eau salée.

J’ai quitté PERCÉ vers 13 h, après un bel avant-midi d’écriture. Je l’avoue, je n’ai pas eu beaucoup de difficulté à partir. Un froid de canard me poussait vers les montagnes. J’ai donc embrassé les goélands, dit « adios » au rocher et à l’île Bonaventure et entrepris de grimper les falaises menant vers GASPÉ. Un premier petit village m’interpelle : BARACHOIS. Quel nom étrange! À ce qu’il paraît, le village fait partie de la ville de PERCÉ depuis 1971. Le plus important à BARACHOIS, c’est son banc de sable de 10 kilomètres de long. Je ne l’ai pas marché, mais je l’ai contemplé.

Quittant ce joli village, ma Mini gronde. Elle en a déjà assez de grimper et de redescendre des côtes à l’infini. Nous nous dirigeons vers GASPÉ, le gros nez de la pointe gaspésienne. ATTENTION, DANGER. Des casques blancs déterrent quelques grosses veines ferreuses du chemin. Un homme surdimensionné tient un énorme boyau d’arrosage dans sa main. Il arrose la poussière émanant de l’ouvrage. Béni soit mon métier de cuisinière! Filant vers GASPÉ, mille photos d’océan s’enregistrent dans ma tête. Le ciel est bleu foncé, presque du même bleu que les bacs bleus parsemés sur la route. À ma gauche, encore un cimetière aux racines plantées dans la mer. Devant moi, une moufette morte est étendue sur les deux lignes jaunes de la route. Est-elle moins ou plus chanceuse que les corps qui pourrissent au cimetière?

Le saviez-vous? Les Premières Nations occupent le territoire depuis des millénaires. Le nom GASPÉ remonte à un terme d’origine micmac connu sous le nom de « Gespeg » signifiant « bout du monde » ou encore « fin des terres ».

GASPÉ, 26 kilomètres. Une immense côte s’est installée, perpendiculaire au ciel. Ses alentours sont vert paradis. Je viens d’entendre à la radio que la pluie est la meilleure amie du livre. Est-ce vrai? La pluie est capable de détremper les pages, d’affadir la chair des phrases et de diluer la signification des mots. À un moment donné, ma mère avait comme dada de nous laver la tête avec de l’eau de pluie. Je n’ai jamais creusé ce sujet, mais je me souviens qu’il fallait faire bouillir l’eau sur le poêle à bois.

GASPÉ, 7 kilomètres. Y trouverai-je un nouveau calepin ou deux pour mes notes en conduisant? La plupart du temps, j’arrête au bord de la route, dans une entrée. J’ai une immense galerie autour de ma tête, là où attendent les idées avant de les écrire sur un feuillet.

Je roule, je descends de haut. À gauche, une belle baie. À droite, un Couche-Tard. Il faudrait peut-être que je me renseigne. À quelle heure se couchent les Gaspésiens? Tard ou pas tard? Devant moi, un pont. Je le traverse et j’arrive à GASPÉ. À ma gauche, un petit centre commercial où j’espère trouver de quoi écrire encore. J’y entre pour le calepin et je trouve aussi une jolie librairie indépendante où j’achète trois livres. Comme s’il m’en manquait à Montréal! Je suis une vorace; une « libriofagas ». Ça veut dire que j’en mange tous les jours. Je suis quelquefois assez excentrique. Il m’arrive d’inventer des mots rares pour mieux m’exprimer, des mots empruntés au grec ancien que j’oublie après coup, la plupart du temps.

Je vis toute seule dans une grande maison de plain-pied. Je choisis chaque jour ce que je veux voir, lire ou entendre. J’écoute le fringant Mozart, Haendel et beaucoup de musique baroque. Il paraît que ça facilite l’écriture. Je suis convaincue que, quoi qu’il m’arrive aujourd’hui, le soleil et mon Soleil se lèveront demain.

J’avance maintenant sur la 197 Nord. J’ai coupé une pointe du gros nez de GASPÉ pour gagner du temps, mais je ne suis pas si pressée. C’est la jeune fille de l’office touristique de PERCÉ qui m’a suggéré ce raccourci. Et, la plupart du temps, j’écoute les gens qui veulent m’aider.

Aussi profonde est la mer, aussi hautes sont les montagnes; du moins, c’est ce que je pense en grimpant si haut dans le ciel. Tous les villages de la GASPÉSIE se ressemblent. Des petites, des moyennes et quelques grosses maisons tout de blanc peinturé avec deux ou trois beaux lilas en devanture. Cent fois j’ai voulu arrêter pour en cueillir et je me suis abstenue. Ce n’est pas bien de prendre le bien d’autrui, surtout de voler des branches de lilas qui ne repousseront jamais.

Avant-hier matin, au Super C de CHANDLER, je me suis acheté des poires Bosc, des cerises venant de je ne sais où, et des bonbons mélangés pour contrer la sécheresse de ma bouche à force de me taire. Un besoin plutôt rare, je l’avoue. Je suis une grande gueule plutôt dégourdie, mais le voyage me fait du bien. Il me calme et m’apprend à réfléchir en silence. Je roule en ligne droite quelques instants et j’arrive à SAINT-MAURICE-DE-L’ÉCHOUERIE; un nom à coucher dehors, mais un bord de mer des plus sympathiques. J’immobilise mon bolide. Je cherche mon sac de bonbons. J’en sors un, je le déballe, je le croque et j’ai tout de suite envie de le lancer par la fenêtre. Un oiseau affamé sautera peut-être dessus.

POINTE-JAUNE. Mais rien de jaune à l’horizon; tout est vert et blanc. Le blanc des petites maisons blanches qui se ressemblent toutes. En grimpant une haute montagne, je m’aperçois que seule la double ligne au centre de la route est jaune; un jaune assez rare, le même jaune que le jaune de notre marque de commerce. Pixel pour pixel, les lignes du chemin et le SOLEIL jaune des restos Cora sont pareils. C’est la première fois que je le remarque, après 35 années de vie commune. Faut dire que ce sont souvent les choses les plus près de nous que nous négligeons. Elles sont si près que nous ne les voyons plus : le chien à qui dont on pile sur la queue, le mari qui remplit votre bol de céréales chaque matin, un adolescent qu’on ignore par habitude, un ventre qui grossit en cachette de son maître, un cou qui craquelle, un sein qui se dégonfle.

La bagnole grimpe et redescend et arrive à CLORIDORME où il y a beaucoup trop de beauté pour si peu d’habitations. Ciel! Des rosiers sauvages à ma droite. Comme ceux que nous avions jadis à CAPLAN. Je m’en souviens tellement. En saison, nous assemblions des bouquets pour maman et grand-maman. Nos doigts saignaient souvent lorsque les rosiers s’emplissaient de beauté. À la maison, ma mère disait que le beau fait souffrir. Que voulait-elle dire, au juste? Ses mains pleines d’eczéma saignaient pour un rien, en dépiautant un poulet, en roulant un fond de tarte ou en équeutant des framboises. Nous avons certainement gouté plus d’une fois à son liquide rouge. À bien y penser, ne sommes-nous point aussi la chair de sa chair ensevelie au fond de la BAIE-DES-CHALEURS?

À suivre la semaine prochaine!

Cora

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