Dans les Laurentides où je demeure depuis trente ans, une soudaine froidure a rougi les pourtours de nos montagnes. Pour l’instant, nous vivons dans une galerie d’art comparable au Louvre de Paris. Je sais pourtant qu’à la fin d’octobre, un peu partout sur nos devantures de maison, des citrouilles massacrées agoniseront en silence, des araignées géantes se tisseront des échelles pour descendre des gouttières, et des serpents mordorés claqueront des dents en s’enfuyant d’en dessous de nos galeries.
Puis la froidure s’installera, le blanc de l’hiver couvrira la terre et incessamment, je penserai aux festins du temps des Fêtes. Je m’y vois déjà. Grand tablier blanc attaché sur une veste immaculée, manches retournées, cheveux cachés, souliers confortables, musique baroque et thermos de café brûlant, je m’installe à l'immense table de la cuisine.
Le moment de cuisiner mes feuilletés aux épinards est enfin arrivé! Je dépose sur la table un immense bol dans lequel je mélangerai tous les ingrédients pour faire la pâte phyllo. Je cuisine cette recette depuis plus de 50 ans et, sans rien mesurer, je sais que la pâte malaxée donnera cinq grandes tôles rondes de 15 pouces de diamètre et d’un pouce et demi de hauteur. Au pif, quelque 20 morceaux de délicieux feuilletés par tôle.
Dans le gros bol, je mets de la farine blanche, du shortening végétal Crisco, des œufs battus, une fine pluie de sel et du Seven Up pour lier le tout en malaxant la pâte à la main. Plus mes précieuses mains s’affairent dans le bol et plus le mélange devient doux et docile. Je la divise en 25 petites boules de la taille d’une orange et, avec le rouleau à pâte, j’étends chacune d’elles en une feuille à la grandeur d’une assiette d’environ 9 pouces. Avec un pinceau, j’étends à profusion du beurre fondu sur chaque feuille et reforme chaque boule, les laissant tranquilles, juste le temps de sortir mon gros chaudron et de pocher rapidement 25 sacs d’épinards du commerce. Puis j’enlève toute l’eau en les essorant méticuleusement. Dans une grande poêle, je les rissole avec un peu de beurre, des échalotes et beaucoup d’aneth. Lorsque le mélange a refroidi, j’ajoute une bonne quantité de feta râpé grossièrement.
J’en suis à mon troisième café lorsqu’arrive le plus laborieux du travail. Il s’agit de reprendre chacune des 25 petites boules bourrées de beurre et de les aplatir une deuxième fois avec le rouleau à pâte jusqu’à ce qu’elles atteignent la dimension des grandes tôles.
Dans chaque tôle bien beurrée, je dépose une première grande feuille ronde que je badigeonne de beurre. Puis une deuxième badigeonnée et sur la troisième feuille, j’étends uniformément un cinquième du mélange d’épinards-feta sur toute la surface. Je recouvre ensuite le tout avec la quatrième feuille badigeonnée et finalement la dernière feuille, celle du dessus, qui devra être outrageusement bien beurrée. Comme c’est une pâte phyllo maison, le vrai beurre est très important.
Avant de mettre les tôles au four, je coupe les morceaux en carrés d’environ deux pouces et les recoupe lorsqu’ils sortent du four pour éviter de les briser. Comme mes tôles sont rondes, plusieurs morceaux sont inégaux.
Je me souviens tellement du temps où mes ados tournaillaient dans la cuisine, attirés par l’odeur enivrante des feuilletés tout juste sortis du four. Sous prétexte de prendre les morceaux biscornus, ils vidaient un tiers de la grande tôle avant qu’elle ait le temps de refroidir.
On peut congeler les tôles de feuilletés non cuits, ou cuits puis refroidis, sans problème. Je m’empresse de les mettre au congélateur si je veux qu’il en reste pour les fêtes de Noël! Bénies soient mes mains vaillantes, car presque tout le monde adore les feuilletés aux épinards!
Très chers lecteurs, j’ai finalement entrepris de me vider le cœur. Pendant 10 semaines à compter du 8 septembre, je vous raconterai cet épisode de ma vie en Grèce. Vous revivrez avec moi près d’un an de ma vie passée au fin fond d’un village pauvre et quasi déserté.
---------
À l’hiver 1972, sans même m’en avoir préalablement parlé, l’époux avait décidé de retourner en Grèce. Nous étions mariés depuis cinq ans, j’avais deux enfants et un troisième qui grouillait dans mon ventre. J’allais devoir quitter mon pays, ma langue, mes parents. Mon plus vieux, lui, devait dire adieu à son école prématernelle. À l’époque, l’homme régnait en maître, et sa femme n’avait d’autre choix que de lui obéir… dans mon mariage, du moins. Pour adoucir cette tragédie, quelques belles-sœurs me confièrent en cachette qu’elles aussi étaient retournées en Grèce une ou deux fois avant de revenir au Canada pour toujours. Subirais-je le même sort? J’appréhendais le pire.
Quelques amis du mari ont transporté jusqu’au bateau cinq immenses valises par lesquelles notre vie et tous nos pénates changeraient de continent. Deux autres valises remplies du nécessaire pour vivre le temps que le reste de notre matériel arrive à bon port nous accompagnaient dans l’avion. Une fois installés, mon garçonnet et sa petite sœur se sont couchés à nos pieds et ils ont dormi pendant tout le trajet. La tête accotée dans le hublot, le mari fumait comme une cheminée. À cette époque, on avait le droit de fumer à bord d’un avion! À tout bout de champ, il sonnait l’hôtesse de l’air pour un énième café. Me savait-il désolée, contrariée? Voyait-il mes yeux noyés de larmes et mes mains entourant le nouvel enfant gigotant dans mon ventre?
J’avais si peu dormi et pourtant, lorsque le jour éblouissant réveilla les passagers, j’ai senti que l’oiseau métallique géant touchait déjà la piste d’atterrissage. Les petits se réveillèrent et voulurent manger. L’homme endormi déplia ses longues jambes et se leva. Il héla une hôtesse et insista pour du café et des grignotines pour les petits.
En sortant de l’avion, j’ai cru mourir de chaleur. Je me demande encore aujourd’hui si, à cette époque, le vieil aéroport d’Hellinikon était climatisé. Partout, dans l’immense bâtiment, des vapeurs chaudes assaillaient les passagers. L’eau coulait sur nos fronts, les enfants pleuraient, le mari s’impatientait, fumant une cigarette après l’autre et cherchant le lointain cousin qui devait venir à notre rencontre à l’arrivée des passagers.
— « Quelle heure est-il? », demandais-je au mari.
— « J’ai soif! », criait le plus vieux.
— « Pipi! », implorait la toute petite.
Mon cœur empli d’inquiétude battait trop fort. Allions-nous pouvoir endurer une telle chaleur? Où allions-nous vivre? À Athènes, à Thessalonique peut-être, ou ailleurs? L’homme avait-il sécurisé un logis? Un travail? Les enfants braillaient, ils avaient chaud, ils avaient faim, ils voulaient rentrer à la maison. Lorsqu’enfin le cousin arriva, il s’empara des deux dernières valises encore sur le carrousel. Le mari empoigna le plus vieux et le plus gros sac de voyage. Je transportais moi-même une assez grosse sacoche remplie de linge d’enfant et d’articles de première nécessité : les passeports, les baptistaires grecs orthodoxes des petits, le carnet québécois de vaccination du plus vieux, et la petite à moitié endormie dans mon cou dégoulinant de mouillure.
L’horloge indiquait presque midi lorsque le cousin nous débarqua chez sa mère. Les enfants chignaient et pourtant je fus tout de suite éblouie en levant la tête. À droite, là-haut sur la colline mythique, je vis enfin de loin le célèbre Parthénon, littéralement « la demeure des vierges », et le symbole architectural de la suprématie athénienne à l’époque classique. Wow! Je constatais de visu ces trésors de vieilleries que j’avais étudiés dans mon jeune temps. Tout me revenait soudainement, probablement parce qu’on m’avait obligée à mémoriser même les dates de construction des différents monuments dont l’Acropole d’Athènes, érigée entre 443 et 438 av. J.-C., et bla bla bla. L’archéologie, le mari s’en foutait. Il me présenta sa tante qui nous offrirait à tous l’hospitalité aussi longtemps que nécessaire et, à moi, un ou deux après-midi sur le Parthénon en sa compagnie. Enfin, il m’arrivait quelque chose de bon! Mon cœur de jeune femme palpitait.
Nous dormions à l’étroit sur un lit d’appoint avec les deux petits au milieu et le troisième dans mon gros ventre. Lorsque les bébés gigotaient, le mari s’installait sur l’unique sofa de la maison. Le cousin avait emprunté d’une voisine une poussette double facile à transporter. Chaque jour, je promenais mes petits, nous acclimatant ainsi aux températures élevées. Pas question d’écourter mes robes ou de porter un pantalon, le mari ne l’aurait jamais toléré! Comme je maîtrisais déjà plusieurs plats typiquement grecs, la tante appréciait beaucoup mes résultats et continuait à guider mon apprentissage.
Entrant dans mon septième mois de grossesse, j’ai questionné l’époux.
— « Où allons-nous nous installer? »
— « Dans mon village natal », répondit-il en anglais.
— « Est-ce près d’ici? »
— « Pas du tout. »
— « C’est où? »
— « C’est dans le nord de la Grèce à quelque 70 kilomètres de Thessalonique. Le village s’appelle Krya Vrysi et c’est là que demeurent ma mère et ma sœur. »
La maison sera-t-elle assez grande pour tout le monde, y compris les enfants? L’homme de peu de mots semblait avoir en tête un plan préconçu. Le surlendemain, le cousin nous amena à un terminus d’autobus et c’est à ce moment que j’appris que le trajet entre Athènes et Thessalonique prendrait approximativement cinq heures quarante-cinq minutes. Heureusement que la tante bien prévenante nous avait préparé un bon panier de victuailles.
La toute petite et son frère étaient collés à mon ventre habité. J’avais peur, j’aimais mes petits et je surveillais ce vieux conducteur d’autobus qui ressemblait à un fou du volant. Assis derrière moi, le mari fumait encore et j’avais mal au cœur. J’ai tourné la tête vers lui pour lui demander d’ouvrir une fenêtre et c’est alors qu’il s’aperçût qu’en déviant de sa trajectoire pour épargner quelques moutons, notre vieux chauffeur allait foncer dans un camion à benne basculante rempli d’oranges.
À SUIVRE…
Cora
❤️
Du temps de mes treize années de mariage, l’homme m’interdisait d’écrire, de fréquenter ma famille, des amies d’enfance, ou même quelques voisins qui essayaient de fraterniser. Je n’aurais jamais pu, à cette époque, imaginer qu’un jour je prendrais mes cliques et mes claques et que je finirais par me lancer en affaires pour gagner ma vie et atteindre quelques sommets. Mais, comme j’ai une peur bleue des hauteurs, je n’ai jamais visé le mont Kilimandjaro.
Ce qui m’amène à vous raconter l’histoire d’une de nos employées de longue date qui se révèle beaucoup plus courageuse que moi. Cette brave femme nommée Suzan, dont l’âge s’apparente au mien lorsque j’ai ouvert mon premier resto, assume le rôle de mère monoparentale depuis toujours. Elle et moi possédons plusieurs traits de caractère en commun en plus de notre passion pour l’entreprise. Comme moi, je suppose, elle n’a pas froid aux yeux, mais elle, elle ne craint pas les hauteurs.
Le 6 janvier 2025, tandis que les gens retrouveront leur routine après le temps des fêtes, Suzan et son compagnon partiront gravir le mont Kilimandjaro. Oui, oui! J’en ai le souffle coupé. Ils grimperont tout en haut d’un des sept sommets du monde, là où les habitants de la région déclarent que « le ciel touche la terre ».
Le sport a toujours occupé une place importante dans la vie de cette grande aventurière. « Surtout pour le dépassement de soi et très peu pour l’aspect compétitif », m’a-t-elle confié. Ce rêve d’escalader le Kilimandjaro représente un grand défi pour Suzan.
À l’heure du lunch, bien souvent, Suzan nous parle de toute la préparation nécessaire qui mènera à son grand exploit : effectuer de longues randonnées de hauteurs variées et sous toutes sortes de conditions météo, travailler sa musculation pour renforcer son corps, marcher beaucoup et faire des exercices cardiovasculaires variés. Elle précise que « l’idée est d’améliorer notre endurance et de hausser notre capacité cardiorespiratoire puisque l’oxygène devient de plus en plus rare à mesure que nous montons en altitude ». L’ascension en tant que telle prendra sept jours d’efforts physiques bien ardus et la descente, une seule petite journée.
Wow! C’est presque incroyable! Ma peur des hauteurs augmente encore! Douze mois d’entraînement assidu pour une balade en montagne qui durera moins de dix jours! « Pour nous, c’est un beau cadeau que nous nous offrons et ça nous a donné envie de partager l’aventure, explique Suzan. Je me demandais comment nous pourrions en faire bénéficier d’autres autour de nous et l’idée m’est venue d’organiser une levée de fonds thématique. Comme il nous faudra gravir plus de 6 000 mètres, alors nous avons pensé que nous pourrions recueillir un dollar pour chaque mètre : soit un montant de 6 000 $. Chaque sou amassé sera directement remis au Club des petits déjeuners. »
Suzan et moi, ainsi que tous nos employés, comprenons très bien les défis financiers que bien des parents rencontrent au quotidien. Nous savons que l’alimentation des enfants en écope souvent. Pour bien des familles, l’importance du déjeuner est primordiale. Depuis plus de 15 ans, notre entreprise contribue au Club des petits déjeuners pour inspirer les jeunes à se dépasser et à croire que tout peut être possible pour eux. De plus, depuis octobre 2019, lorsqu’une personne choisit le « Déjeuner du Club » inscrit au menu, 50 sous sont remis au Club. Nous avons aussi instauré diverses activités ponctuelles qui nous permettent de faire une différence. Par exemple, la promotion Menu enfants où chaque dollar amassé est remis au Club des petits déjeuners. C’est notre façon à nous d’aider les enfants nécessiteux à réaliser leur plein potentiel, un déjeuner à la fois.
Au Canada, un enfant sur trois risque de se présenter à l’école le ventre vide, ce qui nuit à son rendement et à son développement de plusieurs façons. Un enfant qui a faim manque d’énergie, voit sa créativité et sa concentration chuter. Ses aptitudes pour apprendre et son comportement s’en ressentent aussi. Le Club offre aux enfants l’occasion de commencer chaque journée d’école avec des aliments nutritifs.
Dans la vie comme dans l’ascension du Kilimandjaro jusqu’à son dernier pic, rien n’est garanti. Mais en mettant tout notre cœur à l’ouvrage, pas à pas, nous pouvons y arriver.
Je vous donnerai d’autres nouvelles du grand projet de Suzan et de son compagnon cet automne. D’ici là, je vous invite à participer à leur aventure en les suivant sur leur page Facebook.
Cora
❤️
Depuis deux longues semaines, aucune idée géniale, aucune inspiration, aucun mot « déclencheur » n’est sorti de ma caboche asséchée. Je vous ai écrit une lettre chaque dimanche depuis le début de la pandémie; j’en aurai bientôt quelque 237 à mon actif. Peut-être est-ce un peu normal que je commence à manquer d’encre dans ma plume?
Jusqu’à maintenant, j’ai toujours attrapé mes idées en plein vol. Ce matin, je ne peux que confier mon blocage aux vaillantes corneilles qui dansent sur le toit de ma maison. J’ai sérieusement l’impression de ne plus être capable de pondre un seul mot, et affronter la page blanche me donne la chair de poule.
Après une courte recherche, j’apprends que « ce syndrome de la page blanche » s’appelle aussi « leucosélidophobie ». Quel affreux mot qui, selon le moteur de recherche, « désigne une crainte de ne pas pouvoir aborder ou continuer un récit dans lequel une baisse de confiance va se manifester et s’amplifier ». Ouache! Ça semble exactement mon cas.
Peut-être ai-je aussi usé mes méninges trop vite au début de juin lorsque j’ai entrepris l’écriture d’une longue histoire découpée en près de dix lettres sur un même sujet intitulé « LE RÊVE DU MARI, MON CAUCHEMAR ». Je partagerai ces lettres avec vous à compter du mois de septembre.
Je me dois de vous dire, chers lecteurs, que ces temps-ci, j’avale les bouchées doubles à titre non seulement de fondatrice, mais aussi de membre de l’exécutif de l’entreprise Cora. Il me faut me prononcer sur mille et une choses concernant de nouveaux plats et des surprises inusitées que nous vous préparons. Tout ce chantier de recherche d’idées nouvelles m’occupe l’esprit au plus haut point! Ceci étant dit, je vous jure que le syndrome de la page blanche n’aura pas ma peau! Je vais me reposer en croisière et je suis certaine que ma créativité reprendra le gouvernail.
En cherchant quelques trucs efficaces sur Google, je découvre une experte en écriture nommée Alphonsine. Elle explique que le phénomène est parfaitement normal. Surtout, elle donne des trucs pour arriver à surmonter le syndrome de la page blanche.
Selon dame Alphonsine, la page blanche ne représente pas seulement un manque d’inspiration. Elle peut aussi découler d’un blocage dû à la volonté tellement grande de l’auteur de créer un texte parfait. Je pense que c’est exactement mon cas. Je suis désolée, très chers lecteurs, d’expérimenter ce tout premier blocage depuis que je vous écris toutes les semaines et je voulais vous l’expliquer en termes parfaits.
La plupart des auteurs, toujours selon l’experte, traversent cette épreuve de la page blanche à un moment ou un autre. Ces écrivains prennent une pause, en profitent pour partir en voyage ou en vacances. Toutes ces idées m’inspirent! Un gros merci à dame Alphonsine de m’avoir renseignée sur le sujet.
Je vais donc me rasseoir, m’installer devant mon iPad, taper quelques lignes erratiques jusqu’à ce que je puisse pianoter une belle histoire. À l’avenir, je maîtriserai ce syndrome de la page blanche et je n’aurai plus peur. Au lieu d’écrire, je cuisinerai une belle tarte aux pommes, mon gâteau citron pavot préféré ou quelques sublimes feuilletés aux épinards, et je n’oublierai pas le précieux conseil d’Ernest Hemingway qui suggérait qu’en écrivant, il vaut mieux s’arrêter en plein milieu d’un passage dont on connaît déjà la suite.
Excellente idée qui m’invite à attendre « demain » avec impatience. Oui, oui! Ce demain magnifique dont nous ignorons la substance!
Cora
❤️
Ma dernière lettre parlait d’une croisière en Alaska qui figurait sur ma fameuse « bucket list » (ma liste de vie), et ça m’a motivé à vous en dire davantage sur cette démarche et sur ce que je souhaiterais expérimenter avant de mourir. Chacun d’entre nous, chers lecteurs, devrait ralentir, réfléchir, choisir, nommer et lister les quelques activités, les souhaits ou les rêves qu’il voudrait réaliser avant le grand départ. Pensez-y un brin. Surtout nous, les vieux, qui entendons le tic-tac de notre cadran de plus en plus fort.
Toute ma vie, j’ai adoré faire des listes! Liste d’objectifs à atteindre, liste de documents à apprendre par cœur, liste de plans à approuver, liste de nouvelles recettes à maîtriser, liste de tâches quotidiennes à accomplir, liste de succès de librairie à dévorer, liste de lettres à peaufiner et liste bringuebalante de désirs inassouvis.
On peut commencer notre « bucket list » en écrivant pêle-mêle tout ce qui nous vient à l’esprit et après, on décline par priorité. L’objectif étant d’identifier des expériences simples ou audacieuses que vous souhaiteriez vivre et de les projeter dans l’univers des possibilités.
Choisir s’avère aussi complexe qu’extraire le noyau d’une cerise sans se tacher les doigts. J’ai cet épouvantable amoncellement d’années derrière ma cravate et, malgré toute cette expérience, je ne sais pas encore ce qui vraiment me comblerait avant de m’envoler. Encore un peu de succès? Un peu d’amour? J’ai certainement encore besoin de temps pour expérimenter ce véritable amour que j’ai toujours cherché.
Avant d’éteindre mon cœur, j’aimerais refaire le tour de ma Gaspésie natale. Cet été, je suis trop occupée avec l’entreprise, mais l’an prochain, j’y vais. Promis!
J’ai souvent souhaité la présence d’un animal domestique afin d’expérimenter l’affection et l’attachement de la bête envers son maître. Mais, trop occupée à semer des restos un peu partout au Canada, j’ai toujours hésité. Suis-je maintenant trop vieille pour apprendre le langage d’un animal? J’imagine ce petit chiot ou chat bien au chaud sur mon divan qui regarderait les documentaires avec moi et jouerait avec mes balles de laine.
Je rêvais d’aller à l’opéra une première fois parce que j’adore la voix humaine et l’interaction des personnages chantants et j’ai enfin vu « Madama Butterfly » au printemps 2023. Un immense chef-d’œuvre. Y retournerai-je bientôt? Absolument! J’attends le TURANDOT de Giacomo Puccini. Cette célèbre histoire d’une princesse imaginaire de la Chine médiévale, aussi belle que cruelle. Vite, vite, je me renseigne à savoir si nous pourrons bientôt le voir à Montréal!
Je souhaiterais visiter la Suède et plus spécialement les boutiques de l’artiste designer Gudrun Sjödén. Dans une autre vie, j’aurais adoré être sa voisine et travailler dans ses ateliers. Demandez à Google qu’il vous présente les vêtements inusités de cette grande artiste suédoise.
Je voudrais également visiter l’Islande, mère-patrie de mon écrivaine préférée, Audur Ava Ólafsdóttir, auteure du célèbre roman Rosa Candida et de plusieurs autres livres délicieux. C’est d’ailleurs à Ólafsdóttir que nous devons le magnifique film « Hôtel Silence » adapté au cinéma par la grande réalisatrice québécoise Léa Pool. À voir, absolument!
Je rêvais d’écrire et de publier un nouveau livre et je l’ai fait à l’automne 2023. Une assez belle réussite qui m’encourage à persévérer dans l’écriture.
J’espère vivre le plus longtemps possible; dépasser mes cent ans, si l’ange de la longévité me le permet. J’aime me réveiller chaque matin, ouvrir mes yeux, entendre mon cœur battre, me lever et bénir mes doigts qui réussissent encore à taper sur le clavier.
Notre « bucket list », c’est une énumération de souhaits, de rêves ou de défis que nous aimerions réaliser. Il s’agit d’un panier sans fond dans lequel, à tout moment, nous avons la possibilité de déposer un nouveau rêve ou d’en retirer un qui ne nous dit plus rien ou que nous avons déjà concrétisé. Vaut mieux faire en sorte que notre liste trouve un certain équilibre entre petits et grands défis. Les plus faciles nous motivent à entreprendre les plus coriaces!
On suggère aussi de relire souvent notre liste pour ne pas perdre notre intérêt à sa réalisation et pour y cocher les désirs ayant été comblés. Ne s’agit-il pas là d’une belle occasion de nous réjouir et célébrer? Révéler les réalisations de notre « bucket list » à des membres de notre famille ou à des amis pourrait en motiver plus d’un à entreprendre sa propre liste. Ne serait-ce pas un magnifique cadeau à leur offrir?
Je crois fermement que déclarer nos souhaits à l’univers se révèle la meilleure façon de provoquer leur réalisation.
Cora
❤️
Vous vous rappellerez peut-être que j’avais publié ma « bucket list » (une liste de vie) en juin 2020. C’est avec grand plaisir que je m’apprête à cocher un autre des souhaits que j’y avais noté! J’ai décidé de faire une croisière. Oui, oui! À l’automne, je prendrai la mer sur un immense bateau nommé Coral Princess pour visiter l’Alaska, ses immenses glaciers, Seward, Skagway, Juneau, Ketchikan, la route vers l’or et le parc des immenses totems.
Quelque quatorze dodos sur l’eau, des villages de pêcheurs pittoresques et plusieurs endroits pour observer les baleines. Peut-être qu’enfin, quelques-unes se présenteront à moi nez à nez? Moi qui ai fait le tour de ma Gaspésie natale une douzaine de fois, je n’en ai encore jamais vu!
En Colombie-Britannique, la veille de l’embarquement, une visite de la belle grande ville de Vancouver et de « l’unique Granville Island », ainsi qu’un souper et une nuitée à l’hôtel sont prévus. Puis, le lendemain matin, ce sera le grand départ sur l’immense bateau de croisière. Wow! Quelle magnifique aventure je vivrai avant de m’envoler!
Je ne peux pas encore vous décrire mon installation à bord du navire, mais je me suis renseignée auprès de voyageurs qui ont été amplement satisfaits. Comme j’ai en main la documentation offerte par l’agence concernant le parcours en mer et les arrêts sur terre, je peux succinctement vous décrire le voyage de rêve que je m’apprête à vivre.
À notre premier arrêt à Icy Strait Point, nous mettrons pied à terre pour assister à un spectacle interactif retraçant la vie des habitants de la région à travers leurs danses et leurs contes. J’ai tellement hâte d’en apprendre davantage!
Et vogue, vogue le temps, le cinquième jour en mer, nous naviguerons le long d’un immense glacier, surnommé « le géant endormi ». À ce qu’en disent tous ceux qui ont fait cette croisière, ils étaient abasourdis devant autant de blanc et de bleu flamboyant devant leurs yeux. Je prendrai mille et une photos, c’est certain. Nous accosterons dans la petite ville de Sitka composée d’un mélange unique d’histoire russe, tlingit et américaine. Un véritable paysage de carte postale m’attend avec ses pics enneigés, son mont volcanique, sa faune rare et ses oiseaux magnifiques à gros bec orange. Je raffole des oiseaux rares et je vais certainement les photographier.
Le sixième jour, nous naviguerons le long du glacier Hubbard dont la largeur en front de mer atteint près de 10 kilomètres. Comme nous serons accompagnés d’un guide spécialiste de l’Alaska, rien ne devrait nous échapper.
Le septième jour, nous accosterons dans un petit village de pêcheurs idéal pour l’observation des baleines et la découverte d’une nature préservée, notamment au parc national de Glacier Bay. Je n’en peux plus d’attendre.
Le huitième jour, nous voguerons tout doucement dans une immense baie près des glaciers éblouissants et des eaux émeraude. Ce paysage féérique restera très certainement gravé dans ma mémoire.
Aux neuvième et dixième jours, selon le programme, nous marcherons en sol américain pour visiter les vestiges de l’époque de la ruée vers l’or et ses vieux bâtiments. Puis, nous explorerons Juneau, la capitale de cet état américain parfois appelée « la petite San Francisco ». On y trouve le tramway Goldbelt du mont Roberts qui nous élève en téléphérique à 1800 pieds dans les airs. Moi qui ai tellement peur des hauteurs, je pense que je m’abstiendrai même au prix d’un panorama remarquable! On invite aussi les plus aventureux à survoler le paysage en hydravion. Non, merci!
Le onzième jour, nous découvrirons la ville très typique de Ketchikan, le parc des totems, les ruelles de Creek Street et l’ancien quartier chaud où régnaient les trafiquants d’alcool. J’emmagasinerai tellement de souvenirs!
Il paraîtrait que la nourriture sur le bateau, selon les habitués, est sublime! J’ai déjà faim! Toute petite, dans la chaloupe, j’allais à la pêche avec grand-père Frédéric et il me félicitait « d’avoir le pied marin ». Dans la chambrette qui m’est allouée sur l’hôtel flottant, je disposerai d’un balcon et de deux chaises d’où je compte bien scruter l’horizon à l’infini. J’implorerai, je suppose, ciel et mer pour entrevoir une véritable baleine. De mon observatoire, au milieu de l’océan, verrai-je des oiseaux géants, des manchots empereurs, des albatros hurleurs, le dos d’une baleine sortant de la vague, un banc de colins d’Alaska faciles à attraper?
Voilà! J’espère que les flots bleus m’inspireront à vous écrire quelques lettres de l’Alaska et à vous décrire mon aventure comme si vous voyagiez avec moi.
Cora
❤️
Plus j’écris et plus j’arrive à le faire n’importe où. Dans un café, chez McDo, à ma table de cuisine, sur mon divan ou dans mon lit lorsque le sommeil tarde à venir. Presque chaque jour, j’écris quelque chose. Je prends continuellement des notes de tout ce que je pense, de tout ce que je vois et même de ce que j’invente.
J’écris mes brouillons sur d’étroites pages d’un calepin facile à transporter. 1, 2, 3, 4, je numérote mes pages en haut, à droite, dans un petit cercle de la grosseur d’un bleuet. Je biffe, j’efface un mot, je raye une phrase qui détonne. Sur ma tablette, il m’arrive de supprimer toute une page. Je relis mon texte à haute voix et m’assure ainsi d’une certaine musicalité.
Je n’ai presque jamais d’idée précise avant de me mettre à taper sur mon clavier. S’il le faut, j’attends, je bois un ou deux cafés, je me lève et tourne autour de la table jusqu’à ce qu’un joli mot m’interpelle : FENÊTRES. Tout un mur de ma grande cuisine est fait de fenêtres et la lumière entre à profusion. Un cardinal rouge picore la vitre, une sirène d’ambulance agonise au loin; les cris stridents des enfants percent mes tympans.
Le bruit ne me dérange pas ni le silence qui est comme la farine attendant de devenir quelque chose. Lorsque j’écris chez moi, j’écoute Haendel, Vivaldi, des chants grégoriens et de la musique baroque. Peut-être est-ce pour me sentir en sécurité? La musique a cela de généreux. Elle valse avec mon inspiration et produit des miracles. Je n’ai jamais de piètres idées lorsqu’un grand maître de musique bat la mesure.
La pandémie a hautement favorisé l’absence de visiteurs à la maison et j’ai appris à m’en réjouir. Je me suis vite habituée au silence et à la solitude créatrice; tellement que je n’ai plus vu le temps passer. J’ai toujours tenu ma maison bien rangée alors il n’y avait pas de grand ménage à effectuer. Le seul désordre qui règne sans cesse, je dirais, c’est ma propension à ne jamais remettre un livre à sa bonne place dans mes bibliothèques! J’en possède tellement que je ne sais plus où les ranger.
Depuis que j’écris, je ne réfléchis jamais en termes de repos, de congé ou de vacances. Ma lanterne est toujours allumée. Aligner des mots me procure une immense joie. Un mot clé et sa marmaille colorent quelques pages en criant ciseau.
Lorsqu’il ne se passe rien d’intéressant dans ma réalité, je saute sur la planète HAÏKU. Oui, oui! Connaissez-vous ces jolis petits poèmes japonais de trois lignes? Juste trois marches pour s’en faire un château. Il s’agit bien souvent d’une limpide immédiateté, de l’éphémère qui traverse nos vies ou d’une floraison inattendue. Le haïku représente un sentiment d’ouverture pour l’esprit désoccupé.
Ma mère était toujours trop occupée à prendre soin de nous. Fréquemment, papa insistait pour qu’elle s’étende une petite heure, mais elle refusait chaque fois. « Je me reposerai lorsque je serai morte », disait-elle à tout bout de champ. À l’encontre de ma mère, j’aime m’endormir en plein jour avec un livre sur le front pour cacher la lumière. J’aime aussi me désengourdir avec un sujet de lettre inopiné, une envolée d’expressions rares qui donnent à réfléchir.
Comme disait souvent maman, « lorsqu’on grandit, il faut apprendre à lire entre les lignes ». Ces pauvres parents nageaient sans cesse entre deux eaux : l’indifférence et la douleur. Une maman qui grognait et un papa qui pleurait la plupart du temps, surtout lorsqu’il calait quelques bières pour endormir ses besoins de tendresse.
Décrire la quotidienneté de la vie se révèle mon thème de prédilection; aussi important que manger pour vivre. Tout est susceptible de m’inspirer. J’ai juste besoin d’attendre un certain surgissement d’inspiration, presque un truc de magie, une enfilade de mots fascinants et ordinaires à la fois.
La route qu’empruntent les mots s’avère quelquefois biscornue. Sur le toit du garage, j’imagine une conversation entre deux corneilles et soudain l’orage ramollit mes idées. La plupart du temps, le réel et l’irréel s’entrechoquent allègrement.
Je guette sans cesse l’arrivée d’une belle phrase, d’un fait inusité, d’un souvenir de jeunesse ou d’une erreur de parcours. Je n’ai malheureusement plus de journal intime depuis trop longtemps. J’ai toujours aimé écrire, mais le mari me l’interdisant sous toutes ses formes, je m’y adonnais en cachette pendant ces 13 années de mariage. Je m’y adonnais surtout la nuit et je brûlais mes écrits à mesure que l’encre séchait.
Aujourd’hui, je suis libre et j’écris jour et nuit à ma guise. Non pas pour devenir célèbre, mais pour me garder pétillante; pour cultiver le meilleur de moi-même et le partager avec mes fidèles lecteurs.
Je dors, je rêve et je divague à l’occasion. Très chers lecteurs, je vous voudrais tous assis à ma grande table d’écriture entremêlant fantaisie, folie douce et tarte aux pommes sortant du four.
Cora
❤️
Très chers lecteurs, vous souvenez-vous de cette journaliste qui m’a interrogée à deux, peut-être trois reprises? Eh bien, la demoiselle souhaite récidiver et j’ai reçu hier matin un nouveau questionnaire. Vais-je encore jouer le jeu? Je zieute rapidement le texte et la première question me demande…
— Pourquoi avez-vous conservé le nom de votre mari après le divorce?
— Après m’être enfuie du logis, j’ai confié mes enfants à mes parents pour vitement trouver un travail. En décembre 1980, j’ai commencé comme hôtesse à l’accueil dans un grand restaurant populaire de Laval. En moins d’un an, je devenais gérante de jour et quelque cinq mois plus tard, gérante générale de l’établissement. J’y ai travaillé pendant six ans et demi jusqu’à ce qu’un effroyable « burnout » me cloue au lit. Lorsque j’ai finalement pris du mieux, je suis allée reconduire mon plus vieux à son travail et j’ai vu une pancarte RESTAURANT À VENDRE. Le petit bouiboui est devenu un restaurant Chez CORA, et moi je suis devenue Madame Cora. Croyez-vous qu’alors j’aie eu le temps d’entreprendre les démarches juridiques pour changer de nom? NON! Légalement, rien ne m’obligeait à reprendre mon nom de fille et, à cette époque, je préférais conserver son nom de famille et l’argent dans mes poches plutôt que de gaspiller mes avoirs sur la paperasse nécessaire pour m’en débarrasser. Personne ne connaît le prénom du mari et c’est très bien ainsi.
— Vous parlez souvent de votre mariage comme de votre plus grand regret. Pourtant, vous semblez être une femme positive qui sait se sortir des mauvaises situations. Enceinte de votre premier enfant, vous vous êtes mariée obligée. Parlez-nous des trois meilleures choses que votre mariage vous a apportées.
— D’abord, jeune fille au collège, j’avais étudié la civilisation grecque et je connaissais beaucoup de mots venant du grec ancien. J’ai donc appris assez facilement le grec moderne et c’est un rare cadeau de mariage que j’apprécie encore aujourd’hui. Il en va de même de la cuisine grecque que j’ai apprise en un tour de main de mes belles-sœurs. J’ai aussi passé six mois au fin fond d’un village grec où je cuisinais chaque jour avec ma belle-mère. Même elle me complimentait et son fils chéri aimait ma nourriture. Finalement, mes enfants demeureront à tout jamais les plus beaux cadeaux que la vie m’a donnés via ce mariage boiteux.
— Quel est le dernier livre que vous avez lu en entier et quel est celui que vous avez récemment entrepris?
— Sans raison particulière, je n’ai jamais été une lectrice de Dany Laferrière, mais récemment, j’ai lu son dernier petit livre de 134 pages intitulé « UN CERTAIN ART DE VIVRE ». J’ai beaucoup aimé ses réflexions fulgurantes et profondes. C’est un genre d’autoportrait naïf qui, selon l’auteur, lui a pris plus de temps à écrire que tous ses autres succès.
Quant au présent livre que j’ai entre les mains, je voudrais bien qu’il ait deux mille pages au lieu de deux cents, car j’adore l’histoire et surtout la qualité de l’écriture. Le titre est « LÀ OÙ JE ME TERRE » et l’auteure, qui vient tout juste de mourir, se nomme Caroline Dawson. Je vous le recommande chaudement.
— Nommez trois choses que vous apporteriez sur une île déserte.
— Vous ne vous en doutez pas? J’apporterais du papier, de l’encre et une bonne plume fontaine. Tous les jours, je parlerais aux oiseaux, je me nourrirais d’éperlans, de petites fraises des champs et de sublime inspiration.
— Que préférez-vous : la ville ou la campagne?
— Incontestablement, je préfère mes chaleureuses Laurentides et surtout mon village qui a tous les attraits pour me combler! J’adore conduire en été et je fais souvent le trajet de mon village jusqu’à à Mont-Laurier. Partout, mes yeux emmagasinent toutes les beautés du paysage et cet été, je suis tout particulièrement très fière de moi. En effet, tous les plants de lupins sauvages que j’ai transplantés devant ma maison l’année dernière ont fleuri en un joli bosquet. J’adore la nature verte en été et blanche en hiver. J’ai ma tête dans les nuages à la campagne et un petit pied-à-terre en ville, à Montréal.
— Quelle est votre saison préférée?
— Je n’ai pas vraiment de préférence. Chaque matin où je peux encore ouvrir mes yeux, me lever du lit, me laver, m’habiller et marcher dehors, c’est la fête! Je vis dans une grande maison remplie de livres. J’écris chaque jour pour garder ma tête vaillante. La saison du moment présent est toujours ma favorite.
— Dans votre processus d’écriture, que trouvez-vous le plus difficile?
— Écrire est un immense plaisir pour moi et vraiment, ce n’est pas difficile. J’aime chaque étape du processus. Sommeiller sur le divan en espérant une bonne idée. Lire un magazine intéressant et découper un paragraphe susceptible de m’apprendre quelque chose. Écouter les amis discourir et attraper au vol un fait cocasse qui m’inspire. Ma tête est remplie de beaux mots qui dansent, qui tournent et qui glissent tout doucement entre mes lignes.
Cora
❤️
Pour la première fois de ma vie, je m’intéresse aux signes astrologiques et j’affirme être une femme Gémeaux née le 27 mai 1947. Pourtant, toute ma vie j’ai toujours un peu pensé que l’horoscope sur la dernière page d’un journal se voulait un genre d’arnaque pour les gens à la recherche de sensations. Pour rêvasser, quelquefois, je lisais dans la case du Gémeaux qu’un gros montant d’argent allait m’arriver alors que j’étais raide pauvre. Quand elle ne me promettait pas un possible montant d’argent à venir, pour sûr l’astrologue en chef de la planète me faisait miroiter un bel amoureux. Parfois, je me forçais pour y croire tellement la solitude me pesait.
L’autre matin, mes bons amis ont entamé la discussion sur l’astrologie et j’ai réagi! Soudainement, je m’intéresse à cette femme Gémeaux que je suis. J’interroge l’ami Google et il m’apprend que « la femme Gémeaux, reine de la communication, toujours souriante et attentive aux autres, sait quoi dire au bon moment et insuffler l’énergie et la bonne humeur autour d’elle ». Wow! Je dois admettre que cette description me ressemble. Google poursuit : « au travail, la femme Gémeaux s’avère un élément essentiel qui a un effet stabilisateur, motive les troupes et apporte des ondes positives ». Ça aussi ça me ressemble! Je pense bien avoir été une présidente assez charismatique qui maîtrisait très bien les enjeux quotidiens d’une entreprise importante. La description se termine en m’apprenant que si j’étais un petit animal, je serais sûrement une vaillante abeille butinant de fleur en fleur. Chercher des mots, taper sur le clavier chaque jour, n’est-ce pas moissonner ces fameuses lettres du dimanche? Devrais-je accorder quelque crédibilité à l’astrologie?
Ce matin, de retour au café avec les amis, j’interroge chacun pour connaître son signe astrologique. Steven le policier est un Capricorne, Jean-Pierre et Claude, deux Sagittaires, George l’homme d’affaires, un Taureau, Denis, un Scorpion, Doris, un Cancer, Bruce le comptable, une Balance et l’ami Éric, un Bélier. En fin d’après-midi, je me rends chez Renaud-Bray et je trouve un magnifique livre sur l’astrologie. Bien entendu, de retour à la maison, je l’ai feuilleté quelques heures, et me voici un tantinet plus savante qu’avant.
La première ligne du volume m’apprend que « l’astrologie n’est ni une religion ni une croyance. C’est un système à la fois astronomique, psychologique et prévisionnel. Contrairement à de nombreuses autres techniques divinatoires qui ont traversé les siècles, l’astrologie conserve sa popularité pour la simple raison qu’elle fonctionne ». Il y a certainement quelque chose de bon à savoir si ça fonctionne encore! Mais avant de m’emballer, je questionne à nouveau Google à propos du pedigree de l’auteure du savant volume.
La dénommée Sasha Fenton est « une astrologue professionnelle. Elle a déjà publié six volumes sur le sujet et écrit des rubriques pour de nombreux magazines et journaux. Elle intervient très souvent à la radio et à la télé au Royaume-Uni. Elle anime aussi des ateliers et des discussions dans des salons d’astrologie du monde entier. »
Le livre est sérieux et je vais essayer de l’être moi aussi, à mon propre bénéfice et un peu à celui de mes bons amis. Nous allons certainement rigoler de nos travers et nous vanter de nos attributs innés! Approchant tous les 75-80 ans, il est grand temps que nous en apprenions davantage sur le système solaire et sur nous-mêmes.
Personnellement, j’ai toujours eu l’habitude de regarder le ciel et je l’imaginais vide sauf lorsque la pluie s’accumulait dans les nuages. Aujourd’hui, je prends conscience de tout ce que ce désert blanc cache derrière les nuages. Je feuillette le livre savant, je saute des pages trop ardues et, en tant que Gémeaux, j’apprends que mon signe lunaire est l’air. Je ne sais pas encore ce que ça veut dire, mais l’auteure m’explique que c’est à titre de femme Gémeaux que j’ai pu gravir les échelons du succès et mener une vie enviée par beaucoup. Wow! Encore quelque chose de vrai!
En conclusion, je retiens que « le Gémeaux fait en réalité preuve de détermination lorsqu’il est question d’un sujet qui l’intéresse. Il sait alors lui consacrer une étude approfondie ».
Ne pourrais-je point faire d’une pierre deux coups?
Premièrement, essayer de comprendre l’astrologie avec l’aide d’un Sagittaire de la planète Jupiter.
Deuxièmement, me rapprocher de Claude, ancien professeur d’électricité et pilote de brousse à ses heures. J’ai déjà constaté que nous avons beaucoup d’affinités : les mêmes valeurs familiales, les mêmes lectures, le même nombre d’enfants, le même amour de la nature et le même âge.
Dame Sasha Fenton se rendrait-elle disponible pour une consultation outremer?
CORA
❤️
L’autre jour, on m’invite à parler de mon livre dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Mes auditeurs sont surtout des femmes de mon âge et trois hommes relativement en bonne forme. Ils ont tous l’air heureux de pouvoir me questionner sur ma vie, vanter mes délicieux déjeuners et s’enquérir de mon avenir. Je réponds à ceci, à cela, je patauge et leur raconte quelques morceaux épicés de ma longue vie.
Puis, l’animatrice de l’événement m’offre de rencontrer quelques patientes alitées qui, semble-t-il, me connaissent aussi, mais ne peuvent venir me rencontrer. Comme j’accepte de grimper à l’étage, nous rencontrons quelques braves femmes luttant ardemment contre des cancers. J’entrouvre la porte de la chambre 118 et j’entends : « Tabarnak, Jésus! Tu m’as encore oubliée cette nuit! » La femme s’adresse au crucifix doré qu’elle a placé dans sa chambre. « Tout mon monde est mort, mon hostie de mari, mes deux frères, mes trois sœurs, mes deux filles et le garçon de la plus jeune, mort du sida. Que le diable m’emporte si le bon Dieu ne veut plus de moi! »
La pauvre animatrice me confie à mots couverts que cette malheureuse femme est un réel miracle, une force de la nature. Depuis deux ans, elle a subi toutes sortes de chirurgies et elle vit toujours… malgré elle, on dirait. Je ne sais plus quoi dire, je bégaye, j’échappe des mots. Je vois l'aînée tirer son drap au-dessus de sa tête. Elle ne souhaite plus nous parler, je suppose. Mon cœur cherche un petit mot de consolation, mais rien ne sort de ma bouche stupéfaite. L’animatrice m’invite ensuite à visiter les installations de la cuisine, les tables agréablement disposées et le menu équilibré. Je n’ai que des félicitations pour ce genre d’établissement. Je laisse quelques livres à la bibliothèque de l’endroit, et je remercie l’animatrice avant de quitter le CHSLD.
J’ai encore toute ma tête, mes pattes bien droites et mes doigts vaillants. Quelle chance de pouvoir m’exprimer, écrire presque chaque jour et exercer mes vieilles méninges! Ma tête est un tonneau inépuisable de souvenirs et plusieurs réminiscences m’assaillent et méritent de revivre un court moment. Je me souviens comme si c’était hier : nous, les petites filles modèles, avions notre propre chapelet et devions obligatoirement nous rendre à l’église vers 7 h du soir pour assister au chapelet. Si nous avions oublié notre mantille ou notre chapelet, il fallait retourner les chercher à la maison. Je me souviens aussi du solfège qu’une religieuse m’obligeait à pratiquer pendant deux longues années. Je n’avais aucun talent en musique et cela n’a pas du tout changé! La seule chose que ma mémoire a enregistrée c’est « do, ré, mi, fa, sol, la, si, do ».
Un autre souvenir refait surface! Un certain vendredi soir, juste avant mon anniversaire. En ouvrant la porte de la cuisine, j’ai vu ma mère tremper une pomme dans un sirop brûlant. J’avais déjà vu des enfants en croquer, mais c’était la première fois qu’elle me présentait une pomme de tire, pour sûr, pour mon anniversaire. La semaine d’école était finie et maman avait fait bouillir des petites fraises des champs pour en tirer un sirop rouge et en napper les pommes. Frérot tapait du pied pour être servi le premier, mais la priorité fut accordée à la fêtée. Jamais je n’oublierai ce temps des pommes de tire. Une année, j’en ai préparé à l’Halloween pour mes jeunes enfants, mais ils ont tous préféré les bonbons colorés qu’ils quêtaient de porte en porte.
L’âge est une roue qui ne cesse jamais de tourner.
On naît, on vit, on meurt, nos cœurs n’arrêteront pas d’aimer.
Qui pourrait prédire ma dernière heure?
J’avance, je recule, je grimpe, je tombe.
Mon esprit translucide laisse passer la lumière.
Depuis toujours la couleur rehausse mon allure.
Le jaune soleil me garde joyeuse.
Le bleu du ciel et de la mer m’apaise.
Le orange m’invite à l’aventure.
Le vert nourrit mes espoirs.
Le rouge et le rose excitent mon petit cœur.
La page blanche m’invite à écrire
Et tous les tons de noir me font peur.
Cora
❤️
Je n’ai plus d’illusions. Je suis beaucoup trop vieille pour devenir un jeune prodige, mais ma caboche, cette tête entêtée, espère toujours. Elle bûche comme une acharnée. Mieux que personne, elle insiste, elle rêve, elle s’enfarge dans les fleurs du tapis et s’imagine arrivée au paradis.
Jour et nuit, ces temps-ci, je noircis des lignes, j’amoncelle des pages et je me nourris de feuilles froissées. Désespérément, je cherche ma voie. Surgira-t-elle d’une idée ensemencée dans mon passé qui soudainement pourrait ressortir de terre?
J’ai peur, j’ai froid. Un manteau de phrases rassurantes pourrait me réchauffer. Après notre fuite du logis, mes pauvres enfants ont été bringuebalés sans tendresse et sans câlins comme des petites grenouilles obligées de grandir trop vite. À cette époque, notre vie tournait en rond comme un manège de fête foraine. Je me souviens, moi qui connaissais tant de beaux mots, je n’ai plus eu de voix pour exprimer le massacre de mes écrits par l’affreux mari.
Serais-je trop vieille pour entreprendre une nouvelle carrière? Un nouveau livre pourrait m’intéresser, m’occuper, me rendre meilleure. La construction d’un récit me fascine. J’adore abouter des idées, des fragments de phrases, des souvenirs encore chauds et même d’étranges mots qui veulent dire quelque chose. Ces accumulations de lignes font naître de nouvelles perspectives servant de terreau fertile à de nouvelles idées. À mes yeux, une phrase, si saugrenue soit-elle, est bonne à coucher sur le papier. Elle peut ne jamais dépasser le stade du gribouillage, mais elle peut aussi se transformer en article, en jolie lettre ou en pavé de cent pages.
Je souffre d’un vide ce matin. J’ouvre la fenêtre et j’accueille l’aurore. Une espérance de soleil mijote derrière le clocher du village. L’écriture ressemble à une danse. Un mot en avant, un mot en arrière, puis une musique surgit. Ma radio FM tient la cadence. Entre averse de pluie et coup de soleil, mon cœur balance. Un souvenir me revient. Un certain après-midi de mai où j’allais avoir dix-sept ans. Le collège avait manqué d’électricité vers onze heures et nous, collégiens et collégiennes, comme nous étions tous pensionnaires, il nous fut interdit d’aller ailleurs que dans la cour clôturée de l’école. J’avais quelques pommes dans mon sac, deux dattes et une belle pointe de fromage Oka. J’étais amoureuse d’un certain Paul sans jamais lui avoir parlé. Quelques garçons ôtèrent leurs vestes, roulèrent leurs manches et déboutonnèrent quelques boutons. Il faisait si chaud! Mon front dégoûtait, mon petit cœur grelottait de peur.
Souvent, l’écriture déferle comme un raz de marée; ça entre dans nos têtes et ça déchiquette tout ce qui s’y trouve : les jugements que l’on porte, les attentes, l’impatience, l’égo, les croyances toutes faites et la terrible peur sous toutes ses formes. Écrire nous libère de cette prison existentielle. Plus je lis, plus je rêve, plus je vis; mon imagination gagne en élasticité. J’écris rarement sur ce que je sais. J’écris pour apprendre à écrire, pour mieux me connaître, pour découvrir à quelle catégorie de pousse-mine j’appartiens. Je gribouille dans mon lit, étendue dans un hamac, les orteils dans la piscine, ou encore admirative devant le chant des pinsons et les cris stridents des vaillantes corneilles. L’été est ma meilleure saison. J’ai beau implorer l’inspiration, la chercher, la supplier, c’est toujours elle qui bat la mesure et j’en conclue qu’elle m’aime et veille sur ma plume.
Parce que j’apprécie tous les aspects de l’écriture, je travaille dans la joie : lorsque je recherche des sujets de lettre, lorsqu’il faut me documenter sur quelque chose que j’ignore, lorsque je dois prendre des milliers de notes pour maîtriser un sujet, lorsque ma tête s’emballe et lorsque mon cœur bat la chamade. Je bois une dizaine de cafés par jour, je mange léger, j’écoute des chants grégoriens, je sieste deux petites heures et je noircis du papier jusqu’à ce qu’un point final me ferme le clapet. Je n’écris pas pour performer, j’écris pour jaser avec mes fidèles lecteurs. Et je le fais surtout pour qu’ils ne m’oublient pas.
Cora
❤️
Il y a quelques mois, mon grand ami cuisinier et moi sommes allés faire une petite virée à Ottawa. Je voulais aller serrer la pince à quelques-uns de nos franchisés de la région. Ensuite, je désirais visiter l’épicerie « WHOLE FOODS » de la rue Bank, le célèbre Moulin de Provence et tout le Marché By. Le clou de la journée allait être un souper dans un restaurant chinois connu mondialement à cause de ses délicieux « egg rolls ».
Je fais ce genre de voyage à l’occasion d’abord pour visiter nos restaurants établis un peu partout au Canada. J’en profite pour rencontrer nos franchisés et me familiariser avec nos supers employés corporatifs. Ils sont ma tête et mes yeux dans les restos et semblent toujours heureux de me rencontrer. Nous lunchons ou soupons ensemble bien souvent lorsque l’horaire le permet. Je suis extrêmement reconnaissante envers tous ces gens qui veillent au grain, qui aident et appuient nos valeureux franchisés. Lorsque je fermerai mes yeux pour toujours, je voudrais que l’on répande mes idées au pied d’un immense pommier. Ma dépouille entortillée dans les racines de l’arbre, j’imaginerai chaque jour des milliers de pépins de pomme qui feront apparaître des vergers. C’est ainsi que j’aime me représenter mon réseau de franchisés.
Comme je ne vais pas mourir de sitôt, revenons à nos moutons! Sur l’autoroute 50 vers Ottawa, je constate qu’un ange bienveillant vient tout juste de balayer l’hiver pendant que nous discutions cuisine et mangeaille. L’ami Éric, originaire de Suisse, a immigré au Canada il y a plus de 30 ans. Il a étudié la grande sagesse culinaire dans son pays et travaillé dans les plus grands palaces de Genève et de Lausanne. Grand voyageur, il parcourt le monde à la recherche de nouvelles saveurs. Son palais est un proche cousin de celui du grand Bocuse. L’amitié qui nous lie goûte immensément bon! Nous cuisinons ensemble très souvent et expérimentons de nouvelles façons de faire pour surprendre nos amis.
Une fois arrivés près du centre-ville d’Ottawa, nous nous rendons sur la rue Bank où se trouve l’extraordinaire marché « Whole Foods » que j’ai découvert au cours de mes virées américaines. Il s’agit d’une chaîne écoresponsable avec, entre autres, des produits frais, biologiques, naturels et écologiques. Je me régale à pas de tortue en ratissant tout simplement les allées. À chaque visite, je découvre une tonne d’excellents produits : nourriture, pâtisseries, céréales inusitées, fruits exotiques, cosmétiques, savons et poissons de toutes sortes. Je raffole aussi des plats à emporter. Comme nous venons de déjeuner à notre restaurant CORA de Kanata, je deviens raisonnable et n’achète que du saumon séché pour rapporter à la maison.
Passionné de crèmes magiques pour sa peau, Éric passe une grosse demi-heure dans l’allée des miracles en petits pots. Oui, oui! J’exagère à peine! L’homme vient de fêter ses 70 ans, mais en fait à peine 50. Il ne mange que de la bonne nourriture, des produits bios de préférence. Il aime énormément la viande qu’il cuisine avec dextérité et il excelle dans les sauces.
Je suis peut-être une spécialiste des bons plats matinaux, mais je n’ai aucun talent pour la viande, moi qui en mange si peu. Comme dit mon entourage, je suis une Gaspésienne qui mange de la morue d’Islande. La meilleure au monde, selon mon ami Éric!
Le temps file à 100 à l’heure lorsqu’on veut tout voir, et plus spécialement notre restaurant CORA de la rue Rideau. Je pensais me souvenir de l’adresse exacte, mais ma mémoire est aussi vieille que l’ancienne mairesse de Mississauga, Hazel McCallion, qui a régné pendant 36 ans. Je l’ai d’ailleurs rencontrée lorsque nous avons inauguré notre premier restaurant en Ontario, puis chez elle, quelques semaines plus tard, pour prendre le thé. Cette femme extraordinaire est décédée deux semaines à peine avant de fêter ses 102 ans, en 2023. Elle était un modèle d’efficacité pour moi, et j’espère l’imiter en matière de longévité.
Quelques bouffées d’air et nous entrons dans l’immense CORA tout de bleu vêtu et décoré d’une vingtaine de cadres significatifs en guise de clin d'œil à l'évolution de notre marque à travers le temps. Dans cet endroit bellement habité, j’ai l’honneur de serrer la pince à mon franchisé. Nous prenons quelques photos pour immortaliser l’instant et, comme toujours, plusieurs clients s’approchent pour une photo avec « la » madame Cora. Mon cœur, telle une véritable reine, aime tous ses sujets. Je n’ai peut-être pas de réel amoureux, mais ma vie déborde d’amour. J’ai des amis extraordinaires, des collègues géniaux, des franchisés bien intentionnés et des clients qui me choisissent depuis toujours.
Tourne à droite, tourne à gauche, nous cherchons la devanture du Marché By et son célèbre Moulin de Provence. Lors de sa visite officielle au Canada, le 19 février 2009, Barack Obama est entré dans le Moulin de Provence pour acheter des biscuits pour ses deux filles et sa femme. Il a choisi des biscuits rouge et blanc sur lesquels était inscrit « Canada ». Depuis cette célèbre visite, l’engouement pour ces biscuits surnommés « Obama Cookies » s’avéra absolument incroyable. Le Moulin de Provence vendit pendant longtemps tellement de biscuits que le propriétaire du commerce voulut remercier le Président en versant 10 000 $ dollars à la Fondation Obama.
Nous nous promenons dans le marché et je m’empresse de programmer sur mon téléphone le trajet vers le GOLDEN PALACE. Jadis trop occupée à ouvrir des restaurants, j’y suis allée une seule fois, il y a environ dix ans et j’ai toujours voulu y retourner. La vie passe tellement vite! Puis une pandémie nous a immobilisés et j’ai oublié mes bonnes adresses de jadis.
Mon ami me fait plaisir en acceptant de nous conduire au vieux restaurant chinois. Il ne s’agit pas du tout de son genre de nourriture et j’ai cru qu’il craindrait même d’entrer lorsqu’il verrait que la bâtisse est aussi vieille que l’arche de Noé. Oui, oui! Le Golden Palace a célébré son 63e anniversaire en 2023 et je mettrais ma main au feu qu’aucune rénovation n’a été faite pour rajeunir l’endroit. Tout est vétuste, détérioré par le temps et l’usure. S’y trouvent deux chandeliers branlants et, dans un coin, comme élément de décoration, un chat ou peut-être un tigre géant.
Tous les serveurs se dirigent assurément vers les cent ans, mais ils sont immensément polis, gentils et souriants. Je suis presque certaine qu’ils viennent tous de la même lignée. Ils nous présentent un menu aussi vieux qu’eux-mêmes avec un sourire fendu jusqu’aux oreilles.
Je suggère à mon ami de commander le dîner numéro 2, pour deux. Le tout comprend deux soupes wonton, un « egg roll » chacun, une assiette de chow mein au poulet, des côtes levées à saveur BBQ, une assiette de riz frit au poulet et deux biscuits aux amandes. Lorsqu’Éric croque une bouchée de son « egg roll », il tombe en pâmoison. Il n’a jamais goûté quelque chose d’aussi bon! Nous avalons avec appétit, car tout est délicieux.
Je n’avais pas raconté à mon ami que je connaissais déjà le Golden Palace. Comme il aime les « egg rolls » et qu’il n’en trouve jamais d’assez bons, j’ai voulu le surprendre et lui faire connaître l’or en barre que représente le « egg roll » pour le Golden Palace. Ces petits délices sont livrés en format de deux douzaines presque partout dans le monde, par livraison prioritaire le lendemain.
Évidemment, nous avons quitté l’endroit avec chacun une douzaine de délicieux « egg rolls ». Avant notre virée à Ottawa, j’étais allée au Golden Palace juste une fois, mais quelques superviseurs de notre réseau avaient toujours la gentillesse de me rapporter une douzaine de ces merveilles lorsqu’ils venaient à notre siège social. Hier soir, en commençant cette lettre, j’en avais trois à réchauffer dans le grilloir pour mon souper.
Cora
❤️
En Gaspésie jadis, à la fin juin ou au début juillet, le temps de faire les foins arrivait. Cette année-là, j’avais 7 ans et j’allais devoir aider grand-père Frédéric à ramasser le foin coupé et séché. Pour moi, le moment marquait le commencement des grandes vacances.
Grand-père dirigeait les opérations. Le matin de la fauchaison, les travailleurs se partageaient le champ et cousin George était toujours le premier à commencer. On m’avait postée tout près de l’immense brouette pour que je rassemble le foin séché qui en tombait afin d’en faire un tas qu’un adulte allait ramasser et lancer tout haut dans la grosse charrette. Je suivais le cortège avec, dans mes petites mains, un lourd râteau de bois avec des dents manquantes. Avançant à pas de tortue, je zieutais de loin le cousin George et mon jeune cœur tourbillonnait comme une brindille soulevée par les grands vents.
Chaque année, grand-père s’assurait de réunir le nombre de bras nécessaires pour que le travail se fasse à temps. Après la coupe et le séchage du foin, il fallait avoir deux hommes pour râteler, un pour charger la brouette, un troisième pour fouler le foin et un quatrième pour conduire le tracteur. Heureusement que la récolte visait à l’autosuffisance d’une seule grande famille.
Cousin George avait roulé les manches de sa chemise ouverte et son torse blanc, visible sous le mince tissu de sa camisole, explosait au soleil. Ses longs bras, ses grandes mains tenant la faux, sa chevelure couverte de brindilles dorées, et ses yeux aussi bleus que l’océan me subjuguaient. De mon poste, je le dévisageais et le vent m’amenait son énigmatique odeur.
Il faisait si chaud! Le cherchant des yeux une énième fois, j’ai vite remarqué que ses boucles blondes dégouttaient sur ses larges épaules, sur son torse maintenant dénudé. Je le trouvais si beau! Selon grand-père Frédéric, ce cousin George était le meilleur faucheur du canton. Certes, il avait une bonne faux qu’il n’employait que là où il ne courait pas de risque de rencontrer des pierres.
Lorsqu’un lointain clocher sonnait midi, les hommes avaient déjà cinq ou six heures de travail dans le corps. Tante Hope arrivait avec un immense chapeau de paille et un assez gros panier de victuailles. Elle se dirigeait vers le plus proche sous-bois et étendait deux grandes nappes à carreaux. Puis elle criait mon nom pour que je vienne l’aider à beurrer les tranches de pain de ménage. Chaque travailleur, je m’en souviens encore, recevait une généreuse assiettée de fèves au lard garnie d’une épaisse tranche de jambon. Puis la tante Hope ouvrait les thermos de café et sortait d’une boîte en métal les fameuses galettes à la mélasse du Bas-du-Fleuve. Le dessert vite avalé, l’un après l’autre, les travailleurs s’isolaient à l’ombre pour piquer un petit somme. Tante Hope et moi, nous replacions dans le panier les victuailles restantes, les deux nappes et les thermos vides.
Étendu à l’ombre de quelques bouleaux jaunes, cousin George mâchouillait une mince branche. Il avait roulé sa camisole en boule pour s’en faire un oreiller. Je le regardais de loin et j’entendais battre mon cœur aussi fort qu’un sabot de cheval sur l’asphalte.
J’ai eu peur, je n’ai plus su quoi dire ou quoi faire. Son torse nu collé à la terre, ses bras bronzés, ses yeux mi-clos; était-il en train de rêver? Quel âge avait-il? D’où venait-il? Au village, l’écume des vagues distillait des ragots : tante Hope était-elle sa mère ou sa grand-mère? Je ne l’ai jamais su.
Cousin George, aujourd’hui tu reviens dans ma mémoire, soixante-dix ans plus tard. Serait-ce pour honorer ce premier amour enfantin que tu m’as inspiré? C’était en 1954, avec grand-père Frédéric, pendant que nous faisions les foins. Tu étais un jeune homme si beau que mon cœur s’est emballé, cet été-là, pour la première fois. Si petite, j’apprenais l’amour et ça me faisait mal. Ce n’était pas ta faute. Nous n’avions même jamais échangé un seul mot! Fillette, je suppose, j’imaginais de toute pièce cet engouement amoureux. Comme ces cadeaux que j’attendais à Noël et qui n’arrivaient jamais. Ces premiers battements de cœur, je ne les oublierai jamais.
Te souviens-tu, cousin George, que ce jour-là après la sieste, tu avais perdu ta chemise à l’ombre de quelques bouleaux jaunes? Je te trouvais tellement beau que mon cœur s’est fourvoyé. J’ai voulu garder quelque chose qui venait de toi et j’ai dérobé ta chemise pendant que tu dormais! Des mois, je l’ai gardée dans mon lit, sous mon oreiller. Je la sentais, je la câlinais. Son odeur m’endormait. Sache, cousin George, que ta beauté est restée gravée dans ma mémoire à tout jamais.
Cora
❤️