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Cora Déjeuners et dîners
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2 décembre 2022

L'automne bénit!

7 h 38 au café du village
L’automne bénit ramène enfin le temps des confitures aux agrumes. Citrons, pamplemousses, mandarines, clémentines et oranges de toutes sortes. Ce sont mes préférées. Et depuis le début de la pandémie, j’ai eu grandement le temps de m’exercer à plusieurs recettes différentes. Je suis gourmande et j’aime étendre sur ma toast matinale une bonne cargaison de chairs de fruits, y compris la peau de l’orange coupée en fines lamelles ajoutée au bouillon de cuisson.

J’aime tellement me promener dans les grandes surfaces d’alimentation ou dans les marchés ethniques où il m’arrive souvent de découvrir de nouvelles variétés d’aliments. Ce genre de randonnée remonte au temps où je débutais comme cuisinière de petit resto de déjeuners. Ma curiosité était insatiable. Surtout concernant les étalages de fruits frais et les laitues bien vertes pour décorer nos assiettes à déjeuner.

Je m’en souviens tellement. Mon jeune fils est devenu très rapidement un expert en découpes de fruits frais. Son dada était la fameuse flèche de pomme qu’il réussissait les yeux fermés! Et il a enseigné son expertise à des centaines de jeunes artistes fruitiers. Cette décoration bien particulière est même devenue avec le temps l’emblème des assiettes de déjeuners, tous compétiteurs confondus.

Peut-être d’ailleurs sommes-nous aujourd’hui les seuls à savoir que toute cette révolution des déjeuners, d’ordinaire à extraordinaire, a pris naissance dans nos premiers restaurants. Oui, oui! J’ose me vanter. J’ai été l’initiatrice de ce renouveau du déjeuner. Jadis, il y a trente-cinq ans, les familles ne sortaient pas de la maison pour aller déjeuner au resto. Une très grande occasion se fêtait dans un hôtel reconnu où existait un brunch du dimanche comprenant quelques plats d’œufs, des charcuteries, des salades et généralement une belle variété de desserts.

Puis, il y avait les casse-croûtes de quartier ouverts assez tôt pour servir œufs, bacon, saucisses, jambon et crêpes en poudre du commerce aux travailleurs. Avant nous, personne n’avait vu de jolies assiettes de fruits frais accompagnant un déjeuner d’œufs ou de grandes crêpes maison. À nos débuts, personne ne garnissait une grande crêpe comme nous avec des fraises délicieuses, des bananes et des fruits frais mélangés baignant dans une délicieuse crème pâtissière maison. Je me souviens, comme si c’était hier, de l’éblouissement qui apparaissait sur chaque visage. Le sourire fendu jusqu’aux oreilles de chaque nouveau client; leurs têtes s’étirant pour essayer de voir la magie opérante dans la cuisine.

Nous travaillions à cette époque en pleine euphorie créatrice avec, chaque jour, des dizaines de nouvelles paires d’yeux complètement éblouis. Et lorsque surgissaient quelques minutes de repos avant ou après le rush du midi, il me fallait noter tout ce que nous inventions spontanément et à tous les instants.

Nous ignorions à cette époque la tâche titanesque que signifiait la création d’un nouveau concept de restauration. Créer représentait pour nous la meilleure façon d’éblouir nos clients. Et ça l’est encore aujourd’hui, 35 années plus tard. De partout, nos clients ont appris à faire la fête autour de nos assiettes de déjeuners. Et bien sûr, notre façon de ravir une clientèle s’est aussi installée à l’extérieur de nos propres établissements. Est-ce la rançon de la gloire d’être copiée? Je m’en passerais grandement. Mais encore, serions-nous capables de servir tous les adeptes de ce glorieux concept de restauration? Je suis heureuse de savoir que tous les Canadiens peuvent se régaler, grâce à nous. Savoir que j’ai participé à cette incroyable révolution me comble de bonheur.

9 h 40
Chère dame Louise D., à la fin de votre commentaire, j’apprends que vous demeurez à Saint-Sauveur, à quelque huit minutes du café de mon village où j’écris. Profitez du Mexique, du soleil et de la plage. Y retournerai-je moi aussi, un de ces jours, à Riviera Maya, où je suis allée quelques fois du temps du travail acharné? C’est assez étrange de constater à quel point je me contente de ma jolie petite vie d’aujourd’hui. Écrire me comble de bonheur, je suppose. Écrire et réfléchir au temps qu’il me reste; à ce dernier quart de siècle qui tout doucement me pousse vers la sortie. J’y pense souvent. Surtout lorsque je conduis, mais n’ayez crainte. Je vous confie ici un lourd secret : au volant, j’ai une peur quasi impossible à dompter. Et le pire c’est que je n’en ai encore jamais parlé à quiconque. Pourquoi vous, chères lectrices et chers lecteurs? Parce que vous êtes pour moi les oreilles les plus bienveillantes au monde. Et que peut-être l’une ou l’un d’entre vous saura m’aider à dissoudre cette affreuse peur.

Ma mère est morte dans une collision frontale avec un gros camion qui transportait des moutons à l’abattoir. L’accident est arrivé exactement à l’endroit où l’affiche verte annonçait CAPLAN, le nom de son village natal. Après la mort de papa l’année d’avant, maman avait décidé d’amener mes enfants en Gaspésie. Aucun des trois n’a subi de blessures apparentes, mais maman est morte sur le coup. Lorsque j’ai dû identifier son visage déconstruit à la morgue, la peur qu’il m’arrive la même chose s’est tout de suite immiscée en moi. Et depuis, j’y pense en conduisant. Pas toujours, mais presque. J’ai quand même fait le tour de la Gaspésie, l’été dernier. J’y ai pensé, mais vous étiez avec moi dans la bagnole et j’étais trop occupée à vous parler pour avoir peur de quoi que ce soit.

En y pensant bien, la peur diminue un peu. À vrai dire, maintenant que j’écris, vous êtes toujours avec moi lorsque je vous raconte ce que je vois et ce que je ressens. Pour tout dire, vous êtes mes anges gardiens.

11 h 12
J’ai souvent l’impression qu’une intelligence supérieure à la mienne s’empare de moi en écrivant. En faisant ce que j’aime vraiment, j’arrive à me faire confiance et à prendre le risque de suivre le message intérieur qui m’est dicté. L’énergie créatrice de l’univers est à notre portée. Imaginez cet immense entrepôt où l’on peut cueillir autant de perles que l’on désire. Bien souvent, je rêve en couleur et en plein jour. Écrire me comble et plus je noircis de lignes, plus j’apprends à compter sur mon intuition. On dirait bien souvent que j’entends les mots défiler dans ma tête. Comme si je n’étais plus seule au clavier, comme si j’étais cette partie de moi qui désire à tout prix s’exprimer. En écrivant, j’apprends à canaliser mes impulsions créatrices. Et oui, il m’arrive souvent de prendre des risques, d’explorer des domaines cachés de ma personnalité, ou d’avouer des faits jamais dits comme aujourd’hui, la mort de maman.

Ma destination est toujours la même, mais elle comporte mille et un détours qui me permettent d’accueillir les surprises de la vie. Les barrières de mon imaginaire sont quasi invisibles tellement elles sont éloignées l’une de l’autre. Mais attention, l’imaginaire parle, raconte, dialogue et discute comme les corneilles en plastique cordées à la queue leu leu sur le dessus de mes armoires de cuisine. L’imaginaire est un merveilleux ajout au réel et s’avère quelquefois le plus savoureux de toute l’histoire. Moi-même, il m’arrive de lancer à mes tendres amies noiraudes des répliques assez saugrenues.

— Dites-moi, chères corneilles, qu’allons-nous manger pour souper?
— Les restants d’hier ou un gentil filet de morue?

Cora
🐠

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