Les bienfaits de la paresse!
Un ami me demandait l’autre jour d’aller marcher avec lui dans un nouveau sentier. J’ai d’abord décliné son offre, car j’avais la balayeuse en plein milieu de la cuisine, toute prête à aspirer une grosse semaine de grenailles en tous genres.
— Hey là, Cora, de répondre l’ami Éric. Tire la langue à la balayeuse, chère amie. Le temps est frisquet et nous allons abattre au moins trois bons kilomètres de marche.
— Hummmm, je ne crois pas.
— Tu sais, ma chère Cora, au lieu de varloper ta cuisine déjà assez propre, tu devrais écrire quelque chose sur les bienfaits de la paresse.
— Ouuuiii, peut-être!
Nous voilà donc à la file indienne dans un étroit sentier, à l’orée d’une forêt. Le temps est parfait pour une balade, d’autant plus que plusieurs familles de fleurs sauvages s’apprêtent à plier bagage devant le froid. Et pourquoi ne pas les admirer une dernière fois? La damnée poussière attendra certainement mon retour à la maison. Enchantée du paysage, j’avance à bon pas. Et voilà que tout d’un coup, un oiseau de malheur me rappelle que la paresse faisait jadis partie des sept péchés capitaux identifiés par Saint-Thomas d’Aquin au XIIe siècle. D’ailleurs, j’en suis presque certaine, ces vilaines fautes figurent encore dans le catéchisme de l’Église catholique.
Juste à y penser, mon ciel s’embrume. J’implore la sagesse des grands arbres. N’était-ce point du temps où nous étions de jeunes ouailles? Du temps où l’obsession du confesseur nous forçait à inventer n’importe quoi pour en finir? Je n’ai jamais été paresseuse; du moins j’ai toujours été empressée d’accomplir ce que j’aimais faire. Tricoter un gros chandail en une seule semaine, dessiner un beau paysage avant d’aller dormir, cueillir quatre casseaux de fraises pendant que les autres en remplissaient deux, coudre une robe en une soirée et y broder quelques fleurs sur le collet, c’était pour moi un jeu d’enfant. J’ai toujours été rapide et travaillante. Et lorsque j’ai dû gagner moi-même ma vie et celle de mes marmots, j’ai un peu, beaucoup exagéré sur la pédale à gaz. Je me suis saoulée de projets et de trophées.
Et pour la première fois de ma vie, je vous l’avoue sur ce petit sentier de campagne, j’ai ambitionné sur le pain béni. J’ai épuisé mon appétit de conquêtes et j’en suis très contente. Je peux maintenant contempler les splendides sapins sur mon passage et le rouge intense des feuilles d’érable mourantes. Puis, j’ai envie de considérer la suggestion de mon bon ami.
Oui, oui, j’écris sur les bienfaits de la paresse. Comme le chat jaune du voisin, ne pourrais-je point me rouler dans l’herbe et humer le parfum d’un jeune lilas? Les sages diront que ralentir mes transports me permettra d’améliorer ma santé physique et mentale. Peut-être qu’en ayant plus de temps pour réfléchir, j’apprécierai la lenteur. Prendre son temps est aussi une bonne et merveilleuse façon d’être présente au monde. Grâce à vous, très chers lecteurs, l’écriture quasi quotidienne est en train de faire de moi une femme épanouie, équilibrée et de plus en plus créative. Serai-je capable de prendre le temps de m’assoir sur une souche juste pour écouter le croassement des corneilles, juste pour les apprivoiser, juste pour les aimer?
Dernièrement, j’ai commandé à la librairie du village L’ART D’ÊTRE OISIF DANS UN MONDE DE DINGUE. Une petite brique de 336 pages dans laquelle l’auteur, Tom Hodgkinson, prône un rapport à l’existence fondé sur les plaisirs du quotidien. Une lecture parfaite pour mon âge.
« Paresser favorise la créativité », déclare l’auteur. Et peut-être est-ce finalement cette douce oisiveté qui stimule autant mon écriture? Je vous l’avoue, tout a été nécessaire à l’épanouissement de notre belle Entreprise. Et maintenant, j’en suis très consciente, j’arrive au dessert. De plus en plus souvent, j’ai l’impression d’être en vacances. Je respire le doux parfum des fleurs, j’écoute le chant des cigales et m’extasie devant les mûriers sauvages tachetés de fruits murs. Presque chaque jour, je réalise que le fait de ralentir et de bien respirer me permet d’accueillir calmement des idées émergentes. Lorsque je me calme les hormones, je suis mieux disposée à accueillir dame inspiration. Et, chaque fois, je suis davantage prolifique.
Monsieur Tom Hodgkinson suppose que le repos active diverses parties de notre cerveau et que nous sommes plus géniaux après une bonne nuit de sommeil. Je bénis donc le ciel d’être à la retraite et d’avoir compris l’importance de ralentir mes transports. Je n’aurais jamais cru que je pourrais faire l’éloge de la paresse!
Ma pauvre maman traitait la paresse de mère de tous les vices. Je la comprends. Elle travaillait sans relâche de l’aube jusqu’au coucher du soleil. Avec ses mains rougies d’eczéma, maman aurait préféré mourir plutôt que s’accorder une petite sieste en après-midi. Aurait-elle osé fermer l’œil avant que sa maison soit « spic and span »? Jamais au grand jamais elle aurait tiré la langue à sa besogne, pas plus qu’elle n’aurait tiré la langue au nettoyage des habits de son époux ou à la corvée des confitures chaque saison. Je m’en souviens tellement, même nos petits dessous de corps étaient immaculés! La corde à linge soutenait une cargaison de serviettes à plier presque chaque jour, sans compter le linge à repasser et les chaussettes à repriser. En été, s’est-elle déjà assise sur une chaise longue en fin d’après-midi? Je ne crois pas.
Maman « gagnait son ciel », comme disait le curé de la paroisse. Elle est morte à 64 ans, fatiguée, usée et beaucoup trop jeune pour nous quitter.
Cora
❤