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21 septembre 2025

La fin d'un douloureux chapitre

J’ai si peu, si peu de regrets. À vrai dire, je n’en ai qu’un seul, mais il s’avère plus gros que la plus grosse montagne du monde. Vous qui me connaissez si bien maintenant, vous devez vous en douter. Ce seul regret, que j’ai passé ma vie à essayer d’oublier, c’est d’avoir accepté d’épouser cet homme qui m’avait vite séduite et engrossée; devenant le père de mes trois enfants. Notre union et mon calvaire auront duré treize longues années jusqu’à ce que je trouve le courage de m’enfuir du logis avec mes trois petits. Ce matin, pour la dernière, dernière fois, je ressasse cette époque et je vide mon sac. J’assèche mes larmes. Je veux clore ce douloureux chapitre.

Pour commencer, ses deux frères ont migré dans notre magnifique pays les premiers, travaillant d’abord comme laveurs de vaisselle dans un restaurant, puis apprentis cuisiniers, et éventuellement comme cuisiniers. Deux ou trois années plus tard, chacun d’eux devenait patron de son propre restaurant.

Le héros de notre histoire, cet homme venu d’ailleurs et qui se croyait être un de ces dieux mythiques de l’ancienne Grèce que le peuple vénérait jadis, fut le troisième et dernier de la fratrie à mettre le pied en sol québécois. Venant tout juste de terminer son service militaire grec, le bel Adonis refusa catégoriquement de laver de la vaisselle ou, pire, de cuisiner. Ce jeune fringant insista auprès de ses frères pour devenir patron. C’est donc ainsi, avec son grade de colonel et sa belle gueule d’acteur de cinéma, qu’il s’empara du troisième restaurant que ses deux aînés convoitaient. Les deux restaurateurs ont avancé l’argent nécessaire au plus jeune qui insista pour changer le nom de l’établissement en le nommant « Toison d’or ». Allait-il se remplir les poches d’or, lui qui en rêvait infiniment?

Moi, la jeune fille qui avait fait de grandes études classiques et qui se retrouvait déjà avec un poupon accroché à son sein, je savais que cet Adonis ne s’enrichirait guère. Il exigeait que je lui prépare cinq ou six cafés d’affilée qui refroidissaient avant qu’il puisse se lever. Lui qui dormait jusqu’à midi, arrivait à son resto après l’heure de pointe du lunch. Il s’y rendait surtout pour ouvrir la caisse enregistreuse et s’emparer des gros billets. J’avais vitement appris à le connaître. Quelquefois, il rentrait les poches pleines, alors qu’en d’autres occasions, ses dettes de cartes m’empêchaient d’acheter une pinte de lait.

Cela avait aussi pour effet de nous faire déménager quasi aussi souvent qu’il changeait de chemise; ses amis l’aidaient, mes petits pleuraient à l’idée de quitter un jeune voisin. Il m’arrivait de devoir assécher le plancher de la cuisine lorsqu’un orage tambourinait sur le toit troué du logis. Toutes ces années noires vécues dans des logements miteux où nous cohabitions avec des bestioles, je les ai passées avec cet incommensurable besoin d’amour que mon cœur affamé ressentait.

« Dimanche, pourrions-nous aller chez grand-père? », demandait le plus vieux. L’ogre trouvait toujours un prétexte pour aller ailleurs. Il prétendait que nous le visiterions d’ici une semaine ou deux, mais l’automobile n’a jamais pris la route vers la maison de mes parents. Pour distraire les enfants, il promettait des sorties, mais il ne nous a même jamais amenés piqueniquer sur le Mont-Royal.

Le poulet cuisait et mes larmes salées bien souvent l’aromatisaient. Assise sur le petit balcon avec mon thé refroidi, j’essayais d’interroger le maître d’en haut pour comprendre mon sort. Était-ce la conséquence à endurer pour avoir commis le péché avant le mariage? J’avais vécu la procréation de mon premier enfant sans même savoir que ce que l’homme me faisait ce soir-là était en fait le fameux péché de la chair.

Durant toutes ces années de mariage, mon âme souffrait, mon cœur s’imaginait enchaîné à perpétuité. Je n’ai jamais su ce que signifiait le mot « amour », sauf lorsque je tenais mes bébés dans mes bras.

J’aurais voulu décrire mon chagrin avec de vrais mots, une plume et de l’encre, mais tout cela m’était strictement défendu. Cet ogre venu d’ailleurs m’interdisait de lire et d’écrire. « Les femelles, disait-il, ne sont que les servantes du maître de la maison ». Émaciée, piétinée, souvent évidée de tout sentiment, je voguais à la dérive telle une épave entre deux ouragans de larmes.

Pendant mes années avec lui, je n’ai jamais ri de bon cœur, visité mes parents, conduit l’automobile, été au cinéma, ou même rougi mes lèvres ou bleui mes paupières. Affamée de tendresse, je suppliais cette aride vie de me prendre dans ses bras. Au lieu de me dire des mots doux, l’ogre me gavait de ses fredaines, comptant devant moi le nombre de femmes qu’il avait honorées. Moi la servante, moi la chose, moi la fente. Sans le vouloir, je devais lui ouvrir lorsqu’il cognait. Mon corps saignait, mon cœur pleurait.

Lorsqu’il sortait le soir, attifé de ses plus belles fringues, mon pauvre cœur tantôt mollissait, tantôt durcissait. Je le trouvais tellement beau. Tant de fois, mon cœur passait de la joie à la peine, mon corps oscillant entre vivre et survivre. Il suffisait d’un seul mot de travers ou d’une seule phrase écrite quelque part pour que la peur que l’ogre me frappe s’installe.

J’ai écrit les lignes plus haut il y a un bon moment déjà. Je souhaitais me départir de ces vieilles blessures et enfin les laisser aller aux quatre vents avant que mon âme ne s’envole.

Entretemps, le père de mes enfants est décédé. Il a probablement rejoint les anciens dieux de l’Olympe. Je me questionne à savoir si ce que je vous ai révélé à propos de lui et de notre mariage lui fermera les portes du paradis. J’espère que non. Même s’il a été la cause de plusieurs de mes malheurs, c’est grâce à lui si je vis aujourd’hui entourée de mes enfants, de mes petits-enfants et de mes arrière-petits-enfants.

J’espère que son âme trouvera la paix que notre mariage n’a jamais connue.

Qu’il repose en paix.

Cora
♥️

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