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15 juin 2025

Lettre à mon père

À l’occasion de la fête des Pères, je partage avec vous ce récit : le moment où j’ai ressuscité la mémoire de mon père pour lui dire que je l’aimais.

Est-ce que je lui ai déjà dit? En pensée, je le voyais devant moi, traverser la cuisine de Caplan. Son immense corps, qui pourtant me semblait léger comme une plume, avançait tel un fantôme d’homme oublié. Il ne parlait presque jamais à maman. Elle-même l’ignorait la plupart du temps. Leurs conversations tournaient autour de ce qui s’avérait nécessaire. Je me souviens de cette douloureuse tristesse qui minaient nos jeunes années, à mes sœurs, frérot et moi, et celles des deux adultes s’appelant Papa et Maman. Quels rôles jouaient-ils au juste dans nos existences, à part travailler pour nous nourrir?

Souvent, en soirée, mon papa s’ouvrait d’un clic une petite boîte de sardines. Maman ripostait, je le savais trop. Elle le traitait d’affamé; lui rappelait qu’il était pourtant déjà bien assez gros. « Aussi gros qu’une montagne », qu’elle répétait à la voisine Berthelot. Papa prenait la grosse boîte rouge de biscuits soda dans la dépense, puis il ouvrait la porte vitrée du buffet et y prenait l’assiette rose de grand-maman Cora, sa mère. Je savais qu’il avait toujours un petit creux en soirée, comme si un vorace chagrin dévorait son cœur. Ça me rendait triste de voir maman l’insulter tandis qu’il mangeait en silence. Papa étalait avec ses doigts deux petites sardines étêtées et égouttées sur chaque craquelin. Puis, avec sa grande main, il noyait sa peine dans sa bouche toute grande ouverte. S’ensuivaient les « crounch crounch » bien audibles des craquelins et des petites sardines avalées d’un coup. Est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?

Pour s’amuser, la plus jeune grimpait parfois sur notre père étendu sur le divan. Assise à cheval sur son ventre, elle agrippait de chaque côté le tissu de sa chemise et donnait des coups de talons à ses chairs déjà meurtries par la vie. « Hop-là! », criait frérot qui essayait d’attraper au lasso les gros pieds enflés de papa. À tout coup, cette scène mettait maman dans une de ces colères! Elle m’ordonnait aussitôt de faire cesser le manège, mon père se révélant impuissant sur le sofa. Est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?

La nuit venue, j’entendais parfois maman déverser toute sa hargne sur mon père. Je pleurais, la tête enfouie sous l’oreiller. Je pleurais encore lorsque papa partait le dimanche après-midi ou le lundi matin avec sa valise de commis voyageur. Je devais chaque fois attendre cinq longs jours avant qu’il ne revienne. Est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?

La veille de son départ, lorsque maman repassait les chemises et les deux pantalons de papa, je l’entendais rouspéter à propos de la grosseur de mon père. Elle devait s’y prendre à deux fois pour bien étendre chaque jambe sur la planche à repasser sans compter la fourche, les poches et l’immense tour de taille de « son énorme mari », comme elle le répétait souvent. Elle rageait en étendant un carré de lin imbibé d’eau pour que la vapeur aide à lisser le tissu. Le lendemain de son départ, maman irait vider son sac de douleurs devant la voisine Berthelot, mariée à un instituteur de l’école du village aussi mince qu’un manche à balai. Quand mon papa quittait la maison pour aller gagner notre croûte, est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?

Je ne connaissais rien de l’amour à cette époque. En sais-je réellement plus aujourd’hui? Enfant, je pleurais en cachette lorsque je voyais mon père triste ou blessé. Une fois mariée, j’ai sangloté en silence quand je devais affronter mon trop-plein de solitude. Toute jeune, je me doutais que quelque chose ne tournait pas rond entre mes parents. Je voyais nos voisins et je constatais que, chez nous, l’affection entre les époux manquait tous les rendez-vous. Il manquait les becs que le voisin collait à sa Laurette derrière les oreilles; les sourires coquins qu’ils s’envoyaient et les fins de semaine passées en amoureux, sans enfants, au chalet. Entre nos parents, l’essentiel manquait. Même frérot avait même mentionné à grand-père Frédéric que papa ramenait la tristesse avec lui chaque vendredi soir lorsqu’il revenait de ses voyages d’affaires.

Un jour, je devais avoir cinq ou six ans, papa revint de voyage et m’appela « Coco ». Un tout petit mot qui me semblait aussi doux que les oreilles d’un chat. En comprenant qu’il m’appelait moi, Coco, pour la première fois, mon cœur d’enfant a tremblé de bonheur. Comme si la patte du chat s’était logée dans la paume de ma main. Pendant toute la semaine qui a suivi, ce tout petit mot me rappelait le visage de papa; ses yeux allumant des étincelles dans les miens. Est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?

Puis, un jour, nous avons quitté les falaises orangées de mon enfance. Mais la tristesse a déménagé avec nous et s’est installée dans nos maisons à Mont-Joli, à Sainte-Foy, puis en banlieue de Montréal, et finalement, même s’ils n’étaient plus que deux, elle les aura suivis à Sainte-Adèle, jusqu’à la mort de papa. Je suis devenue, moi aussi, une adulte à qui les mots doux, les regards tendres et les baisers manquaient.

Comme je vous l’ai écrit précédemment, c’est seulement aux funérailles de maman que j’appris la raison derrière la lourdeur de leurs chagrins. Maman, amoureuse d’un protestant anglophone, dut rompre avec lui. Mon grand-père a convaincu sa fille au cœur brisé d’épouser un homme bon. Un homme qui l’aimait comme un fou, mais qui n’a jamais pu la conquérir.

Il arrive que l’on sacrifie toute une vie dans l’attente de quelques baisers ou mots tendres soufflés derrière les oreilles. On imagine l’amour gros comme une montagne et, à force d’attendre, la montagne nous engouffre, mais elle n’est jamais assez grande pour remplir l’absence d’amour dans notre pauvre cœur.

Je n’ai jamais réellement appris à dire « je t’aime ». Ces mots manquants, cette courte phrase pleine de sens demeurée inédite, a alourdi la tristesse que je côtoyais depuis l’enfance. Aujourd’hui, vieillotte aguerrie, l’idée m’est enfin venue de ressusciter mon père pour lui dire que je l’aimais.

Oui, je t’aime, papa chéri. Tu as été mon premier amour et, je ne l’espère point, tu seras sans doute mon dernier. Si possible, envoie-moi de là-haut un ange voulant se matérialiser; un être bon au cœur bienveillant, un homme que j’aimerai autant que je t’ai aimé.

Ta Coco chérie.

Bonne fête à tous les Pères!
💖

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