Toute ma vie, j’ai su qu’au début du mois de janvier, il fallait réfléchir aux résolutions qui allaient gouverner la nouvelle année. Adolescente, je griffonnais dans un cahier secret une dizaine de résolutions pertinentes à mon avancement. Au fil du temps, les difficultés m’ont heureusement transformée de naïve jeune fille en femme entreprenante et progressive, capable de naviguer dans les tempêtes de la vie. Mais cette année, je me calme le pompon. Dans quelques mois, à la fin de mai, les deux 7 de mon âge (77) me le permettront aisément.
Chers lecteurs, je vous suggère donc en douceur, et dans la neige molle, quelques verbes portant à réflexion.
AIMER
Aimer profondément nous donne de la force; être profondément aimé nous donne du courage.
ALLÉGER
Éliminons toutes ces choses inutiles que nous avons accumulées au fil des ans et qui ne nous servent plus.
AFFRONTER
Affrontons nos peurs. Tant que nous les fuyons, elles nous enchaînent. Ne sous-estimons pas notre courage.
APPRENDRE
Ouvrons chaque jour notre esprit à une nouveauté.
BÉNIR
Bénissons notre positivisme. Soyons à l’affût des bons côtés de la vie.
CÉLÉBRER!
Célébrons! La vie est trop courte pour ne pas la fêter chaque matin.
CHOISIR
Choisissons le meilleur! Réévaluons certains de nos propres objectifs; visons plus haut.
DÉLÉGUER
C’est l’un des talents les plus précieux et l’un des plus sous-utilisés.
DIRE NON
Rien ne paraît plus facile, mais c’est presque impossible pour beaucoup de gens.
ÊTRE SON PROPRE MAÎTRE
C’est impossible de prospérer dans l’ombre d’autrui.
S’ÉCOUTER
Écoutons notre corps, donnons-lui une chance de nous parler. Fions-nous à notre intuition. Notre boussole interne se trompe rarement. Consultons-la.
FAIRE DE NOTRE MIEUX
Engageons-nous corps et âme!
FINIR
Finissons ce que nous avons commencé. Ne nous soucions pas du temps nécessaire pour arriver à nos fins.
NAÎTRE
Renaissons chaque jour. Ne laissons pas hier nous freiner.
PRENDRE SOIN DE NOUS
Nous n’avons droit qu’à une seule vie! Prenons-en grand soin comme si c’était de l’or en barre.
IGNORER
Ignorons les pessimistes. Évitons leur compagnie et la noirceur qu’ils dégagent.
PARTAGER
Partageons notre expérience. Nous en serons récompensés.
QUESTIONNER
Posons des questions. Peut-être la première : pourquoi sommes-nous sur terre?
RALENTIR
Prenons le temps d’observer; élargissons notre champ de vision. Contemplons l’infinie beauté des grands sapins.
RÉVEILLER
Réveillons l’artiste qui sommeille en nous. Exprimons le meilleur de nous-mêmes. Créer nous amène vers une conscience supérieure.
SORTIR
Sortons des sentiers battus. Il y a des risques, mais aussi l’espoir de grandes récompenses.
SAVOURER
Savourons le silence. Permettons à nos propres mélodies de s’épanouir.
TENIR
Tenons notre langue. La retenue nous évite de nuire à autrui.
ADMIRER
Admirons la beauté du monde car elle est partout; dans les amitiés sincères, dans un esprit lumineux, dans un cœur amoureux.
Très chers lecteurs, je nous souhaite d’apprendre chaque jour quelque chose de nouveau, une leçon venant de la nature, des gens qui nous entourent ou de ce qui se trouve en nous. Je nous souhaite d’affiner nos ailes pour un jour réussir à voler.
AVERTISSEMENT : Cette lettre contient des détails en lien avec un décès qui pourraient offenser certains lecteurs. Nous préférons vous en avertir.
Ce matin, au café du village, j’ai ce terrible avantage d’entendre de la bouche d’un véritable policier tous ces affreux moments de la vie quotidienne que certains humains tolèrent et endurent jusqu’à rendre l’âme tellement ils en souffrent. Oui, oui! L’histoire quasi inimaginable de ce matin, je vous la raconte pour nous inciter à apprendre à connaître et à considérer nos voisins, nos amis et tous ceux qui nous semblent dans le besoin.
Alors qu’il était en devoir ce jour-là, mon ami policier reçoit un appel du concierge d’un immeuble de six logements qui se plaignait d’une odeur inhabituelle et qui insistait pour que la police s’amène sur les lieux. La police s’exécuta pour une vérification de bien-être. Juste à l’approche de la bâtisse à multiples logements dont il connaît l’adresse, le policier flaire une étrange odeur. De saleté? De brûlé? De viande avariée? Il s’agit de quelque chose de pire, suspecte-t-il. Les deux hommes empruntent l’escalier jusqu’au troisième étage et s’arrêtent devant la porte de l’appartement numéro six. Le policier confirme qu’il s’agit d’une odeur de putréfaction.
– « Quelqu’un est mort dans l’appartement? », demande le concierge.
– « Un corps mort commence à sentir en dedans de 72 heures, dépendant de la cause du décès », répond le policier.
J’ai demandé à mon ami comment il se faisait que les habitants des différents logements n’aient pas senti l’étrange odeur de la mort. « Tout probablement parce qu’elle ne leur était pas familière avant ce drame. » Il affirme que cette odeur, on ne l’oublie jamais.
Lorsque le policier entre dans le logement numéro six avec le passe-partout du concierge, il voit tout de suite le corps d’un homme dans un fauteuil roulant présentant les signes d’une mort évidente. Des lambeaux de chairs brunes et noires pendent du crâne de l’homme, ses joues sont renfoncées, vidées de leur substance avec un bataillon de grosses mouches noires picorant dans les yeux du mort.
L’agent de police constate aussi que le seuil de marbre de la salle de bain avait probablement bloqué le fauteuil roulant du vieillard. Le pauvre était coincé et mourut possiblement d’épuisement ou de faim. « Une véritable tragédie », dit le concierge, les larmes aux yeux. Le policier continua sa visite et, en entrant dans la seule chambre à coucher du logis attenante à la cuisine, il constata la présence d’un deuxième corps inanimé, couvert d’un drap jusqu’au cou, et la tête noircie.
L’agent rebrousse immédiatement chemin, appelle son supérieur et demande la présence d’un enquêteur et d’un autre collègue pour remplir les deux rapports de décès. D’après le concierge, ces deux personnes étaient âgées de plus de 80 ans. Étaient-elles malades? Seules dans l’appartement? Le couple avait-il des enfants? La police allait devoir trouver toutes les réponses à ces questions et tenter de déterminer la cause des décès.
À l’arrivée du second policier, rédacteur du rapport d’événements, ils firent diligence pour préserver et garder intacte la scène des deux décès. Portant des gants de protection, l’un des policiers prit le carnet d’adresses qui se trouvait sur la table de chevet de la défunte. Sous la supervision de l’enquêteur principal, le policier rédacteur ouvrit le carnet et trouva trois prénoms de femme, sans nom de famille. L’agent de police composa le numéro sous le premier prénom, s’identifia et demanda à la voix de femme au bout du fil de s’identifier à son tour. Instantanément, la femme demanda ce que l’homme faisait chez ses parents et le policier lui expliqua que les deux résidents du logis d’où il téléphonait venaient d’être retrouvés morts.
– « C’est impossible, s’affola la femme. J’ai parlé à ma mère hier matin! »
Le policier ne l’a pas contredite. Étant donné l’état de décomposition avancée des deux corps, la mort datait d’environ 10 à 15 jours.
Très chers lecteurs, j’ai raconté cette histoire immensément triste parce qu’elle m’a fendu l’âme et parce que mon ami policier m’assure qu’encore aujourd’hui, plusieurs personnes âgées subissent le même sort. Ce vieux en fauteuil roulant et sa compagne à peine capable de marcher selon le concierge, vivaient dans un trois et demi au troisième étage d’un édifice sans ascenseur. Qui s’occupait de qui?
Aujourd’hui, le policier est retraité depuis plus de vingt ans. L’année dernière, il s’est retrouvé célibataire. En s’étant rappelé la triste histoire qu’il vient de me raconter, l’homme s’interroge. Arrivera-t-il à prendre soin de lui jusqu’à la fin en demeurant dans sa maison de trois étages? Cette demeure avec deux longs escaliers; un pour descendre bricoler au sous-sol et l’autre pour grimper au deuxième étage pour dormir.
L’histoire dont mon ami s’est souvenu ce matin provoque en nous beaucoup de questions; chez lui-même, chez l’ami George (82 ans) et chez moi, bien sûr. Nous sommes restés pour boire un second café et réfléchir à haute voix. « Il faut vite y penser, de dire le policier, car l’âge s’enfuit comme un voleur et nous pourrions rester le bec à l’eau, isolés, mal installés, loin des nôtres et ignorés de nos voisins ».
« On est tous des solitudes, de dire à son tour le vieux George. On naît seul et on mourra seul, comme de vieilles souris déboussolées, affamées, cachées bien souvent dans les profondes armoires… »
Quant à moi, qui approche les 77 ans, je crois que si la vieillesse est une dégradation progressive du corps, il s’agit cependant d’une incroyable occasion d’enfin ralentir la cadence. De prendre soin de notre esprit comme jamais nous n’aurions eu le temps de le faire en gagnant notre vie. Aujourd’hui, ce corps intelligent nous force à ralentir la plupart du temps, pour mieux chouchouter notre petit cœur et les amis qui nous entourent.
Prenons soin de tout un chacun; appelons nos amis, gardons contact avec nos voisins, assumons cette vérification de bien-être dont les âmes esseulées et vieillissantes ont tant besoin. Chaque minute, aimons notre vie d’aujourd’hui. Peut-être que plus nous l’étirerons, plus nous risquerons de mériter quelques granules de sagesse.
Cora
❤
J’ai lu quelque part que « la manière dont nous racontons notre histoire a une grande influence sur notre bonheur ». Donc ce matin, j’arrête de me lamenter et je contemple le bleu paradisiaque du ciel. Bien sûr, comme tout le monde mordant dans la vie, j’aurais voulu rencontrer un artiste, un poète, un oiseau rare qui vole très haut, mais j’avais déjà trois enfants et les deux pieds cloués sur terre. Avec le cœur et la charpente à l’ouvrage pendant tellement d’années, je le confesse, les chiffres à cette époque étaient beaucoup plus importants que les hommes et les mots.
C’est ainsi que j’ai mûri sans m’en apercevoir jusqu’à ce qu’arrivent dans ma vie ces deux terribles chipies (Retraite et Vieillesse) dont je vous ai déjà parlé. Avec l’âge pour sûr, s’amène aussi dame Solitude. On perd des plumes, on perd des proches, des amis, des sœurs ou des maris, et l’on se retrouve le bec à l’eau. Vous vous souvenez d’avril 2020, la peur du siècle déguisée en horrible virus? Le temps de crier gare, j’étais esseulée, apeurée, encabanée entre les montagnes avec juste mes mots pour me tenir compagnie.
La sorcière COVID raffermit mon vide et m’apprit à me taire. J’avais peur de mourir. Heureusement que sur mon toit tout noir, des dizaines de corneilles piaillaient et attiraient mon attention. Je leur lançais des croûtes de pain et elles s’approchaient de ma galerie. Ces premières copines de solitude m’ont gardé en vie. J’en vins à parler aux fourmis, aux vers de terre et à la grosse marmotte vivant sous ma galerie. La chaleur aidant, je m’installais chaque avant-midi dans le gazon et j’attendais l’arrivée des pissenlits.
Pendant que l’affreux virus ignorait encore mon adresse, à la télé chaque soir, on comptait le nombre de vieux s’envolant par la fenêtre. J’ai eu peur, j’ai eu soif; je revoyais en rêve les jolis ruisseaux de mon enfance. Puis l’été explosa en beauté. Des arcs-en-ciel joliment colorés paradèrent dans les rues. Je sors marcher. Devant moi, un vieux couple collé, soudé ensemble pour mieux avancer. Comme je les envie! J’entends le bruissement des branches s’étirant au soleil; l’effervescence des abeilles; le doux parfum des fleurs. Levant ma tête bien haut, j’admire une parade d’outardes m’écrivant des mots dans le bleu pâle du ciel.
Les semaines passent et le pire expire. « N’en parlez plus », répète une speakerine américaine à la télé. Vite, vite, j’ouvre mon clavier et mes doigts s’affairent d’abord à remercier l’univers d’être encore en vie. J’écris aux anges et j’emmitoufle mes lignes dans du papier doré, puis je console tout ce qui bouge autour de moi. Avec mes mots qui volent, mes phrases qui s’envolent, une nouvelle vie s’écrit comme un roman que l’on a enfin envie de lire.
J’aime créer du sens en donnant vie aux mots. J’adore commencer un paragraphe tout doucement comme on entre dans l’eau d’une rivière, puis plonger tête première dans une révélation. Oui, oui! Très chers lecteurs, c’est exactement ainsi qu’arrivèrent les LETTRES DU DIMANCHE. Dans la cuisine de ma tête, je me suis mise à composer de savoureux déjeuners de mots. De courtes histoires pour vous mettre en appétit, des recettes faciles à faire de caramel maison, de sucre à la crème et de délicieux gâteaux. Plus les dimanches arrivaient vite et plus ma verve s’enthousiasmait. Mon cœur rempli d’amour se réjouissait d’être en votre bonne compagnie.
Sans vraiment le réaliser, j’ai fait ce que je sais faire depuis que je suis toute petite : ÉCRIRE. Alors, je vous ai écrit; d’abord mes recettes et ensuite la belle histoire de notre entreprise, et par ricochet l’entière saga de ma surprenante vie. Oui, oui! Je me suis avancée dans la mer jusqu’à la taille, jusqu’aux épaules, jusqu’au large bien souvent. Vous m’avez suivie; vous m’avez aimée. Vous avez peinturé en rose toutes les taches brunes de mon corps. Vous avez fait de mon cœur un phare, un bouquet de minuscules lumières irradiant mes lignes.
Sachez que le fait d’écrire ces LETTRES DU DIMANCHE a réveillé l’écriture qui sommeillait en moi. J’ai découvert que mon plus grand plaisir consiste à aligner des mots; à jeter sur la page une histoire à peine construite dans ma tête et à l’écrire à l’encre noire en écarquillant bien mes yeux. Ma mémoire est un réel coffre aux trésors; un album de photos bien vivantes. Invitant dame Créativité et dame Inspiration, sur la blancheur de la page, je dépose le griffonnage du temps.
En me lisant, vous m’apprenez à mieux écrire.
Cora
❤
Comme nous sommes tous des restaurateurs et d’excellents cuisiniers dans la famille, notre brunch de Pâques fut, sans vantardise, une table d’exception! Oui, oui! Ce fut d’abord ma petite fille qui disposa sur la grande table trois magnifiques plateaux de fruits joliment coupés et garnis de fraises, de framboises, de cerises et de bleuets. Vite, vite, tous les jeunes enfants grimpèrent sur leur chaise et étirèrent leurs bras vers les plateaux colorés. Quelques minutes plus tard, ils avaient les joues bleu-rose et leurs petits tabliers tachetés de jus de framboise.
J’avais moi-même préparé le mélange à pain doré et l’appareil à crêpes, mais dès que ma fille entra dans la cuisine, c’est elle qui prit le commandement des opérations. Il lui restait à assembler les différentes composantes de chaque service. Avec sa fille à ses côtés, elles firent d’abord cuire une vingtaine de crêpes composées de différentes garnitures : épinards-feta, jambon et fromage suisse, bacon-cheddar et les délicieuses crêpes aux pommes badigeonnées de notre caramel maison qu’elles gardèrent au chaud sur le réchaud du poêle.
Ma fille et sa fille s’occupèrent ensuite de faire rôtir toutes les viandes du traditionnel déjeuner québécois et les mirent sur la table avec une grosse soupière de fèves aux lard, une belle grande assiette de saumon fumé garnie de câpres et d’oignons rouges, un gros bol de patates rôties, mes fameux cretons ainsi qu’un bel assortiment de confitures maison : fraises, framboises, bleuets, oranges et marmelade d’agrumes. J’ai depuis longtemps la main habile pour les confitures. Je ne mesure jamais rien et c’est mon doigt du milieu, le majeur, qui me dit quand il faut éteindre le feu. Je réussis à tout coup!
Lorsqu’arriva l’heure de griller les différents pains, toasts, bagels, et délicieux croissants, les deux garçons de mon plus vieux étaient au poste. Ils dressèrent des carrés de beurre dans de petites assiettes et les disposèrent devant chaque couvert. Puis, la quinzaine d’adultes s’installa à la table et le festin débuta. Ayant bu plusieurs cafés en jasant, ils se ruèrent sur le jus d’orange. Ciel! Je me souviens encore de ce fameux jus d’orange que j’interdisais aux employés et à mes enfants de boire lorsqu’ils travaillaient. À l’époque, ce jus importé directement de la Floride était dispendieux et précieux. Personne n’en buvait sauf les clients qui payaient.
J’étais pauvre comme Job lorsque, en 1987, j’ai ouvert notre premier petit resto. C’était un vieux casse-croûte déglingué, fermé depuis deux ans, et rempli de toiles d’araignées. Je m’en souviens comme si c’était hier : 29 places assises que j’avais pu acheter en vendant notre maison de banlieue. Je ne pourrai jamais comprendre pourquoi, mes jeunes enfants et moi, nous sommes tout de suite tombés en amour avec cet endroit.
Peut-être était-ce pour eux une nouvelle aventure? Peut-être était-ce pour moi l’opportunité d’une brillante destinée? Il fallut frotter, nettoyer, peinturer, coudre quelques jolis tabliers et écrire notre menu sur les murs. Jamais, à cette époque, je n’aurais pu imaginer qu’un exceptionnel concept de restauration matinal allait sortir de mes méninges. Déménagés dans un troisième étage d’une rue commerciale de Montréal, à proximité du bouiboui, les enfants se sont habitués aux bruits de la ville, aux transports en autobus et aux nuits blanches que maman passait à inventer de nouveaux déjeuners.
Aux fourneaux, ma fille et sa fille sont prêtes à prendre les commandes d’omelettes. Elles ont sur le comptoir à côté d’elles une quinzaine de petits bols contenant les différentes garnitures à omelettes. Et vlan, le service se fait rondement! À les entendre, on croirait que tous les adultes n’ont rien mangé depuis trois jours! Assise au bout de la table, mes yeux espionnent le faciès de chacun. Ils ont faim, ils ont soif, ils mangent avec appétit.
Mon fils le plus vieux félicite les cuisinières et les remercie chaleureusement. Avant même d’avoir reçu son assiette principale, il se propose pour faire la vaisselle et sa compagne le seconde. Cette très chère Josée est aussi une bonne cuisinière, elle excelle notamment à cuire les viandes, et son homme, gros mangeur, est comblé.
Tous les convives sont contents. Les petits ayant mangé plus tôt, ils courent dans la grande maison, jouent à la cachette et s’amusent avec les bricoles que leur grand-père (mon plus vieux) leur amène à chaque visite. Tous les adultes se resservent du café en jasant comment s’ils ne s’étaient pas vus depuis dix ans. Puis Josée quitte la table et m’exhorte à rester assise.
- « Vous en avez assez fait, belle-maman! Je m’occupe de la vaisselle. »
Lorsque finalement les conversations tiédissent, les enfants de mes enfants se lèvent et dévalisent les restants, comme chaque fois qu’ils viennent chez grand-maman! C’est encore ma fille et sa fille qui s’occupent d’emballer les viennoiseries, les crêpes, les viandes, les fèves au lard, les fromages et tout ce qui reste sur la table. C’est à qui prendra ce qu’il aime le plus! Lorsque la table est vide, le poêle et les comptoirs nettoyés, les jeunes aident à la vaisselle. Vite, vite, la cuisine brille et les adultes déménagent au salon. Il est temps de digérer, de parloter, et de me redire encore combien c’était bon. Je n’ai presque aucun mérite, j’ai juste à les rassembler. À Noël, à Pâques et à la fête d’un arrière-petit-fils.
Combien de brunches de Pâques pourrai-je encore animer? Le temps passe tellement vite! Trois courtes années et j’aurai 80 ans sonnés. Peut-être aurai-je aussi les doigts croches, les rotules fêlées et la mémoire en cavale? J’oublierai ma superbe recette de cretons, l’âge de mes arrière-petits-fils et peut-être l’adresse de ma belle-fille? D’ici là, j’ai encore toute ma tête et j’entends bien profiter de chaque occasion pour nous réunir et célébrer!
Cora
❤
Une liste de gratitude est une liste de remerciements adressés à tout ce qui vous rend heureux. Idéalement, elle doit être quotidienne et rendre hommage aux petits moments qui ont illuminé votre journée. Il s’agit de partir du sentiment de reconnaissance et de relever dans votre quotidien ce pour quoi vous vous estimez chanceux et reconnaissant.
Les experts disent que l’exercice est peut-être difficile au début, mais qu’on s’y habitue rapidement. Machinalement, on peut aussi remercier la vie tous les soirs en s’endormant et tous les matins en constatant qu’on est encore vivant.
J’ai personnellement mon petit rituel de gratitude. Chaque samedi après-midi après ma sieste, je me coule un énième café et j’ouvre mon cahier rose que je remplis de gros MERCIS. Oui, oui! J’ai découvert la gratitude, pourrais-je dire, pendant la pandémie. Au lieu de craindre de mourir, j’ai commencé à remercier l’univers d’être encore en vie. La peur s’est enfuie et j’ai tout doucement appris à reconnaître ce qui m’arrivait de bon.
Toutes mes journées d’écriture sont différentes, mais je peux affirmer chaque jour que je suis reconnaissante d’être en vie! J’ai toujours une bonne raison pour dire merci à un ami, à une bonne idée et surtout, à la folle du logis qui me garde alerte et inspirée.
Voici quelques phrases extraites de ma liste de gratitude :
– Merci l’ami! Tes gros bras et ta précieuse compagnie m’ont beaucoup aidée à installer dans mon salon deux nouvelles bibliothèques IKEA.
– Merci à mes enfants qui ont fait de moi une courageuse maman.
– Merci, chère Pénélope, c’est ton amour qui me garde en vie.
– Merci à la voisine généreuse qui m’a donné de si bonnes confitures!
– Merci à mes amis qui m’invitent à les accompagner à des sorties et des événements.
– Merci pour tous ces cafés savourés en bonne compagnie!
– Merci, cher Claude, d’avoir réparé le thermostat de mon plancher chauffant.
– Merci à Stephen l’Irlandais qui m’a accompagnée au lunch annuel de la Saint-Patrick et à ma bonne amie de nous avoir invités.
– Merci à l’ami Bruce avec qui j’entretiens toujours de sérieuses conversations.
– Merci à Marie-Pierre, l’hôtesse de l’air préférée de notre groupe d’amis, pour toutes ces délicieuses importations privées de chocolats, rapportées de ses voyages sur le vieux continent.
– Merci pour cette précieuse inspiration qui me vient d’en haut.
– Merci à la folle du logis qui m’inspire et gouverne mes pensées.
– Merci pour ma persévérance, ma patience et mon amour des mots.
– Merci pour mon âge avancé, à la sublime vie qui me garde forte et en santé.
– Merci le temps pour cette incroyable balade en traîneau.
– Merci pour la place bien au chaud que vous me réservez là-haut.
– Merci pour cet hiver si doux, pour la neige si blanche et le ciel si bleu.
– Merci la vie de pouvoir reconnaître tout ce qui est bon pour moi.
– Merci à l’ex-mari qui a été juste assez ignoble pour qu’enfin je me décide à le quitter.
– Merci à tous mes précieux lecteurs qui me suivent chaque semaine par le biais de mes lettres du dimanche.
– Merci pour tous les commentaires que vous m’écrivez semaine après semaine.
– Merci à ceux qui ont acheté mon livre, Cora l’ordinaire endimanché, et qui viennent m’en parler!
– Merci à la mer qui m’a nourrie toute ma vie et qui continue à le faire.
– Merci aux magnifiques hommes qui viennent embellir mes rêves et nourrir mes espoirs.
– Merci à mes dix doigts qui, même s’ils sont usés, continuent à me donner le plaisir de faire à manger pour mes enfants, mes petits-enfants et quelquefois même pour mes collègues de travail au siège social de l’entreprise.
Depuis que je m’exerce à cette énumération de mercis à l’univers, j’ai toujours hâte à demain pour découvrir ce que j’apprends à mieux apprécier.
VERBA VOLANT, SCRIPTA MANENT.
Les paroles s’envolent et les écrits restent.
Cora
❤
Avez-vous, comme moi, constaté à quel point l’incessant va-et-vient des jours nous empêche de réfléchir à notre mort? Je fêterai mes 77 ans le 27 mai prochain et parce que le chiffre sept a toujours été mon préféré, j’en prendrais encore deux ou trois sans être trop gourmande. Fêter mes 77, 87 et 97 ans me comblerait de bonheur! Après, si Dieu le veut, je m’envolerai. Sachez-le : j’ai carrément l’intention de faire rimer vieillissement avec épanouissement de mon vivant!
Tout endimanchée de rose ce matin, je sens que mon cœur a encore 20 ans. Mes doigts filent à tire d’ailes sur le clavier et m’inventent des amourettes simplement pour apprécier l’instant présent. Le sourire d’un beau mâle, un compliment sur ma tenue, la voisine qui m’offre des biscuits, tout m’éblouit. Vieillir heureux et heureuse est peut-être la clé de la longévité.
À cet effet, chers lecteurs, j’épluche depuis quelques semaines de sérieux magazines parlant de notre dernière heure et je note tous les précieux conseils qui auront un effet positif sur notre avenir à long terme. Sans vouloir sembler moralisatrice, permettez-moi de les partager avec vous en utilisant mes mots de tous les jours.
N’ayons pas peur de vieillir, aimons notre âge et célébrons nos anniversaires.
Jetons par la fenêtre la lente perte d’autonomie, la baisse de vitalité et l’ennui.
Transformons notre monotonie quotidienne en une célébration de la vie. Vivre longtemps est un don du ciel; une opportunité à saisir, maintenant ou jamais.
Additionnons les bonnes journées que nous passons, car c’est ce que nous avons de plus précieux. Transmettons aussi à nos proches cette sagesse pour qu’ils puissent apprendre de notre exemple avant même que cela ne les concerne.
Offrons-nous l’occasion de vivre chaque jour au moins un événement qui a de l’importance à nos yeux. Apprendre un nouveau mot, rendre visite à un ami, poser un geste de bonté envers soi-même.
Osons faire preuve d’optimisme. Aborder le changement émerveillé plutôt qu’inquiet nous permet de rester curieux et enthousiastes face à l’avenir. Écrivons les cinq nouvelles choses que nous souhaiterions accomplir cette année.
N’ayons pas peur. Avec le temps nos capacités se multiplient. Souvenons-nous des cinq ou six savoir-faire les plus importants que nous avons développés durant notre existence.
Plus nous avançons en âge, plus nous nous dirigeons vers des terres inconnues. Nous avons gagné le droit d’explorer librement le reste de notre vie, sans limites et sans hésitation. Il est toujours temps de changer notre modus operandi.
Ouvrons-nous aux autres, considérons nos meilleurs amis comme des membres de notre famille. Nommons-en trois ou quatre capables de devenir aussi notre filet de sécurité. Donnons-leur la priorité.
Apprenons quelque chose de nouveau et partageons nos connaissances avec eux. Accordons-leur le droit de nous apprendre quelque chose en retour.
Faisons de l’exercice sans y penser; pédalons en regardant la télé. Sortons de la maison sans aucun prétexte. Promenons-nous dans la nature et admirons le paysage. Laissons notre montre intelligente calculer nos pas.
Mangeons lentement et, si possible, en bonne compagnie. Porter attention à ce que nous avalons permet de manger moins et de savourer davantage.
Simplifions-nous la vie. Faisons le tri dans nos placards et donnons ce que nous ne voulons plus. Allégeons-nous. Les oiseaux volent parce qu’ils n’ont pas de bagage.
N’hésitons plus, laissons parler nos émotions. Éric Simard, docteur en biologie et chercheur, croit qu’il s’agit du facteur qui aurait le plus gros impact sur la longévité humaine. L’expert dit aussi que fréquenter la famille et les amis augmente l’espérance de vie.
Avant de nous envoler, guérissons toutes ces blessures de l’âme qui nous ont rendus misérables. Blessure de rejet, d’abandon, de trahison, d’injustice ou d’humiliation, je les ai toutes un peu subies. À une certaine époque, j’ai dû lire l’excellent livre à succès de Lise Bourbeau intitulé « Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même » pour m’en sortir.
Il n’est jamais trop tard pour corriger nos bévues ni pour apprendre de meilleures façons de vivre. Moi la première, vieillotte encore forte, je m’invente mille détours pour supposément trouver l’amour.
Très chers lecteurs, je badine, je rigole, j’essaie essentiellement de vous plaire avec mes millions de mots d’amour.
Cora
❤
Très chers lecteurs, voici qu’en cette fin mars, l’amie journaliste récidive et m’invite à répondre à de sérieuses questions capables, selon elle, de dépoussiérer ma caboche. J’accepte de jouer le jeu encore une fois.
— Quelles sont les trois choses qui donnent un sens à votre existence?
Ce qui donne un sens à ma vie, ce sont mes enfants. Ils me donnent l’assurance d’appartenir quelque part, de faire partie d’une famille, et d’être un important maillon de leur fratrie. Je dois nommer l’entreprise que j’ai créée et qui m’a définie comme entrepreneure à succès. Je ne sais vraiment pas comment j’ai acquis ce talent des affaires. Peut-être est-ce grâce à ma créativité, ma vaillance et ma capacité remarquable d’avoir compris assez rapidement le concept de franchisage et le maniement des affaires commerciales au Canada. Finalement, bien que sur le tard, il y a cette écriture qui envahit mon quotidien tel un immense paquebot me permettant de revisiter en touriste tous les ports d’attache de ma vie avant l’ultime escapade.
— Quelles sont vos trois plus grandes qualités?
— Ces qualités sont certainement le courage, la créativité et la persévérance. Toujours, toujours le courage enrubanne mes efforts. Un brin de créativité descend du ciel chaque fois que j’en ai besoin et cent fois sur le métier je remets mon ouvrage. J’essaie de faire pousser des fleurs dans le désert. Des heures durant, je peaufine mes mots pour en faire des tigres blancs du Bengale, des poissons mandarins ou de fabuleux oiseaux de paradis.
— Quels sont les trois actes les plus courageux que vous avez accomplis?
— Ce fut premièrement de garder mon bébé au lieu d’avorter comme le voulait son géniteur. Puis celui de m’enfuir avec mes trois enfants après treize années de malheur conjugal. Finalement, pauvre comme Job, ce fut d’ouvrir un premier petit resto de déjeuner qui, par miracle, devint une grande chaîne de restaurants.
— Quels sont les trois souvenirs les plus percutants qui demeurent présents à votre mémoire?
— Je ne pourrai jamais oublier les mains momifiées de ma mère sans cesse rongées par l’eczéma. Sa figure fracassée que j’ai dû identifier à la morgue après une collision frontale qui l’a tuée. L’accouchement très difficile de mon premier enfant pour lequel des forceps ont dû être utilisés pour le sortir de mon ventre.
— Quels sont les trois regrets que vous ne pourrez jamais oublier?
— Jeunette, c’était facile de regretter quelque chose. Une mauvaise note à l’école, une partie de tennis affreuse. J’ai pourtant appris en vieillissant que tout a été nécessaire. Comme le sel et le poivre, le pire et le meilleur font partie de la recette d’une vie. Pour citer la très célèbre Édith Piaf que j’aime encore beaucoup, je dirais moi aussi : « Non, rien de rien. Non, je ne regrette rien ».
— Quelles sont les trois choses les plus difficiles que vous avez dû accepter?
— Plusieurs choses difficiles se sont présentées à moi, je l’avoue, mais je refuse de les compter. Vous connaissez ma vie. Vous savez qu’à la longue, une grosse difficulté se transforme en petit déluge qui finit toujours par s’assécher. Il y a dans ma tête cette idée des extrêmes à éviter : le très haut/le très bas, le oui/le non, le bon/le mauvais, le blanc/le noir. Je préfère m’imaginer au milieu des extrêmes.
— Quelles sont les trois peurs qui vous tourmentent encore?
— J’ai une peur bleue des serpents, même des tout-petits que nous rencontrions en jouant dans les champs du grand-père. J’ai aussi peur des souris, c’en est inconcevable. Dans ma vieille maison de campagne, je suis presque en forêt. Les chevreuils, les dindes sauvages, les marmottes, les grosses corneilles, je les aime tous, mais j’ai peur d’une petite queue noire de souris dans une armoire! J’ai aussi un peu peur de la police lorsque je conduis dans les villages de notre beau pays. La nature magnifique me distrait et peut me faire oublier certains arrêts.
— Quels sont les trois meilleurs amis que vous avez encore dans votre vie?
— Généralement, les bons amis se comptent sur les doigts d’une main. Mais en vieillissant, en travaillant moins et en écrivant depuis presque trois ans dans le même café du village, les bons amis sont de plus en plus nombreux dans mon entourage et je m’en réjouis. Je les ai nommés dans la lettre NOUS ÉTIONS TREIZE À TABLE publiée ce 21 janvier 2024.
— Quels sont les trois désirs que vous n’avez pas encore assouvis?
— Quelle immense montagne que ce mot « désir »! Une petite chose m’arrive, un compliment, un regard, un sourire et mon cœur active la manette « désir ». Ne devrais-je pas avoir passé l’âge de prendre mes désirs pour des réalités? Je n’en suis pas certaine! Je grappille encore les miettes d’affection qui s’envolent en secouant la nappe.
— Quels sont les trois compliments que vous recevez régulièrement?
— Comme je lis tous les commentaires de mes fidèles lecteurs, je crois sincèrement que ce sont mes beaux mots qui reçoivent le plus d’éloges. Puis mes barniques rigolotes et mes fringues colorées. Je détonne, je rigole, mais je crois fermement que cette originalité me fait du bien. M’habiller, agencer mes couleurs et me crêper la couette s’avère mon petit moment créatif de la journée. Pour terminer, il est vrai qu’on me complimente souvent pour mes talents culinaires! Ils ont jadis servi à bâtir l’entreprise et je continue à les mettre à l’œuvre pour éblouir mes proches et, surtout, mes petits-enfants.
Mille mercis, dame Isabel.
Cora
❤
Voici une histoire que j’ai apprise entre les branches cabossées de notre arbre généalogique. Venus de la lointaine Belgique, les ancêtres Charles-Louis et Philomena Van Zandweghe ont traversé l’océan vers une nouvelle vie. Avec leur demi-douzaine d’enfants, deux frères de Charles-Louis et de quelques amis dont deux religieux, un boulanger, un charpentier, un boucher, un notaire et des experts en filature du lin, ils ont fait le voyage pour s’établir dans l’arrière-pays gaspésien à la hauteur du village de Caplan. L’appel de l’aventure, la possibilité de posséder des terres agricoles bien à eux et la quête d’une vie meilleure encouragèrent les Belges à s’installer. Ils nommèrent vite l’endroit « Petite Belgique » et ensuite « Saint-Alphonse-de-Caplan ».
C’est à cet endroit que naquit l’héroïne de mon histoire le 1er octobre 1884, quelque quinze ans avant l’arrivée des Belges en sol québécois. J’imagine difficilement la psyché de cette petite fille condamnée à vivre très pauvrement sur une terre aride que les défricheurs de l’époque avaient baptisée le Calvaire. Ses idées, ses croyances et sa programmation mentale furent formées dans un village dont l’exploitation forestière était l’activité principale. Elle côtoyait des bûcherons, des cultivateurs, quelques enfants dans une école de rang, une maîtresse et probablement un curé.
Lorsqu’à l’adolescence surgirent les questions, la jeune fille, je suppose, développa son identité, ses propres pensées et ses sentiments. Je donnerais toute ma sagesse au Bonhomme Sept Heures pour comprendre comment elle a fait pour devenir une jeune femme aussi admirable. Je détiens malheureusement trop peu d’information sur sa vie de l'époque pour en discourir à loisir. Ce n’est que lorsque les Belges arrivèrent que sa vie se transforma. Pour le mieux ou pour le pire, à vous, chers lecteurs, d’en décider.
Un dimanche sur le perron de l’église, un homme tiré à quatre épingles, attira le regard de mon héroïne. Ça se voyait à l’œil nu que l’étranger n’était pas du pays. La jeune femme se renseigna et apprit du bedeau qu’un paquebot venait tout juste d’amarrer au grand quai de Bonaventure. « Encore une cargaison de Belges! », s’exclama-t-elle au bedeau.
Comme elle voulait se montrer à son meilleur pour revoir l’étranger, elle se confectionna une belle jupe plissée et un petit boléro à partir de la robe d’une grand-tante décédée. La femme avait hâte au prochain dimanche pour le revoir. Et patati et patata, quelques semaines plus tard, le mariage eut lieu le lundi 8 septembre 1913. La jolie mariée avait vingt-neuf ans et son beau George une année de moins.
Pour les besoins de l’histoire, appelons le mari « Gros George », celui qui ne se salissait jamais les doigts. Mon héroïne comprit rapidement que son homme préférait exhiber ses fringues dispendieuses plutôt que d’arracher à la main les mauvaises herbes du jardin. Gros George détestait le travail manuel. Cultiver la terre, charrier le bois de chauffage, nourrir les animaux, l’homme avait toujours une bonne raison pour se défiler. Il aimait aller au village, boire un gin chez l’épicier, mettre une lettre à la poste ou prendre deux heures pour choisir une belle morue avec qui s’offrir du bon temps.
Tout ce que Gros George fit de bon fut de peupler rapidement la bourgade d’immigrants qui avait grandement besoin de bons bras pour travailler. Convaincu qu’il faisait sa juste part d’efforts, l’homme engrossa son épouse huit fois en douze ans. Quatre garçons et quatre filles à nourrir. Il fallut donc agrandir la table de cuisine, quadrupler l’étendue du jardin, saigner trois cochons par été, saler sept à huit barils de morues, acheter un second cheval, deux nouvelles vaches, des poules couveuses, quelques chiens, une baignoire en métal et des tissus à bon prix pour vêtir la marmaille.
Mon héroïne pleurait en silence trop souvent, surtout lorsque Gros George picolait et voulait tremper sa bite là où il ne fallait plus. Qu’il pleuve ou qu’il vente à écorner les bœufs, la femme le fuyait. Elle cuisinait, cousait, lavait, nettoyait et sortait après souper pour sarcler son jardin. J’imagine son corps fatigué, déformé, son dos courbé, ses mains gercées, ses doigts fendillés déracinant les mauvaises herbes en priant le bon Dieu pour que la terre puisse nourrir sa ribambelle d’enfants. Bien souvent seule dans le jardin à la brunante, elle confiait ses états d’âme à l’épouvantail à moineaux. Tout ce qu’elle aura semé, se dit-elle, les enfants le mangeront avec appétit et il en restera pour faire des conserves.
Fin septembre, la pauvre mère épuisée dut être conduite chez l’apothicaire du village voisin. Elle avait chuté en transportant un immense seau d’eau bouillante pour le bain de Gros George. Ses bras, son ventre et ses jambes ébouillantées et brûlantes la faisaient souffrir. Elle avait besoin d’un onguent. On lui offrit un tabouret et elle attendit. Elle entendit surtout quelques mâles qui parlaient des mines d’or de Timmins, en Ontario. Beaucoup d’hommes, jeunes ou vieux et en santé, s’y rendaient pour gagner du bon argent. Elle qui travaillait si fort, la conversation n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Ses quatre garçons deviendraient des mineurs, se dit-elle, ses quatre filles l’aideraient à ouvrir un restaurant pour les travailleurs de la mine.
Quelques jours plus tard, la femme se confia au curé de la paroisse. Elle avait un plan en tête. Elle partirait pour l’Ontario avec ses garçons en âge de travailler dans les mines. Elle et ses filles ouvriraient un restaurant pour nourrir les mineurs. « Faites-en des pêcheurs, des cultivateurs ou des curés!, rétorqua l’homme en soutane noire bien pressée. Dieu a besoin d’intermédiaires ici-bas pour sauver les âmes. » L’épouse n’ajouta mot. Elle remercia le curé pour ses bonbons forts et lui dit adieu.
Quant à Gros George et ses nouvelles fringues de prince consort, plus il vieillissait, et plus il détestait Saint-Alphonse-de-Caplan. Lorsque l’épouse lui suggéra d’aller visiter ses cousins curés au Rhode Island, il sauta sur l’occasion pour s’évader.
Peu de personnes remarquèrent le départ incognito de la femme et de ses huit enfants. Ils se rendirent d’abord à Montréal et embarquèrent dans un train qui les mena jusqu’à Timmins. En arrivant à destination, mon héroïne bouillait d’enthousiasme. Le surlendemain de leur arrivée, elle zieuta une grande maison abandonnée à courte distance du complexe minier. Devant le notaire, la mère prévoyante tâta son bas de laine et offrit la moitié du montant demandé. Les garçons entrèrent à la mine et les filles aidèrent leur mère en cuisine et au service.
Rapidement, le commerce devint très florissant grâce aux talents culinaires de la mère et aux faveurs particulières que les serveuses conciliantes accordaient aux meilleurs clients, moyennant une rétribution, dans les chambres à l’étage.
Oui, oui! C’est donc ainsi qu’après mille misères, mon héroïne s’est enrichie. J’ai souvent voulu raconter son histoire, mais chaque fois, j’hésitais. J’avais honte qu’une vieille femme de ma lignée ait eu recours à des « faveurs particulières » pour gagner sa croûte. Cette femme est morte à Kapuskasing en Ontario le 5 juillet 1967 alors que je venais tout juste d’avoir vingt ans.
Elle aussi s’appelait Cora.
Elle était la mère de mon père.
Et mon audacieuse grand-mère.
Cora
❤
L’autre soir, j’avais vingt ans,
une fillette agrippée à mon flanc.
Nous marchions à la brunante,
lançant aux quatre vents
notre trop-plein de tourments.
L’enfant et moi avancions sur un sentier
nos quatre yeux verts amplement mouillés.
J’adorais la pluie diluant nos larmes,
l’horizon mouillé, ses nuages troués.
Prisonnière d’un poème inimaginable,
ma pauvre tête cherchait des idées,
des fuites mirifiques, des îles dorées.
Un désespoir quasi irracontable.
Sur ma hanche, à demi endormie,
l’enfant becquetait mon cou.
Ses petits bras pendants,
ses jambes ballantes.
Mon cœur, mes bras, mes jambes,
tout mon corps, des roseaux flottants.
Mes folies, mes rêves, mes désirs,
des extravagances d’antan.
Fuyant l’homme malveillant,
nous espérions gagner le large.
Descendre vers le grand océan,
tel l’ancêtre dans sa barge.
Sur une route déroulée à l’improviste,
l’inquiétude m’empêche d’avancer.
Hululements de loups et cris de hiboux.
L’océan noir, ses flots en courroux.
Feuilles qui tombent, plumes qui volent,
toutes mes belles certitudes s’envolent.
Seule demeure une histoire irracontable,
un sauve-qui-peut quasi impensable.
L’homme malin et beaucoup trop beau;
son cœur malfaisant attifé d’oripeaux.
Par fragments, m’arrivent quelques lignes.
Sa mère, sa sœur, quelques belles-sœurs.
Les lumières de la ville s’éteignent.
Devant nous, l’horizon tombe dans le vide.
L’enfant vite s’enrobe de frimas,
cherchant la porte de mon ventre.
Ce soir encore la cruauté du réel
nous empêche de grimper sur la lune,
de décrocher une étoile,
de glisser sur un nuage,
et de sauter dans l’océan bleuté.
Je suis en promenade, se dit mon corps.
Là-haut, sur un nuage, l’astre jaune m’éblouit.
La lumière entre dans mes dix doigts.
Elle ruisselle dans le cou de la fillette.
Et j’écris!
— « Maman! », crie l’enfant.
Cora
❤
Je badine, je rigole, je radote à profusion. J’ai souvent l’impression d’écrire comme si j’étais en phase terminale. Comme si je voulais tout dire avant de partir; tarir mon puits de jolies phrases et m’enfuir. La chair des mots a toujours été ma terre natale, là où toute réalité prend naissance, là où ce matin mes doigts usés essaient de coudre ensemble des espoirs troués, une biographie mille fois rapiécée.
J’avance et j’implore CHRONOS, le dieu du temps qui s’écoule. Des tréfonds de l’âge, ce fils de Zeus va-t-il me répondre? Je m’incline et je supplie tous les bonzes du Panthéon. Mes griffures d’encre noire sont une longue revendication, une prière pour mon cœur assoiffé d’amour.
J’ai jadis voulu aimer et j’ai dû traverser le mur barbelé des lamentations. Tant bien que mal, je cherchais un peu d’affection. Dieu merci, aux études comme en affaires, j’avais cette bienheureuse propension à avancer droit devant. Le ciel, je suppose, m’aide à ne jamais me sentir toute seule ici-bas. Toujours, toujours, quelques anges me déroulent un tapis volant; un aigle me lance quelques plumes et j’écris ma vérité.
Contente de quitter le royaume des rêves. J’adore le faciès rosi de l’aurore. Dans ma grande cuisine, je compte mes bénédictions. Je m’extasie. Combien de jours me reste-t-il pour peinturlurer mes derniers désirs? Je m’agenouille et je prie pour que la moissonneuse m’oublie au lieu de m’occire. Mon cœur s’immisce entre les lignes; mon ardeur harmonise les rimes.
Je badine, je rigole, j’imagine mon corps outrageusement flétri nageant en plein océan. Qui donc l’amènera sur la rive paradisiaque de l’éternité? Une baleine pourrait grignoter mes chairs. Je tremble et j’ai peur qu’elle avale aussi mon cœur. Que l’on me jette en pitance à la terre, que l’on cache mes mots dans les veines des ruisseaux!
Mes doigts frissonnent, mais ils foncent dans ces bienheureux matins d’écriture. Ils remontent l’aiguille du temps à leur guise. Ils utilisent les heures comme si elles étaient des minutes gratuites dans un parcomètre. Dans son gros bol, le temps mélange les étapes de ma grouillante vie.
Lorsque j’allume ma tablette, une gerbe d’étincelles jaillit d’une phrase à demi complète. C’est mon truc à moi pour ne jamais perdre le chemin d’une histoire débutée la veille. Ainsi, ce matin, je m’empresse de décrire les dernières coulées volcaniques de mon cœur. Une nuée ardente de désirs assèche l’encre noire de mes mots. Je m’imagine quitter ce monde sans attache ni regret, sans cadavre ni feuillet.
Devant ma page lumineuse, je réfléchis. Ce matin, comme chaque jour, mes doigts muets plient et déplient des dizaines de brouillons d’écriture. Ils biffent, ils raturent, ils effacent puis ils tapent et tapent de bons mots jusqu’à vider l’aurore de tous ses rêves éveillés.
Immanquablement, de nouvelles phrases planent et volettent à travers les nuages. Elles touchent la cime des montagnes, frôlent les aigles, cognent à la porte des anges et implorent la bénédiction d’en haut. Quand pourrai-je m’envoler? Le globe tourne, tourne, mais la vie est toujours une seule fois vécue.
Cora
❤
Suite à ma virée chez l’épicier du village (lettre publiée le 18 février dernier), beaucoup de lecteurs bien intentionnés ont voulu me consoler. Comme je lis tous vos commentaires, j’en ai presque pleuré.
Oui, oui! Ce soir-là, je broyais du noir. Comme je n’avais pas dîné, j’étais affamée, mais aucune nourriture ne m’attirait. Il ne faisait pas très froid dehors et j’ai pensé aller chez l’asiatique ou chez l’italien du coin, mais ma Mini Cooper m’a conduite chez cet épicier que je connais depuis toujours. J’aurais voulu jaser avec lui comme j’ai l’habitude de le faire, mais l’homme s’était absenté pour toute la soirée et je me suis retrouvée le bec à l’eau.
En revanche, j’ai trouvé vos commentaires tellement délicieux que j’ai décidé de vous en citer quelques-uns!
Dame Sylvie Choquette, une fidèle lectrice, me console en m’écrivant dans son commentaire que, comme moi ce soir-là, elle se sentait morose dans les allées de son épicerie locale. Elle a réalisé que c’était la nouvelle lune. Cet astre qui, selon elle, prend d’assaut les émotions. « Soyons fortes », me dit-elle! Un gros merci, chère Sylvie.
Madame Nadia Lesage me donne un précieux conseil : « Si vous voulez retrouver l’espoir et vous persuader qu’il n’est jamais trop tard, lisez mon livre intitulé J’AI ATTRAPÉ LE BONHEUR AU VOL (Éditions Maïa). Chère Nadia, j’aime tout ce qui vole dans le ciel : les abeilles, les papillons, les oiseaux, les avions et sûrement votre livre que je lirai avec avidité.
« Bonjour madame Cora, merci de nous amener à l’épicerie avec vous. Nous sommes plusieurs à être seules, sans compagnon pour l’instant. Il faut garder espoir, le compagnon arrivera au moment où nous serons prêtes à l’accueillir. Ce cafard dont vous parlez, il m’accompagne souvent ». Très chère Lilianne Blondeau, nous sommes toutes des femmes matures et magnifiques. Ne nous décourageons pas.
Michel Tanguay, un autre habitué des lettres du dimanche, m’interroge via son commentaire. « Est-ce que le mot DISPONIBLE serait en train d’apparaître sur votre front? » Quelle surprenante question, cher Michel! Moi qui crois encore que tous les mâles en âge d’aimer passent leur tour lorsqu’ils me rencontrent, peut-être devrais-je broder le mot magique sur mon manteau?
Dame Sylvie Chamberland m’écrit : « Mme Cora, vous accompagner dans les allées d’épicerie était délicieux et touchant à la fois. J’ai ressenti plein d’amour à travers votre vague à l’âme. Je dois vous avouer que, parfois, j’imagine que vous êtes ma grand-mère. » Quel bonheur ce serait de faire nos emplettes ensemble, chère Sylvie! Nous pourrions même cuisiner ensemble si nous étions voisines.
Dame Maria Domenica Sabelli est une autre lectrice bien loyale et, ce matin, elle me dit que me lire est un vrai délice. « Quel plaisir! », note-t-elle. « Vos descriptions à l’épicerie me donnent l’eau à la bouche ».
Merci à dame Johanne Simard Pomerleau qui me suggère de laisser tomber une canne de soupe comme jadis on « échappait » un mouchoir pour attirer l’attention. Quelle bonne idée, chère Johanne! Je pourrais peut-être vouloir une boîte de céréales placée sur la plus haute tablette et devoir être aidée par un beau brummel aidant?
« Dame Cora, ne désespérez pas. L’homme est là, tout près, regardez bien autour. Il est peut-être garagiste ou médecin? » Chère Rachel Lavoie, je préférerais le garagiste qui pourrait me faire des petits plats et aussi laver ma bagnole à l’occasion.
« Ouf, ce matin, madame Cora, votre mélancolie m’a atteint en plein cœur. Pas tant pour le manque d’un homme; ça pour moi, c’est affaire classée. Mais le fait de manger toute seule; faire des courses pour des aliments que je ne partagerai avec personne. C’est, je crois, le plus grand regret de ma vie en solo. » Très chère Diane Gagné, je vous comprends tellement. Dans un monde idéal, nous serions de grandes amies, nous échangerions des recettes et, à l’occasion, nous casserions la croûte ensemble.
« Chère Cora, il est si paisible de ne plus rêver aux hommes. On ne meurt pas pour autant. Au contraire, on renaît à la vie et aux autres ». Dame Michèle Paré, vous avez peut-être raison, mais j’espère quand même! J’en ai connu juste un et ce n’était pas un bon modèle. De grâce, laissez-moi espérer. Laissez-moi rêver d’une belle tête blanche sur mon oreiller.
« Vous décrivez si bien les sentiments que je partage avec vous d’ailleurs. Où est-il l’homme qui irait si bien avec moi? Faudra-t-il se faire à l’idée d’épouser le célibat jusqu’à la fin? Ne perdons pas espoir! » Je suis d’accord avec vous, chère Suzanne Duchaîne. Nous ne baisserons pas les bras.
« Il y a beaucoup d’émotion dans ce texte et, comme toujours, je suis très touchée par vos mots. Je comprends votre tristesse. Il y a des jours où même le soleil n’arrive pas à nous réchauffer le cœur. Mais l’amour prend toutes sortes de formes et parfois il se cache dans l’imprévu. Je vous le souhaite de tout cœur ». Merci, chère Danielle Locas.
« Madame Cora, j’ai une idée. Peut-être qu’il faudrait vous créer un amoureux imaginaire; votre homme idéal et en lui écrivant de belles lettres d’amour, vous allez l’attirer. Ce serait comme une forme de visualisation ». Je vais y penser, chère Lucie Beauregard! J’aime écrire et mon cœur serait capable de le décrire. Mais aurai-je le culot de publier cette description? Tout probablement. Qu’ai-je à perdre?
« Bon dimanche, tante Cora. Il faudrait bien que vous veniez visiter le Prêt-à-manger du IGA où je travaille, à Notre-Dame-des-Prairies. Votre Roméo s’y cache peut-être ». Merci, Ann Mary. J’y passerai certainement.
« C’est tellement réconfortant de vous lire, même dans les dédales de vos pensées moroses » m’écrit
Pauline L’Italien.
« Ces beaux ténébreux, grisonnants, ils nous attendent au détour du chemin », m’assure Katerine Ka.
« Que dire? Faut-il en rire ou en pleurer? Paix à votre âme et chaleur dans votre cœur. Gros bizous », me souhaite Murielle Tremblay. Il faut en rire, chère Murielle! Je me livre à vous pour vous faire réfléchir et pour vous divertir! Mon cœur est peut-être seul, mais il n’est pas triste!
« L’amour arrive avec sa valise de larmes », médite Lorraine Bowles (91 ans).
Merci tellement de m’accompagner fidèlement dans cette aventure ludique. Je badine, je rigole et je doute à l’occasion. J’espère que vous aurez trouvé ces quelques commentaires aussi inspirants que moi.
Cora
❤
J’ai besoin de vous, chers lecteurs. J’en suis à la deux cent onzième lettre et je me demande si je vous ai tout raconté. Je ne vois plus clair dans l’immense entrepôt de ma mémoire. J’imagine qu’en dessous des basses tablettes les souris dansent, et que sur, les plus hautes, des corneilles grappillent et déterrent de vieilles affaires.
Oui, oui! Comme la corneille, j’ouvre mon calepin de phrases célèbres et je tombe sur les magnifiques lignes de Mahatma Gandhi : « NOTRE POUVOIR NE RÉSIDE PAS DANS NOTRE CAPACITÉ À REFAIRE LE MONDE, MAIS DANS NOTRE HABILITÉ À NOUS RECRÉER NOUS-MÊMES. » En réfléchissant à cette phrase, je reprends courage. Moi qui me pensais usée, je réalise QU’IL N’EST JAMAIS TROP TARD pour me recréer.
Jamais trop tard pour… trier, garder ce qui m’est cher et élaguer tout ce qui m’encombre.
Jamais trop tard pour… pour écouter plus souvent mon cœur, car il sait des choses que mon esprit ne comprend pas.
Jamais trop tard pour… vouloir prendre soin d’un petit animal, un chat, un chien qui me rendrait plus sensible et plus affectueuse, tout le monde me le conseille.
Jamais trop tard pour… aller contempler plus fréquemment les vagues bleues de ma Gaspésie natale. J’en ai toujours envie et j’hésite à prendre la route la plupart du temps.
Jamais trop tard pour… m’émerveiller, pour laisser mes yeux boire le monde, admirer la nature et les grands sapins qui entourent ma maison.
Jamais trop tard pour… dire merci plus souvent, le dire du fond du cœur. Un merci sincère demande tellement peu d’efforts.
Jamais trop tard pour… tisser des liens, ouvrir mon cœur à de nouvelles amitiés et à de nouvelles aventures.
Jamais trop tard pour… améliorer la vie des autres autour de moi, la mienne n’en sera que meilleure.
Jamais trop tard pour… pimenter ma vie et ne pas laisser le train-train quotidien engourdir ma raison. Heureusement, l’écriture me permet d’être fofolle à l’occasion.
Jamais trop tard pour… apprendre à lâcher prise, pour me défaire de ce qui pèse sur mes épaules et s’accroche à mes chevilles.
Jamais trop tard pour… vieillir en beauté. Nous avons l’âge que nous donnent nos pensées et non celui que nous prête le calendrier. Des projets audacieux nous aident à rester jeunes à ce qu’il paraît.
Jamais trop tard pour… cultiver quelque chose. Planter une graine, regarder la fleur s’épanouir et en prendre soin. Mon comptoir de cuisine est rempli de plantes vertes et je leur fais des bisous pour qu’elles poussent plus vite.
Jamais trop tard pour… pardonner à quelqu’un qui nous a fait souffrir. La rancœur est un lourd fardeau. Pardonner interrompt le ressassement de nos chagrins, libère la pensée et allège le cœur.
Jamais trop tard pour… se lancer. J’ai débuté à 40 ans et ma carrière de femme d’affaires intrépide en témoigne.
Jamais trop tard pour… dire « je t’aime ». C’est un cadeau précieux. Disons-le souvent et, surtout, avec sincérité. Je meurs d’envie de pouvoir le dire à un prince charmant!
Où diable se cache mon âme sœur?
Cora
❤
Ayant passé la journée à peaufiner un poème d’amour, j’ai faim, mais rien ne me tente. Même pas l’asiatique que je préfère toujours lorsque j’ai le vague à l’âme. J’ai besoin de savon à vaisselle, de petits fruits pour ma santé, d’une papaye bien mûre, de quelques tranches de jambon et, j’en rêve tellement, d’une belle côtelette sur laquelle m’épancher. Vieillir en solo est un véritable coupe-faim.
J’ai toujours été seule, mais jadis j’avais ma merveilleuse entreprise à titre de compagnon. Nous apprenions ensemble, travaillions ensemble, développions de nouveaux marchés ensemble et je jubilais. Sautant d’un rayon de soleil à l’autre, j’étais au paradis.
J’ai besoin de crème à café. J’en bois tellement! Chaque fois que je m’ennuie, je pitonne sur la Keurig. Et vlan! Le chaud liquide ravigote mon esprit. Jamais de sucre dans mon café, si peu d’hommes dans mes pensées.
Les comptoirs de fruits me réjouissent. Moi qui, autrefois, me forçais à en manger, aujourd’hui je les savoure, surtout comme repas du soir. Je me compose de belles assiettes colorées auxquelles j’ajoute une portion de yogourt et de granola « keto ». En été, bien souvent, je garnis le tout de quelques fleurs sauvages. C’est tellement beau et ça réchauffe mon petit cœur esseulé.
Délaissant la pâlotte pulpe des ananas en bocaux de plastique, mon panier avance vers une grande table de desserts. Je zieute les renversés aux framboises, les gâteaux aux chocolat, les poudings chômeur et les nouvelles grosses galettes aux dattes de la fameuse Madame Labriski. Tout a l’air tellement bon! Merci, mais non merci. Je n’avale plus ces coupe-chagrins. J’affronte ma réalité de vieillotte laissée pour compte.
Je traverse rapidement l’allée des thés et des cafés de toutes sortes. Je n’ai pas un fin palais pour les liquides. Pourtant, dernièrement, une très bonne amie, entrepreneure et créatrice de mélanges d’épices, m’a donné une bouteille de rhum nommé « L’Assemblée ». Un rare élixir aromatisé avec les épices de ma copine Catherine de « LA PINCÉE ». J’ai beaucoup aimé! Bien sûr, pas tous les soirs, mais lorsque le cafard regarde un film avec moi, j’en bois une lampée. Pour un moment, ça ressuscite mes espoirs endormis.
Dans l’allée des surgelés, je sasse et ressasse de vieilles idées. Où est donc la meilleure crème glacée? L’enfance dorée que l’on m’a volée? Tous mes mots se défrisent juste à y penser. Reverrai-je la Baie-des-Chaleurs avec ses falaises rouge feu, son vieux quai renfoncé entouré d’anguilles aux petites dents coupantes? J’y suis allée il y a deux ans et j’ai eu peur d’entrer dans l’eau glacée.
Devant les pizzas surgelées, mes doigts de pieds gèlent. J’ouvre une grande porte et la referme aussitôt. Même si je vois sur les boîtes les jolies bouilles des plus beaux mecs de par ici, j’ai envie de dire que toutes les bonnes pizzérias sont décédées. Je me souviens du temps où j’aimais tellement les pâtes et les pizzas.
Où diable sont les petits pois verts surgelés? Ma petite-fille viendra demain et je vais lui cuisiner son plat favori : des « arakas » (des petits pois). Dans une casserole, faire sauter des petits cubes de veau avec des oignons coupés fins et des tomates broyées. Lorsque la viande est tendre, ajouter les petits pois, du sel, du poivre et de l’aneth frais (si possible) en abondance. Laisser mijoter tout doucement jusqu’à ce que la faim ouvre le couvercle. Ai-je encore du pain à la maison? Peut-être une baguette Première Moisson?
Au comptoir des poissons, l’homme grisonnant me sourit. Je l’aime tellement, mais son anneau de mariage brille encore à travers les écailles de poissons. Décidément, tous les bons hommes ont été harponnés. Qu’ai-je donc fait au Bon Dieu pour mériter cette infortune? Ouache! J’ai soudainement envie de brailler : le comptoir de morue est vide!
— « Je vous promets, j’en aurai demain! », dit le poissonnier sérieusement désolé.
C’est ce soir que je veux être consolée. Quelques tranches de jambon dans une demi-baguette pourraient-elles me calmer? Tout est vague dans ma tête, tout est vide dans mon cœur. Vais-je un jour arrêter de clamer mon manque d’amour? Les sages disent que « Ce sur quoi l’on insiste se manifeste ». Si je change mon fusil d’épaule, les hommes seront-ils tous à mes pieds? Peut-être!
Accrochée au panier, je traîne de la patte. Dans l’allée des spaghettis, des linguinis, des rigatonis, tout m’indiffère; même mes anciens héros, les beaux Stefano et Ricardo. À droite, les sauces blanches, à gauche les rouges. Le ciel tout blanc, l’enfer tout rouge. Dans celle des grignotines et des colas, un vieillard bedonnant tâtonne les gros sacs de croustilles. Il me sourit et je lui réponds :
— « Oui, oui! Les meilleurs sont les chips Kettle au sel marin. »
— « C’est la mémoire qui dégringole en premier, dit le vieux au sourire édenté. Ma tête oublie jusqu’au nom des biscuits préférés de ma chère Clémence. »
J’évite l’allée des cornichons, des olives et des légumes marinés. Peut-être un pot de betteraves pour accompagner mes fameux pâtés au saumon que je veux faire incessamment? Le saumon en conserve m’attend dans l’armoire depuis assez longtemps. Je constate que je suis définitivement moins vaillante qu’avant. Serait-ce l’âge qui me contrarie? La fainéantise qui me courtise? Ma sauce aux œufs est la meilleure au monde. Juste à y penser, j’ai faim!
Arrivée devant le réchaud à poulets BBQ, j’imagine ma dernière heure : mon corps parfumé d’épices piquantes, ma poitrine un tantinet croustillante, mes cuisses bien cuites, attachées ensemble. On m’enrubanne de papier glacé et on me garde au chaud. Les affamés passent et repassent devant le comptoir brûlant et tout comme dans mon ancienne vie, j’ai encore l’impression qu’ils m’ignorent.
On finit tous par passer à la caisse et je crois fermement que c’est l’addition de tous nos bons coups qui coûtera le moins cher. Quant au Roméo de mon cœur, peut-être devrais-je agrandir mon territoire de chasse? Sortir du village et arpenter les grandes surfaces de fringues au rabais.
Je badine, je rigole, ces mots enivrés de chagrin
bayent aux corneilles juste pour étirer le temps.
Qui donc s’occupera de moi de l’autre côté?
Quelquefois, j’ai peur et je pleure dans les allées.
Si peur que mes doigts ne peuvent plus vous parler!
Cora
❤