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19 mai 2024

Écrire chaque jour

La neige a fondu, le froid décroît et les jeunes pousses du gazon verdissent rapidement. Ce matin, j’ai même vu quelques fourmis à la queue leu leu, essayant de grimper sur ma galerie. J’ai faim, j’ai soif; j’ouvre la porte de la cuisine et y entrent quelques éclairs de chaleur, quelques bouffées de bonheur. Je m’installe à ma grande table pour écrire, je pianote quelques phrases et mes doigts se réveillent. Deux, trois, cinq pages noircissent, le temps d’avaler mes premiers cafés.

C’est quand même quelque chose de voir la froide saison céder sa place à l’été!  J’avais 5 ou 6 ans et je me souviens de mon père qui disait que dans 50 ans, la Gaspésie serait aussi chaude que la Californie. Bof! Avant de m’envoler, aurais-je le temps de me brûler les orteils sur l’asphalte en janvier?

J’ai lu hier soir qu’il semblerait que certaines vertus thérapeutiques de l’écriture ont un effet bénéfique sur les humeurs féminines. Qu’en sais-je? Je suis maintenant si vieille. Ma seule médecine consiste à encapsuler mes mots dans l’encre et j’en abuse à profusion.

Au café, l’autre matin, une jeune femme déclare qu’écrire ne mène à rien. Elle a peut-être raison. C’est en servant de bons déjeuners que j’ai gagné ma vie, mais aujourd’hui, je n’arrêterais jamais ma plume, car c’est l’écriture qui enrichit mon bonheur. Oui, oui! Écrire est à ma vie un superbe dessert. Hier une crêpe aux fraises, cet après-midi un gâteau à la pistache et demain ma tarte aux pommes préférée badigeonnée de sauce au sucre à la crème.

La jeune femme continue son discours :
— À quoi ça sert madame, de noircir des pages à longueur de journée? Ne pourrais-tu pas voyager? Voir l’Espagne, la tour Eiffel ou Venise et ses magnifiques gondoles, ses superbes cafés, l’île de Murano et ses artisans du soufflage de verre? N’as-tu pas tout dit depuis 4 ans, poursuit la femme abêtie en haussant les sourcils.

— Qu’est-ce donc qui te motive à taper des mots au lieu d’être dehors à profiter des brises douces du printemps? Le temps s’enfuit comme un filou et toi, chère dame, tu tapes, tu tapes et tu vieillis. Tu recommences inlassablement une nouvelle histoire. Tu sasses, tu brasses, tu inventes une intrigue, quelques personnages et une fin qui ressemblera à un nouveau recommencement!

Quelle détestable questionneuse que cette jeune femme qui n’aime pas les mots! Un doute m’assaille. Quel malheur ce serait si je devenais un puits presque vide! Je ne fais de mal à personne en noircissant mes pages. Je réfléchis un moment et lui remets quand même la seule copie de mon livre que j’ai encore dans mon sac. La femme semble surprise, mais se tait enfin.

Ce soir encore, sur ma grande table, j’écris. Qui donc pourrait décrire aussi bien que moi les larmes de l’hiver tombant sur la terre chaude du printemps? Je tape et je tape encore jusqu’à ce que l’horloge passe minuit quand soudainement, je vois une petite souris sortir d’une armoire. Je la suis des yeux. Elle traverse sous la table, longe le mur, entre dans le salon et se cache sous mon divan rouge. J’ai si peur des souris, moi qui suis si seule dans cette grande maison! Je me calme, je me rassois et je réfléchis. J’invente un nouveau paragraphe. Un chemin tracé en pleine forêt avec des arbres centenaires et des pousses de muguet. Dans le plus gros chêne, un trou géant, un refuge parfait pour ma famille de souris. Et patati et patata, je les gave de fromage et elles oublient l’adresse de mon logis.

Je ne me fatigue jamais de poursuivre un inépuisable filon d’idées. Je saute une ligne, j’achève une page, j’ai toujours hâte d’entreprendre une nouvelle histoire. Ce plaisir enfantin d’aligner des mots me fait penser à frérot, inlassable joueur de billes. Tout concentré qu’il était, le garçonnet se taisait, s’immobilisait, visait et lançait la bille de verre coloré le plus loin possible. Comme lui, j’arrête, je pense, j’invente, et je tire, mais moi c’est à la sève des arbres que je m’abreuve pour me construire des châteaux.

Je ris, je pleure, j’ai souvent les émotions en compote. Oui, oui! Je m’acharne à embellir mon monde et les milliers d’oiseaux qui se posent sur mes lignes, sur mes mots, dans mes histoires et dans mon cœur. Ce qui me motive à continuer d’écrire c’est ma capacité d’avancer; d’aller plus loin; d’aller au plus profond et au plus sérieux dans l’âme du monde éparpillée en chacun d’entre nous.

Ressemblerais-je à celle que j’aurais voulu être à 20 ans,
Mon cœur grand ouvert, mes yeux si verts,
Les vagues bleues, les poissons discutant entre eux?

Cora
❤️

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