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1 avril 2022

Un loup dans ma cuisine

Quelle étrange impression s’empare de moi ce matin? J’ai peur qu’un loup soit entré dans ma tête; un loup affamé d’histoires abracadabrantes; un loup dont les interminables hurlements emplissent ma caboche.

Et comment vais-je raconter cela au véritable monde; à mes précieux lecteurs, à tous ceux qui hier félicitaient ma belle plume? Que m’arrive-t-il? Les anges par grand vent auraient-ils perdu mon adresse? Et ce ciel impassible, va-t-il me tomber sur la tête si ce loup dévore mes paragraphes? Que deviendrais-je sans histoires à raconter, sans lecteurs à divertir et sans mots pour me nourrir? Que me veut ce fauve aux yeux jaunes tout juste sorti d’un quelconque cauchemar? Devrais-je avoir peur?

Encore attifée de fringues de lit, je tourne plusieurs fois autour de la table de cuisine comme si j’allais courir le marathon de Boston. Le regard mystérieux du loup me transperce à chaque tournant. Et soudain, je frissonne. J’ai peur que s’envolent mon imagination, mes espoirs et le fol objectif que j’ai tout récemment installés dans ma caboche.

D’ailleurs, c’est peut-être cette nouvelle folie qui attise l’animal! Ce cœur de vieillotte aguerrie qui maintenant s’emploie à chercher son âme sœur. Je fige sur place devant l’animal qui, soudainement, étire sa tête vers moi. Comme pour me parler, un étrange hurlement entrecoupé de mots inaudibles s’écoule de sa gueule; un hurlement si doux et si précieux qu’on aurait dit qu’il me le donnait avec sa propre main. Essayant de ne pas le dévisager, je remarque pourtant que le jaune de ses iris passe au vert profond. Comme si, tout d’un coup, l’animal s’adoucissait.

Ma gorge, aussi sèche qu’un désert, peine à réagir. Ce fauve est-il aussi méchant que je l’ai imaginé? Aurait-il, lui aussi, comme dame corneille, quelque chose à me dire? Un long moment, le loup reste immobile et muet; ses yeux s’enfoncent dans les miens. Peut-être voyait-il quelques prières s’échapper de mes lèvres et grimper vers là-haut? Peut-être même qu’un ange invisible lui flattait le museau? Que faisait-il dans ma cuisine sans vouloir m’attaquer?

Mes entrailles s’impatientent. J’ai un urgent besoin de caféine. Osant bouger, je remplis le réservoir d’eau, j’allume la machine et je prends la crème dans  le frigo. Oserai-je lui offrir quelque chose à boire ou à manger? Et d’ailleurs, que mangent les loups pour déjeuner? Malgré toutes ces années en cuisine, j’en connais encore si peu de mon métier!

Et voilà que soudainement l’animal ouvre la bouche. « Alors, vieille grand-mère, voilà que tu cherches l’amour », proclame l’animal mi-figue, mi-raisin. Audacieuse, je lui explique que je cherche le plein épanouissement avant de quitter l’ici-bas, une grande main dans laquelle déposer la mienne, un cœur bienveillant, un doux langage et des yeux aussi attirants que les siens en cet instant magique.
— N’aie crainte grand-mère, je vais t’aider dans ta quête. C’est d’ailleurs ma spécialité en ce bas monde. J’aide les personnes âgées à vivre plus heureuses et plus longtemps.

Tout d’un coup, comme pour signer sa promesse, un éclair de soleil envahit la cuisine.
— Gentil loup, veux-tu déjeuner avec moi, boire un café chaud et mordre dans un toast bien grillé?
— Non merci, chère nouvelle amie. Ma compagne bienveillante m’attend à l’orée du bois. Nous allons pique-niquer près de la rivière. Et l’animal de bondir hors de la maison aussi vite qu’il y était entré.

Plus je vieillis et plus j’ai tendance à surestimer mes peurs; à en faire, quelques fois, des méchants loups capables de m’occire. Certains jours, ces bêtes imaginaires envahissent mon présent et menacent ma paix d’esprit. Depuis que j’ai déclaré mon audacieux désir de trouver une âme sœur, on dirait que la peur m’assaille sous toutes ses formes. Peur d’être trop vieille, peur d’être ridicule, peur de ne pas plaire à l’élu et peur que personne puisse vouloir s’intéresser à moi. En éprouvant la peur, peut-être apprendrais-je à mieux la connaître? Peut-être découvrirais-je qu’elle n’est qu’un fantôme évanescent, une ombre fugitive me poussant hors de ma zone de confort. Peut-être aussi qu’en prenant de l’âge, j’ai un peu oublié mon courage, mon audace et ma ténacité; toutes ces qualités qui jadis ont fait de moi une meneuse. Qu’à cela ne tienne, j’ai maintenant un bon loup dans mes parages et je n’aurai plus peur.

Heureuse de l’avoir rencontré, je vais continuer d’écrire jusqu’à contraindre ma vie à valoir son pesant d’or.

🐺
Cora

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