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28 octobre 2022

Un bonheur facile

Désœuvrée, l’autre soir je regardais la télé plus ou moins intéressée par ce qui grouillait sur l’écran. Déjà en pyjama et pantoufles de feutre, j’avais, sur la table basse du salon, un cabaret contenant mon souper refroidi; une petite omelette épinards-cheddar, des crudités et deux ronds de bagel. Mon corps était à demi étendu sur le divan rouge, et ma tête se vidait de quelconque intérêt.

Soudainement, le son de l’appareil parlant augmente. Il s’agit sûrement d’une publicité. Et voilà que je me sens happée par une voix divine, profonde et souriante à la fois, une voix qu’on dirait tout juste sortie d’une chorale d’anges. Cette voix sans visage m’annonce qu’en savourant un chocolat Lindt, j’allais fondre de bonheur! Wow!

L’émission en cours s’appelle LES MOMENTS PARFAITS. Je soulève mon corps et je m’assois droite comme un soldat devant son commandant. Mes yeux dévorent l’écran. La voix de l’annonceuse m’enveloppe, exactement comme l’auraient fait les longs bras d’un amoureux. Un tout petit chocolat de rien du tout remplit l’écran. Un chocolat Lindt capable de me faire fondre de bonheur. Je me lève et marche un peu pour digérer le message. Quoi d’autre vont-ils dire à qui veut l’entendre? C’est une immense déclaration concernant un tout petit chocolat d’à peine deux centimètres et demi de diamètre. Et j’imagine les réactions des mémés dans mon genre, toutes disposées que nous sommes à croire au grand amour.

Croyez-le ou non, le lendemain matin à Sainte-Adèle, au nouveau café de Marc Hervieux, mes vieux amis et moi nous esclaffons comme des ados en vacances. Nous approchons tous les soixante-quinze ans et nous rêvons encore. Tous m’encouragent à me procurer ces chocolats magiques. Et OUI! J’y suis allée le midi même. Parce qu’il y a un magasin Lindt à quelque 10 minutes de chez-moi en bordure de l’autoroute 15, au Premium Outlets Montréal, situé à Mirabel. On nous donne un gros sac à remplir en choisissant nos saveurs préférées. Peu habituée à de telles gâteries, j’en prends 5 ou 6 de chaque sorte et je remplis mon sac pour environ 30 $, taxes incluses.

En sortant de chez Lindt, j’aperçois dans une vitrine d’en face mes bottes d’hiver favorites. Des OLANG rouges avec crampons. J’entre, je soulève quelques modèles estampillés à 350 $ et je recule. Il me semble que les OLANG sont beaucoup plus chères cette année. Un gentil commis approche pour me servir. Je suis du genre grippe-sou, surtout en vieillissant. Dans ma tête, je cherche un prétexte pour sortir du magasin.
– Monsieur, tous vos modèles sont rouges ou noirs. Auriez-vous du brun comme mon manteau de fourrure?
– Attendez, chère dame. Il me reste quelques modèles de l’an dernier. Quelle pointure portez-vous?
– Du 41.

Et l’homme disparaît dans l’arrière-boutique pendant quelques longues minutes. J’adore les bottes OLANG rouges avec crampons. Mes dernières et avant-dernières étaient rouges. Je les ai portées jusqu’à la corde. Mais on dirait qu’aujourd’hui, flambant neuves, je les trouve hors de prix. J’ai vraiment un manteau de fourrure que je porte très peu. Acheté, du temps de la madame Cora, il y a presque 15 ans, il est encore presque neuf. Il est réversible et, lorsque je le porte, j’ai toujours la fourrure à l’intérieur, pour encore plus de chaleur.

Le commis revient avec un immense sourire et une grosse boîte portant le logo OLANG.
– Madame, vous êtes chanceuse! Il m’en reste une paire de 41. Des brunes par surcroît.
Je les essaie, et m’empresse de demander le prix.
– C’est un modèle de l’an dernier à moitié prix! Est-ce la couleur de votre manteau de fourrure?
– Oui, oui!

Sans mentir, c’est exactement la couleur de mon manteau. Et je me trouve la plus chanceuse des femmes. Avec ces nouvelles bottes brunes à crampons, je vais certainement porter ma fourrure plus souvent. À la caisse, j’ouvre mon sac de chocolats Lindt devant le commis et je lui en donne trois. Je le dévisage un instant pour constater l’effet du chocolat. Et littéralement, il FOND DE BONHEUR. Ses yeux pétillent, ses joues rosissent et ses lèvres sourient. J’entends alors le PLUS SAVOUREUX DES MERCIS.

J’ai vraiment l’impression que je vais faire du millage avec mes petits chocolats Lindt. Quel que soit le moment, quel que soit l’endroit, c’est moi qui vais fondre de bonheur en offrant le plus souvent possible ces délicieuses petites boules d’amour au chocolat. Au fond, au fond du fond, la publicité avait raison : le chocolat Lindt fait fondre de bonheur quiconque en reçoit ou en donne.

22 h 28
Encore une photo par texto. Mon premier fils a les doigts maculés de couleurs vives. Il peine, il pleure, il peint à cœur de jour, cherchant une lumière capable d’endormir ses courtes nuits. Quelques fois, il m’envoie une photo d’une toile plus noire que l’obscurité totale et il me demande si j’y vois un dragon? Un pèlerin perdu dans la forêt? Un bateau à la dérive? Ce fils est un artiste. Celui qui voit des choses qui n’existent pas encore. Il peut passer une semaine entière à coiffer la houle d’une mer agitée, caressant chaque vague qui déferle ou se brise sur la plage. Lorsqu’il joue avec dix teintes de bleu, sa patience est comparable à une nonne bouddhiste. Et j’assiste à la construction de l’œuvre qui dure quelques fois jusqu’à plusieurs semaines. Nous avons cela en commun, lui et moi; l’ébauche. Cette première esquisse encore imparfaite que l’on donne à l’ouvrage. Ces brouillons de texte ou de dessins sont très semblables. Ils s’aventurent tous vers un réel commencement. Un titre provisoire, une première couche de couleur emprisonnée bien souvent sous une montagne de doutes et d’hésitations.

Les agencements de mots sont beaucoup moins salissants que la peinture, mais leur signification est longue à venir. Tels des bambins indisciplinés dans une cour d’école, les mots doivent attendre que la cloche sonne pour avancer en ligne droite. Bien souvent, la récréation dure plusieurs jours dans ma tête. Les mots titubent et louvoient sur une patinoire glissante. Et j’en souffre. J’attends. Je doute de mon talent. J’implore mes muses ou la bénédiction du ciel. Je devrais pourtant me souvenir de la fable de Jean de La Fontaine « Le lion et le rat ». Me rappeler aussi qu’il est inutile de s’énerver lorsque l’on est confronté à une difficulté, et qu’il faut au contraire faire preuve de patience et agir posément. Dieu du ciel, voici le fameux : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » que me radotait maman lorsque je rageais à finir mon tricot, à corriger ma dictée, à nettoyer la chambre des fillettes, à équeuter le gros bol de fraises, ou à plier toute une cordée de serviettes séchées au soleil. Tout s’entremêle dans ma tête, le nouveau et l’ancien de chaque paragraphe, de chaque souvenir. Ma vie sera-t-elle assez longue pour calmer mes ardeurs?

Cora

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