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23 juin 2021

La CRÉATIVITÉ, le fil conducteur de toute une vie!

Mûrie jusqu’à la moelle, me voici à encore m’interroger sur ceci ou cela. Et ce matin plus particulièrement, je cherche à savoir d’où me vient cette étonnante créativité qui fut le chef d’orchestre de toute ma longue vie. Pourquoi ne me suis-je jamais contentée de la réalité telle qu’elle se présentait à moi? Pourquoi ai-je toujours voulu tout transformer à ma façon, tout réinventer différemment? Ce n’était pas par esprit de contrariété; ni par réel besoin d’offusquer l’Univers. Non, non. Je suis de celles qui considèrent dame Nature comme parfaitement parfaite. Je sais que les bébés pleurent, que les enfants chialent et que les ados contrarient leurs parents. Devenus adultes, nous traversons des tempêtes, seuls ou bien accompagnés. Nos corps s’usent et quelques fois, ils s’envolent avant l’heure. 

Non, non, je n’ai rien à reprocher au Créateur. Au grand contraire, bien des fois je trouve qu’Il m’a drôlement choyée. J’écrivais toute petite pour mettre de la couleur dans mon quotidien tristounet. À l’adolescence, mes quatrains enjolivaient ma réalité. Et devenue maman, je cousais de jolies salopettes à mes marmots, des tabliers d’artistes à encolures brodées et des petits manteaux aussi jolis que ceux des riches. 

Plus tard, devenue restauratrice, c’est avec de nouvelles associations d’aliments que je surprenais la clientèle; en mélangeant deux denrées usuelles pour en former une troisième tout à fait nouvelle. En ne me contentant point de l’ordinaire « 2oeufs bacon ou jambon ou saucisses », j’ai créé une centaine de nouveaux plats de déjeuner à la fois délicieux et exceptionnels. 

J’ai aussi inauguré une nouvelle catégorie dans l’industrie de la restauration : les restaurants de déjeuners ouverts 7 jours sur 7, de 6 h à 15 h, servant uniquement des déjeuners et des repas du midi style « brunch », simples et très abordables. 

Ma « grande-petite » révolution culinaire a aussi suscité l’arrivée d’une armée féroce de nouveaux restaurateurs matinaux essayant tous d’être aussi bons que la fameuse madame Cora. 

À qui la faute? À ma nouvelle confiture de litchis que je brassais gentiment ce matin!

Je suis continuellement en train d’expérimenter quelque chose de nouveau. Un nouveau fruit, une nouvelle façon de cuire; mettre un peu moins que la moitié du sucre recommandé dans la recette. J’essaie à l’infini jusqu’à ce que je découvre une meilleure façon de faire. 

C’est l’histoire de ma vie : cet extraordinaire appétit ou peut-être cette capacité que j’ai de transcender les façons traditionnelles de penser ou d’agir afin d’aller au-delà du connu; vers de nouvelles idées, de nouvelles procédures et de nouvelles créations.

Que se passe-t-il dans ma tête? Je me souviens à mes débuts, chaque fois que je voulais épater un client ou tout simplement lui faire plaisir, le processus créatif, si cela en est un, se déclenchait.

Dennis, le client, avait demandé un « grill-cheese »; une surprise si tu veux, madame Cora. Et hop! Mes dix yeux ratissent le comptoir. Une minute plus tard, deux belles grosses tranches de pain brioché trempées dans le mélange à pain doré frétillent sur la plaque chauffante. Deux minutes plus tard, le gros sandwich grillé avec dans son ventre une épaisse couche de beurre d’arachides, une banane en rondelles et tout plein de confitures aux fraises arrive devant Dennis. 

— Merveilleux, s’extasie le client! Tu es une vraie fée, madame Cora! 

— Et toi, Dennis, tu es une véritable menace pour mon garde-manger.

Je ne me contentais jamais de l’ordinaire. J’étais motivée par le plaisir de créer et l’immense joie de ravir une figure affamée. Personne n’avait fait manger pour déjeuner des épinards aux Québécois avant que je décide d’en incorporer à mon mélange à crêpes. Pourtant, après y avoir goûté, tous les clients en raffolèrent.

— Comment ne pas y avoir pensé avant? me disaient souvent certaines clientes amusées.

J’avais toujours une surprenante réplique aux désirs des clients. J’adorais les écouter parce que, bien souvent, c’est de leur bouche que sortait l’élément qui allait me servir à transformer l’ordinaire en extraordinaire. 

Je dois dire que le fait de travailler avec ma fille a grandement stimulé ma créativité. Gigi était aussi mordue que moi de nouveautés et ensemble, sans gêne, nous puisions dans notre imaginaire comme des enfants qui croient que tout est possible. Et parce que nous le croyions, ça le devenait. On jouait à prétendre que pour chaque chose, des dizaines de formes différentes pouvaient exister, des dizaines de façons de faire, des centaines de possibilités.

Dans mon temps (1955), on ne nous apprenait pas cela, à l’école : voir ce qui ne se voit pas, imaginer l’inimaginable. On ne nous encourageait pas à penser différemment ni à réagir autrement. Ainsi, nous nous croyions obligés de faire comme tout le monde au lieu d’exprimer notre originalité. On se copie les uns les autres depuis tellement de lunes que c’en est triste à mourir. Copier, selon moi, c’est renoncer à notre unicité et à la possibilité de découvrir son unique potentiel. Copier c’est aussi se priver d’une authentique expression de soi. 

La créativité a été le fil conducteur de toute ma vie. Toutes ces années durant, elle a nourri mon insatiable besoin d’expression. Plus je dessinais et plus je voulais dessiner. Plus j’épatais mes clients et plus je voulais les épater. Je dévorais tous les livres portant sur les « petits déjeuners », tous les articles de journaux sur l’alimentation et tous les superbes magazines de nourriture à mesure que j’avais les moyens d’acheter. Je passais des soirées entières à la bibliothèque de l’Institut d’hôtellerie pour consulter les précieuses encyclopédies culinaires et les dictionnaires hors de prix. J’engrangeais le plus d’information possible et nécessaire à bien faire mon travail. 

Je sais que tout le monde a des idées et, très souvent, des meilleures que les miennes. Mais, la plupart du temps, les gens se contentent de les énoncer, d’en jaser entre amis et de recueillir quelques compliments. La chance avec moi c’est que j’ai été obligée d’en exécuter plus d’une pour arriver à nourrir mes enfants. C’est d’ailleurs ainsi que tout a commencé; en m’engageant corps et âme dans la réalisation de mes idées. Par obligation au début et, chemin faisant, par pur plaisir de créer. Ce parcours m’a aussi fait réaliser qu’il n’y a pas seulement la réalité que l’on peut modifier; il y a aussi notre propre personnalité et surtout l’ingénierie de notre caboche pensante. Oui, oui, il faut le vouloir suffisamment. Il est possible de transformer la nonchalance en enthousiasme; la paresse en vaillance. Tout comme il m’a été possible de changer ma propre perception d’artiste hésitante en celle d’abeille disciplinée.

Voilà, chers lecteurs, vous connaissez maintenant la bénédiction du ciel que j’ai reçue en naissant. Et aujourd’hui, devant vous tous à témoins, je demande pardon à toutes les divinités de l’Univers pour avoir autant chialé sur mon sort. Malgré mes talents, pendant toute ma vie, mon cœur amoché s’est cru misérable, défavorisé, esseulé et quasi coupable de je ne sais quelle faute. 

Moi qui ai tellement voulu mériter un tout petit morceau du paradis, voici qu’en cherchant un point final à cette missive, une joie nouvelle émerge de mes entrailles. Par la fenêtre, devant moi, on dirait qu’un ciel immensément bleu s’approche de ma joue. Et je ressens son embrassade, aussi savoureuse que le mot guérison. 

        Cora 

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