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30 juillet 2020

Le Réveil Samira

Une fidèle lectrice veut connaître l’histoire du RÉVEIL SAMIRA. Alors la voici.

Un matin de frimas, un homme magnifique entre chez nous avec un foulard de soie rouge autour du cou, une pelisse en tweed anglais et un sac en bandoulière en vrai cuir vert foncé. L’inconnu, âgé d’une cinquantaine d’années, arborant une abondante chevelure sel et poivre, une peau grillée juste à point, des sourcils encore très noirs et des yeux noisette à faire fondre la glace, hésite quelque peu avant de trouver un crochet où il pourrait suspendre son manteau.

Il semblait surpris par l’aspect précaire de notre petit paradis. Quelqu’un lui avait sans doute parlé de nos déjeuners extraordinaires et il avait osé venir constater la chose par lui-même.

Du fond de ma cuisine, j’ai aussi pensé que cet étranger de bonne famille était certainement habitué à de plus luxueux établissements.

Notre Marie, la blonde de mon plus vieux, se foutait bien de l’habillement d’un client, de sa sacoche pleine d’argent ou des grosses bottes de construction qui salissaient son plancher chaque fois. Malgré ses manières et son langage très familier, Marie aimait tout le monde et servait chaque client comme s’il était la personne la plus importante sur la planète.

- D’où arrivez-vous? lui demande-t-elle tout de go.

- Allez-vous vous asseoir? dit-elle en le dévisageant.

- Allez-vous manger des œufs? Il nous reste deux places au comptoir monsieur qui?

- Je voudrais des fruits... si possible bien frais, murmura l’inconnu.

- FRAIS, rétorqua Marie. Diable monsieur, nous n’avons que des fruits frais et d’où sortez-vous pour ne pas le savoir?

- Tout le monde parle de vous dans la ville, lui répond l’homme mâchouillant le français.

- Tout le monde parle de la belle-mère, pas de moi, riposte Marie en souriant. Elle est dans la cuisine, c’est de sa faute si on est tellement occupés. C’est son nom à elle sur la bâtisse, pas le mien.

 

Et PAFF, l’énigmatique ambassadeur des abricots s’approche de la cuisine et déverse sur moi une marée de compliments.

Il savait que nous servions des fruits avec chacune de nos assiettes, tout le monde lui en avait parlé. Tous ses clients vantaient nos mérites, notre originalité et la qualité de notre nourriture, mais lui, il voulait seulement des fruits pour déjeuner.

Parce que c’était son déjeuner favori à Beyrouth, du temps où sa mère lui apportait elle-même la belle assiette transparente toute remplie de pêches, d’abricots, de raisins, d’oranges et de figues à la chair mauve. Du temps jadis où sa grande famille vivait comme des princes. Du temps où il cueillait lui-même les abricots de leur grand jardin et les distribuait aux voisins moins fortunés.

 

Plusieurs assiettes abondantes de fruits frais plus tard, nous avons fini par connaître l’histoire de l’immigrant libanais devenu fleuriste et accusant une belle réussite sur le boulevard Décarie à Montréal.

L’étranger magnifique est devenu un client régulier, presque un ami que nous nommions monsieur Samira du nom de son commerce.

Et, croyez-le ou non, ce plat que nous lui avons servi contenant une dizaine de variétés de fruits frais joliment coupés, nous le servons depuis cette première journée où Samira est entré chez nous, c’est-à-dire fin octobre 1987.

En l’honneur du fleuriste libanais, nous avons baptisé le plat RÉVEIL SAMIRA et pendant toutes ces années passées en cuisine, chaque fois qu’on servait un RÉVEIL SAMIRA, moi je pensais à sa douce maman. Dans ma tête, je l’entendais entrer délicatement dans la chambre de son fils, je la voyais replacer un drap et tendre l’assiette de fruits frais à son enfant à moitié éveillé. Et toutes ces années, j’insistais pour offrir les meilleurs fruits à nos clients, comme si chacun d’eux était mon propre enfant.

Les fruits frais, minutieusement lavés et joliment coupés font partie de l’ADN de notre aventure.

À mes débuts, j’étais du genre exaltée. Lorsqu’un curieux me demandait ce que j’allais faire avec ce concept de déjeuner je répondais toujours : vous allez voir cher monsieur! Quand on dit hamburger, on pense à McDonald non? Et bien, un jour quand on dira Cora, tout le monde pensera à déjeuner.

Et savez-vous quel est le deuxième mot auquel les gens pensent après Cora? Déjeuners? Et bien non, c’est FRUITS FRAIS.

 

Fruits frais minutieusement lavés et joliment coupés.

 

Lorsque j’ai quitté notre premier petit resto de Montréal pour en ouvrir un deuxième en banlieue nord de la ville, je n’ai plus jamais revu monsieur Samira. Et cent mille fois j’ai pensé à lui et à la belle assiette de fruits que sa demande m’avait inspirée.

 

Sans les encouragements de mes inestimables clients québécois, nos assiettes de fruits n’auraient jamais pu éblouir toutes les autres provinces canadiennes.

Sans chacun et chacune d’entre vous qui me lisez aujourd’hui, je n’aurais jamais pu traverser ce confinement avec autant d’ivresse créative.

Du fond de mon cœur, mille mercis à vous tous.

        ❤️

      Cora

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