Les restaurants Cora embauchent, faites partie de l’équipe!
 | 
8 janvier 2023

Une missive de la lointaine France

7 h 35 au café du village
La coquine neige a profité de la nuit pour peinturer notre joli village laurentien. À mon réveil, j’avais cinq ans et je voulais sortir jouer dehors.
« Maman, où sont mes petites bottes? Et mes mitaines, et mon foulard tricoté bleu? »

La neige me fait rêver à mon enfance lorsque nous découpions des morceaux de neige glacée pour construire un fort. Frérot dirigeait les opérations et nous, les fillettes, devions l’écouter à la lettre moyennant une motte de neige dans le cou. Bobby, comme l’appelait papa, était le champion des projets hivernaux. Sa spécialité était les igloos dans lesquels il lui arrivait de m’enfermer lorsque j’exagérais mes moqueries.

Je me souviens encore d’une certaine journée d’hiver. Nous étions affairés, frérot et moi, à construire un bonhomme de neige géant. La neige était molle et c’était facile de rouler les deux grosses boules qui serviraient de corps à papa. Oui, oui! Nous faisions un bonhomme ayant la forte corpulence de notre papa, dont frérot aimait se moquer. Et moi j’aimais lui rendre la pareille.

Je venais tout juste de l’aider à soulever une grosse boule pour l’installer sur l’autre lorsque le corps de mon frère se mit à gigoter. Il serrait ses cuisses et pliait son ventre comme pour une grosse envie de faire pipi. Et voilà que sans que sans crier gare, un haut jet de liquide rouge gicla sur la neige immaculée. Frérot gesticulait et criait comme une poule étouffée. Il avait peur. Il se croyait malade.

Lui qui savait tout ignorait que lorsqu’on mange des betteraves, il arrive que l’on pisse rouge. Comment l’aurait-il su? C’était la première fois que l’eczéma des mains de maman lui avait permis de faire un vrai jardin. Et les jolies betteraves rouge-brun faisaient partie des millions de choses que nous ne connaissions pas encore à cette époque.

8 h 45
Imaginez-vous donc que j’ai reçu cette semaine une missive de la lointaine France, adressée au siège social de l’Entreprise. La lettre mentionnait tout de go quelques félicitations à ma belle écriture québécoise. Elle venait du village de Gordes que j’ai dû chercher sur Google pour en apprendre davantage :
Population : 1 670 habitants
Dernier recensement : 2019
Densité : 35 habitants/km2
Superficie : 48,04 kilomètres
Altitude : 373 m
Fondation : 1031

À ce qui paraît, Gordes est classée parmi les plus beaux villages de France. Sa particularité est d’être perchée sur un rocher que l’on voit de très loin. Et lorsqu’on arrive à ses pieds, on a aussi le sentiment qu’il veille sur la vallée depuis toujours. Dieu du ciel, où est-ce? Google, aide-moi encore!
« Le village de Gordes est une commune française située dans le département de Vaucluse en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. »
Paris-Gordes : 718,8 kilomètres
Trajet par auto durée de 8 h 5
Location de voiture : 16 euros par jour

Une certaine Apolline Duchesne veut savoir qui je suis. Comme elle me l’explique, sa fille institutrice vit au Québec et connait mes Lettres du dimanche qu’elle lui envoie après les avoir lues. Journaliste à la retraite depuis 20 ans, dame Apolline s’ennuie des véritables mots. Sans grand préambule, elle m’avoue qu’elle veut faire comme moi : ÉCRIRE.

Apolline veut chasser de sa tête 30 années de faits divers sortis de son encre. Elle veut changer de vie et changer de discours. Elle me supplie de lui expliquer comment je fais pour être si proche de mes lecteurs, complice avec eux, intime, honnête et généreuse en leur racontant ma vie entre les lignes.

10 h 28
Très chère Apolline, votre lettre me touche beaucoup. Nous avons probablement le même âge. Après de nombreuses années de travail acharné, j’ai cessé mes activités de gestion au sein de mon entreprise en 2018 et, quatorze mois plus tard, un méchant virus s’est étendu sur l’entièreté de la planète. Encabanée pour un long moment, j’ai entrepris d’écrire une lettre chaque dimanche à nos précieux et nombreux clients via la page Facebook des restaurants Cora, et ils ont commencé à nous lire. Au début, je voulais juste les encourager à garder espoir pendant la pandémie. Je voulais demeurer en contact avec eux, les informer et les rassurer.

Sans m’en apercevoir, j’ai désencombré ma tête du chagrin que la retraite m’avait causé, et aussi des multiples frustrations de m’être sentie inutile. J’ose vous dire, chère Apolline, que l’ÉCRITURE m’a sauvé la vie. Écrire chaque jour est devenu pour moi un rituel de bonheur. À force de jaser étroitement avec mes lecteurs, mon cœur s’est ouvert.

Chaque jour, j’explore le présent et la quotidienneté surprenante de la réalité. Comme faire une balade dans les montagnes, aller au marché, visiter une nouvelle librairie ou tout simplement apprendre à pédaler plus vite sur mon nouveau bicycle stationnaire.

J’écris habituellement quelque quatre ou cinq heures par jour, souvent dans un café, ou sur la table de ma cuisine en écoutant de la musique baroque. Un sage dont j’ai oublié le nom m’a dit que le baroque facilitait l’écriture. Je dois vous dire aussi que je dors en plein jour, une ou deux heures sur le divan de la bibliothèque, avec un épais bandeau sur les yeux.

Le reste du temps, je lis, j’apprends ou je cherche de nouveaux mots que je risque d’aimer. Depuis que j’écris, les best-sellers, les livres instructifs et les magazines de toutes sortes sont ma plus grosse dépense. Ils ont dépassé de loin les fringues colorées, les foulards, les souliers et les babioles à épingler un peu partout.

Voilà, dame Apolline, je suis convaincue que vous allez réussir votre virage. À son heure, tout être humain est un tréfonds à débroussailler, une histoire à raconter, un futur à ensemencer. Peut-être qu’un jour, sur la commune de Gordes, j’aurai l’extrême bonheur de visiter avec vous l’Abbaye Notre-Dame de Sénanque.

Cora

chevron-down