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5 mars 2021

Un géant dans la tempête!

À force de vivre cloîtrée sur mon lopin de campagne, je deviens, j’en ai bien peur, une herbe sauvage s’alimentant des veines nourrissantes et poétiques de la terre.

Hier après-midi, la radio annonçait une sérieuse tempête de neige et je l’attendais avec une pelle et une poche de gros sel accoudées l’une sur l’autre dans l’entrée avant. Le soleil s’étant caché derrière les montagnes depuis plusieurs heures, je me suis étendue sur le grand canapé du salon pour lire encore une fois la belle histoire du géant Gargantua (Rabelais 1534). Oui, oui, celui-là même qui a donné son nom au plat le plus plantureux de notre Grand Menu.

Tout était extrêmement calme dans la maison et dehors, on aurait pu entendre un criquet se rincer le gosier tellement la nuit était silencieuse. Et je me suis endormie.

…….Gargantua est le nom d’un géant qui vécut au temps du roi Charlemagne. Il mangeait plus à lui seul que tous les habitants de son village réunis. Il était le fils d’une princesse nommée Gargamelle et d’un prospère marchand dénommé Grandgousier. On l’avait nommé Gargantua à la suite de ce qui se produisit à sa naissance. Lorsqu’il est sorti du ventre de sa mère, ce bébé s’est écrié à haute voix : À boire! À boire! À boire! Son père s’est alors approché du berceau et s’est exclamé « QUE GRAN TU AS ». « QUE GRAN TU AS ». Et toutes les personnes ayant entendu de loin les sons « GA-GAN-TUA » dirent que cela devait être le nom de l’enfant puisque c’étaient les premières paroles que son père avait prononcées en voyant son fils.

Pendant que je rêvais bien au chaud dans les bras de Morphée, des anges en salopettes passèrent toute la nuit à trouer les ventres des nuages engrossés de frimas. Et c’est ainsi que la vaillante tempête quitta le ciel et s’agenouilla tout doucement sur la terre. À l’aube, mes yeux à peine entrouverts se sont tout de suite précipités vers la grande « bay window » du salon.

— Ô comme la nature est belle ce matin! lançais-je au créateur invisible. Spectaculaire et apaisante sous sa pelisse d’hermine précieuse!

Mon nez écrapouti dans la fenêtre, je dévore le paysage.

Je voudrais être un peintre habile pour immortaliser les deux immenses sapins à l’attention de chaque côté de l’entrée principale. Je dessinerais avec minutie leurs grandes branches affaissées par le poids des hautes meringues de neige qu’elles supportent.

Je voudrais tellement être un cinéaste réputé pour inventer l’histoire inédite des trois jeunes chevreuils qui me dévisagent eux aussi à travers la vitre, leurs pattes embourbées dans des poches de neige. Ils ont l’habitude des lieux et moi l’habitude de les admirer.

Si j’étais poète devant tant de beauté, j’imaginerais un lièvre aux grandes oreilles, aussi blanc que la neige. Je le ferais danser sur ma clôture de rondins pour distraire la jeune famille de dindes sauvages peinant à avancer. Leurs fines pattes elles aussi enlisées dans l’épaisse neige fraîchement tombée.

…….On raconte qu’il fallait treize mille vaches pour alimenter le poupon Gargantua et qu’à l’âge d’un an et demi, il avait déjà dix-huit mentons et que pour le faire patienter, il suffisait de lui laisser entrevoir deux bocaux de nourriture ou de faire tinter une jarre avec un couteau. On raconte aussi que l’odeur de quelqu’un s’en venant avec de la bouffe réussissait toujours à égayer le jeune Gargantua. C’est en pensant à cet appétit légendaire que j’ai décidé jadis de donner à notre gros déjeuner le nom du géant Gargantua.

Imaginez un peu ce qu’il y a dans la grande assiette :

Deux œufs cuits comme vous les aimez, quatre tranches de bacon croustillant, une belle tranche de jambon, une bonne saucisse à déjeuner, un gros morceau de cretons maison, une pancake aux bleuets, un bol de délicieuses fèves au lard, des patates bien rôties, du pain grillé, un bon choix de confitures et du café à volonté.

Ce déjeuner n’est-il pas digne d’un bon géant? Digne aussi d’une bonne séance de pelletage?

…….De trois à cinq ans, le jeune Gargantua fut nourri par le commandant des entreprises de son père. Il passait son temps, comme tous les petits enfants du pays, à boire, manger et dormir; à manger, dormir et boire; à dormir, boire et manger. Toujours il se vautrait dans la fange, se barbouillait le nez, s’égratignait le visage, éculait ses souliers, bâillait souvent aux mouches et courait volontiers après les papillons dont son père avait l’empire.

Vers l’âge de 8 ou 9 ans, Gargantua possédait déjà une force hors du commun et une énergie aussi bienfaisante que gigantesque. C’est peut-être pour cette raison que l’on colporta plus tard que c’est Merlin l’enchanteur en personne, qui pour protéger le roi Arthur de ses futurs ennemis façonna de ses propres mains Gargamelle et Grandgousier, les géniteurs de Gargantua. On raconte que Merlin utilisa pour cette tâche des ossements de baleine, le sang du brave chevalier Lancelot et des rognures d’ongles de la pauvre Guenièvre.

Très chers lecteurs, ce qui n’est pas une légende, mais plutôt une savoureuse vérité, c’est que notre DÉJEUNER GARGANTUA vous procurera, lui aussi, une satisfaction aussi bienfaisante que gigantesque.

       ❤️

     Cora

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