Ouffff! La plupart d'entre nous entreprenons notre troisième semaine de confinement. Je suis isolée, prudente et beaucoup à l’écoute de l’affreuse propagation du Coronavirus. Jamais je n’aurais cru qu’un tel drame puisse être vrai. Pourtant, le film se joue dans nos rues vides, dans nos écoles muettes, dans nos commerces fermés et même dans nos maisons transformées en bunkers de protection contre un ennemi pratiquement insaisissable.
Quoi faire alors pour ne pas désespérer? Pour s’occuper et pour continuer de croire que «Ça va bien aller»? Dessiner des arcs-en-ciel, faire de nouveaux biscuits pour les enfants, pratiquer une sauce plus goûteuse pour vos côtelettes, étudier comment faire des confitures ou réapprendre à faire son propre pain. Et peut-être pourrais-je vous raconter, ici et là, ce qu’une p’tite vieille occupée comme moi fait lorsqu’elle n’a plus rien d’important à faire?
Cet après-midi par exemple. Au retour de ma marche en pleine nature, j’ai fait cuire à feu doux une toute nouvelle confiture de papaye. Des papayes que j’ai bien lavées à grande eau avec une brosse de cuisine. Je les ai pelées et nettoyées de leurs pépins, puis je les ai coupées en petits dés. La chair des papayes recouverte des trois quarts de son poids en sucre a passé la nuit au frigo.
Tout heureuse d’expérimenter une nouvelle recette et surtout curieuse de voir le résultat, je me suis installée sur un tabouret devant le poêle pour surveiller la cuisson. Malgré le feu doux, j’ai dû écumer plusieurs fois les gros bouillons laiteux émergeant à la surface, puis brasser tranquillement avec une cuillère de bois et attendre que les petits morceaux de chair brûlante deviennent translucides, gonflent le torse et s’épaississent en parfaite harmonie avec le sirop, ni trop liquide ni trop collant.
Plus intelligents que mes yeux, ce sont mes doigts qui savent quand éteindre le feu. Juste à toucher quelques gouttes de sirop jetées dans une soucoupe, mes doigts savent que la confiture sera bonne.
L’ami Thanassis a tellement insisté que mon mari a finalement accepté d’entreprendre une petite virée en Allemagne! Tellement de Grecs s’y rendaient pour d’abord s’acclimater et examiner les opportunités, puis pour s’installer dans les plus grandes villes du pays où chaque coin de rue grouillait de commerces. Ces arrivants étaient presque certains de gagner de l’argent, autant comme manœuvre dans les manufactures qu’en tant que commerçants en guenilles ou en restauration rapide.
« Quelle est la meilleure ville à visiter? », demandai-je. Thanassis répondit que presque toutes les villes allemandes se révélaient prospères et attirantes. Un cousin à lui avait ouvert un comptoir de souvlakis à Cologne en juillet 1965 et, sept ans plus tard, il en possédait huit et roulait sur l’or.
Je me suis donc rendue à la petite bibliothèque du village pour essayer d’en apprendre davantage sur la ville de Cologne. J’aimais le nom et tout probablement que j’aimerais sa senteur. Toc, toc, toc. Une vieille femme de presque 100 ans m’ouvrit la porte.
— « Ti thelis, koritsi mou? » (Que veux-tu, jeune fille?) Je lui expliquai le but de ma visite. La bibliothécaire sortit une fiche d’un classeur en bois aussi vieux qu’elle.
— « Tout est délabré dans cette vieille maison, jeune fille, mais nos fiches sont actualisées aux cinq ans pour les pays étrangers. En 1970, la ville de Cologne comptait 1 073 096 habitants. »
— « Pourriez-vous, chère dame, me dire combien de kilomètres il faut rouler en voiture pour aller de Thessalonique à Cologne? »
— « Demandez à monsieur le maire. Il s’y rend deux fois par année pour visiter sa fille et ses trois petits-fils. »
J’avais tellement envie de faire ce voyage avec les deux hommes, mais c’était impensable. Trois bébés comptaient sur moi à la maison! Thanassis m’apprit que la distance entre Thessalonique et Cologne s’élève à 2157 kilomètres, représentant environ 20 heures de route, en plus de centaines de kilomètres pour visiter la ville de fond en comble.
De plus, la langue allemande est particulière. Elle n’est pas assise sur le bout de la langue, mais cachée au fond de la gorge. Ses tonalités sont rauques, gutturales, rudes et rocailleuses comme des petits cailloux qui déboulent d’une montagne. « Thanassis parle-t-il allemand? », demanda le mari.
Sous l’œil attentif de la belle-mère, ma belle-sœur Despina et moi avons préparé un panier de victuailles pour nos grands voyageurs. Des feuilletés aux épinards, des feuilles de vigne farcies à la viande, des tranches d’aubergines rôties, des betteraves marinées, du feta, du « basturma » (de fines tranches de bœuf fortement pressé et séché) dont le mari raffolait, une dizaine de brochettes de poulet à l’origan et, bien entendu, un gros kilo de tzatziki que j’ai moi-même concocté en y ajoutant des râpures de chair de concombre bien frais.
À cet instant, j’ai vécu l’étrange bonheur de réaliser que mon cœur ne se décourage jamais, il ne fait qu’espérer. J’ai profité de l’absence du mari pour convaincre sa mère, un peu chaque jour, de venir s’installer au Canada avec Despina. La vie dans le village s’avérait très difficile sans homme à la maison. Les bras des quelques voisins et cousins ne suffisaient pas pour entretenir les deux étages cimentés de la vieille demeure. Chaque soir, je berçais mes bébés en priant très fort pour que nous puissions partir de ce village presque déserté. Que la foudre m’emporte, mais si je n’avais pas d’enfant! Et pourtant, ils étaient ma chair, mon cœur, mes pensées et mes yeux qui, peu à peu, s’asséchaient de larmes. Le mari parti, mes trois petits et moi couchions au milieu du lit et rêvions que nous nous trouvions au paradis.
Le lendemain matin, en se rendant à la poste, Despina apprit que cinq grosses valises venaient d’arriver au village pour le mari. Après plus de six mois, nos pénates montréalais étaient enfin arrivés en Grèce! J’ai tout de suite eu l’envie de les retourner à l’expéditeur, mais j’ai hésité. Allions-nous attendre la vieille camionnette du boulanger pour récupérer nos valises dans lesquelles j’avais caché quelques livres parmi mes dessous féminins, là où l’homme ne regardait jamais?
J’avais peur, je pleurais, j’avais tellement envie d’écrire quelques lignes de poésie pour me libérer de mon fardeau. Comme des plaies ouvertes qui saignent et sèchent sans guérir, mes besoins n’étaient jamais assouvis. Sept interminables jours s’étaient écoulés depuis le départ du mari et de l’ami Thanassis pour Cologne, sans aucune nouvelle. L’homme aurait-il trouvé un travail intéressant et payant; un comptoir de souvlakis tenu par un vrai Grec; ou un poste de contremaître dans une manufacture de manteaux de fourrure?
À Montréal, de mon temps, la plupart des épouses grecques travaillaient dans des manufactures de manteaux de fourrure. Elles y cousaient les doublures avec une très grande habileté. Elles n’étaient pas payées à l’heure ni à la semaine, mais au nombre de doublures qu’elles cousaient par jour. Les plus chanceuses pouvaient compter sur la grand-mère pour garder les enfants pendant qu’elles cousaient puisque celle-ci habitait avec elles. Alors ces vaillantes immigrantes apportaient à la maison deux ou trois doublures à coudre après le souper, soutenant ainsi leurs maris jusqu’à ce qu’ils réussissent en restauration.
Et moi, qu’aurais-je pu faire pour épauler ce mari qui dansait jusqu’aux petites heures et dormait jusqu’à midi? Sans parler de son expertise en séduction! Une fois, au mariage d’une cousine, je l’ai vu à l’œuvre sur un plancher de danse et les filles tombaient comme des mouches juste à le voir se trémousser. Tandis qu’il brillait par son absence, j’y repensais et l’envie me prenait d’emmailloter mes bébés et de prendre le large!
À SUIVRE…
Cora
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Sur le chemin du retour entre l’hôpital et le village, ni Thanassis, ni mon mari et moi n’avions prononcé un traître mot. Un épais malentendu déchirait l’atmosphère. La mare de sang dans laquelle je m’étais réveillée sur la civière et les deux pilules que j’avais dû avaler dépassaient mon entendement. J’avais quand même sorti de mon corps un magnifique poupon à peine plus de 40 jours auparavant et voici que le sang coulait encore entre mes cuisses. Ce vieux docteur m’avait abîmée, charcutée, avortée. À ma première grossesse, mes beaux-frères avaient convaincu l’homme de m’épouser parce que j’étais la première qui lui refusait de se faire avorter. Parce que j’étais enceinte, je m’étais mariée obligée, comme on disait dans le temps. Mais cette fois, on ne m’avait même pas accordé le droit de prendre la décision.
J’avais soif. Sur la banquette arrière de la vieille bagnole du boulanger, mon corps se tordait de douleur. À l’avant, le mari, fumant comme un défoncé, s’amusait à retenir la fumée dans ses poumons le plus longtemps possible. Dans son empire du silence, il m’ignorait totalement. Je regardais mon ami Thanassis dans le rétroviseur et ça m’encourageait. « S’il te plaît, Thanassis, ouvre une fenêtre. Ma bouche est complètement desséchée. J’ai besoin de boire de l’eau. » Le mari continua à m’ignorer et à avaler de la boucane jusqu’à ce que nous nous arrêtions à la seule station d’essence située quasi à mi-chemin entre la grande ville et le village.
— « Sortons nous dégourdir les jambes », clama l’époux.
— « Bonne idée », rétorqua Thanassis.
J’ai ouvert la porte arrière et tenté de m’extirper de la bagnole. En avançant d’un pas, je m’aperçus que j’avais tacheté ma robe et la banquette arrière et que de minces filets de sang dégoulinaient sur mes jambes. « Thanassis, s’il te plaît, demande à quelqu’un un morceau de tissu mouillé pour me rafraîchir. S’il y a une femme dans la baraque, je veux lui parler. »
Une grand-mère assise dans un coin lâcha son tricot et s’avança vers moi. Elle avait tout compris en voyant mes yeux apeurés, mon visage blême et mes jambes collées l’une sur l’autre. La vieille femme essuya le sang sur mes cuisses, me tendit des découpures de tissus bien propres en me conseillant de m’étendre un peu pendant qu’elle nettoierait la banquette arrière. Elle me mena donc au fond de la bâtisse. C’est à ce moment que je découvris que la station-service abritait une petite pièce secrète où la vieille dame servait d’infirmière et parfois d’avorteuse pour les femmes du village. Elle m’installa sur son lit de fortune couvert de vieux draps.
Enfin revenue au village, j’ai tout de suite raconté à ma belle-sœur Despina qu’après l’examen post-partum habituel, on m’avait endormie sans demander mon consentement et retiré l’embryon d’un nouvel enfant. « Les hommes n’ont aucune idée de ce que les femmes endurent. Moi la première, je me suis bien mariée et j’ai accouché d’un petit garçon mort-né », me dit-elle. Après quelques larmes, je lui ai parlé de la vieille femme du garage. Selon Despina, c’était un secret bien gardé que tout le monde connaissait, mais dont personne ne parlait. À mi-chemin entre la grande ville de Thessalonique et les quelques villages avoisinants Krya Vrysi, les jeunes filles engrossées illicitement visitaient la femme du garage qui s’occupait d’expulser l’avorton et de recoudre l’hymen. Ainsi, la jeune fille redevenue vierge pourrait se marier.
Un souvenir du temps où je demeurais à Montréal me revient en tête. Mariée depuis quelque deux ans, j’avais le ventre quasi prêt à accoucher de ma fille, mon deuxième bébé. Un bon ami du mari nous avait invités à son mariage. J’étais très contente qu’une belle-sœur me prête une robe de maternité qui m’allait. Née au Canada de parents immigrants grecs, la jeune fille de 17 ans travaillait avec son père devenu restaurateur sur l’avenue du Parc et parlait parfaitement anglais et français. Croyez-le ou non, la coutume à cette époque consistait à déflorer la future épouse un ou deux jours avant la cérémonie du mariage pour que le mari puisse être convaincu de sa virginité. Cependant, cette magnifique promise ne l’était pas. Lorsque la mère du futur époux apprit ce qu’il s’était passé, elle annula la noce. Le futur mari, qui aimait sa promise comme un fou, se retrouva le bec à l’eau et le cœur en miettes.
Mais revenons au lendemain matin de notre visite de suivi à l’hôpital. Le mari était réveillé et tenait le tout petit dans ses bras. Il lui faisait des guili-guili pour me faire rire, je suppose. C’était mon troisième bébé, mais c'était vraiment la première fois qu’il prenait un de nos enfants dans ses bras.
Voulait-il être pardonné, excusé, gracié? Voulait-il me faire croire que c’était un service qu’il nous avait rendu la veille? Tout son comportement m’exaspérait. C’était un homme peu éduqué, paresseux, ignorant, imbu de lui-même, irresponsable, illogique et imprévisible. Ce dernier qualificatif m’effrayait au plus haut point. Pensait-il encore que la vie en Grèce était beaucoup plus facile qu’en Amérique? Lui-même, depuis plus de six mois, n’avait trouvé aucune opportunité valable pour gagner sa vie. Mais avait-il vraiment cherché?
Ce mois-là, le jardin débordait de légumes que j’avais ramassés et entreposés au deuxième étage de la maison. Nous avions récolté tellement d’oignons que j’ai dû enseigner à ma belle-sœur Despina comment les confire. Un jour, j’ai coupé le cou d’une belle grosse poule blanche pour notre souper. Les petits se sont bien amusés avec les plumes de la poule qu’ils allaient manger. Le plus vieux adorait les cuisses de poulet avec des frites allumettes cuites dans une grande poêle en fonte. Misère, les petits chercheront le ketchup! Que vais-je faire? Il m’a fallu écrabouiller quelques tomates bien mûres et en faire une « purée maison » comme l’aurait dit notre célèbre Jehane Benoît nationale.
Fin septembre, j’ai commencé à avoir peur. Constatant que le mari ne travaillait toujours pas, le boulanger me donnait le pain de la veille et quelques brioches invendues pour mes enfants. Les poches du mari étaient-elles si vides? Je n’avais aucune idée de ce qu’il possédait. Au café du village, tout ce dont les hommes parlaient, c’était du manque flagrant de travail bien rémunéré.
— « Où pourrions-nous aller? »
— « Peut-être en Allemagne? », murmura Thanassis. « Une grande majorité d’hommes grecs y sont déjà, travaillant dans les usines, sur les fermes agricoles ou dans les restaurants ».
— « L’Allemagne, le Canada ou les États-Unis, c’est du pareil au même! », grogna l’époux lorsque j’ai voulu tâter le terrain.
— « Hambourg, Munich ou Cologne, ça te tente? Tes deux frères au Canada vivent comme des rois avec leurs restaurants. Leurs familles ne manquent de rien. S’il te plaît, retournons au Canada. Demandons le passeport du bébé et partons. Dépêchons-nous! »
À SUIVRE…
Cora
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En Grèce, à cette époque (1972), lorsqu’une femme accouchait, elle devait obligatoirement rester dans la maison pendant 40 jours. Au quarante et unième lever du soleil, elle devait aller présenter son enfant au « pope » (le curé de la paroisse) et ainsi décréter la fin de sa quarantaine. J’avais accouché du troisième enfant à la fin juin et je restais à la maison à prendre soin de la marmaille tandis que le mari devait se trouver un emploi pour faire vivre sa famille.
Le village de Krya Vrysi était si petit que tout le monde se connaissait. Le mari, je suppose, avait oublié ce détail. C’est ainsi que son secret enflamma toute la rue principale comme une traînée de poudre. L’homme voulait voir du monde, aller vivre dans une grande ville où il pourrait devenir commerçant. Qu’allait-il vendre? Dieu seul le savait et le diable s’en doutait.
L’ami Thanassis alla boire quelques cafés sur la rue principale et apprit vite tout ce qu’il y avait à savoir : le mari s’était mis dans la tête de vendre des « flokatis ». Les flokatis sont des tapis à mèches longues (des tapis « shaggy ») fabriqués selon une tradition particulière et assemblés à la main dont le poids minimal est de 1800 grammes par mètre carré. La pure laine vierge de mouton de ces magnifiques tapis, jadis synonymes de douceur, de confort et de chaleur, élevait ces tapis, à une certaine époque, au rang des produits luxueux. Cependant, les flokatis n’étaient déjà plus populaires en Amérique ni même en Grèce tout simplement, je suppose, parce que les chaumières commençaient à être chauffées.
Lorsqu’enfin le mari se décida à me parler de ce nouveau projet, je lui répondis que même sa propre mère et sa sœur n’utilisaient plus de flokatis parce qu’ils étaient trop lourds à secouer, trop difficiles à transporter, et trop dispendieux à remplacer. Selon Thanassis, seuls les démunis et les gitans de l’époque les appréciaient parce qu’ils les recevaient gratuitement des nantis qui n’en voulaient plus. Je ne le savais pas à ce moment-là, mais ce projet n’irait nulle part, comme beaucoup d’autres de ses aspirations bidon.
Arriva enfin le 19 juillet, l’anniversaire de ma fille portant le même prénom que sa grand-mère grecque : Getsémanie. Ma belle-sœur Despina avait fait en cachette un gâteau aux cerises à peine mûres avec trois petites chandelles roses. La coiffeuse du village m’avait offert de couper un pouce des cheveux de la petite pour qu’ils poussent mieux et plus vite. Même Thanassis avait apporté une petite robe jaune pour la fillette. Le mari allait évidemment manquer la fête parce qu’il était à Thessalonique. J’avais certes remarqué qu’il y allait de plus en plus souvent et cela m’intriguait. Cherchait-il encore une façon de gagner sa vie? Ou s’offrait-il une distraction féminine? Peut-être. L’homme avait toujours un quelconque projet secret; une excuse pour s’absenter régulièrement du village. Pendant ce temps, je m’occupais de l’immense jardin et de remplir de l’eau du puits six ou sept grosses cruches pour nos besoins quotidiens. La plupart des maisons du village n’avaient pas l’eau courante et cela enrageait la belle-mère. Son grand garçon adoré ne pourrait-il point l’installer au lieu de perdre son temps à élaborer des plans?
Heureusement, ma vaillante belle-sœur adorait prendre soin de mes bébés. Chaque matin, elle les débarbouillait, les langeait, les nourrissait et amenait le tout petit à mon sein.
En août, j’avais fièrement présenté mon bébé au « pope » du village. Je devais retourner à l’hôpital de Thessalonique pour un examen de routine à la suite de l’accouchement et qui marquait aussi la fin de ma quarantaine. Thanassis accepta de nous y conduire, l’homme et moi. J’étais en pleine forme, je n’avais pas pris un seul kilo malgré le pain que je savourais chaque jour et la mangeaille grecque qui trempait dans l’huile d’olive. À notre arrivée, un vieux docteur salua le mari, m’ordonna d’enlever mes dessous et de m’étendre sur une étroite table. L’homme ganté palpa mes seins, mon ventre et entra quelques doigts dans mon entrejambe presque guéri. Puis les deux hommes s’exprimèrent dans un dialecte de montagne que je ne comprenais pas.
Juste quelques mots et quelques regards suffirent pour que je comprenne que quelque chose allait de travers. Le docteur s’absenta quelques minutes et revint avec une seringue dans les mains. « Une petite piqûre calmante », dit le vieillard en me souriant. Le temps d’interroger le mari et je tombais dans les vapes. À mon réveil, le vieux docteur avait quitté la pièce. La civière sur laquelle je reposais était tachée de sang. En voyant l’épaisse serviette sanitaire placée entre mes cuisses, j’ai vite compris pourquoi on m’avait endormie contre mon gré. J’avais peur, je pleurais. Le mari, qui s’était empressé de courir à la pharmacie pour se procurer deux comprimés prescrits que j’allais devoir avaler sans les croquer, m’aida à remettre ma culotte, ma robe et mes sandales. Il prit mon bras pour descendre les escaliers et nous quittâmes l’endroit sans échanger un seul mot.
À SUIVRE…
Cora
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Le vieux chauffeur de l’autobus dans lequel nous prenions place en route vers Thessalonique venait de foncer dans un camion à benne basculante rempli d’oranges. Les petits braillaient, le mari gueulait, le chauffeur s’époumonait à dire que ce n’était pas sa faute. Les trois-quarts des passagers étaient des personnes âgées. Plusieurs bagages étaient tombés dans l’allée et le conducteur fou avait interdit aux voyageurs de se lever. J’avais besoin d’eau pour les petits, de couches pour les changer et de quelques biscuits pour les calmer. Il fallut patienter. Lorsqu’enfin arrivèrent trois policiers, ils nous firent descendre de l’autobus et grimper dans un autre. Devant nous, l’asphalte était tapissé d’oranges écrabouillées, réduites en charpie. Le mari alla récupérer nos deux valises, remplis de nos maigres pénates, tandis que je me réinstallais avec les deux bébés dans le nouvel autobus aussi vieux que le premier. « Qu’adviendra-t-il du chauffeur? », s’interrogèrent quelques vieux habitués de ce trajet. Mon cœur de mère s’inquiétait surtout de ce qu’il adviendrait de nous.
À notre arrivée à Thessalonique, un autre lointain cousin nous attendait au terminus d’autobus. Il s’appelait Thanassis et était l’unique fils du boulanger de Krya Vrysi (qui signifie eau froide), nom du village où nous allions demeurer. Prévenant et gentil, ce jeune homme deviendrait mon allié, mon ami et mon seul confident dans le village. Malgré que je parlais bien le grec, nos discussions se passaient en français puisqu’il avait étudié la langue au collège. Ainsi nous jasions à l’abri de tous les curieux du canton.
Une fois au village, Thanassis nous conduisit à la maison de la belle-mère. En entrant par la porte de la cuisine, la première chose que je vis fut la dizaine de collants à mouches suspendus au plafond. J’avais aussi l’impression d’entendre un continuel bourdonnement de mouches. La belle-mère, toute de noir vêtue, se leva, attira ma tête vers elle, la serra et l’embrassa. Sa fille Despina, veuve depuis toujours, s’empara de mes deux bébés, les câlina, les chouchouta et les couvrit de baisers. Puis, elle m’amena à la fontaine et remplit un tonneau d’eau fraîche pour les besoins de la journée. Quant au mari, après avoir transporté nos deux valises dans la maison, il demanda à Thanassis de le conduire sur la rue principale du village, là où se passait l’action.
J’appris quelques jours plus tard que cet illustre village comptait moins de 1000 habitants, la plupart des grands-mères et des vieillards. Les « palikari » (jeunes hommes) avaient vite compris qu’ils n’avaient pas d’avenir dans ce coin de pays et avaient migré vers l’Allemagne ou le Canada, de préférence. Et voilà que mon paresseux de mari avait changé son capot de bord! Il ne rêvait plus de devenir aussi riche qu’Aristote Onassis, mais cherchait plutôt comment il allait subvenir aux besoins de sa femme et de ses deux, bientôt trois, enfants.
Ses deux frères, arrivés au Canada avant lui, possédaient chacun deux restaurants. Et lui, le plus élégant des trois, le plus raffiné, le plus intelligent, croyait-il, s’avérait un fainéant notoire. Fréquentant les clubs de « bouzouki » (musique grecque), il s’imaginait comme un véritable Zorba le Grec. C’est d’ailleurs ainsi qu’il m’attrapa en me tirant sur un plancher de danse en 1967, et la valse dura treize longues et horribles années. En m’enfuyant du logis en 1980, j’aurai finalement mis une croix sur toute cette épopée.
Dieu sait pourquoi je me rappelle aujourd’hui cette jeune maman que j’aimais être du temps où nous sommes partis pour la Grèce. J’avais déjà deux petits et j’attendais d’un jour à l’autre l’arrivée du troisième qui avait traversé l’océan dans mon ventre. Mon cœur bouillonnait d’amour inconditionnel pour mes bébés. Oui, oui! Nous vivions à l’autre extrémité du globe et je m’en foutais. Même l’homme m’indifférait. Sa vie, ses choix et ses multiples bévues; je les ignorais. J’étais une maman et il n’y avait que cela d’important dans ma vie.
Arriva finalement le fameux matin du 20 juin 1972 où je dus réveiller ma belle-sœur Despina pour l’aviser du début des contractions. Elle réveilla mon mari, puis alla chercher Thanassis qui revint dans la vieille auto de son père. Despina installa une pile de vieux draps sur le siège arrière au cas où l’enfant se présenterait subitement. Je n’étais pas inquiète, car elle savait faire. Elle me confia plus tard que, quelques semaines plus tôt, elle avait sorti toute seule un enfant du ventre d’une trop jeune maman.
Lorsqu’enfin nous sommes arrivés au seul hôpital de Thessalonique, on m’emmena à l’étage des maternités. J’ai cru faiblir tellement les cris aigus des femmes m’apeuraient. Autour de chaque lit, une sœur, une tante, une mère ou une amie tenait la main de la femme en contractions. Heureusement qu’un jeune docteur qui parlait français m’aborda. Il me proposa le petit lit étroit de sa chambre jusqu’à ce qu’il puisse accoucher la plupart des criardes. J’ai vite accepté. Lorsque le calme s’installa, on me prépara et l’enfant sortit comme un tout petit chat sans griffe. Quel bonheur! Lorsque nous quittâmes l’hôpital, ma belle-sœur emmaillota l’enfant et le coucha sur ses cuisses. Pendant toute la durée du retour, le poupon ronronna.
À SUIVRE…
Cora
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Très chers lecteurs, j’ai finalement entrepris de me vider le cœur. Pendant 10 semaines à compter du 8 septembre, je vous raconterai cet épisode de ma vie en Grèce. Vous revivrez avec moi près d’un an de ma vie passée au fin fond d’un village pauvre et quasi déserté.
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À l’hiver 1972, sans même m’en avoir préalablement parlé, l’époux avait décidé de retourner en Grèce. Nous étions mariés depuis cinq ans, j’avais deux enfants et un troisième qui grouillait dans mon ventre. J’allais devoir quitter mon pays, ma langue, mes parents. Mon plus vieux, lui, devait dire adieu à son école prématernelle. À l’époque, l’homme régnait en maître, et sa femme n’avait d’autre choix que de lui obéir… dans mon mariage, du moins. Pour adoucir cette tragédie, quelques belles-sœurs me confièrent en cachette qu’elles aussi étaient retournées en Grèce une ou deux fois avant de revenir au Canada pour toujours. Subirais-je le même sort? J’appréhendais le pire.
Quelques amis du mari ont transporté jusqu’au bateau cinq immenses valises par lesquelles notre vie et tous nos pénates changeraient de continent. Deux autres valises remplies du nécessaire pour vivre le temps que le reste de notre matériel arrive à bon port nous accompagnaient dans l’avion. Une fois installés, mon garçonnet et sa petite sœur se sont couchés à nos pieds et ils ont dormi pendant tout le trajet. La tête accotée dans le hublot, le mari fumait comme une cheminée. À cette époque, on avait le droit de fumer à bord d’un avion! À tout bout de champ, il sonnait l’hôtesse de l’air pour un énième café. Me savait-il désolée, contrariée? Voyait-il mes yeux noyés de larmes et mes mains entourant le nouvel enfant gigotant dans mon ventre?
J’avais si peu dormi et pourtant, lorsque le jour éblouissant réveilla les passagers, j’ai senti que l’oiseau métallique géant touchait déjà la piste d’atterrissage. Les petits se réveillèrent et voulurent manger. L’homme endormi déplia ses longues jambes et se leva. Il héla une hôtesse et insista pour du café et des grignotines pour les petits.
En sortant de l’avion, j’ai cru mourir de chaleur. Je me demande encore aujourd’hui si, à cette époque, le vieil aéroport d’Hellinikon était climatisé. Partout, dans l’immense bâtiment, des vapeurs chaudes assaillaient les passagers. L’eau coulait sur nos fronts, les enfants pleuraient, le mari s’impatientait, fumant une cigarette après l’autre et cherchant le lointain cousin qui devait venir à notre rencontre à l’arrivée des passagers.
— « Quelle heure est-il? », demandais-je au mari.
— « J’ai soif! », criait le plus vieux.
— « Pipi! », implorait la toute petite.
Mon cœur empli d’inquiétude battait trop fort. Allions-nous pouvoir endurer une telle chaleur? Où allions-nous vivre? À Athènes, à Thessalonique peut-être, ou ailleurs? L’homme avait-il sécurisé un logis? Un travail? Les enfants braillaient, ils avaient chaud, ils avaient faim, ils voulaient rentrer à la maison. Lorsqu’enfin le cousin arriva, il s’empara des deux dernières valises encore sur le carrousel. Le mari empoigna le plus vieux et le plus gros sac de voyage. Je transportais moi-même une assez grosse sacoche remplie de linge d’enfant et d’articles de première nécessité : les passeports, les baptistaires grecs orthodoxes des petits, le carnet québécois de vaccination du plus vieux, et la petite à moitié endormie dans mon cou dégoulinant de mouillure.
L’horloge indiquait presque midi lorsque le cousin nous débarqua chez sa mère. Les enfants chignaient et pourtant je fus tout de suite éblouie en levant la tête. À droite, là-haut sur la colline mythique, je vis enfin de loin le célèbre Parthénon, littéralement « la demeure des vierges », et le symbole architectural de la suprématie athénienne à l’époque classique. Wow! Je constatais de visu ces trésors de vieilleries que j’avais étudiés dans mon jeune temps. Tout me revenait soudainement, probablement parce qu’on m’avait obligée à mémoriser même les dates de construction des différents monuments dont l’Acropole d’Athènes, érigée entre 443 et 438 av. J.-C., et bla bla bla. L’archéologie, le mari s’en foutait. Il me présenta sa tante qui nous offrirait à tous l’hospitalité aussi longtemps que nécessaire et, à moi, un ou deux après-midi sur le Parthénon en sa compagnie. Enfin, il m’arrivait quelque chose de bon! Mon cœur de jeune femme palpitait.
Nous dormions à l’étroit sur un lit d’appoint avec les deux petits au milieu et le troisième dans mon gros ventre. Lorsque les bébés gigotaient, le mari s’installait sur l’unique sofa de la maison. Le cousin avait emprunté d’une voisine une poussette double facile à transporter. Chaque jour, je promenais mes petits, nous acclimatant ainsi aux températures élevées. Pas question d’écourter mes robes ou de porter un pantalon, le mari ne l’aurait jamais toléré! Comme je maîtrisais déjà plusieurs plats typiquement grecs, la tante appréciait beaucoup mes résultats et continuait à guider mon apprentissage.
Entrant dans mon septième mois de grossesse, j’ai questionné l’époux.
— « Où allons-nous nous installer? »
— « Dans mon village natal », répondit-il en anglais.
— « Est-ce près d’ici? »
— « Pas du tout. »
— « C’est où? »
— « C’est dans le nord de la Grèce à quelque 70 kilomètres de Thessalonique. Le village s’appelle Krya Vrysi et c’est là que demeurent ma mère et ma sœur. »
La maison sera-t-elle assez grande pour tout le monde, y compris les enfants? L’homme de peu de mots semblait avoir en tête un plan préconçu. Le surlendemain, le cousin nous amena à un terminus d’autobus et c’est à ce moment que j’appris que le trajet entre Athènes et Thessalonique prendrait approximativement cinq heures quarante-cinq minutes. Heureusement que la tante bien prévenante nous avait préparé un bon panier de victuailles.
La toute petite et son frère étaient collés à mon ventre habité. J’avais peur, j’aimais mes petits et je surveillais ce vieux conducteur d’autobus qui ressemblait à un fou du volant. Assis derrière moi, le mari fumait encore et j’avais mal au cœur. J’ai tourné la tête vers lui pour lui demander d’ouvrir une fenêtre et c’est alors qu’il s’aperçût qu’en déviant de sa trajectoire pour épargner quelques moutons, notre vieux chauffeur allait foncer dans un camion à benne basculante rempli d’oranges.
À SUIVRE…
Cora
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Du temps de mes treize années de mariage, l’homme m’interdisait d’écrire, de fréquenter ma famille, des amies d’enfance, ou même quelques voisins qui essayaient de fraterniser. Je n’aurais jamais pu, à cette époque, imaginer qu’un jour je prendrais mes cliques et mes claques et que je finirais par me lancer en affaires pour gagner ma vie et atteindre quelques sommets. Mais, comme j’ai une peur bleue des hauteurs, je n’ai jamais visé le mont Kilimandjaro.
Ce qui m’amène à vous raconter l’histoire d’une de nos employées de longue date qui se révèle beaucoup plus courageuse que moi. Cette brave femme nommée Suzan, dont l’âge s’apparente au mien lorsque j’ai ouvert mon premier resto, assume le rôle de mère monoparentale depuis toujours. Elle et moi possédons plusieurs traits de caractère en commun en plus de notre passion pour l’entreprise. Comme moi, je suppose, elle n’a pas froid aux yeux, mais elle, elle ne craint pas les hauteurs.
Le 6 janvier 2025, tandis que les gens retrouveront leur routine après le temps des fêtes, Suzan et son compagnon partiront gravir le mont Kilimandjaro. Oui, oui! J’en ai le souffle coupé. Ils grimperont tout en haut d’un des sept sommets du monde, là où les habitants de la région déclarent que « le ciel touche la terre ».
Le sport a toujours occupé une place importante dans la vie de cette grande aventurière. « Surtout pour le dépassement de soi et très peu pour l’aspect compétitif », m’a-t-elle confié. Ce rêve d’escalader le Kilimandjaro représente un grand défi pour Suzan.
À l’heure du lunch, bien souvent, Suzan nous parle de toute la préparation nécessaire qui mènera à son grand exploit : effectuer de longues randonnées de hauteurs variées et sous toutes sortes de conditions météo, travailler sa musculation pour renforcer son corps, marcher beaucoup et faire des exercices cardiovasculaires variés. Elle précise que « l’idée est d’améliorer notre endurance et de hausser notre capacité cardiorespiratoire puisque l’oxygène devient de plus en plus rare à mesure que nous montons en altitude ». L’ascension en tant que telle prendra sept jours d’efforts physiques bien ardus et la descente, une seule petite journée.
Wow! C’est presque incroyable! Ma peur des hauteurs augmente encore! Douze mois d’entraînement assidu pour une balade en montagne qui durera moins de dix jours! « Pour nous, c’est un beau cadeau que nous nous offrons et ça nous a donné envie de partager l’aventure, explique Suzan. Je me demandais comment nous pourrions en faire bénéficier d’autres autour de nous et l’idée m’est venue d’organiser une levée de fonds thématique. Comme il nous faudra gravir plus de 6 000 mètres, alors nous avons pensé que nous pourrions recueillir un dollar pour chaque mètre : soit un montant de 6 000 $. Chaque sou amassé sera directement remis au Club des petits déjeuners. »
Suzan et moi, ainsi que tous nos employés, comprenons très bien les défis financiers que bien des parents rencontrent au quotidien. Nous savons que l’alimentation des enfants en écope souvent. Pour bien des familles, l’importance du déjeuner est primordiale. Depuis plus de 15 ans, notre entreprise contribue au Club des petits déjeuners pour inspirer les jeunes à se dépasser et à croire que tout peut être possible pour eux. De plus, depuis octobre 2019, lorsqu’une personne choisit le « Déjeuner du Club » inscrit au menu, 50 sous sont remis au Club. Nous avons aussi instauré diverses activités ponctuelles qui nous permettent de faire une différence. Par exemple, la promotion Menu enfants où chaque dollar amassé est remis au Club des petits déjeuners. C’est notre façon à nous d’aider les enfants nécessiteux à réaliser leur plein potentiel, un déjeuner à la fois.
Au Canada, un enfant sur trois risque de se présenter à l’école le ventre vide, ce qui nuit à son rendement et à son développement de plusieurs façons. Un enfant qui a faim manque d’énergie, voit sa créativité et sa concentration chuter. Ses aptitudes pour apprendre et son comportement s’en ressentent aussi. Le Club offre aux enfants l’occasion de commencer chaque journée d’école avec des aliments nutritifs.
Dans la vie comme dans l’ascension du Kilimandjaro jusqu’à son dernier pic, rien n’est garanti. Mais en mettant tout notre cœur à l’ouvrage, pas à pas, nous pouvons y arriver.
Je vous donnerai d’autres nouvelles du grand projet de Suzan et de son compagnon cet automne. D’ici là, je vous invite à participer à leur aventure en les suivant sur leur page Facebook.
Cora
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Depuis deux longues semaines, aucune idée géniale, aucune inspiration, aucun mot « déclencheur » n’est sorti de ma caboche asséchée. Je vous ai écrit une lettre chaque dimanche depuis le début de la pandémie; j’en aurai bientôt quelque 237 à mon actif. Peut-être est-ce un peu normal que je commence à manquer d’encre dans ma plume?
Jusqu’à maintenant, j’ai toujours attrapé mes idées en plein vol. Ce matin, je ne peux que confier mon blocage aux vaillantes corneilles qui dansent sur le toit de ma maison. J’ai sérieusement l’impression de ne plus être capable de pondre un seul mot, et affronter la page blanche me donne la chair de poule.
Après une courte recherche, j’apprends que « ce syndrome de la page blanche » s’appelle aussi « leucosélidophobie ». Quel affreux mot qui, selon le moteur de recherche, « désigne une crainte de ne pas pouvoir aborder ou continuer un récit dans lequel une baisse de confiance va se manifester et s’amplifier ». Ouache! Ça semble exactement mon cas.
Peut-être ai-je aussi usé mes méninges trop vite au début de juin lorsque j’ai entrepris l’écriture d’une longue histoire découpée en près de dix lettres sur un même sujet intitulé « LE RÊVE DU MARI, MON CAUCHEMAR ». Je partagerai ces lettres avec vous à compter du mois de septembre.
Je me dois de vous dire, chers lecteurs, que ces temps-ci, j’avale les bouchées doubles à titre non seulement de fondatrice, mais aussi de membre de l’exécutif de l’entreprise Cora. Il me faut me prononcer sur mille et une choses concernant de nouveaux plats et des surprises inusitées que nous vous préparons. Tout ce chantier de recherche d’idées nouvelles m’occupe l’esprit au plus haut point! Ceci étant dit, je vous jure que le syndrome de la page blanche n’aura pas ma peau! Je vais me reposer en croisière et je suis certaine que ma créativité reprendra le gouvernail.
En cherchant quelques trucs efficaces sur Google, je découvre une experte en écriture nommée Alphonsine. Elle explique que le phénomène est parfaitement normal. Surtout, elle donne des trucs pour arriver à surmonter le syndrome de la page blanche.
Selon dame Alphonsine, la page blanche ne représente pas seulement un manque d’inspiration. Elle peut aussi découler d’un blocage dû à la volonté tellement grande de l’auteur de créer un texte parfait. Je pense que c’est exactement mon cas. Je suis désolée, très chers lecteurs, d’expérimenter ce tout premier blocage depuis que je vous écris toutes les semaines et je voulais vous l’expliquer en termes parfaits.
La plupart des auteurs, toujours selon l’experte, traversent cette épreuve de la page blanche à un moment ou un autre. Ces écrivains prennent une pause, en profitent pour partir en voyage ou en vacances. Toutes ces idées m’inspirent! Un gros merci à dame Alphonsine de m’avoir renseignée sur le sujet.
Je vais donc me rasseoir, m’installer devant mon iPad, taper quelques lignes erratiques jusqu’à ce que je puisse pianoter une belle histoire. À l’avenir, je maîtriserai ce syndrome de la page blanche et je n’aurai plus peur. Au lieu d’écrire, je cuisinerai une belle tarte aux pommes, mon gâteau citron pavot préféré ou quelques sublimes feuilletés aux épinards, et je n’oublierai pas le précieux conseil d’Ernest Hemingway qui suggérait qu’en écrivant, il vaut mieux s’arrêter en plein milieu d’un passage dont on connaît déjà la suite.
Excellente idée qui m’invite à attendre « demain » avec impatience. Oui, oui! Ce demain magnifique dont nous ignorons la substance!
Cora
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Ma dernière lettre parlait d’une croisière en Alaska qui figurait sur ma fameuse « bucket list » (ma liste de vie), et ça m’a motivé à vous en dire davantage sur cette démarche et sur ce que je souhaiterais expérimenter avant de mourir. Chacun d’entre nous, chers lecteurs, devrait ralentir, réfléchir, choisir, nommer et lister les quelques activités, les souhaits ou les rêves qu’il voudrait réaliser avant le grand départ. Pensez-y un brin. Surtout nous, les vieux, qui entendons le tic-tac de notre cadran de plus en plus fort.
Toute ma vie, j’ai adoré faire des listes! Liste d’objectifs à atteindre, liste de documents à apprendre par cœur, liste de plans à approuver, liste de nouvelles recettes à maîtriser, liste de tâches quotidiennes à accomplir, liste de succès de librairie à dévorer, liste de lettres à peaufiner et liste bringuebalante de désirs inassouvis.
On peut commencer notre « bucket list » en écrivant pêle-mêle tout ce qui nous vient à l’esprit et après, on décline par priorité. L’objectif étant d’identifier des expériences simples ou audacieuses que vous souhaiteriez vivre et de les projeter dans l’univers des possibilités.
Choisir s’avère aussi complexe qu’extraire le noyau d’une cerise sans se tacher les doigts. J’ai cet épouvantable amoncellement d’années derrière ma cravate et, malgré toute cette expérience, je ne sais pas encore ce qui vraiment me comblerait avant de m’envoler. Encore un peu de succès? Un peu d’amour? J’ai certainement encore besoin de temps pour expérimenter ce véritable amour que j’ai toujours cherché.
Avant d’éteindre mon cœur, j’aimerais refaire le tour de ma Gaspésie natale. Cet été, je suis trop occupée avec l’entreprise, mais l’an prochain, j’y vais. Promis!
J’ai souvent souhaité la présence d’un animal domestique afin d’expérimenter l’affection et l’attachement de la bête envers son maître. Mais, trop occupée à semer des restos un peu partout au Canada, j’ai toujours hésité. Suis-je maintenant trop vieille pour apprendre le langage d’un animal? J’imagine ce petit chiot ou chat bien au chaud sur mon divan qui regarderait les documentaires avec moi et jouerait avec mes balles de laine.
Je rêvais d’aller à l’opéra une première fois parce que j’adore la voix humaine et l’interaction des personnages chantants et j’ai enfin vu « Madama Butterfly » au printemps 2023. Un immense chef-d’œuvre. Y retournerai-je bientôt? Absolument! J’attends le TURANDOT de Giacomo Puccini. Cette célèbre histoire d’une princesse imaginaire de la Chine médiévale, aussi belle que cruelle. Vite, vite, je me renseigne à savoir si nous pourrons bientôt le voir à Montréal!
Je souhaiterais visiter la Suède et plus spécialement les boutiques de l’artiste designer Gudrun Sjödén. Dans une autre vie, j’aurais adoré être sa voisine et travailler dans ses ateliers. Demandez à Google qu’il vous présente les vêtements inusités de cette grande artiste suédoise.
Je voudrais également visiter l’Islande, mère-patrie de mon écrivaine préférée, Audur Ava Ólafsdóttir, auteure du célèbre roman Rosa Candida et de plusieurs autres livres délicieux. C’est d’ailleurs à Ólafsdóttir que nous devons le magnifique film « Hôtel Silence » adapté au cinéma par la grande réalisatrice québécoise Léa Pool. À voir, absolument!
Je rêvais d’écrire et de publier un nouveau livre et je l’ai fait à l’automne 2023. Une assez belle réussite qui m’encourage à persévérer dans l’écriture.
J’espère vivre le plus longtemps possible; dépasser mes cent ans, si l’ange de la longévité me le permet. J’aime me réveiller chaque matin, ouvrir mes yeux, entendre mon cœur battre, me lever et bénir mes doigts qui réussissent encore à taper sur le clavier.
Notre « bucket list », c’est une énumération de souhaits, de rêves ou de défis que nous aimerions réaliser. Il s’agit d’un panier sans fond dans lequel, à tout moment, nous avons la possibilité de déposer un nouveau rêve ou d’en retirer un qui ne nous dit plus rien ou que nous avons déjà concrétisé. Vaut mieux faire en sorte que notre liste trouve un certain équilibre entre petits et grands défis. Les plus faciles nous motivent à entreprendre les plus coriaces!
On suggère aussi de relire souvent notre liste pour ne pas perdre notre intérêt à sa réalisation et pour y cocher les désirs ayant été comblés. Ne s’agit-il pas là d’une belle occasion de nous réjouir et célébrer? Révéler les réalisations de notre « bucket list » à des membres de notre famille ou à des amis pourrait en motiver plus d’un à entreprendre sa propre liste. Ne serait-ce pas un magnifique cadeau à leur offrir?
Je crois fermement que déclarer nos souhaits à l’univers se révèle la meilleure façon de provoquer leur réalisation.
Cora
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Vous vous rappellerez peut-être que j’avais publié ma « bucket list » (une liste de vie) en juin 2020. C’est avec grand plaisir que je m’apprête à cocher un autre des souhaits que j’y avais noté! J’ai décidé de faire une croisière. Oui, oui! À l’automne, je prendrai la mer sur un immense bateau nommé Coral Princess pour visiter l’Alaska, ses immenses glaciers, Seward, Skagway, Juneau, Ketchikan, la route vers l’or et le parc des immenses totems.
Quelque quatorze dodos sur l’eau, des villages de pêcheurs pittoresques et plusieurs endroits pour observer les baleines. Peut-être qu’enfin, quelques-unes se présenteront à moi nez à nez? Moi qui ai fait le tour de ma Gaspésie natale une douzaine de fois, je n’en ai encore jamais vu!
En Colombie-Britannique, la veille de l’embarquement, une visite de la belle grande ville de Vancouver et de « l’unique Granville Island », ainsi qu’un souper et une nuitée à l’hôtel sont prévus. Puis, le lendemain matin, ce sera le grand départ sur l’immense bateau de croisière. Wow! Quelle magnifique aventure je vivrai avant de m’envoler!
Je ne peux pas encore vous décrire mon installation à bord du navire, mais je me suis renseignée auprès de voyageurs qui ont été amplement satisfaits. Comme j’ai en main la documentation offerte par l’agence concernant le parcours en mer et les arrêts sur terre, je peux succinctement vous décrire le voyage de rêve que je m’apprête à vivre.
À notre premier arrêt à Icy Strait Point, nous mettrons pied à terre pour assister à un spectacle interactif retraçant la vie des habitants de la région à travers leurs danses et leurs contes. J’ai tellement hâte d’en apprendre davantage!
Et vogue, vogue le temps, le cinquième jour en mer, nous naviguerons le long d’un immense glacier, surnommé « le géant endormi ». À ce qu’en disent tous ceux qui ont fait cette croisière, ils étaient abasourdis devant autant de blanc et de bleu flamboyant devant leurs yeux. Je prendrai mille et une photos, c’est certain. Nous accosterons dans la petite ville de Sitka composée d’un mélange unique d’histoire russe, tlingit et américaine. Un véritable paysage de carte postale m’attend avec ses pics enneigés, son mont volcanique, sa faune rare et ses oiseaux magnifiques à gros bec orange. Je raffole des oiseaux rares et je vais certainement les photographier.
Le sixième jour, nous naviguerons le long du glacier Hubbard dont la largeur en front de mer atteint près de 10 kilomètres. Comme nous serons accompagnés d’un guide spécialiste de l’Alaska, rien ne devrait nous échapper.
Le septième jour, nous accosterons dans un petit village de pêcheurs idéal pour l’observation des baleines et la découverte d’une nature préservée, notamment au parc national de Glacier Bay. Je n’en peux plus d’attendre.
Le huitième jour, nous voguerons tout doucement dans une immense baie près des glaciers éblouissants et des eaux émeraude. Ce paysage féérique restera très certainement gravé dans ma mémoire.
Aux neuvième et dixième jours, selon le programme, nous marcherons en sol américain pour visiter les vestiges de l’époque de la ruée vers l’or et ses vieux bâtiments. Puis, nous explorerons Juneau, la capitale de cet état américain parfois appelée « la petite San Francisco ». On y trouve le tramway Goldbelt du mont Roberts qui nous élève en téléphérique à 1800 pieds dans les airs. Moi qui ai tellement peur des hauteurs, je pense que je m’abstiendrai même au prix d’un panorama remarquable! On invite aussi les plus aventureux à survoler le paysage en hydravion. Non, merci!
Le onzième jour, nous découvrirons la ville très typique de Ketchikan, le parc des totems, les ruelles de Creek Street et l’ancien quartier chaud où régnaient les trafiquants d’alcool. J’emmagasinerai tellement de souvenirs!
Il paraîtrait que la nourriture sur le bateau, selon les habitués, est sublime! J’ai déjà faim! Toute petite, dans la chaloupe, j’allais à la pêche avec grand-père Frédéric et il me félicitait « d’avoir le pied marin ». Dans la chambrette qui m’est allouée sur l’hôtel flottant, je disposerai d’un balcon et de deux chaises d’où je compte bien scruter l’horizon à l’infini. J’implorerai, je suppose, ciel et mer pour entrevoir une véritable baleine. De mon observatoire, au milieu de l’océan, verrai-je des oiseaux géants, des manchots empereurs, des albatros hurleurs, le dos d’une baleine sortant de la vague, un banc de colins d’Alaska faciles à attraper?
Voilà! J’espère que les flots bleus m’inspireront à vous écrire quelques lettres de l’Alaska et à vous décrire mon aventure comme si vous voyagiez avec moi.
Cora
❤️
Plus j’écris et plus j’arrive à le faire n’importe où. Dans un café, chez McDo, à ma table de cuisine, sur mon divan ou dans mon lit lorsque le sommeil tarde à venir. Presque chaque jour, j’écris quelque chose. Je prends continuellement des notes de tout ce que je pense, de tout ce que je vois et même de ce que j’invente.
J’écris mes brouillons sur d’étroites pages d’un calepin facile à transporter. 1, 2, 3, 4, je numérote mes pages en haut, à droite, dans un petit cercle de la grosseur d’un bleuet. Je biffe, j’efface un mot, je raye une phrase qui détonne. Sur ma tablette, il m’arrive de supprimer toute une page. Je relis mon texte à haute voix et m’assure ainsi d’une certaine musicalité.
Je n’ai presque jamais d’idée précise avant de me mettre à taper sur mon clavier. S’il le faut, j’attends, je bois un ou deux cafés, je me lève et tourne autour de la table jusqu’à ce qu’un joli mot m’interpelle : FENÊTRES. Tout un mur de ma grande cuisine est fait de fenêtres et la lumière entre à profusion. Un cardinal rouge picore la vitre, une sirène d’ambulance agonise au loin; les cris stridents des enfants percent mes tympans.
Le bruit ne me dérange pas ni le silence qui est comme la farine attendant de devenir quelque chose. Lorsque j’écris chez moi, j’écoute Haendel, Vivaldi, des chants grégoriens et de la musique baroque. Peut-être est-ce pour me sentir en sécurité? La musique a cela de généreux. Elle valse avec mon inspiration et produit des miracles. Je n’ai jamais de piètres idées lorsqu’un grand maître de musique bat la mesure.
La pandémie a hautement favorisé l’absence de visiteurs à la maison et j’ai appris à m’en réjouir. Je me suis vite habituée au silence et à la solitude créatrice; tellement que je n’ai plus vu le temps passer. J’ai toujours tenu ma maison bien rangée alors il n’y avait pas de grand ménage à effectuer. Le seul désordre qui règne sans cesse, je dirais, c’est ma propension à ne jamais remettre un livre à sa bonne place dans mes bibliothèques! J’en possède tellement que je ne sais plus où les ranger.
Depuis que j’écris, je ne réfléchis jamais en termes de repos, de congé ou de vacances. Ma lanterne est toujours allumée. Aligner des mots me procure une immense joie. Un mot clé et sa marmaille colorent quelques pages en criant ciseau.
Lorsqu’il ne se passe rien d’intéressant dans ma réalité, je saute sur la planète HAÏKU. Oui, oui! Connaissez-vous ces jolis petits poèmes japonais de trois lignes? Juste trois marches pour s’en faire un château. Il s’agit bien souvent d’une limpide immédiateté, de l’éphémère qui traverse nos vies ou d’une floraison inattendue. Le haïku représente un sentiment d’ouverture pour l’esprit désoccupé.
Ma mère était toujours trop occupée à prendre soin de nous. Fréquemment, papa insistait pour qu’elle s’étende une petite heure, mais elle refusait chaque fois. « Je me reposerai lorsque je serai morte », disait-elle à tout bout de champ. À l’encontre de ma mère, j’aime m’endormir en plein jour avec un livre sur le front pour cacher la lumière. J’aime aussi me désengourdir avec un sujet de lettre inopiné, une envolée d’expressions rares qui donnent à réfléchir.
Comme disait souvent maman, « lorsqu’on grandit, il faut apprendre à lire entre les lignes ». Ces pauvres parents nageaient sans cesse entre deux eaux : l’indifférence et la douleur. Une maman qui grognait et un papa qui pleurait la plupart du temps, surtout lorsqu’il calait quelques bières pour endormir ses besoins de tendresse.
Décrire la quotidienneté de la vie se révèle mon thème de prédilection; aussi important que manger pour vivre. Tout est susceptible de m’inspirer. J’ai juste besoin d’attendre un certain surgissement d’inspiration, presque un truc de magie, une enfilade de mots fascinants et ordinaires à la fois.
La route qu’empruntent les mots s’avère quelquefois biscornue. Sur le toit du garage, j’imagine une conversation entre deux corneilles et soudain l’orage ramollit mes idées. La plupart du temps, le réel et l’irréel s’entrechoquent allègrement.
Je guette sans cesse l’arrivée d’une belle phrase, d’un fait inusité, d’un souvenir de jeunesse ou d’une erreur de parcours. Je n’ai malheureusement plus de journal intime depuis trop longtemps. J’ai toujours aimé écrire, mais le mari me l’interdisant sous toutes ses formes, je m’y adonnais en cachette pendant ces 13 années de mariage. Je m’y adonnais surtout la nuit et je brûlais mes écrits à mesure que l’encre séchait.
Aujourd’hui, je suis libre et j’écris jour et nuit à ma guise. Non pas pour devenir célèbre, mais pour me garder pétillante; pour cultiver le meilleur de moi-même et le partager avec mes fidèles lecteurs.
Je dors, je rêve et je divague à l’occasion. Très chers lecteurs, je vous voudrais tous assis à ma grande table d’écriture entremêlant fantaisie, folie douce et tarte aux pommes sortant du four.
Cora
❤️
Très chers lecteurs, vous souvenez-vous de cette journaliste qui m’a interrogée à deux, peut-être trois reprises? Eh bien, la demoiselle souhaite récidiver et j’ai reçu hier matin un nouveau questionnaire. Vais-je encore jouer le jeu? Je zieute rapidement le texte et la première question me demande…
— Pourquoi avez-vous conservé le nom de votre mari après le divorce?
— Après m’être enfuie du logis, j’ai confié mes enfants à mes parents pour vitement trouver un travail. En décembre 1980, j’ai commencé comme hôtesse à l’accueil dans un grand restaurant populaire de Laval. En moins d’un an, je devenais gérante de jour et quelque cinq mois plus tard, gérante générale de l’établissement. J’y ai travaillé pendant six ans et demi jusqu’à ce qu’un effroyable « burnout » me cloue au lit. Lorsque j’ai finalement pris du mieux, je suis allée reconduire mon plus vieux à son travail et j’ai vu une pancarte RESTAURANT À VENDRE. Le petit bouiboui est devenu un restaurant Chez CORA, et moi je suis devenue Madame Cora. Croyez-vous qu’alors j’aie eu le temps d’entreprendre les démarches juridiques pour changer de nom? NON! Légalement, rien ne m’obligeait à reprendre mon nom de fille et, à cette époque, je préférais conserver son nom de famille et l’argent dans mes poches plutôt que de gaspiller mes avoirs sur la paperasse nécessaire pour m’en débarrasser. Personne ne connaît le prénom du mari et c’est très bien ainsi.
— Vous parlez souvent de votre mariage comme de votre plus grand regret. Pourtant, vous semblez être une femme positive qui sait se sortir des mauvaises situations. Enceinte de votre premier enfant, vous vous êtes mariée obligée. Parlez-nous des trois meilleures choses que votre mariage vous a apportées.
— D’abord, jeune fille au collège, j’avais étudié la civilisation grecque et je connaissais beaucoup de mots venant du grec ancien. J’ai donc appris assez facilement le grec moderne et c’est un rare cadeau de mariage que j’apprécie encore aujourd’hui. Il en va de même de la cuisine grecque que j’ai apprise en un tour de main de mes belles-sœurs. J’ai aussi passé six mois au fin fond d’un village grec où je cuisinais chaque jour avec ma belle-mère. Même elle me complimentait et son fils chéri aimait ma nourriture. Finalement, mes enfants demeureront à tout jamais les plus beaux cadeaux que la vie m’a donnés via ce mariage boiteux.
— Quel est le dernier livre que vous avez lu en entier et quel est celui que vous avez récemment entrepris?
— Sans raison particulière, je n’ai jamais été une lectrice de Dany Laferrière, mais récemment, j’ai lu son dernier petit livre de 134 pages intitulé « UN CERTAIN ART DE VIVRE ». J’ai beaucoup aimé ses réflexions fulgurantes et profondes. C’est un genre d’autoportrait naïf qui, selon l’auteur, lui a pris plus de temps à écrire que tous ses autres succès.
Quant au présent livre que j’ai entre les mains, je voudrais bien qu’il ait deux mille pages au lieu de deux cents, car j’adore l’histoire et surtout la qualité de l’écriture. Le titre est « LÀ OÙ JE ME TERRE » et l’auteure, qui vient tout juste de mourir, se nomme Caroline Dawson. Je vous le recommande chaudement.
— Nommez trois choses que vous apporteriez sur une île déserte.
— Vous ne vous en doutez pas? J’apporterais du papier, de l’encre et une bonne plume fontaine. Tous les jours, je parlerais aux oiseaux, je me nourrirais d’éperlans, de petites fraises des champs et de sublime inspiration.
— Que préférez-vous : la ville ou la campagne?
— Incontestablement, je préfère mes chaleureuses Laurentides et surtout mon village qui a tous les attraits pour me combler! J’adore conduire en été et je fais souvent le trajet de mon village jusqu’à à Mont-Laurier. Partout, mes yeux emmagasinent toutes les beautés du paysage et cet été, je suis tout particulièrement très fière de moi. En effet, tous les plants de lupins sauvages que j’ai transplantés devant ma maison l’année dernière ont fleuri en un joli bosquet. J’adore la nature verte en été et blanche en hiver. J’ai ma tête dans les nuages à la campagne et un petit pied-à-terre en ville, à Montréal.
— Quelle est votre saison préférée?
— Je n’ai pas vraiment de préférence. Chaque matin où je peux encore ouvrir mes yeux, me lever du lit, me laver, m’habiller et marcher dehors, c’est la fête! Je vis dans une grande maison remplie de livres. J’écris chaque jour pour garder ma tête vaillante. La saison du moment présent est toujours ma favorite.
— Dans votre processus d’écriture, que trouvez-vous le plus difficile?
— Écrire est un immense plaisir pour moi et vraiment, ce n’est pas difficile. J’aime chaque étape du processus. Sommeiller sur le divan en espérant une bonne idée. Lire un magazine intéressant et découper un paragraphe susceptible de m’apprendre quelque chose. Écouter les amis discourir et attraper au vol un fait cocasse qui m’inspire. Ma tête est remplie de beaux mots qui dansent, qui tournent et qui glissent tout doucement entre mes lignes.
Cora
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Pour la première fois de ma vie, je m’intéresse aux signes astrologiques et j’affirme être une femme Gémeaux née le 27 mai 1947. Pourtant, toute ma vie j’ai toujours un peu pensé que l’horoscope sur la dernière page d’un journal se voulait un genre d’arnaque pour les gens à la recherche de sensations. Pour rêvasser, quelquefois, je lisais dans la case du Gémeaux qu’un gros montant d’argent allait m’arriver alors que j’étais raide pauvre. Quand elle ne me promettait pas un possible montant d’argent à venir, pour sûr l’astrologue en chef de la planète me faisait miroiter un bel amoureux. Parfois, je me forçais pour y croire tellement la solitude me pesait.
L’autre matin, mes bons amis ont entamé la discussion sur l’astrologie et j’ai réagi! Soudainement, je m’intéresse à cette femme Gémeaux que je suis. J’interroge l’ami Google et il m’apprend que « la femme Gémeaux, reine de la communication, toujours souriante et attentive aux autres, sait quoi dire au bon moment et insuffler l’énergie et la bonne humeur autour d’elle ». Wow! Je dois admettre que cette description me ressemble. Google poursuit : « au travail, la femme Gémeaux s’avère un élément essentiel qui a un effet stabilisateur, motive les troupes et apporte des ondes positives ». Ça aussi ça me ressemble! Je pense bien avoir été une présidente assez charismatique qui maîtrisait très bien les enjeux quotidiens d’une entreprise importante. La description se termine en m’apprenant que si j’étais un petit animal, je serais sûrement une vaillante abeille butinant de fleur en fleur. Chercher des mots, taper sur le clavier chaque jour, n’est-ce pas moissonner ces fameuses lettres du dimanche? Devrais-je accorder quelque crédibilité à l’astrologie?
Ce matin, de retour au café avec les amis, j’interroge chacun pour connaître son signe astrologique. Steven le policier est un Capricorne, Jean-Pierre et Claude, deux Sagittaires, George l’homme d’affaires, un Taureau, Denis, un Scorpion, Doris, un Cancer, Bruce le comptable, une Balance et l’ami Éric, un Bélier. En fin d’après-midi, je me rends chez Renaud-Bray et je trouve un magnifique livre sur l’astrologie. Bien entendu, de retour à la maison, je l’ai feuilleté quelques heures, et me voici un tantinet plus savante qu’avant.
La première ligne du volume m’apprend que « l’astrologie n’est ni une religion ni une croyance. C’est un système à la fois astronomique, psychologique et prévisionnel. Contrairement à de nombreuses autres techniques divinatoires qui ont traversé les siècles, l’astrologie conserve sa popularité pour la simple raison qu’elle fonctionne ». Il y a certainement quelque chose de bon à savoir si ça fonctionne encore! Mais avant de m’emballer, je questionne à nouveau Google à propos du pedigree de l’auteure du savant volume.
La dénommée Sasha Fenton est « une astrologue professionnelle. Elle a déjà publié six volumes sur le sujet et écrit des rubriques pour de nombreux magazines et journaux. Elle intervient très souvent à la radio et à la télé au Royaume-Uni. Elle anime aussi des ateliers et des discussions dans des salons d’astrologie du monde entier. »
Le livre est sérieux et je vais essayer de l’être moi aussi, à mon propre bénéfice et un peu à celui de mes bons amis. Nous allons certainement rigoler de nos travers et nous vanter de nos attributs innés! Approchant tous les 75-80 ans, il est grand temps que nous en apprenions davantage sur le système solaire et sur nous-mêmes.
Personnellement, j’ai toujours eu l’habitude de regarder le ciel et je l’imaginais vide sauf lorsque la pluie s’accumulait dans les nuages. Aujourd’hui, je prends conscience de tout ce que ce désert blanc cache derrière les nuages. Je feuillette le livre savant, je saute des pages trop ardues et, en tant que Gémeaux, j’apprends que mon signe lunaire est l’air. Je ne sais pas encore ce que ça veut dire, mais l’auteure m’explique que c’est à titre de femme Gémeaux que j’ai pu gravir les échelons du succès et mener une vie enviée par beaucoup. Wow! Encore quelque chose de vrai!
En conclusion, je retiens que « le Gémeaux fait en réalité preuve de détermination lorsqu’il est question d’un sujet qui l’intéresse. Il sait alors lui consacrer une étude approfondie ».
Ne pourrais-je point faire d’une pierre deux coups?
Premièrement, essayer de comprendre l’astrologie avec l’aide d’un Sagittaire de la planète Jupiter.
Deuxièmement, me rapprocher de Claude, ancien professeur d’électricité et pilote de brousse à ses heures. J’ai déjà constaté que nous avons beaucoup d’affinités : les mêmes valeurs familiales, les mêmes lectures, le même nombre d’enfants, le même amour de la nature et le même âge.
Dame Sasha Fenton se rendrait-elle disponible pour une consultation outremer?
CORA
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