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3 novembre 2023

Ce corps vieilli

L’autre soir, ce corps vieilli rêvait à la mort. Il s’enroulait dans les draps, tournait sur lui-même et sa tête avait peur, très peur; elle imaginait le pire.

Tel un animal blessé, ce corps respirait à petites goulées. Tout meurt à la longue, essayait-il de se dire. Trop tôt, trop tard, il n’arrivait pas à prier. Était-ce la nuit qui lui semblait si longue? Était-ce la mort qui frappait si fort? Le cahoteux va-et-vient de son cœur l’apeurait.

Ce corps magané allait vivre jusqu’à cent ans, disait-il jadis à qui voulait l’entendre. Et voilà qu’entre les draps, ce soir-là, la mort rôdait. Tel un condor à cou blanc, un vautour imaginaire surveillait sa proie.

Si je savais écrire comme nagent les dauphins, j’aurais ce matin une véritable histoire à vous présenter. Et pourtant l’heure arrive qu’il faille affranchir mes doigts, sauter la clôture de la logique, délier les entourloupettes du quotidien et plonger tête première dans un océan de strophes nouvelles.

Il y a ce corps vieilli, cette chair ternie
Ces jambes croulantes, ces bras qui me hantent
Ce cou fendillé, ces veines bombées
Ce front flétri, cette peau décatie
Ces yeux fatigués, ces iris délavés
Ces joues aplaties, ces sourires tiédis
Ce ventre malmené, stigmates érodés
Ces mamelles fripées, ces tétines fanées
Ces mains chamarrées, ces veinures bleutées
Ces doigts recourbés, l’un sur l’autre grimpés
Ces orteils cabossés, grands pieds fatigués
Cette taille ventrue, apparence foutue
Ce dos maladroit transporte sa croix

L’âge avance comme un loup et me dévore
Je cours, je cours et je crie « au secours »
Quoiqu’il arrive, je suis à la dérive
Dans la tanière du temps, je n’entends que le vent
Solitude inévitable, toute seule à la table
Do, ré, mi, fa, sol, la, si; je m’engourdis
Je sens la mort mûrir en moi, tel un fruit qui s’agrippe, un soleil qui persiste
Mes sens se taisent, mon cœur s’apaise
Un parfum de framboises s’attarde dans mon cou
Je peine et je pleure, elle arrive mon heure
M’endormir comme Ophélie, eau de rose plein mon lit
Dernières volontés, premières pelletées
Je ne verrai plus le printemps ni l’automne rosi, ni l’hiver endormi

Lentement ma mémoire s’abêtit
J’oublie mon nom, mon âge et la couleur de ce qu’était ma vie
Je suis forte, je suis morte
Il y a ce petit bruit de fourmi qui s’arrête à la fin

Cora

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