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10 février 2023

Un samedi tristounet

7 h 32 au café du village
On dirait, ce matin, que la neige a mangé un coup de poing en plein visage. Noir de boue, le stationnement du café ressemble à l’enflure noiraude d’un visage massacré. Même nous, les gentils premiers clients, avons tacheté le plancher en ciment gris pâle du café. Dehors, la froidure faiblit, le balcon dégoûte à gros bouillons et les immenses glaçons, soudés aux corniches extérieures du bâtiment, plongent dans le vide.

Confrontés de plus en plus souvent aux énigmatiques incertitudes climatiques, seuls mes yeux semblent retenir leurs larmes. Et pourtant! La page B6 du journal LE DEVOIR du 14 et 15 janvier de ce début de Nouvel An affiche 12 photos d’avis de décès : huit hommes et quatre femmes. D’habitude, il en montre quatre ou six. Je suis toujours surprise et quasi heureuse de constater que les trois-quarts des morts sont plus vieux que moi.

Chaque samedi matin, je fais le plein d’essence au Couche-Tard du village et j’achète les journaux du week-end. Je les épluche consciencieusement : les nouvelles internationales, la guerre en Ukraine, le devoir de PHILO, la situation dans les hôpitaux, l’encart PLAISIRS, la section LIRE, VOIR ET CULTURE ainsi que la pénible section AVIS DE DÉCÈS.

L’âge des morts m’intéresse au plus haut point. Je lis la courte biographie de chacun d’entre eux et je cumule les statistiques qui m’intéressent. L’année de naissance, l’âge de la mort, l’état matrimonial, l’emploi dominant et l’endroit de la mort. Quelques fois, je pleure de peur parce que les morts sont très près de mon âge, et assez souvent, je me réjouis parce qu’ils sont beaucoup plus vieux que je ne le suis.
Ainsi, aujourd’hui sont affichées quatre femmes dont l’âge du décès est 77, 85, 95 et 99 ans. Et 8 hommes décédés à 73, 75, 80, 83, 88, 93, 96 et 99 ans. Ça ne veut certainement pas dire que plus d’hommes que de femmes meurent, ni que j’aie encore 24 belles années à vivre.

L’importante question est peut-être de savoir si l’homme s’use plus rapidement que la femme. Y avez-vous déjà pensé?
— « GOOGLE, aide-moi ». Et la machine de répondre vitement : « Selon le magazine QUÉBEC SCIENCE, fondé en 1962, au Québec, l’espérance de vie à la naissance est de 80,6 ans chez les hommes et de 85,5 ans chez les femmes. Personne ne s’en émeut, puisque c’est comme ça dans toutes les sociétés du monde, à divers degrés et même chez beaucoup d’autres mammifères. Et patati et patata. À ce qu’il paraît, les “structures microscopiques” qui fournissent l’énergie à nos cellules sont mieux adaptées aux femelles. Ainsi, c’est la mère qui lègue ces structures à sa progéniture, et une fonction de la sélection naturelle ajuste par la suite cesdites structures au métabolisme féminin, au détriment des mâles ».
— OUACHE!

Je me demande ce qu’en dirait ma petite-fille (21 ans) qui termine ses études universitaires au printemps. Je sais qu’elle envisage d’aller plus loin dans sa connaissance de l’humain et je vais lui parler de cet épineux sujet.

À travers la « bay window », je dévisage un soleil printanier qui essaie de nous leurrer; de nous faire accroire que demain, les pissenlits envahiront nos plates-bandes. En sortant, je constate que tout le stationnement est rempli d’automobiles et de skieurs de fond qui s’empressent de rejoindre, derrière le café, la piste cyclable encore passablement enneigée. Je me réjouis d’admirer tous ces faciès de sportifs bienheureux. J’ai chaussé des skis une seule fois dans ma vie et j’en ai perdu un dans ma troisième descente. Ce fut donc pour moi la fin de ce plaisir hivernal. La vie tourna la page.

Midi
J’ai toujours un peu faim après un avant-midi d’écriture, surtout qu’hier soir j’ai presque jeûné en me contentant de dégeler un restant de soupe « dinde et petites nouilles ». Il faut quand même accommoder les restes de l’oiseau de Noël.

Nous étions 22 attablés comme des ogres autour de deux longues tables aboutées ensemble et placées de travers dans mon immense cuisine. Ma grande fille se porta volontaire pour étaler toute la nourriture de circonstance sur les comptoirs, le chaud sur le poêle à huit ronds avec les tourtières ronronnant dans le four et les boulettes mijotant dans le ragoût. Quelle extraordinaire bénédiction que nous soyons enfin revenus à notre habituel réveillon!

Nous ne sommes pas des gens qui fêtent à tout bout de champ, mais Noël doit redevenir, je l’espère, un rassemblement immanquable.

Cora

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