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24 mars 2023

Mon cœur bat la chamade

7 h 30 au café du village
Comment pourrais-je, ce matin, peupler de mots cet étrange avant-midi à la bouche muette? Comment pourrais-je débâtir cet inhabituel silence agrippé à chaque table? Je suis toute seule dans ce café tristounet à attendre que l’humanité se réveille.

Dehors, le vent souffle sur la neige et la transforme en rigoles de gadoue. L’hiver agonisant insiste pour gagner du temps. Il ne veut pas céder sa place au printemps. Vers 9 h 30, quelques somnambules cherchent des humains en entrant dans le café. Ils ont les yeux à demi fermés, la mine basse et l’estomac vide. Comme encore endormis, ils piétinent sur des nuages imaginaires jusqu’à se rendre au comptoir de viennoiseries.

Mes doigts leur lancent quelques brefs « bonjour », mais ils ne les voient pas. Lorsque la machine à expresso crachote sa fumée brûlante, quelques-uns ouvrent l’œil. Dans leurs mains jointes, la mousse blanche de leurs lattés tremblote et lorsque le liquide réconfortant glisse dans leur œsophage, la plupart se réveillent pour de bon.

10 h 20
De lui-même le café se remplume. Le personnel retrouve le sourire et dix, douze mains s’activent derrière le comptoir. Et voilà qu’un étrange Terrien en bottes de peau de phoque entre et s’assoit à la table à côté de la mienne. Il zieute la foultitude de clients réguliers et s’informe à moi comment commander un repas.

Je m’empresse donc de lui expliquer avec moult détails comment il doit se lever, s’approcher du long comptoir de sandwichs et choisir lui-même ce qui lui convient. J’insiste pour lui suggérer le gros sandwich au pain noir bourré de délicieux saumon fumé, d’oignons rouges finement coupés et de différentes laitues aromatisées.

Ouf! Le magnifique visage hâlé de cet homme du Grand Nord me chamboule; ses yeux en amandes et très noirs me transpercent. En ligne devant la machine à café, l’homme me semble encore plus grand qu’un superhéros.

Les battements de mon cœur s’accélèrent. Mes doigts figent sur le clavier, coupant même une belle phrase en trois morceaux. Je ferme le clapet de l’iPad.

D’où me vient soudainement cette femelle extasiée? Ces joues brûlantes? Ce cœur battant la chamade? Ces yeux valsant dans le vide, ces bras s’allongeant jusqu’au 55e parallèle?

Une gentille serveuse apporte à sa table le repas du nouveau venu. Celui-ci enlève son parka et dépose sous sa chaise ses mitaines en peau de bête.

En me dévisageant, l’homme dit : « Inuktitut, my language. Suis un Inuit du Nunavik. My grandparents were living dans un igloo. » Et patati et patata, ce dieu Thor du Grand Nord hachure et mâchouille l’anglais jusqu’à me faire comprendre qu’il est venu par chez nous pour visiter les parents de son épouse québécoise.
— Because new baby arrived last month.
— I understand. Congratulations for the baby!
— Thank you, Madame; I now have six children.

Esseulé dans un Sahara imaginaire, mon cœur désespère. Un fragile instant, j’ai rencontré la beauté, un visage magnifique, l’homme de mes rêves.

J’aime la beauté, le David de Michel-Ange, la Vénus sans bras de Milo, le Penseur de Rodin et tous les autres chefs-d’œuvre des grands créateurs. Et tout naturellement, j’aime les choses bien faites et les hommes magnifiques à contempler.

Je vous l’avoue humblement, cet homme du bout du monde glacial était particulièrement splendide. Il cumulait toute la beauté et la simplicité du vent, de la neige, de la glace et du soleil.

— Tout un coup de foudre!, me dirait mon amie la corneille.
— Un satané coup de foudre, répondrais-je avec empressement.

Cora

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