AU REVOIR
Chères lectrices adorées, chers lecteurs de mon cœur,
Le temps est venu pour moi d’accrocher ma plume et de mettre fin aux Lettres du dimanche. Cette magnifique aventure s’est présentée dans ma vie de manière aussi inattendue que la pandémie qui lui a donné sa raison d’exister. Tandis que la majorité de nos restaurants ont été contraints de fermer temporairement, nous cherchions une façon de rester en communication avec notre précieuse clientèle. Et c’est ainsi que j’ai commencé à vous écrire, chaque semaine.
J’ai commencé par une lettre d’encouragement (Ça va bien aller), puis je vous ai offert quelques recettes que vous pouviez préparer puisque vous étiez enfermés à la maison vous aussi. Je vous ai raconté l’histoire de nos plats les plus populaires, j’ai écrit à propos de notre entreprise, du soleil qui a illuminé presque la moitié de ma vie et qui continue toujours, toujours, à l’ensoleiller au quotidien. À court d’histoires professionnelles et encouragée par vos milliers de commentaires, j’ai ouvert mon cœur, puis les vannes de mes souvenirs et, en fin de compte, l’encre a coulé à outrance. Il y a presque six ans que je vous offre le premier café du dimanche avec une assiette de mots, sélectionnés avec attention et enjolivés avec intention.
Voilà qu’après tout ce temps, l’écrivaine a vidé son sac et utilisé ses mots les plus beaux. Je vous ai transportés à l’intérieur de mon jardin secret et, maintenant, nous en avons fait amplement le tour. Je vous ai tout raconté. Je vois bien que la loi du fruit consiste à s’accrocher à la branche, mais que celle du fruit mûr l’appelle à se détacher et à se laisser tomber dans le vide comme une olive et l’oisillon qui quitte le nid. C’est avec un pincement au cœur que je vous dis AU REVOIR. Cette lettre, cette belle Lettre du dimanche, sera ma dernière.
Je dois avouer que l’entreprise m’occupe beaucoup dernièrement. Peut-être que vous avez vu la nouvelle passer? Nous sommes en train de redéfinir notre image de marque. Concrètement, vous remarquerez sans doute que les pochettes de nos menus ont changé, que nous vous proposons de nouveaux ingrédients, quelques nouveaux plats, y compris des pizzas déjeuner et même des mocktails! Mon favori est le margarita à la pêche épicée, vous devriez y goûter! Notre équipe a consulté des architectes pour revoir le design des restaurants afin qu’il corresponde à notre nouvelle image et notre désir de mieux répondre aux attentes de notre précieuse clientèle. Le Cora du boulevard Le Carrefour, à Laval, est le premier au Québec à afficher notre nouveau style.
Entre mon temps à l’entreprise et mes rendez-vous au café avec mes amis le matin, j’ai aussi l’immense privilège de pouvoir passer du temps avec mes enfants, mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants. J’ai envie d’en profiter et de leur cuisiner des biscuits, des galettes à la mélasse et de renflouer ma provision de confitures qui sera certainement épuisée après les Fêtes! Le temps file tellement vite. Il s’est dérobé si rapidement d’entre mes doigts que je n’ai pas remarqué que près de six années venaient de s’écouler. Avant que mon sablier ne se vide, je veux retenir les derniers grains et les savourer longuement si la Providence le veut.
Si l’inspiration vient à moi par le bec de mon amie la corneille ou qu’un fin renard vient me souffler quelques mots tendres, je n’hésiterai pas à étendre leurs mots sur une page blanche pour vous les raconter. Nos rendez-vous deviendront de belles surprises, des matins inattendus remplis d’un brin de ma poésie.
Je tiens à vous remercier du plus profond de mon cœur. Je vous dis 307 fois MERCI; 307 fois, puisque c’est le nombre de lettres que je vous ai écrites au fil de ces années. En réalité, mon amour pour vous est incalculable et ma gratitude dépasse grandement les 307 remerciements! Merci pour vos mots bienveillants, pour vos chaleureux encouragements, pour les sourires que vous avez accrochés à mes lèvres, pour la stimulation intellectuelle que vous avez occasionnée et pour votre présence que je ressens, comme si vous vous teniez toujours à mes côtés.
En prenant ma retraite de l’entreprise, l’amour des gens me manquait. Ces remerciements, cette gratitude que j’entendais ou que je voyais dans les expressions délectées des gens assis aux tables des restaurants Cora, je les ai retrouvés dans vos commentaires. Je reste encore totalement abasourdie quand je pense que vous étiez parfois plus de 200 000 personnes à me lire d’une semaine à l’autre. Imaginez un brin à quel point vos 200 000 preuves d’amour réchauffaient mon petit cœur esseulé! Grâce à vous, j’ai retrouvé le sentiment d’accomplissement et reçu l’affection qui, vous le savez maintenant, m’a manqué autant comme enfant, puis comme adolescente et comme épouse.
Chères lectrices adorées, chers lecteurs de mon cœur, MERCI. Continuez à me saluer si nos chemins se croisent. Sachez que vous occuperez toujours une place bien précieuse dans mon cœur.
Cora
♥️
Note de l’amie « journaliste » qui posait 1001 questions…
J’ai eu le privilège d’accompagner Mme Cora pour environ 250 de ses 307 lettres. Elle m’a prêté le titre de journaliste dans ses récits. En réalité, elle m’avait confié le mandat d’éditrice puisque les mots, l’écriture et la lecture me passionnent autant qu’ils l’enchantent. Je lisais ses textes et lui faisais part de mes commentaires.
Je l’encourageais à dévoiler tel détail croustillant ou telle histoire troublante. Je me souviens tellement du matin où elle m’a raconté l’histoire de sa grand-mère, tenancière de bordel. « Mme Cora, vous devez écrire cette lettre-là! » Elle refusait catégoriquement. J’ai mis un an à la convaincre, mais j’y suis arrivée! Durant nos entretiens, elle me confiait souvent des anecdotes qui ont fait leur chemin jusqu’à vous, en Lettres du dimanche. Je pense entre autres à son avortement forcé alors qu’elle habitait en Grèce; à l’après-midi où elle avait croisé Paul, son flirt de jeunesse, à la bibliothèque; à ses mésaventures avec les soupirants potentiels présentés par l’agence de rencontre; à la fois où son mari a brûlé tous ses carnets d’écriture; au matin funeste lorsqu’il a giflé Gigi et que Mme Cora a su que le temps était venu de quitter la maison; à son amour pour les friperies et les marchés aux puces; à son incontrôlable désir d’acheter et de lire des livres; à sa passion pour les vêtements colorés et les montures de lunettes assorties, et bien d’autres aventures qu’elle avait la générosité de me confier.
Ces moments passés avec elle, je les chérirai pour toujours comme je sais très bien qu’elle en fera de même. Vous étiez ce qu’elle avait de plus précieux quand elle vous croisait dans ses restaurants et elle se réjouissait de chaque commentaire que vous lui faisiez.
Quand je pense à Madame Cora, j’entends Ginette Reno chanter « Je ne suis qu’une chanson » :
« Ce soir je ne me suis pas épargnée
Toute ma vie j’ai racontée
Comme si ça ne se voyait pas
Que la pudeur en moi n’existe pas
Ce soir au rythme de mes fantaisies
J’vous ai fait partager ma vie
En rêve ou en réalité
Ça n’en demeure pas moins la vérité
Mais moi je ne suis qu’une chanson
Je ris je pleure à la moindre émotion
Avec mes larmes ou mon rire dans les yeux
J’vous ai fait l’amour de mon mieux
Mais moi je ne suis qu’une chanson
Ni plus ni moins qu’un élan de passion
Appelez-moi marchande d’illusions
Je donne l’amour comme on donne la raison ».
À mes yeux, c’est exactement ce que les 307 lettres de Mme Cora représentent. Elle a raconté sa vie, dans les plus infimes détails, sans pudeur et avec passion. Elle a d’abord préparé des milliers de déjeuners pour servir tout son amour, puis elle a rédigé des textes qu’elle vous offrait avec autant d’affection et avec l’inépuisable et ardent désir de plaire.
Merci de l’avoir accompagnée dans cette odyssée alphabétique, cette balade de phrases composées juste pour vous.
Isabel P. Picard
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