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3 août 2025

Le voyage à Paris

Le premier restaurant Cora a ouvert ses portes le 27 mai 1987, le jour même de mon anniversaire de 40 ans. Toute ma vie d’avant avait été plutôt difficile, et j’ai réalisé beaucoup plus tard que ce jour d’anniversaire a été ni plus ni moins qu’une porte tournante qui me fit passer drastiquement, en un coup de vent, d’une morne femme résignée et soumise à une femme libérée très vive et pleine d’espoir. Ce matin-là, devant le commerce qui affichait mon prénom sur sa devanture, mes enfants et moi étions à mille lieues de le savoir, mais nous fêtions l’enterrement de notre misérable vie d’avant. L’an UN de notre reconstruction débuta en ouvrant la porte à notre premier client.

Si, à tout hasard, vous faisiez partie de ceux qui veniez chez nous à l’époque, peut-être avez-vous pu constater à quel point nous voulions faire plaisir à nos clients; à quel point nous les aimions véritablement! Je vous le confesse aujourd’hui, mes enfants et moi étions les affamés de l’histoire. Dans la cuisine ou derrière le comptoir, nous étions ceux qui manquaient d’amour; ceux qui, tout doucement, apprivoisaient la tendresse et l’affection. Ceux qui travaillaient comme des fous et ceux pour qui un petit compliment devenait une véritable satisfaction tellement ils en avaient besoin pour vivre normalement.

Voilà ce qui explique sans doute cette immense gratitude envers nos clients et ce qui, aujourd’hui, m’aide à me souvenir de ces gros morceaux de vécus flottant dans ma tête comme des glaciers descendant vers la mer.

Je travaillais sans relâche. Depuis quatorze mois, je me dévouais, sept jours sur sept, sans avoir pris une journée de congé. Toute mon énergie allait au restaurant et à ma clientèle : dénicher de nouvelles recettes, dessiner le menu, passer les commandes, laver les uniformes, puis recommencer. J’avais trop peur d’abandonner mon bébé; peur qu’un client avale un os de poulet; peur qu’un vent violent arrache une fenêtre. Je redoutais surtout que, si je m’absentais, tout aille de travers et que les clients soient mal servis.

« Peur que le monde arrête de tourner », m’avait lancé ma fille Gigi.

La première fois que les enfants m’ont sorti de la cuisine du boui-boui, c’était avec un forfait d’une semaine à Paris. « Chambre avec vue sur la tour Eiffel et un beau chèque de voyage de 300 $ pour “mes petites dépenses” », ont-ils ajouté candidement en me mettant l’enveloppe dans les mains.

Ils ont quand même acheté le billet d’avion et choisi Paris parce qu’ils m’avaient entendu dire au plombier que c’était mon rêve de m’y rendre un jour. Juste de savoir que je devais partir le samedi suivant m’a empêchée de dormir quatre nuits d’affilée.

— Fais-moi confiance, maman. Les billets ne sont pas remboursables; tu dois y aller.

Je n’ai rien vu des premiers jours, clouée de fatigue au lit dans la chambrette avec vue sur la tour Eiffel. Le peu de temps qu’il me restait, j’ai marché dans les rues comme un robot déconnecté de sa source d’alimentation. Je suppose que Paris se révèle magnifique lorsque nos yeux sont disponibles pour la contempler, mais les miens surveillaient les corneilles volant au-dessus de mon petit resto. Comment avais-je pu me laisser convaincre de l’abandonner?

— Pour te reposer, maman! Tu vas prendre une semaine de vacances pour te la couler douce. Ne t’inquiète pas, on a acheté le forfait avec l’argent que nous a donné le grand frère. Relaxe et réjouis-toi. On t’aime et on va prendre soin du bébé.

Les pauvres poussins. Comment pouvaient-ils comprendre que ce n’était pas le restaurant qui avait besoin de moi, mais moi qui n’existais plus sans lui? Comment leur avouer que, même en dormant, je tournais des œufs sur la plaque chauffante? Comment leur expliquer que je faisais partie du mobilier du resto; que lorsque les clients arrivaient, ils me nourrissaient? Tant et si bien que les livres de recettes avaient supplanté mon appétit pour les livres de grande littérature et de poésie.

Dans le gros avion qui me ramenait à Montréal, j’ai vu le monde enveloppé dans la ouate par le hublot. J’avais tellement hâte de toucher le sol, de voir les enfants, de remettre mon tablier et de cuisiner une crème de potiron à la française!

Dans la soute à bagages, ma valise débordait de nouveaux livres de crêpes extraminces aux garnitures et pliures extravagantes. J’avais tellement hâte de parler aux enfants des délicieux coulis de fruits auxquels j’avais goûté, du café moka et de l’extraordinaire saveur de pur beurre des viennoiseries.

Lorsque l’oiseau géant toucha le sol à 17 h 45, heure locale de Montréal, tous les passagers ont applaudi. J’espérais voir mes enfants, mais je vis plutôt Platon, le plongeur, qui m’attendait à la porte d’arrivée. Sa veste blanche maculée de jaunes d’œuf au ketchup détonnait parmi la foule de bras grand ouverts.
— Laisse-moi prendre ta valise, Boss; j’arrive directement du restaurant.

— Est-il arrivé quelque chose? Où sont les enfants?

— Inquiète-toi pas, Boss, je viens de finir la vaisselle. Tout baigne dans l’huile.

Le monde n’avait pas arrêté de tourner durant mon absence, me confirma le plongeur. Le resto n’avait pas dérougi de clients et les ventes, selon la belle Gigi, continuaient leur ascension, comme avant mon départ.

Le lendemain, pour un court moment, j’ai eu l’impression d’entrer dans un film déjà commencé. Tout roulait. Gigi s’affairant à la plaque chauffante, le plus jeune transvidant son mélange à crêpes et Marie, la serveuse, avançant vers la table ronde du devant avec trois grosses assiettes de nourriture dans ses petites mains.

« Youhou, je suis revenue! », ai-je eu envie de crier. Mais je me suis retenue. Telle une petite souris dans un plateau de fromages, j’ai traversé le resto bondé en essayant de faire le moins de bruit possible. Je suis descendue au sous-sol et, assise sur une chaudière de margarine retournée, j’ai laissé couler l’océan de tristesse qui inondait mon cœur.

Je me répétais la phrase que m’avait lancée Platon sans vouloir m’épargner ni me blesser : tout baigne dans l’huile. Les oisillons n’avaient plus besoin que je leur apporte leur brin de nourriture dans le bec. Ils avaient grandi. Et, tout à coup, je ne semblais plus aussi indispensable que je le croyais. Puis, soudainement, comme si l’univers avait entendu l’écho de ma souffrance, j’entendis ma fille crier : « MAMAN! »

— Maman, le vendeur de viande veut te parler d’une nouvelle coupe de jambon. Est-ce que ça t’intéresse?

Tout m’intéressait dans la cuisine et surtout tout ce qui concernait nos spécialités matinales! Dès le lendemain, nous nous sommes affairés à pratiquer la dizaine de bonnes idées que j’avais rapportées de la Ville lumière et la planète s’est remise à tourner comme avant ma visite sur le Vieux Continent. Sauf que, désormais, il m’arrivait de quitter le resto plus tôt, juste après le service du repas du midi. Et personne ne s’en plaignait.

Je commençais tout juste à comprendre que notre spécialité de déjeuners devenait rapidement plus grande que le petit resto, plus indépendante et plus importante que la bonne cuisinière en moi. Les enfants m’avaient offert un beau cadeau et m’avaient fait réaliser qu’eux aussi avaient gagné en autonomie. Ensemble, nous pourrions opérer plus d’un restaurant. Avec cette miraculeuse parcelle de compréhension, je me mis donc à arpenter la ville à la recherche d’un nouvel emplacement.

Puis, comme vous le savez, j’en ai trouvé plus de 125 à travers le Canada. Tellement que je n’ai jamais pensé retourner à Paris! Mais il n’est jamais trop tard pour changer d’idée.

Cora
❤️

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