Déjà vingt jours d’isolement dans la maison des Laurentides que j’habite depuis 30 ans. J’y demeure avec des milliers de livres, dont une centaine au minimum sont des livres de cuisine.
Il y a aussi des plantes vertes un peu partout, des divans installés stratégiquement devant les grandes fenêtres et, le roi de la maison, un immense poêle à gaz à deux fours (presque aussi vieux que moi) sur lequel j’expérimente depuis toujours mes idées susceptibles de devenir d’excellents plats de déjeuner. Chercheuse invétérée, vous vous doutez bien que mon principal intérêt dans la vie c’est d’offrir aux Canadiens les meilleurs déjeuners au monde. Et, même si aujourd’hui, une équipe de plusieurs spécialistes ont cette responsabilité dans l’entreprise, j’aime toujours mettre la main à la pâte.
Je suppose que vous aimeriez vous aussi surprendre votre maisonnée avec une bonne crêpe brassée maison et garnie avec le fruit de votre imagination. Et je vous aide s’il le faut.
- Dans un grand bol, mettez de la farine (environ 2 à 3 tasses selon le nombre de bouches à nourrir)
- Ajoutez environ 2 tasses de lait et mélangez avec un fouet jusqu’à obtenir une pâte lisse
- Ajoutez 2 ou 3 œufs et brassez
- Ajoutez un filet d’huile dans le mélange, une pincée de sel et tout votre amour du moment
Versez le mélange dans un grand pichet, couvrez et laissez au frigo le temps de mettre la table.
Je vous laisse faire vos expériences et surtout découvrir les mesures justes d’ingrédients selon le nombre de personnes à satisfaire.
Vous pourriez utiliser du sirop d’érable puisque c’est la saison, ou faire comme chez nous du délicieux sirop maison à la vanille.
Mais attention! Le sirop maison c’est comme la confiture aux papayes dont je vous parlais hier, ça demande de l’expertise au bout des doigts et une bonne gousse de vanille.
Vous souvenez-vous, chers lecteurs, de cette prénommée Isabel qui m’a interrogée à quelques reprises? La voici encore qui me supplie cette fois-ci d’interroger l’écrivaine que je suis en train de devenir. Et j’ai dit oui. Oui parce que cette jeune journaliste a de la suite dans les idées et parce que ce livre qui bientôt sera en librairie mérite peut-être quelques bons mots. Je déplie donc son courriel de questions et une après l’autre, je lui réponds.
— À titre d’auteure, quel est votre plus grand désir?
— Mon plus grand désir est sans contredit la possibilité de vivre jusqu’à cent ans. Non pour battre des records de longévité, mais pour avoir l’opportunité d’écrire le plus longtemps possible. Plus j’écris et plus j’améliore mon écriture. Je suis un tantinet perfectionniste et j’aime abonnir tout ce que je fais. Les mots sont mon champ de bataille préféré; les lourdauds, les boiteux ou les têtes vides n’ont aucune place sur mes lignes. En écriture comme en affaires, j’ai fait mes premiers pas sur le tard. J’ai ouvert le premier petit resto d’une grande chaîne à 40 ans et c’est la pandémie mondiale qui m’a ouvert, à 72 ans, la grande porte de l’écriture.
— Quand et comment vous est venue l’écriture?
— En septembre 1954, lorsque j’ai commencé ma première année, j’ai tout de suite été éblouie par le pouvoir des lettres de l’alphabet et j’ai vite appris à construire des mots. Comme la vie de mes parents tristounets déteignait sur nous, les enfants, j’avais pris l’habitude d’écrire en cachette sur n’importe quel bout de papier tout ce qui se passait dans la maison. L’extraordinaire pouvoir des mots m’accompagne depuis toujours.
— En qui ou en quoi croyez-vous, madame Cora?
— Je crois en la force créatrice de la vie et en Celui qui, le premier, a dit « Que la lumière soit ». Même lorsqu’elle se repose et couvre ses yeux de noirceur, la Lumière est. Il y a, selon moi, cette divine programmation du temps qui ne s’arrêtera jamais.
— Quel défaut pouvez-vous vous pardonner?
— Peut-être la gourmandise puisque je suis appelée à goûter tout ce que nous servons et projetons de servir à nos précieux clients. Trente-six années plus tard, je tiens encore mordicus à l’intégrité du concept Cora.
— Quel mot vous définit le mieux?
— Il n’y en a pas qu’un seul! Je suis une gardienne de beaux mots, une plume vaillante, constante et suffisamment créative pour divertir un très grand nombre de lecteurs du dimanche.
— Est-ce facile d’écrire?
— Ça l’est tellement lorsqu’on croit au pouvoir magique des mots; à leur unique façon de semer de belles phrases entre les lignes.
— Où trouvez-vous l’inspiration?
— Un peu partout. Tout m’inspire! La glorieuse banalité du quotidien est ma source d’inspiration première. À cet effet, écrire dans un café est un incomparable spectacle. De l’étrange bouille d’un nouveau client jusqu’au pourtour de son petit cœur, j’observe, je fouille, je scrute et je fabule jusqu’à ce que je découvre de quel bois se chauffe cet énigmatique sourire. Après quatre jours, quatre semaines, bien souvent un étranger devient un habitué de l’endroit.
— Avez-vous un dada particulier concernant votre écriture, une difficulté, une manie?
— J’ai toujours été plus patiente que la patience lorsqu’il s’agit de l’écriture. Lorsqu’une bonne idée m’arrive, je l’entrepose dans mon calepin d’écriture et j’attends. Lorsqu’un léger déploiement de l’idée semble avoir suffisamment mariné dans ma tête, j’entreprends de taper sur l’iPad quelques phrases annonciatrices de l’intrigue. Ligne après ligne, j’avance lentement. Implorant dame inspiration et la fée des jolis mots, plusieurs paragraphes tombent du ciel et meublent l’histoire. Maniaque de la correction, je relis mon texte à outrance. Toujours, toujours en essayant de l’améliorer. Peut-être devrais-je avoir davantage confiance en mon talent?
— Dans quel état d’esprit êtes-vous lorsque vous écrivez?
— Lorsque j’écris, je suis la plus heureuse des femmes; réceptive à l’inspiration, privilégiée, dirais-je. Comme je ne suis pas une écrivaine de métier, je ne m’attends jamais à de grands éloges. Je demeure modeste et confiante en l’avenir.
— Ce livre qui sortira le 27 septembre prochain, qu’en pensez-vous?
— Je crois que c’est un bon début pour une vieillotte s’essayant à l’écriture. J’ai ce souffle brûlant d’espoir. Ma tête demeure un terreau fertile où je n’ai qu’à tirer du néant les jeunes pousses et attendre qu’elles éclosent à leur aise. Écrire pratique ma patience, mon endurance et ma vaillance. « Que du bon », dirait sœur Marie-Ange de ma troisième année en Gaspésie.
Cora
❤
J’ai en tête une terrible histoire dont je voudrais me libérer avant que ma mémoire s’endorme ou flanche tout d’un coup. Il s’agit d’un certain personnage dont je ne connaissais pas le nom. Cet homme ébouriffé, vêtu de guenilles et malodorant, quêtait neuf à dix mois par année au fameux carré Saint-Louis de Montréal. Traversant le parc chaque jour vers dix-sept heures trente pour rejoindre mon logis, je le croisais, le dévisageais, l’examinais et humais son parfum de lait suri.
J’ai vite appris d’un voisin de palier, que l’homme, appelé Arthur, refusait pour lui-même quoique ce soit qu’il aurait pu donner à plus pauvre que lui. D’après le voisin, chaque année, c’étaient les premières tempêtes de neige qui poussaient le quêteux vers l’ouest du pays.
À Vancouver, me conta le voisin, Arthur passait quelques mois au chaud à ramasser les seringues et les détritus des drogués habitant les cours arrière des cinq ou six pâtés de maisons situées sur la fameuse rue Hastings. Il nourrissait les affligés, consolait les désespérés et encourageait les jeunes accros à s’en sortir. Arthur quêtait aussi à ses heures, amassant des vingt-cinq sous pour fournir à manger aux plus démunis. Lui-même se contentait de boire quelques boissons gazeuses et de manger les restes de nouilles frites laissées pour compte dans les cantines asiatiques avoisinantes.
Selon moi, qui le croisais chaque jour à Montréal, cet étrange Arthur avait toujours l’air d’avoir un dard d’abeille planté dans une fesse. Il boitillait, se déhanchait, traînait la patte et criait aux mouches de lui ficher la paix. En dernière année de collège, mon père m’avait loué une chambre en ville pour éviter les longs allers-retours vers notre maison de banlieue. C’est ainsi que les jours de semaine, lors de mes déplacements, je croisais Arthur le quêteux.
Ayant appris du voisin sa prétendue histoire, j’étais des plus perplexe. Qui était cet homme mystérieux? Depuis quand quêtait-il? Voilà qu’au lieu de quitter ma chambrette pour les vacances de Pâques, j’ai décidé de rester en ville pour espionner Arthur. Oui, oui! J’allais m’asseoir sur un banc du carré Saint-Louis avec le journal du matin et un cahier ligné pour supposément avancer l’écriture d’un roman policier.
J’arrive donc très tôt Vendredi saint au matin dans le parc quasi vide. L’herbe mouillée de froidure détrempe mes bottillons. Un jeune policier à bicyclette y est déjà et je le salue. Au fond du parc, en retrait sous un immense chêne, quelques soûlons endormis cuvent leur vin. Les piétinant gaiement, des dizaines d’écureuils cherchent des glands pour leurs déjeuners. Grelottant sur mon banc, je fais semblant d’écrire. Dans ma tête, j’imite l’ingéniosité du fameux capitaine-détective Jacques Cinq-Mars dont je viens tout juste de lire le dernier exploit. Connu comme Barabbas dans la passion, cet Eliot Ness montréalais aiguise soudainement ma curiosité.
Où est donc passé le quêteux dépoitraillé et généreux? Mes yeux ratissent l’horizon. Nada! Quatre femmes d’âge mûr s’approchent de mon banc. Elles virent à droite et avancent vers une longue table à pique-nique, elles s’y assoient et parlotent à voix basse comme si elles avaient quelque chose à cacher.
L’heure avance et assèche le tapis de rosée. « En avril, ne te découvre pas d’un fil », disait ma mère. Mon roman imaginaire est au point mort. Je suppose qu’Arthur dort encore. Serait-il en train d’attendre le chant des cigales pour se réveiller; la douceur du vent ou le mûrissement des premières framboises?
Le soleil est à son zénith, dirait grand-père Frédéric et mes yeux s’affolent. Ils tricotent des nuages d’inquiétude. Mais où est donc Arthur? Je ne le vois nulle part. Sous le gros chêne, un à un les soûlons se réveillent fripés comme des paillassons. Ces hommes auraient-ils entrevu Arthur? L’auraient-ils malmené, saoulé, rudoyé et caché?
L’officier à bicyclette a changé de visage. J’ai faim, j’ai soif et mes jambes ankylosées me font très mal. Je me lève et marche un peu. Les quatre femmes d’âge mûr chuchotent encore. En m’approchant de leur table, je réalise pourtant qu’elles ont changé de diapason. La plus vieille parle vite et plus fort. Comme si quelque chose de grave devenait évident, flagrant, épeurant. Quelle étrange sensation!
De loin, un sifflement de sirène tranche l’horizon. Les quatre femmes se lèvent et courent vers l’ambulance. Une foule de badauds encercle le carré Saint-Louis. J’essaie d’interroger un ou deux itinérants, mais personne ne me répond. Ils savent tous ce qui arrive, mais ils restent muets. Plusieurs habitués plient bagage et quittent le gazon. Ce sont des habitués de l’endroit, je suppose. Des voisins des environs, des passants fatigués, des vieillards endimanchés, des artistes en attente d’inspiration; de simples promeneurs, peut-être même des chômeurs.
Tel que je l’avais prévu, le lendemain, je reviens m’asseoir sur mon banc et entreprends de noircir les pages de mon cahier ligné. J’y passe quelques heures, plusieurs larmes diluant ma frayeur.
Arthur est mort. Selon les ambulanciers, son cœur généreux se serait arrêté de battre vers quinze heures, ce Vendredi saint 12 avril 1968. Son corps dépouillé, brutalisé, et finalement tué, a été trouvé dans une ruelle adjacente au fameux carré Saint-Louis.
J’apprendrai dans le Journal de Montréal que l’enquête fut confiée au capitaine-détective Jacques Cinq-Mars. Je découvrirai aussi, quelques semaines plus tard, que monsieur Arthur V. fut un homme très riche, très connu et très éprouvé. Sa femme et ses quatre enfants ont péri dans l’incendie d’une de leurs résidences secondaires à l’étranger. Arthur a voulu tout donner, tout disperser et il a consacré le reste de sa vie à aider les démunis.
Je m’en veux encore aujourd’hui d’avoir douté d’Arthur le quêteux! Les apparences sont souvent trompeuses.
Cora
❤
Dire OUI à la vie c’est consentir à ce qui nous arrive, à ce qui se présente à nous. Face aux diverses épreuves de la vie, je ne me suis jamais révoltée. J’encaissais et en cachette, j’écrivais. C’était en quelque sorte ma façon de résister au courant d’agressivité que j’ai eu à affronter pendant de longues années.
Écrire, même avec une encre diluée par les larmes, m’a permis de m’inscrire dans le temps et aussi de planter des repères dans l’immatérialité de cette horrible odyssée. Mon calepin ne consignait point les dates, mais les faits. Les calamités du quotidien, les explosions de tristesse, l’injustice du sort, l’amertume collée à ma peau, la désespérance menaçante et les continuels ressentiments qu’à contrecœur j’entretenais.
Selon l’auteur Hélène Dorion, dans son beau livre intitulé RECOMMENCEMENTS, « notre façon d’aimer prend sa source dans l’enfance, à travers la satisfaction ou non de nos besoins fondamentaux et par les expériences émotionnelles déterminantes que nous y faisons. Eden ou affres, c’est là où se creusent nos blessures ou s’édifient notre première vision de l’amour et du lien. »
J’ai assurément manqué le bateau en ce qui concerne l’affection, la tendresse, l’apprentissage des choses de la vie et l’amour, cet innommable trésor qui assure la continuité de l’espèce. Mariée sans crier gare, j’avais déjà dans mon ventre des orteils minuscules, un petit sexe visible, un embryon presque prêt à sortir de sa zone de confort. Mais déjà l’enfant ne voulait pas affronter ce monde du dehors. Il fallut l’arracher de mes chaires avec cet horrible instrument d’extraction métallique en forme de pince. Sa frêle ossature marquée à jamais sur le côté droit de son front.
Tous ces morceaux d’histoires à la dérive dans ma tête; mosaïque flottante de détails agressants. Tous ces appartements de fortune du temps du mariage. Ces troisièmes étages moins chers et miteux, ces escaliers trop longs et trop dangereux, ces coquerelles nocturnes envahissant la cuisine, ces cordes à linge bord en bord du logis. Ni cadre, ni plante, ni beau divan, ni tapis. Tout était usagé, outrageusement usé.
Je prolonge cette page parce que ma bouche déborde de mots. J’écris, je rature et je compose. Toujours, toujours, l’encre s’agite. Certains paragraphes ne sont que de petits vestibules, des phrases assassines qui n’entreront jamais dans la maison; des horribles pensées qui s’agitent et tourmentent ma logique.
Ces lieux de l’enfance, ces gestes, ces mots s’enfuiront-ils peu à peu de ma mémoire? Assise sur le divan bleu, mes pieds touchant à peine le sol, j’ai peut-être quatre ou cinq ans et je suis triste comme la pluie tombant lentement. Papa écoute encore Mario Lanza. Devant moi, quelques grosses larmes glissent sur ses joues et sautent dans le vide. Je voudrais les toucher, prendre un de ses gros doigts dans ma main et pleurer avec lui.
Tac, tac, tac dans la cuisine, maman hache un oignon pour le ragoût du souper. Elle a mis ses gants blancs qui se mouillent à mesure que l’oignon crache son jus. Tac, tac, tac les dés de carottes sautillant dans le bol en fer blanc.
Mes phrases sont des morceaux éparpillés de rêves et de réalité; de présences immatérielles plus bavardes bien souvent que des aigles adolescents.
Ces jours-ci, je découvre le poète suédois Tomas Tranströmer (avril 1931-mars 2015). Je bénis sa grande force d’écriture, son savant mélange d’allégories et de fidèles descriptions de l’univers naturel et cosmique. J’aime beaucoup ce poète qui, à travers une série d’expériences intérieures, n’a de cesse de soulever les grands mystères de l’existence.
M’inspirant de ce maître, je voudrais tellement composer des phrases illuminantes, des tempêtes de neige sans froid, des amours sans tracas.
« AIMER CE QUI EST » est aujourd’hui ma ligne directrice. Comme dire OUI à la vie et à tout ce qui m’arrive. J’ai cette divine assurance qu’un ange trace ma route et qu’avec une patience infinie, il peaufine mes meilleures lignes.
Cora
❤
L’éclat du soleil, la douceur du temps, le chant des oiseaux et le parfum des framboises; la nature m’émerveille. Je recule dans le temps et me voici près du petit ruisseau sur la terre du grand-père Frédéric. J’y vois ses doigts craquelés qui m’apprennent à mettre le ver de terre sur l’hameçon; la chair rose de la petite truite dans la poêle; les capelans du printemps roulant par milliers sur les plages; la grosse morue, attrapée par le ventre et tellement délicieuse. Je m’en souviens comme si c’était hier : bouillie avec lardons, croustillante dans la poêle, en croquettes de patates ou salée-séchée à déchiqueter avec les doigts. Nous vivions de poisson. Encore aujourd’hui, quatre ou cinq de mes soupers hebdomadaires proviennent de la mer.
En hiver, je suivais grand-père. J’avançais dans la neige, mes petites bottes essayant de s’enfoncer dans les empreintes des siennes. Mes yeux ratissant le passage emprunté pour découvrir avant lui un lièvre blanc. Je riais et je pleurais devant le petit animal pris au piège. Et grand-père de le mettre rapidement dans sa besace. Je savais qu’il allait le cuisiner avec la fameuse recette de feu grand-mère. À la table, je lui disais que c’était bon avec quelques larmes tombant dans la sauce.
Quel bonheur ce fut d’avoir enfin six ans! J’aimais l’école. J’apprenais à écrire des mots et mon cœur s’enflammait. Je composais de courts poèmes et j’apprenais vite à m’exprimer par écrit. Une habitude qui persiste encore. Oui, oui! Mot à mot, j’escalade l’échelle du temps, toujours à la recherche d’étincelles de bonheur.
Une après-midi à chasser les trèfles à quatre feuilles, une autre à bichonner mes fiers lupins et voilà que j’embellis à la fois mes plates-bandes et l’intérieur de mon cœur. L’arôme des petits fruits me chavire. Dans le sous-bois attenant à mon lot, je cueille des fraises sauvages. Comme maman me l’a appris, j’équeute chacune avant de les mettre dans un sceau.
J’ai toujours en tête ma Gaspésie natale tel un film inoubliable; un répertoire chronologique du meilleur à me rappeler. Tout est là, à tout moment, dans ma mémoire, comme le roulis des vagues sur le fleuve.
Je me souviens à Sainte-Flavie, combien braves nous étions, grimpant sur les immenses blocs de glace s’entrechoquant dans le fleuve. Maman nous l’interdisait et, pourtant, frérot insistait. Il voulait planter son drapeau, mais la glace trop coriace l’en empêchait.
Réfléchissons un peu. Cherchons ensemble des raccourcis vers ces micromoments de bonheur; attrapons ces étincelles qui volettent au-dessus de nos caboches. La joie, j’en suis certaine, est une nourriture céleste qui allonge nos vies.
J’ai toujours vingt ans lorsque je converse avec un arbre centenaire, lorsque tout doucement je déguste chaque ligne d’un beau poème, lorsqu’un vieil ami me raconte sa dernière conquête ou lorsque ma petite-fille m’invite au resto asiatique pour souper.
Apprivoisons la magie de la vie; tous ces moments qui nous semblent irréels et qui sont pourtant aussi vrais que ces bonnes nouvelles qui vous arrivent de nulle part.
J’ai l’impression bien souvent que plus je vieillis et apprécie, plus je m’émerveille facilement. Toute microsensation de bien-être me réjouit : respirer l’air frais du matin, dormir en plein jour sur le divan, me savonner la tête à l’eau de pluie, me gratter le dos avec cinq petits doigts métalliques, boire mon café très chaud, réussir à manger plus de fruits que de pain, me photographier pour mes selfies du dimanche; écrire même en dormant.
Oui, oui! Il m’arrive qu’une idée géniale me réveille en pleine noirceur et j’empoigne mon carnet de notes. J’aime être à la disposition de l’écriture; être son chercheur, son orpailleur, son conteur et celle qui tape à la machine l’histoire des mots.
J’ai longtemps pensé que JE M’OCCUPERAIS DE MOI PLUS TARD. Et savez-vous quoi? ÇA FAIT LONGTEMPS QUE MON PLUS TARD EST ARRIVÉ!
À bien y penser, décider de prendre soin de soi plus tard est vraiment présomptueux. Comment savoir ce que l’on pourra contrôler dans un jour, dans une semaine ou dans une année? Ce pouvoir que l’on s’accorde est une illusion. Par contre, le pouvoir de vivre l’instant présent est bien réel, ainsi que celui de se faire plaisir.
Ne remettons plus à demain ces micromoments de bonheur, ces étincelles de joies qui nous entourent et que nous pouvons saisir.
Pensez-y un brin, la vie est si courte et l’émerveillement rarissime.
Cora
❤
Très chers lecteurs et très chères lectrices, me voici ce matin, ébahie et surprise de constater que la missive d’aujourd’hui est la DEUX CENTIÈME LETTRE DU DIMANCHE. Oui, oui! Le temps passe tellement vite. Croyez-le ou non, j’ai écrit la première lettre à être publiée sur la page Facebook des restaurants Cora le premier avril 2020 alors que la planète entière entreprenait une troisième semaine de confinement obligatoire. Tout était fermé et nos cœurs pleuraient de ne plus pouvoir servir notre chère clientèle.
Nous voulions tellement vous garder dans nos cœurs et aussi vous nourrir à distance d’assiettes de jolis mots, réconfortants et stimulants. Lettre après lettre, avec le temps, vous êtes désormais des milliers d’yeux affamés de belles phrases et passionnés d’historiettes qui me suivent. Mon âme palpite, juste à y penser. Tout ce que mes doigts ont composé; tout l’amour que mon cœur a engrangé.
J’imagine des oiseaux, des centaines d’oiseaux de toutes les couleurs transportant mes mercis à tous ceux qui me permettent d’écrire. À ceux d’abord qui m’inspirent, qui me lisent, à ceux qui traduisent mes mots, à ceux qui les corrigent, et à ceux qui les envoient dans des tunnels magiques jusqu’à ce qu’ils arrivent sains et saufs, chaque dimanche, sur les écrans de nos fidèles lecteurs et lectrices.
De loin, je vois les aigles royaux comme des taches d’encre dans le ciel. Ce sont eux qui transportent mes plus lourds mercis, ces éloges qui s’adressent à l’incorporalité de ce monde. Merci à l’inspiration, ce souffle créateur qui, telle une source inarrêtable de mots, matérialise mes pensées. Merci à la créativité; cette fontaine divine qui jamais ne s’assèche et qui me permet d’imaginer une forêt à partir d’un buisson d’herbes folles.
Merci à ce précieux talent d’écriture hérité de ma mère et dont j’ai compris l’existence seulement après sa mort. Quel immense cadeau d’une maman silencieuse!
Merci à la vaillance, cette courageuse guerrière qui me comble chaque matin d’écriture d’une page bien remplie. Merci à la persévérance qui améliore l’originalité de mes mots et la rhétorique de mes phrases.
Avec leurs longs becs arqués, les grosses corneilles noires protègent ma demeure et c’est moi qui les remercie. Des journées entières, j’écris dans la verrière au rythme de leurs crôak-crôak. J’ai souvent l’impression qu’elles attirent mon attention.
Des fées très sages volettent aussi derrière les nuages. Elles attendent que mon encre s’assèche; que mon corps s’envole et que l’âme se fendille en milliers de virgules étoilées.
Je suis dans la gratitude la plus totale; tellement qu’on dirait quelquefois que c’est l’écriture qui a besoin de moi. Les mots m’attirent comme des aimants, ils soulèvent mes phrases et les lancent aux quatre vents.
Je remercie mes cinq sens à l’œuvre pour enrichir mon bien-être. Entendre de la musique, goûter un premier café ou croquer dans une pomme bien mûre, voir le soleil mauve se coucher, serrer dans mes bras mon petit-fils et humer l’étourdissant parfum des roses. Quel bonheur!
Je remercie mes enfants, leurs enfants et les deux arrière-petits-fils qui engraissent mon bonheur. Je remercie mes inconditionnels amis qui sont pour moi de véritables anges gardiens vivant à proximité de mon patelin : Catherine, François, Neil, Éric, Adèle, Carmen, Patricia, Claude, Steven et Marie-Pierre.
Je remercie tous les grands écrivains, les poètes et les paroliers; tous ces êtres qui m’éblouissent et m’apprennent bien souvent les rouages du métier.
Finalement, je remercie la folle du logis qui réside dans ma tête. Elle a ce caractère irraisonné de l’imagination, laquelle échappe à la raison.
Toujours, toujours, cette folle du logis m’aide à peaufiner le récit. Elle plante des fleurs dans la marge, trouve des mots rares, efface les adverbes inutiles et parachève la conclusion du récit.
Cora
❤
Enfin, enfin! Je pourrais le jurer sur le livre sacré : je me réjouis de vivre. Oui, oui! Le 27 mai dernier, j’ai plongé dans l’océan de mes soixante-seize ans et me voici plus heureuse que jamais.
Hier soir, je soupais avec mes deux arrière-petits-fils, aussi joyeux que de jeunes grenouilles sautant dans une mare de chocolat. Leur père et leur grand-père y étaient avec la maman-biberon, toujours prête à donner le sein entre deux sushis.
Se réjouir de vivre, c’est comprendre et apprécier ce qui nous apporte réellement de la joie. Je suppose que chacun d’entre nous cherche un différent bonheur selon notre propre réalité : âge, situation amoureuse, travail, famille, engagement artistique ou vie sociale. Une chose est certaine, nous rêvons tous d’être heureux et satisfaits de la vie qui nous colle au collet. Raisonnable et très réaliste, chaque jour je remercie le grand manitou de m’avoir faite ainsi. Bien sûr, comme tout le monde, j’ai eu mes misères et mes moments de gloire. J’ai vieilli comme vieillit le chêne centenaire, particulièrement résistant et facile à contenter.
Je n’ai pas assez de doigts pour compter mes bénédictions : capable de marcher sans canne, d’habiter seule, d’entretenir mon logis, de cuisiner mes repas, de conduire ma Mini, de faire les courses, de calculer mes dépenses, de lire de gros bouquins avec des barniques d’appoint, et surtout, surtout, capable de réfléchir et d’écrire en tapant sur un clavier.
Tous ces gestes du quotidien me rendent follement heureuse. Enfiler un legging sexy, attacher mon soutien-gorge, sécher mes cheveux, brosser mes dents, crémer ma figure, choisir mes lunettes et la couleur de mon rouge à lèvres. J’aime tellement étendre mon linge dehors, arroser mes plates-bandes de lupins, lacer mes « running shoes », brasser mes confitures, et le soir, pédaler sur un engin stationnaire en regardant des histoires inventées à la télé.
J’ai passé toute ma carrière de femme d’affaires à imaginer l’inaccessible, à mettre la barre très haut, à pourchasser des objectifs hors d’atteinte, à compter même les sous noirs et à combattre des cyclopes incapables de voir où j’allais.
Enracinée dans mon patelin de campagne, ma vie simple d’aujourd’hui me ravit énormément et j’en savoure chaque minute. Peut-être direz-vous que je suis facile à vivre et vous aurez raison. L’appel d’un petit-fils, l’arrivée d’un ami, une tarte aux pommes superbement réussie, une lettre bien écrite, une conversation amicale; je demeure attentive à tous ces petits moments de bonheur.
Comme le font les personnes faciles à vivre, essayons, vous et moi, d’amadouer le contentement, ce précieux élixir de bonheur. Profitons des petites joies quotidiennes, du sourire d’un étranger, d’un bon café, d’une conversation amicale, d’un bisou à la volée et de toutes ces pépites de sagesse qui se trouvent dans les choses ordinaires de la vie et dont la valeur se révèle inestimable.
« Ne cherchons plus la perfection, l’inaccessible étoile », comme chantait Jacques Brel. Ne cherchons plus la perfection dans les choses, dans les gens et en nous-mêmes, surtout.
Cora
❤
Je suis époustouflée, stupéfiée, ébahie et tellement heureuse. La lettre du dimanche intitulée ÉCRIRE DANS UN CAFÉ et publiée le 2 juillet dernier a généré plus de mille quatre cents savoureux commentaires.
Oui, oui! Ce déluge de bons mots enflamme mon cœur et m’incite à croire que je suis sur la bonne voie de l’écriture.
Toute petite, ma mère insistait pour que j’apprenne le piano et pendant deux longues années, deux fois par semaine, je tapais et tapais sans aucun résultat marquant. Je mélangeais les notes : fa, mi, la, ré si, do, sol ainsi que le noir ou blanc des touches sur lesquelles frapper. Je n’ai jamais vraiment appris quoi que ce soit d’autre qu’écouter ma pauvre maman lorsqu’elle insistait. Aujourd’hui, je voudrais tellement qu’elle me voie taper sur un clavier, écrire de jolis mots et composer des histoires!
Chers lecteurs, je lis toujours vos commentaires avec un très grand intérêt et une vive émotion. Tellement que mon cœur s’emballe chaque fois. Aujourd’hui je veux tout spécialement vous en remercier.
Très cher Eli L., MERCI gros comme le ciel pour vos bons mots à mon égard et merci pour votre assiduité à me lire. Oui, je l’avoue, le café où j’écris est un bel endroit, chaleureux, invitant et propice à créer des liens. C’est certain que si vous demeuriez dans mon patelin, vous seriez notre prophète Élie. Celui-là même qui écouta la parole de l’Éternel lui disant : « tu boiras de l’eau du torrent et c’est aux corbeaux que j’ai ordonné de te nourrir ». Eli, sachez que mon village déborde de corbeaux.
Très chère Nicole D., je suis réellement contente d’enfin pouvoir vous serrer la pince. Merci de me lire et oui, un gros OUI : écrire est un geste très courageux. Comme vous le dites si bien : « nous sommes au moins deux à douter de nos mots et des traces qu’ils laisseront sur le parvis d’une feuille blanche ». Vous devez savoir que je meurs d’envie de vous rencontrer un jour. Nous partagerions nos angoisses et notre amour des mots avec cette folle du logis qui anime nos claviers. Diriez-vous qu’elle est inspiration ou folie pure? Je ne le sais pas encore.
Chère Nancy T., je me réjouis chaque dimanche de voir votre joli visage et de savoir que vous êtes encore avec moi. Vous me dites « qu’il fut un temps où c’est la messe et le repas familial qui rassemblaient les gens, le dimanche ». Aujourd’hui, ce sont mes lettres, dites-vous? Je vous remercie du compliment, mais sachez que tous mes bons mots d’ici-bas ne remplaceront jamais la sagesse d’en haut.
Gentille Danielle O., je vous en prie, ne soyez pas triste pour moi qui n’ai pas de prince charmant. L’amour est une si étrange chose, mystérieuse, capricieuse et audacieuse. Et non, je n’ai pas encore trouvé mon amoureux. J’ai étudié pendant de très longues années et, tête de linotte, j’ai oublié d’apprendre à aimer. Vieillotte devenue, je peine encore à regarder un homme dans les yeux. Vous et moi, régalons-nous plutôt des couleurs chaudes de l’été et profitons-en.
Très chère Micheline P., FÉLICITATIONS ET BONNE FÊTE pour votre 83e anniversaire à vivre en beauté! « Je sais, je sais », comme disait l’illustre Jean Gabin, « le jour où quelqu’un vous aime, il fait très beau ». Sachez que moi je vous aime et que si nous étions voisines, nous jaserions gaiement accoudées sur la clôture. Vous n’avez rien à soustraire. La vieillesse est une fête foraine et nous devons faire de notre mieux pour en profiter longtemps. Déchirons nos calendriers. Ne calculons plus les années, mais assurons-nous d’avoir chaque jour quelques petites folies capables de rajeunir nos cœurs. Un bouquet de fleurs sur la table, quelques carrés de sucre à la crème, une nouvelle coupe de cheveux, un foulard rose bonbon. Amusons-nous à dessiner des cœurs au lieu de tricoter. Chose certaine, je vous garde dans mon cœur, chère amie.
Chère Carmen G., merci de me faire confiance. Je compatis à votre souffrance, mais elle passera comme tout passe ici-bas. La vie est une gueuse qui s’amuse à nous leurrer. Nous avançons vers la droite et la gauche nous saute dessus, bien souvent. Où est le bobo, chère amie? Dans votre tête, dans votre corps ou dans votre cœur? Je vous en conjure, ne lâchez pas. Après la pluie vient le beau temps.
Talentueuse Édithe P., vous dessinez tellement bien. J’adore vos oiseaux qui ont l’air d’avoir passé la nuit sur la corde à linge. Le petit bleu curieux, le jaune grassouillet, le rouge au nez pointu, le vert qui a l’air suspect et le petit mauve, tête à l’envers dans le vide. Vous devez savoir que ce genre de dessin attise mon imagination. Je suis certaine que ces jolis personnages ont quelque chose à raconter. L’oiseau mauve m’intrigue, est-ce un petit délinquant? Je me retiens de leur écrire une lettre.
Mon très aimable André G., Dieu merci vous êtes encore là, et j’en suis bien heureuse! J’essaie d’améliorer la qualité de mon écriture et je prends soin de mes adverbes. C’est le grand Stephen King, dans son livre ÉCRITURE qui m’a appris que l’adverbe n’est pas un bon ami. Il a aussi mentionné, dans un dernier chapitre sur le sujet, que « la route menant en enfer est pavée d’adverbes ».
Pouvez-vous imaginer, cher André, qu’en corrigeant le manuscrit d’environ 70 000 mots à paraître en septembre, nous avons constaté qu’il contenait 75 fois l’adverbe « TELLEMENT ». Inimaginable, mais vrai! Stephen King me brûlerait les doigts s’il le savait. Je suis une excessive, extravagante, immodérée, fougueuse, exubérante et débridée. Je creuse profondément entre les lignes. Oui, oui! Sachez que nous avons coupé les TELLEMENT de moitié.
Cora
❤
L’autre midi chez Renaud-Bray, je cherchais le dernier livre d’un de mes auteurs préférés (Tahar ben Jelloun) et voici que s’impose à moi « LES 50 RÈGLES D’OR DE LA BIENVEILLANCE » d’Anne-Laure Boselli. Vous connaissez peut-être cette collection de petites briques de 50 règles d’or pour nous améliorer dans tous les domaines. Je raffole de ce genre de conseils! J’ai toujours été dure envers moi-même. Maintenant que je vieillis, je ramollis. Oui, oui! Dans mes chairs, dans ma tête et surtout dans mon cœur.
Je suis mûre pour en apprendre davantage sur les bienfaits de la bienveillance et, subito presto, je m’installe sur le divan de la bibliothèque avec un thermos de café et du papier pour noter le plus important. Je lis presque d’un trait tout le livre et j’écris dans mon calepin une colonne de « musts » susceptibles d’améliorer mon comportement.
« La bienveillance est une disposition favorable à l’égard d’autrui. » Selon dame Boselli, ces musts incontournables sont la bonté, la gentillesse, l’empathie, la compassion, l’altruisme, la confiance, la tolérance, l’indulgence et la charité.
J’ai commencé en affaires avec le cœur amoché d’une maman pauvre, mais vaillante, ignorante du métier, mais très créative. J’adorais cuisiner et j’aimais surtout éblouir mes clients avec des déjeuners hors du commun.
Sans vraiment nous en apercevoir, les enfants et moi avons créé un nouveau concept de restauration qui est vite devenu immensément populaire. Si populaire que nous avons pu nous multiplier à profusion. Au neuvième restaurant, qui était aussi notre première franchise, j’ai dû échanger mon grand tablier blanc contre un sérieux tailleur de grande patronne.
Je l’avoue humblement, mon cœur, ma tête et mon corps de chef d’entreprise se sont vite endurcis. Je ne suis pas devenue méchante, mais exigeante et intransigeante. Ayant commencé avec presque rien, je comptais les cennes noires pour boucler nos fins de mois. Et l’habitude m’est restée.
J’étais dure, disait ma fille, intraitable et sévère. Après chaque inauguration d’un nouveau resto, j’insistais pour que l’on planifie rapidement la prochaine ouverture. J’avançais à pas de géant, « comme si j’avais le feu aux fesses », disait le plus jeune. Contre vents et marées, une grande chaîne de restaurants franchisés a vite vu le jour en sol canadien et j’en étais très fière. D’un océan à l’autre, « nous avions des Cora dans chaque province », que j’ajoutais en gonflant ma poitrine.
Oui, oui! Je l’avoue, bien souvent j’étais bouffie d’orgueil en contemplant ma flamboyante réussite. Je n’essayais pas de me montrer supérieure à qui que ce soit. J’étais juste devenue la big boss d’un cirque médiatique pancanadien. J’apprenais à dompter les lions, à marcher sur des fils de fer, ou à être, bien souvent, le boulet dans le canon. Dans ma tête, je devais performer, sans quoi l’immense chapiteau s’effondrerait.
Les enfants et moi avions subi plusieurs tourments depuis l’enfance et je voulais au moins leur assurer une meilleure vie. Lorsque je leur ai cédé l’Entreprise, je suis lentement redevenue une femme ordinaire; une maman rongeant son frein. J’ai dû aller aussi loin qu’en lointaine Chine pour réussir à couper le cordon d’acier qui m’attachait à tout ce que j’avais mis au monde.
Avec un groupe de touristes, nous visitions les 14 villages de Wuyuan accessibles aux voyageurs étrangers. On m’avait logée pour la nuit dans une chambrette avec un lit simple, un genre de pot de chambre en terre cuite, une table, une chaise et une gourde en métal pour aller chercher l’eau fraîche d’un puits à proximité.
Je m’en souviens, comme si c’était hier. Quelques minutes après mon arrivée dans la chambre, une vieille Chinoise attifée d’une robe à fleurs traditionnelle de couleur carmin m’apporta un plateau de nourriture. Cette femme sans âge était d’une gentillesse hors du commun. Elle avait un sourire bienveillant et lorsqu’elle entreprit de dire quelques mots en baragouinant l’anglais, j’ai vite senti sa compassion. C’était comme si elle-même ressentait la boule de chagrin qui brûlait mon cœur.
Je voulais lui expliquer mon désarroi, lui raconter ma vie, et lui dire combien j’étais peinée d’avoir perdu ma raison de vivre. J’avais caché ma peine à mes enfants, aux gens de l’Entreprise et au monde entier. Je me croyais forte et brave et cette charitable Chinoise devina ma peine. Elle m’apparut comme un ange bienveillant. J’étais si seule, si loin de mon monde, et j’avais un urgent besoin d’expulser mon chagrin, de couper ce terrible cordon ombilical qui me gardait dans le passé.
Lorsque cette étrangère prit ma main dans la sienne et me parla, un miracle se produisit. Ce fut comme si je comprenais et assimilais chacun de ses mots, comme si mon cœur recommençait à battre, que mon corps se libérait de ses entraves et que mon sourire embrassait l’immense Chine tout entière.
Le cœur de cette femme m’a guérie. Sans connaître son nom, son âge, sa langue, ses coutumes et son histoire personnelle, j’ai compris qu’elle était la bienveillance même, la bonté, la gentillesse, l’empathie et la compassion.
Je suis peut-être un chat possédant plusieurs vies et j’espère gros comme le ciel que ce soit l’écriture qui puisse m’accompagner jusqu’à la fin.
Je n’ai plus d’autres ports d’attache que les cœurs de mes précieux lecteurs. Ce sont eux qui accueillent mes beaux mots et guérissent mes bobos. Eux qui me gardent vivante et pétillante.
Cora
❤
PLUS JE VIEILLIS, MOINS JE PLEURE
8 h 05 au café du village
Serait-ce mon cœur qui s’endurcit? Je ne me souviens plus de la dernière fois où j’ai pleuré. Sécheresse oculaire, sécheresse de la peau, sécheresse de la bouche et sécheresse de la vieillesse envahissante. Dieu merci, mon encre coule encore. Et comme le faisait ma mère, j’ai longtemps ramassé les larmes des nuages pour laver ma chevelure.
Toute petite, je braillais pour des riens. Je m’en souviens encore. Lorsque frérot froissait mon dessin, prenait mon efface ou mordillait mes crayons de couleur. Lorsqu’il mettait des fraises dans mon seau sans les équeuter ou qu’il cachait ses billes pour m’empêcher de jouer. Dans mon souvenir, mon frère était une espèce de « Denis la petite peste » avant son temps.
Maman pleurait en cachette ou sur l’épaule de la voisine Berthelot lorsque le mari partait travailler. À cette époque, le malheur ressemblait à un mille-pattes olympien capable de grimper partout.
Lorsque papa revenait le vendredi soir et qu’il s’ouvrait une bière en écoutant Mario Lanza, notre petit salon s’emplissait de tristesse. Il m’arrivait souvent de vouloir sécher ses larmes dégoulinantes sur ses grosses joues, mais je me retenais. Jamais nos petits corps n’approchaient la chaleur de nos parents, jamais de câlins, jamais de mots doux et jamais de récompenses qui auraient pu nous faire croire que nous étions de gentils enfants.
Je suppose que c’est l’eau de la mer qui absorbait nos chagrins et nous avons grandi comme des herbes sauvages sur le bord des routes, sans tendresse ni solide guidance. L’amour manquant entre nos deux parents était comme un fantôme toujours éveillé. La nuit, bien souvent, je les entendais argumenter : ma mère grognait et mon père pleurnichait. Qu’aurais-je pu faire d’autre à cette époque que de croire à la marâtre de vie gouvernant nos existences? Je n’avais rien appris des choses de la vie qu’une jeune fille devrait savoir lorsqu’elle grandit.
J’ai pleuré comme une madeleine pendant chacune de mes années de mariage : lorsque la belle-mère critiquait ma façon de cuisiner, que les belles-sœurs placotaient dans mon dos, chaque fois que l’époux m’empêchait de voir mes parents et presque tous les soirs alors que les enfants dormaient. Mes yeux coulaient en permanence quand je me retrouvais seule, à l’abri des regards. Puis, je me suis enfuie et ce fut comme si, tout d’un coup, le ciel avait asséché tous ses nuages. Sur la terre ferme, je me suis rebâtie. Jour après jour, j’ai commencé à croire aux miracles, aux anges, aux bonnes fées et à la main tendue d’un grand manitou qui ne fait qu’aimer les humains.
Mon actuel bonheur consiste à endimancher l’ordinaire de chaque journée. Sourire, tendre la main, reconnaître, donner, prier, aimer et écrire. Écrire pour alimenter mes lignes, abreuver les cœurs esseulés et ennoblir mon âme.
J’écris un peu partout, mais je préfère dans un café, entourée d’humains. J’entends la musique de leur bienfaisant ronron et je reçois des dizaines de jolis bonjours. On pourrait penser que l’activité du lieu me dérange, mais c’est tout le contraire. Je souris en permanence.
Peut-être cela me vient-il de mes nombreuses années en restauration. Tantôt cuisinière et tantôt patronne, j’adorais être entourée de tous ces gentils clients. Aujourd’hui, j’écris. Je compose des lettres délicieuses avec la même ardeur de jadis, lorsque je voulais faire plaisir à mon monde.
J’aime encore, chers lecteurs, vous servir votre premier café du dimanche et vous surprendre avec une histoire abracadabrante. J’aime surtout raconter tout ce qu’il y a à dire sur cette glorieuse banalité du quotidien. C’est d’ailleurs mon thème favori.
Plus je vieillis et moins je pleure. J’apprends à dédramatiser ma vie et même les petites contrariétés du quotidien. J’égare des objets, mes clés aux deux jours, mes lunettes de soleil, mon petit portefeuille de cartes, ma liste d’épicerie et patati et patata. Je m’arrange pour contrecarrer mes oublis.
Je bouge plus lentement qu’avant; je réfléchis avant d’agir; avant de sortir de la maison, avant de quitter le café où j’écris, ou le bureau de l’entreprise où je vais deux jours par semaine.
Aurais-je oublié quelque chose? Où est mon cellulaire? Cet appareil électronique de télécommunication m’est totalement indispensable. Si je l’égare, je vais pleurer.
Cora
❤
7 h 36 au café du village
J’adore utiliser le mot OUI. Trois petites voyelles qui en disent beaucoup.
Oui, je t’aime. Oui, je peux. Oui, je suis d’accord.
Oui, je vais t’aider. Oui, la vie est belle.
Ce magnifique mot « oui » glisse dans l’azur tel un aigle royal et lorsque la neige mordille nos joues, il se change en traîneau de père Noël bourré de cadeaux. Les sons clairs du chardonneret jaune nous annoncent l’été. Les entendez-vous? Même en somnolant quelquefois, j’entends le gazouillis des alouettes à la tignasse ébouriffée. J’imagine leurs cris comme un orchestre de milliers de petits « oui, oui » en habit de gala.
Trois divines voyelles peuvent sceller un mariage. Oui, oui! Le sceller et le défaire en criant ciseau, direz-vous. OUI est probablement le mot le plus important du vocabulaire. Il n’est peut-être pas aussi décisif et tranchant que le NON, mais il est rempli d’espoir.
Pourriez-vous calculer un brin, le nombre de OUI que vous prononcez par jour? Et peut-être aussi le nombre de NON? Seriez-vous un OUI ou un NON? Je vais tenir mon calepin dans ma poche et faire ma propre investigation.
Bien sûr, je me crois un OUI aussi gros que l’Everest! Pour moi, le NON est un bonhomme Sept-Heures qui me fait peur. Le NON sonne comme un coup de marteau, bien souvent. Je me souviens, toute petite, je n’entendais que ces petits coups secs et décisifs.
Rarement, frérot acceptait de jouer avec nous, les fillettes. Il se croyait tellement savant. Assis sur la clôture de notre lot, il parlait de l’avenir; des métiers abracadabrants qu’il allait plus tard choisir. Et nous pouffions de rire à l’entendre énumérer : dompteur d’éléphants au Kenya, magicien, espion ou brocanteur officiel du tour de la péninsule.
Moi aussi, à cette époque, je rêvais de gros OUI. Je noircissais tous les papiers blancs que je pouvais trouver. J’adorais écrire et découvrir de nouveaux mots et leur signification. Au Noël de mes 11 ans, j’ai reçu un dictionnaire Larousse et je sautais de joie. Chaque soir, je m’endormais avec la grosse brique de mots collée sur mon cœur. J’étais aux anges même si maman chialait à l’occasion de devoir repasser une ou deux minces feuilles, légèrement froissées.
Oui, oui! Ce merveilleux cadeau fut le premier d’une trentaine de différents dictionnaires que j’allais acheter avec le temps et qui, encore aujourd’hui, sont avec moi, bien cordés dans une bibliothèque IKEA à porte vitrée. Même si j’ai Google à portée de doigts, j’aime toujours ouvrir un livre savant.
Bien souvent, nous hésitons entre le OUI et le NON. Se pourrait-il que nous soyons courageux et poules mouillées à la fois?
J’ai pourtant encore l’impression que le OUI ouvre les bras à tout bout de champ. Le NON serait-il aussi important que le OUI? Le NON ferme la porte, selon moi. Il éteint la lumière et n’entend pas le cri du cœur.
Ce n’est pas facile de dire OUI. Mais le NON fait aussi peur. Il dérange, il déçoit, il contrarie et attriste celui qui le dit, bien souvent.
Peut-être sommes-nous incapables de choisir notre camp. Dire OUI ou dire NON? Peut-être est-ce la tête et le cœur qui s’affrontent. Cette tête qui jamais ne se repose, serait-elle plus bavarde que le cœur? Plus analytique et plus réfléchie?
Le cœur ne fait que battre, croyons-nous. Pourtant le grand inventeur, mathématicien et philosophe Blaise Pascal, a immortalisé sa célèbre phrase : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ».
Pensez-y un brin. Le cœur bat plus ou moins vite selon ce qu’il advient de lui. Serait-il le centre des sensations, des émotions, de l’amour avec un grand A? Aujourd’hui, l’idéogramme du cœur ♥ est universel et fait partie de la symbolique affective de notre culture.
Récemment, j’ai moi-même expérimenté le plus surprenant des coups de foudre juste à admirer un beau visage d’homme venu du Grand Nord. Je n’oublierai jamais cette sensation. J’étais tout doucement en train d’écrire dans un café lorsque mon cœur s’est mis à battre déraisonnablement. Les yeux bleu-noir de l’étranger étaient entrés dans les miens et c’était comme si j’étais soudainement branchée sur la plus grosse centrale hydroélectrique de la planète. Des millions de petits OUI sautillaient dans ma tête. Une joie béate envahissait mon entendement et, lorsque le regard de l’Inuit s’approcha de ma table, je crus devoir m’enfoncer dans la glace des banquises tellement j’avais chaud.
Tout cela ne dura que le temps de croquer quelques croissants aux amandes et d’apprendre que l’homme était de passage. Et pourtant! Quelle est donc cette électricité divine qui pousse les êtres à s’apprivoiser, à s’aimer et à se reproduire ici-bas?
Vais-je devoir encore, une millième fois, interroger les anges pour savoir?
Cora
♥
Pourquoi ai-je autant tardé à écrire? J’avais, je suppose, besoin d’être secouée comme le pommier pour que les mots tombent d’eux-mêmes sur la terre ferme. Ce rêve d’écriture piétinait dans ma tête depuis toujours, mais la marâtre de vie m’en priva. Je me souviens, fillette, avec mes cuisses zébrées d’éraflures, je cherchais des trèfles à quatre feuilles. Je voulais tellement que la chance m’empoigne. Et voilà que je trouve une jolie branche dénudée de feuilles avec une excroissance en forme d’étoile à son extrémité. J’ai tout de suite pensé à une baguette magique abandonnée aux fourmis. Je l’ai saisie et, tout doucement, je l’ai utilisée pour caresser les lupins sauvages, les boutons d’or et les délicates campanules. Je voulais changer les fleurs en mots magiques. Peine perdue, ce sont les vilains chardons mauves qui m’ont griffé les doigts.
J’attendais qu’il m’arrive quelque chose de grandiose, mais chaque fois, un désir enfantin restait bloqué dans ma gorge. Je ne recueillais que des brindilles de tristesse et le sang des framboises sur mes petits doigts. Tant bien que mal, je tentais l’impossible.
À l’adolescence, cachée dans une petite chambre du sous-sol des parents, j’emmagasinais beaucoup trop de rêves. Ma nature gourmande m’empêchait d’être heureuse. Que d’heures perdues à me croire poète! Des milliers de feuillets barbouillés d’espoir s’empilaient sous mon lit; un ruisseau d’esquisses prometteuses se vidait dans la mer. Je n’avais, à cette époque, qu’un seul dieu, en retrait derrière un nuage.
Lorsqu’arrivèrent les études collégiales, mon cœur se mit enfin à battre très fort. Ces huit longues années furent un continuel banquet de connaissances et enfin, je pouvais ouvertement embrasser l’écriture; en faire l’œuvre de ma vie. Je jubilais. Dans ma tête immensément comblée, des milliers de mots se cherchaient de jolies phrases. Des histoires abracadabrantes s’échafaudaient et ma poésie, j’en étais certaine, allait pouvoir réveiller tous les endormis du monde. Pour sûr, j’allais bourrer mes poches de lourds cailloux pour ne pas m’envoler.
Les derniers examens réussis, j’allais fêter avec quelques copines. J’avais aussi réussi l’examen du permis de conduire et papa me prêta sa petite Volvo blanche pour ma première sortie dans la grande ville. Je me croyais intelligente et instruite. J’étais sotte et ignorante des choses de la vie.
Même les plus belles feuilles d’érable sautent dans le vide lorsque l’automne les décolore. Mes bévues sont inracontables. Cent mille oreilles pour m’entendre si je pleure. J’allais prendre mon erre d’aller et encore la gueuse de vie m’en priva.
Depuis, je récapitule à répétition mon enfance cabossée, mon envol mort dans l’œuf et ce mariage abimé qui me donna pourtant trois beaux enfants. Je ne peux plus rebrousser chemin. Ainsi va la gouverne du monde; l’achèvement de l’été, la décoloration de l’automne, les lourds froids blancs et nos vies amplement chargées de malheurs. Nous nous en allons tous vers une nouvelle terre incognito et il nous est possible de nous reconstruire galamment.
Oui, oui! J’ai beaucoup tardé à entrer dans le monde de l’écriture, mais je n’ai pas perdu mon temps. J’ai expérimenté ce qu’était la vie et j’ai compris que les griffures du temps sont longues à guérir.
Malgré l’indiscipline des mots et malgré mon cœur faussement tranquille bien souvent, je vais continuer d’écrire jusqu’à ce que le bon Saint-Pierre me tende la main.
Cora
📝❤
Encore des questions
Oui, oui! Cette dame Isabel P. veut encore m’interroger. Vous vous souvenez d’elle, j’espère que oui, car c’est la troisième fois qu’elle me cuisine! J’ai dit oui une fois de plus parce que, selon moi, cette jeune femme a le potentiel de devenir une Sophie Thibault ou une Céline Galipeau.
— Parlez-moi de votre vie quotidienne. Comment organisez-vous vos journées? Avez-vous quelques petites manies concernant votre écriture?
— En vieillissant, mon corps est devenu un être d’habitude. Immanquablement, il se réveille à 5 h chaque matin, sort du lit et boitille jusqu’au divan de la bibliothèque où il s’enfonce pour lire. C’est son endroit favori pour se rendormir une petite heure avant de se rendre au café du village pour écrire. Lorsqu’il n’a pas besoin d’aller au siège social de l’entreprise, il écrit jusqu’à 13 h, refait une sieste sur le divan et rouvre ses yeux vers 15 h 30. C’est alors qu’il pense à manger. À 18 h h, il allume la télé pour s’informer de ce qui se passe dans le monde et l’éteint rapidement. Il s’assoit sur le bicycle stationnaire et pédale dans le vide une petite heure en buvant son dernier café de la journée. Il passe ensuite une ou deux heures dans sa tête à réfléchir à de nouveaux sujets d’écriture ou à lire des magazines pertinents. Puis, attifé de fringues de nuit, il rallume la télé, et s’endort devant elle trois ou quatre soirs par semaine.
— Si vous aviez à choisir entre sagesse et intelligence, que prendriez-vous?
— Certainement la sagesse parce qu’en vieillissant, j’ai tendance à oublier tout ce que l’intelligence m’a appris. La sagesse me laisse tranquille, elle est assez sage pour m’accepter telle que je suis.
— Comment décririez-vous votre moi idéal?
— Je ne sais pas. Je viens tout juste de le mettre au four et lorsqu’il sera cuit, je pourrai éparpiller ses miettes aux quatre vents et voir ce qu’il advient de lui.
— Que choisiriez-vous : aimer quelqu’un très fort ou être aimée?
— J’aime déjà très fort mes petits-enfants d’un amour immense et je ne désespérerai jamais d’être aimée. Plus que tout, j’aimerais expérimenter les trémolos du cœur amoureux, du mien ou de ceux de l’autre.
— Qui a décidé de l’ordre des lettres de l’alphabet?
— Je ne sais pas, mais je crois que c’est très bien fait. L’amour est en premier et le zéro à la fin. Une chose est certaine, j’aimerais trouver l’amour avant la fin.
— Un petit oiseau m’a dit que vous ne déjeunez jamais. Plutôt curieux pour la reine du déjeuner! Est-ce vrai?
— Oui, c’est très vrai. J’ai passé plusieurs années à concocter les meilleurs déjeuners au monde pour nos nombreux clients. Nous n’avions jamais le temps de nous arrêter pour manger. C’est ainsi que, mes enfants et moi, nous nous sommes habitués à manger vers 15 h, juste avant d’entreprendre le nettoyage de la cuisine et les préparations du lendemain. Durant ces années-là, le jus d’orange était pressé à la commande et interdit aux employés. Encore aujourd’hui, je ne bois presque jamais de jus d’orange.
— Croyez-vous à la vie après la mort?
— Absolument. Si je n’y croyais pas, quelque temps après mon mariage, je me serais jetée au bout du quai de Caplan et les vilaines anguilles m’auraient dévorée en criant ciseau.
— J’ai entendu dire entre les branches que vous travaillez à publier un nouveau livre? Est-ce vrai?
— Oui, il est écrit et je travaille maintenant à en corriger les fautes. Le titre est encore dans les limbes et la mise au monde est prévue pour l’automne.
— Si on vous donnait le choix sur la façon dont vous allez mourir, que feriez-vous?
— C’est facile. Je voudrais partir en dormant, sans même m’être aperçue que je changeais d’univers.
— Que feriez-vous si vous connaissiez la date exacte du grand départ?
— Peut-être ferais-je comme un enfant qui compte les jours avant Noël. Je ferais des x sur les pages du calendrier.
— Sérieusement, Madame Cora, diriez-vous que vous avez réussi votre vie?
— Autant que faire se peut, dirais-je. J’aime énormément ce dernier quart de siècle et ce qu’il advient de moi avec l’écriture. Je me réveille chaque matin avec un nouveau défi. Un rêve à raconter, une histoire à peaufiner. J’adore décrire la glorieuse banalité du quotidien et j’aime surtout essayer d’amoindrir le désenchantement de vivre qu’expérimentent trop de gens malheureux.
— Ma dernière question : Si vous aviez le choix d’inviter n’importe qui au monde pour souper, qui choisiriez-vous?
— Avec un très grand plaisir et mon cœur rempli d’espoir j’inviterais Tenzin Gyatso, le quatorzième dalaï-lama et son ami, Matthieu Ricard, tous deux âgés de quatre-vingt-sept ans.
Cora
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