Déjà vingt jours d’isolement dans la maison des Laurentides que j’habite depuis 30 ans. J’y demeure avec des milliers de livres, dont une centaine au minimum sont des livres de cuisine.
Il y a aussi des plantes vertes un peu partout, des divans installés stratégiquement devant les grandes fenêtres et, le roi de la maison, un immense poêle à gaz à deux fours (presque aussi vieux que moi) sur lequel j’expérimente depuis toujours mes idées susceptibles de devenir d’excellents plats de déjeuner. Chercheuse invétérée, vous vous doutez bien que mon principal intérêt dans la vie c’est d’offrir aux Canadiens les meilleurs déjeuners au monde. Et, même si aujourd’hui, une équipe de plusieurs spécialistes ont cette responsabilité dans l’entreprise, j’aime toujours mettre la main à la pâte.
Je suppose que vous aimeriez vous aussi surprendre votre maisonnée avec une bonne crêpe brassée maison et garnie avec le fruit de votre imagination. Et je vous aide s’il le faut.
- Dans un grand bol, mettez de la farine (environ 2 à 3 tasses selon le nombre de bouches à nourrir)
- Ajoutez environ 2 tasses de lait et mélangez avec un fouet jusqu’à obtenir une pâte lisse
- Ajoutez 2 ou 3 œufs et brassez
- Ajoutez un filet d’huile dans le mélange, une pincée de sel et tout votre amour du moment
Versez le mélange dans un grand pichet, couvrez et laissez au frigo le temps de mettre la table.
Je vous laisse faire vos expériences et surtout découvrir les mesures justes d’ingrédients selon le nombre de personnes à satisfaire.
Vous pourriez utiliser du sirop d’érable puisque c’est la saison, ou faire comme chez nous du délicieux sirop maison à la vanille.
Mais attention! Le sirop maison c’est comme la confiture aux papayes dont je vous parlais hier, ça demande de l’expertise au bout des doigts et une bonne gousse de vanille.
Le temps s’envole et nous sommes encore là à compter sur nos doigts les matins qu’il nous reste. J’ai des mouches à patates dans mon salon. Elles longent les rebords des fenêtres et je me demande si elles ont passé l’hiver dans ma maison. Chaque fois que mon doigt essaie de toucher une jolie carapace, la coccinelle se soulève et volette à petits coups d’ailes, en se posant souvent et en changeant fréquemment de direction. Aurai-je assez de doigts pour les compter? Assez d’amour pour ne pas les aspirer avec le boyau de la balayeuse?
7 h 58 au café du village
Il y a cette jeune fille derrière le comptoir qui m’a dit l’autre matin qu’elle était à ramasser à la petite cuillère. Mes doigts ont dû pitonner sur l’iPad pour comprendre ce que l’employée voulait dire. Le surlendemain de Pâques, la pauvre avait dû défaire l’emballage de chaque lapin, poule, grenouille, petit singe et œufs en chocolat invendus. Elle a dû briser la chair des figurines, arracher les oreilles des lapins, et tirer les yeux surdimensionnés des grenouilles jusqu’à ce qu’ils tombent dans le bac de récupération du chocolat. J’imagine qu’un tel carnage a facilement pu traumatiser cette ado à peine sortie de l’enfance.
Dame Guylaine G., de Sept-Îles, me dit que je suis sur sa « bucket list » pour une rencontre avec elle. Je rêve de voir ces îles que je peux compter sur mes dix doigts. Google me parle de la poissonnerie Fortier & Frères, des croisières G.W.D. avec brunch en mer; de la Société Historique du Golfe, du Festi-GrÎles de la Côte-Nord, des Jardins de Gallix et du Salon du livre de la Côte-Nord qui vient tout juste d’avoir lieu, le 4 avril dernier. Wow! J’ai entrevu Sept-Îles en pitonnant et mes doigts comptent les jours jusqu’à s’y rendre.
Dimanche dernier, une curieuse cliente du café me demandait ce que j’ai de plus précieux et j’ai vite répondu : mes doigts, chère dame! Mes dix doigts qui tapent le clavier et qui racontent au monde pratiquement tout ce que je pense.
Mes deux pouces sont les plus costauds et les plus aidants. Ils savent comment agripper, dévisser, tourner, serrer tout ce que je désire.
Mes deux index ressemblent à des flèches. Ils sont très utiles pour indiquer la direction. Je me souviens, toute petite, maman tapait mon index gauche que j’utilisais souvent pour gratter mon nez.
Ce gros doigt au centre de chacune de mes mains s’appelle le majeur. Comme tant d’hommes, il se pense le plus important parce qu’il est plus long que les autres. Moi, je l’utilise surtout pour bichonner la terre des semis printaniers et aussi pour étendre la gouache lavable que j’utilise lorsque j’essaie de rivaliser avec Picasso.
Le doigt côtoyant le petit doigt s’appelle l’annulaire. Pendant longtemps, on s’est demandé pourquoi il portait cet étrange nom, jusqu’à ce qu’on lui enfile un anneau doré appelé alliance. Mon ancien époux a porté son alliance pendant environ 45 minutes. Le temps que la cérémonie de mariage finisse. En sortant de l’église, il me l’a remise en disant que moi seule étais mariée. Je l’ai gardée. Je l’ai toujours, attachée à la mienne, à cause du prix de l’or, je suppose, dans un vieux coffret. À bien y penser, à la première occasion, je les vends et m’achète une nouvelle paire de lunettes. Youppi!
Le petit doigt a le nom le plus long : il s’appelle l’auriculaire. C’est un nom du dimanche qui contient onze lettres. Comme il est difficile de s’en souvenir, nous l’appelons affectueusement « le petit doigt ». Lui seul est capable d’entrer dans une oreille pour calmer une démangeaison. Cela m’arrive assez souvent surtout lorsque la télévision m’empoigne le chignon.
Imaginez un instant qu’un monstre anthropophage nous coupe les dix doigts. Que ferions-nous? Nos mains deviendraient des mitaines sans doigts? Des petites pelles tout juste bonnes à pousser une charge ou à recueillir quelques grains de pluie. Un handicap majeur pour tous ceux et celles qui écrivent au lieu de parler.
Bénissons nos doigts, car ils sont aussi précieux que la prunelle de nos yeux.
Cora
❤ 👐 ❤
Ça y est, j’y suis enfin allée le 9 de mai, à la Place des Arts de Montréal. Cette première fois à l’opéra était sur ma bucket list depuis toujours et je m’empresse ce matin de vous raconter cette soirée irréaliste et sublime.
Je suis arrivée dans le Quartier des spectacles assez tôt, vers 17 h 30, et le temps doux m’incita à marcher à l’extérieur 45 bonnes minutes avant d’entrer dans le royaume de Puccini où un commentateur aguerri invitait la foule à la présentation de l’œuvre.
Déjà, j’étais éblouie. Je connaissais l’histoire, mais je pensais avoir oublié la jeune geisha Cio-Cio-San. Pourtant, lorsque le commentateur nous fit entendre les principaux airs de musique de Madame Butterfly, je les reconnaissais.
Toute jeune femme, avant même de subir les déboires d’un époux, j’adorais la voix humaine. Pavarotti était mon héros souvent accompagné de Plácido Domingo et de José Carreras. La puissance de leurs voix me chavirait. J’étais à cette époque une pure intellectuelle rêvant de réécrire l’histoire du monde. C’est pourtant ce monde à ma porte qui me coula dans d’étroits ruisseaux, m’obligeant à nager à contre-courant vers ma réelle nature. J’avais 15 ans, l’âge de la jeune geisha de Puccini et déjà, j’adorais la voix humaine. J’avais conscience que cette voix était un trésor caché, une éruption volcanique capable d’adoucir les pires chagrins. Et j’allais éventuellement m’en servir pour me remettre au monde.
Treize longues années d’épousailles gâchées m’avaient privée de musique et de voix divines. Mais j’allais me rebâtir. Do, ré, mi, fa, sol, la, si. Je me suis enfuie et j’ai retrouvé ma vie. En 1980, j’étais libre comme l’air. J’avais 33 ans et Andrea Bocelli en avait 22. Il chantait comme un dieu et je voulais l’épouser. J’avais cette urgence de reprendre le temps perdu. Mais comme disait si bien maman : le lait répandu ne se ramasse pas. J’avais surtout besoin de travailler pour nourrir ma marmaille. Et je l’ai fait, pendant trente ans, d’une voix grave de baryton, autoritaire et puissante.
Me voici donc assise dans la première rangée, devant l’orchestre. Le rideau, un immense paravent japonais, s’ouvre. Nous sommes à Nagasaki et Goro, le marieur du canton fait visiter à l’officier américain Pinkerton sa nouvelle maison. Il lui présente Suzuki, la nouvelle servante de sa future épouse. Le consul des États-Unis est présent et il met en garde Pinkerton contre son union avec Cio-Cio-San, jeune geisha de quinze ans, rayonnante de bonheur à l’idée de ce mariage.
À l’issue de la cérémonie, choqué par le changement de croyance de sa nièce, l’oncle de la mariée la renie. La famille de Cio-Cio-San, amoureusement surnommée Madame Butterfly par son bel officier américain, se retire et un long duo d’amour réunit les nouveaux époux. Rapidement, Pinkerton doit retourner aux États-Unis. Trois années passent et Butterfly est toujours sans nouvelle de lui. Son cœur est convaincu qu’il reviendra. Elle repousse même les avances d’un riche prince qu’on lui a présenté.
Le consul américain sait qu’entretemps Pinkerton s’est marié et il doit l’apprendre à Butterfly. Celle-ci ne le croit pas et elle attend toujours. Elle lui répond même que si c’était vrai, elle se tuerait.
Elle continue donc d’attendre en embellissant sa maison de fleurs et d’espoir. Puis un jour, elle apprend que Pinkerton revient avec une nouvelle épouse américaine. Lorsqu’ils arrivent, Madame Butterfly joue ses derniers instants de vie. Elle confie son jeune enfant à l’épouse américaine et se fait hara-kiri sous les yeux de l’officier américain.
Goutte à goutte, j’ai pleuré mon âme pendant cet opéra de Puccini et toute mon accablante souvenance s’est dissoute dans l’eau des larmes de Madame Butterfly. J’en remercie donc l’extraordinaire soprano libano-canadienne, Joyce El-Khoury, pour son interprétation sublime de Madame Butterfly.
Cora
🎼🎤🎟
Je veux écrire cette lettre à moi-même depuis toujours et je procrastine; je la remets systématiquement à un lendemain qui n’arrive jamais. Quoi me dire et quoi m’apprendre que je ne sache déjà?
« Tellement de choses », dirait la copine qui m’a jadis conseillé cet exercice. Aurais-je si peur d’entrer dans ma tête? Ou, pire encore, dans mon cœur à moitié vide? Qui suis-je, à vrai dire? « Puissante », dirait la copine, professeure de yoga. « Puissante et vaillante. »
Certes, j’ai jadis été la meilleure dans mon domaine d’affaires. J’ai créé quelque chose de nouveau, un concept de restauration révolutionnaire pour l’époque. J’ai appris à gagner de l’argent. Je me suis entourée de personnes compétentes et importantes. Je n’ai pas eu peur de m’imposer dans un monde dominé par les hommes et je n’ai jamais hésité à donner mon opinion concernant les choses que je connaissais.
Pourquoi m’écrire? Je n’ai ni la gloriole ni le compliment facile. Mais peut-être aurais-je peur; affolée d’amerrir sur un océan tumultueux? Je préfère écrire aux autres, à tous ceux qui sont assez gentils pour me lire. Je leur écris pour expulser les averses de mots qui s’agitent dans ma tête.
« Longue est la liste, chère Cora, des autobrimades qui altèrent l’estime de soi. Essaie d’écrire cette lettre comme si elle s’adressait à une autre que toi », me suggère la copine. Imagine que tu envoies une lettre de réconfort et de conseils à une meilleure amie qui s’appellerait Corina. Essaie de convaincre Corina qu’elle doit adoucir le regard qu’elle porte sur elle-même. »
— D’accord, je l’écris, cette lettre.
Très chère Corina,
Je te connais depuis toujours et tu es ma meilleure amie; géniale et talentueuse. Je me souviens de ta jeunesse. Tu étais audacieuse et créative, toujours la première à trouver des solutions à nos problèmes de jeunes femmes.
J’ai eu l’occasion de fréquenter ta famille assez souvent pour savoir que l’amour entre tes parents était plutôt rare. J’ai toujours su que tu en as cruellement manqué et que ton cœur a dû s’endurcir à la longue. La mésaventure du mariage obligé t’a pourtant donné trois merveilleux enfants et ton cœur a gouté à l’amour inconditionnel. Je l’avoue, tu as travaillé très fort pour réussir comme mère célibataire, mais tu as amplement gagné tes épaulettes. Ne l’oublie jamais.
Toutes ces 13 années de mariage obligé avec un homme méchant ont abimé ton pauvre cœur et tu as peut-être conclu qu’il était défectueux; qu’aucune personne ne pourrait y entrer.
Très chère Corina, je te connais depuis toujours et j’en sais la cause. Tu as cruellement manqué d’amour, mais sache que ton cœur fonctionne très bien. Il s’est d’ailleurs remplumé durant la pandémie. L’univers ne t’a pas oubliée. Il t’a fait un cadeau immense en t’offrant l’écriture dont la jeune fille en toi avait toujours rêvé. L’écriture te permet aujourd’hui de rejoindre des milliers de lecteurs qui t’aiment énormément, j’en suis certaine.
Rien ne te manque, chère Corina, pour être une magnifique personne. Compte tes bénédictions. Tu as l’amabilité, la générosité, la fantaisie, l’amour bienveillant envers les autres et le talent des mots.
Tu es la personne que j’aime le plus au monde. Sache-le, chère Corina. Nous sommes les meilleures amies du monde, des complices et les sœurs de toutes les femmes de la planète. Brunes, noires, vieilles, jeunes, pâlottes ou bronzées, qu’importe notre nom de baptême, nos cœurs se ressemblent tous. Ils souffrent, ils palpitent, ils pleurent et explosent de joie lorsqu’ils se reconnaissent dans une glace. Oui, oui! Mon cœur fait boum boum en me regardant dans la vitre du café. C’est moi, Cora, qui viens tout juste de reconnaître qui je suis. La copine, professeure de yoga, avait bien raison.
Essayez un brin. Écrivez-vous une lettre, chères lectrices. À vous-même ou à un nom d’emprunt. Pleurez entre les lignes, videz votre trop-plein de chagrin dans la marge; déroulez le parchemin blessant et ouvrez la plaie, s’il le faut. Il s’agit ici de guérir notre cœur.
Cora
👵
P.-S. Je vous aime tellement, chacune d’entre vous, chères lectrices. Si certaines d’entre vous voulaient être lues par un cœur aimant, je vous invite à me poster votre lettre et je la lirai, je vous le jure. Utilisez un nom d’emprunt si, comme moi, cela vous aide, et envoyez votre lettre à mon attention à l’adresse du siège social de l’entreprise.
Lettre à Madame Cora
16, rue Sicard, local 50
Sainte-Thérèse (QC)
J7E 3W7
Vous souvenez-vous de cette jeune femme en communication qui m’a interrogée il y a quelques semaines à titre de personnalité de la restauration? Eh bien, il paraît que cette dame Isabel P. a beaucoup aimé ma sincérité et mes réponses et qu’elle voudrait récidiver en creusant un peu plus creux dans ma vie mouvementée. J’ai dit oui, pas pour jouer à la grande vedette, mais par affection envers mes très chères lectrices. J’ai donc reçu avant-hier la liste de questions de dame Isabel et je m’empresse d’y répondre!
— Quels sont les trois mots qui vous définissent le mieux?
— Vitalité, créativité et vaillance. On dirait que je me vante, mais ce sont ces belles qualités qui m’ont finalement sauvé la vie.
— Que faites-vous pour vous reposer?
— J’écoute de la musique classique, baroque surtout, et j’enfile des perles, je dessine des visages, je tricote, je compose des haïkus ou je pratique mes confitures. Je suis rarement immobile, sauf en soirée, lorsque des séries addictives m’empoignent le chignon.
— Nommez un défaut que vous avez finalement maîtrisé.
— Avec le temps et l’abandon du pouvoir, j’ai délaissé l’intransigeance. Cependant, je dois dire que le pouvoir me manque. Dans l’Entreprise, qui appartient maintenant aux enfants, je ne suis qu’une conseillère obligée, bien souvent, de ronger son frein.
— Quel a été le plus beau jour de votre vie?
— Il arrivera lorsqu’un immense oiseau déposera ma dépouille aux portes du paradis. Mes paupières s’ouvriront, mon cœur se remettra à battre et une vie nouvelle débutera.
— Allez-vous écrire votre biographie?
— Pas vraiment. Mots à maux, je me disperse chaque dimanche, comme me viennent les souvenirs ou l’inspiration. L’écriture quotidienne allège mon cœur et me garde amoureuse de la vie.
— Avez-vous un guide spirituel?
— J’aime penser que tous les saints du ciel me surveillent, qu’ils me protègent et me conseillent au besoin. Je crois à l’infinie bonté d’une force supérieure à la nôtre.
— Vous en êtes à presque 200 lettres du dimanche. N’êtes-vous pas fatiguée, épuisée, et désireuse de passer à autre chose?
— J’adore écrire ces lettres! Pour moi, elles sont comme « Les pages du matin » que l’artiste Julia Cameron a rendues célèbres dans son fameux livre « THE ARTIST’S WAY », publié en 1992.
Selon Julia Cameron, les trois pages à écrire chaque matin ont pour objectif de libérer l’artiste qui se cache en nous. Ces pages nous aident à construire une solide habitude d’écrire. Elles amplifient notre créativité et nos compétences d’écriture. Elles nous aident à faire le point chaque matin et à apprendre à puiser dans notre subconscient. Ces pages renforcent notre confiance en nous et nous permettent de libérer quotidiennement nos émotions souvent refoulées.
Pendant longtemps, j’ai écrit ces « pages du matin » qui sont devenues par miracle des « lettres du dimanche ». J’en suis très contente et je n’ai aucune envie d’arrêter de les publier.
— Rares sont les femmes de votre génération qui ont pris leur destin en main. Comment avez-vous fait?
— C’est une longue histoire, mais en bref, j’ai eu le courage de m’enfuir du logis familial avec mes trois jeunes enfants sous mon bras. J’étais démolie, mais avec l’amour de mes bambins, je me suis rebâtie. Vous en expliquer les détails nécessiterait quelques lettres du dimanche et elles viendront, j’en suis certaine.
En attendant, soulignons ensemble la fête des Mères!
Sortez, regardez vers le ciel, un oiseau vous apporte l’espoir. Un ange le dépose dans votre cœur. Vos yeux s’illuminent et vos paroles s’emplissent d’optimisme.
BONNE FÊTE DES MÈRES À VOUS TOUTES, CHÈRES LECTRICES!
Cora
❤
Ce matin très tôt, Morphée tirait sur ma douillette pour me réveiller. Il avait une idée géniale à me transmettre; une fable concernant une grenouille savante qui voulait devenir aussi grosse qu’un bœuf. Morphée voulait savoir si j’étais capable de raconter cette histoire.
— « Je peux certainement essayer », que je réponds au célèbre Dieu du sommeil. « Allume quelques réverbères, car il fait encore nuit et je cherche mes pantoufles. » Je me lève, m’habille, m’installe sur la table de cuisine et j’essaie d’ouvrir mon iPad. Étrangement, le clavier refuse de bouger. Dormirait-il encore? Je pitonne, je frappe, je désespère et je me coule un deuxième café. Chaque fois qu’il m’arrive un problème avec l’iPad, mon cœur arrête de battre. Je paralyse. J’ignore totalement comment fonctionnent les machines que j’utilise pour vous écrire.
J’ai peut-être une tête regorgeante d’idées, mais je suis une imbécile heureuse qui finit toujours par trouver quelqu’un pour l’aider. Entretemps, je désespère. J’ai peur de perdre mon idée, peur que l’iPad soit brisé, peur que disparaissent mes précieux écrits.
Je pitonne, pitonne à droite, pitonne à gauche et bousille toutes les fonctions du clavier. J’ai envie de pleurer. Dehors, la clarté se lève à peine et je décide de me rendre au café. Je range l’iPad et mes feuillets de notes dans ma grande sacoche, attrape mes clés de voiture et essaie de me comporter comme si tout allait bien. Le temps est si doux que les bancs de neige fondent à vue d’œil.
Arrivant au café, j’accroche un sourire à ma bouille. Je m’installe à ma table habituelle juste à côté d’un nouveau jeune homme que je vois pour la première fois. Front dégagé, col roulé bleu et vareuse de toile anthracite, l’étranger semble sortir tout droit d’un roman de Charles Dickens. Oui, oui! J’ose à peine le regarder du coin de l’œil. Puis, j’insiste. Il m’a pourtant l’air d’un jeune homme d’aujourd’hui féru d’informatique. Mais comment l’aborder? Je ne suis qu’une totale étrangère pour lui; qui plus est, une vieillotte désemparée avec un iPad brisé dans ses mains.
Le café est presque vide. Je suppose que la température trop clémente empêche les habitués de s’y engouffrer. Me voici presque seule avec cet Oliver Twist des temps modernes. Prenant mon courage à quatre mains, je lui adresse la parole.
— Vous êtes nouveau? Aimez-vous l’endroit?
— Je viens d’emménager tout près d’ici, dans un condo industriel.
— Ha oui! Et qu’allez-vous faire dans ce condo industriel? Y loger?
— Deux amis et moi avons fondé une entreprise de services informatiques.
— WOW! C’est super. J’ai justement mon iPad ici présent qui refuse de travailler ce matin.
— Vous travaillez, madame?
— Non, je m’amuse à écrire des histoires.
Et voilà que le jeune homme tend sa main vers ma table et s’empare de mon iPad. Il l’ouvre, caresse le clavier, pitonne ici et là quelques instants et me le rend avec un grand sourire.
— L’appareil n’est pas brisé, madame.
Je jubile. Je l’ouvre et constate que la grenouille savante qui veut devenir aussi grosse qu’un bœuf est toujours là, dans le début de cette page.
— Merci tellement, jeune homme.
Et l’homme de me remettre une jolie carte professionnelle avec adresse, courriel et numéro de portable.
J’aime les petites grenouilles et je n’ambitionne pas de devenir aussi populaire que mes héros québécois : Robert Lalonde, Heather O’Neill ou David Goudreault. Je veux juste être moi-même, améliorant de jour en jour mes griffures d’écriture.
J’ai souvent la vision d’un horizon ensemencé. Aurai-je assez de temps pour que la grâce m’enserre, pour qu’une œuvre sorte de terre?
Cora
🐸🐂
J’aimerais qu’un jour nous puissions sauter dans le vide ensemble, main dans la main. Oui, oui! Le fait que vous m’ayez écrit me touche beaucoup et je vais vous répondre en adressant cette lettre aussi à nous toutes, femmes débordantes d’expérience et de désirs multiples. Nous avons toutes nos moments d’accablement, de lourde solitude et d’incertitude. Moi la première, dix fois par jour je me remets en question. Nous prenons de l’âge et la vie s’amuse à nous malmener bien souvent. L’espoir, telle une jolie chaussette, rétrécit au lavage. Nos appétits rapetissent à vue d’œil et il nous arrive de ne plus savoir à quel saint nous vouer. Même nos vieilles prières tirent de la patte sur le plan de l’efficacité.
On me disait qu’avec l’âge, la sagesse viendrait, mais quand donc arrivera-t-elle? Dites-le-moi. Nous, les femmes un tantinet trop matures, lucides, compétentes et perspicaces, nous sommes toutes dans la même galère. Nous trimons pour être heureuses et, à la même seconde, notre imagination rêve de revoir Paris, Florence, les souffleurs de verre à Murano et les capitales nordiques.
Je vous comprends tellement, chère Héléna, et je suis contente que vous ayez eu confiance en moi pour en jaser. Posez-vous encore une fois la question qui tue. Que chacune d’entre nous se la pose :
« S’il nous restait 12 mois à vivre, que ferions-nous de notre temps? »
N’est-ce pas ainsi que votre médecin vous a donné un coup de fouet en 2006? Et vous êtes partie à l’aventure. Vous rêviez à tant de choses, mais vous ne passiez point à l’action et l’ultimatum vous a propulsée sur un autre continent. Vous y avez été heureuse et contentée.
Cela fait maintenant dix ans que vous êtes revenue d’Europe et à ce que vous me dites, vous recommencez à gruger les cadres de portes. Votre fille est entre bonnes mains, bientôt mariée et pourtant, je vous entends pleurnicher entre les lignes. La morosité vous est revenue, chère amie, et vous ignorez quoi en faire.
Nous avons toutes, un jour ou l’autre, ces accès de désœuvrement qui finissent toujours par passer. J’ai souvent expérimenté ces moments de désespoir/espoir qui ressemblent à des feux de circulation durant juste un peu trop longtemps. Vert/rouge, partez/arrêtez, et j’ajouterais action/inaction ou inaction/action. Nous nous devons d’être patientes.
J’espère qu’avant de m’envoler, j’apprendrai le rythme du « stop and go ». En attendant, je combats l’oisiveté en changeant d’air, en faisant des balades d’un jour ici et là ou des petits voyages à l’occasion, et en planifiant quelques nouveaux projets juste pour le plaisir.
Chère Héléna, quelques petits efforts peuvent être nécessaires, mais vous n’avez certainement pas besoin de traverser l’océan pour retrouver votre vivacité. L’Amérique est tellement grande et époustouflante! Il s’agit juste de sortir un peu plus de votre coquille et de vous épivarder, prendre du bon temps, apprendre de nouvelles choses et rencontrer des personnes intéressantes. J’insiste! Si vous voulez manger de bonnes tomates, vous allez devoir vous en occuper. Sortir de votre ordinaire, bichonner de jeunes plants, bien les arroser et attendre que la récolte soit digne d’une reine avant de vous attabler.
Il en est ainsi pour chaque chose. J’ai passé deux jours à relire votre lettre avant de m’asseoir pour y répondre. L’amitié se cultive dans le vouloir et la transparence.
Dame Héléna, le printemps déploie ses ailes et vous devez en faire autant. Expérimentez de nouvelles choses comme écrire dans un café, aller au cinéma plus souvent ou courir les brocantes. Assoyez-vous sur la galerie et planifiez votre été. Il s’agit ici d’insister pour injecter davantage de plaisir dans votre quotidien.
N’ayez crainte, on a tous la capacité de se recréer une belle vie. Je lisais l’autre soir un article de la journaliste québécoise Kathleen Michaud qui disait que « personne ne naît pour un petit pain ». Elle parlait ensuite de dix conseils pour développer notre potentiel au maximum.
Au bénéfice de chacune d’entre nous, je vous les énumère :
1– Apprendre à se connaître
2– Se questionner sur ses intérêts
3– Avoir des objectifs précis
4– Faire de la place dans l’agenda
5– Être disciplinée
6– Être résiliente face à l’échec
7– Se fixer des limites
8– Célébrer ses victoires
9– Se reposer
10- Trouver de l’inspiration
Allez, ma chère! Revisitez vos forces et vos faiblesses et ne vous contentez pas de faire des listes. Choisissez des objectifs bien précis, réalistes et réalisables. Au besoin, tirez la langue à la banalité du quotidien et visez plus haut. Soyez persévérante. Ne faut-il pas tricoter serré pour avoir chaud en hiver?
À chaque petite victoire, célébrez! Envoyez-vous par la poste une carte de félicitations, sablez le champagne, payez-vous une bricole tant désirée ou tout autre chose que votre cœur désire. L’objectif étant de récompenser vos efforts.
Imaginez, chère Héléna, une très longue échelle accotée sur la lune. Une échelle où vous pouvez sauter des marches vers le haut. La vie est cette longue et généreuse échelle qui nous donne amplement le temps d’apprendre à décrocher la lune, à gagner le gros lot, à obtenir enfin tout ce que votre cœur désire, y compris l’amour, s’il est au rendez-vous!
Affectueuse embrassade
Cora
❤
7 h 32 au café du village
Comme vous le savez, il m’arrive bien souvent d’écrire une lettre au café du village. À force d’être là depuis bientôt un an, je suis devenue une habituée de l’endroit, tout comme la copine Claudette qui arrive chaque matin avec ses stylos et ses multiples carnets lignés à spirale. Elle a sensiblement mon âge, je suppose, et une longue queue de cheval épaisse et très blanche. Comme nous arrivons très tôt, elle et moi, nous avons le loisir de toujours choisir les deux meilleures tables qui s’avèrent l’une à côté de l’autre.
Toutes deux nous avons un certain empressement à traduire sur la page ce qui mijote dans nos têtes. Claudette noircit ses lignes à la main et moi je pianote sur l’iPad. Telles des moniales copistes des temps anciens, nous travaillons en silence la plupart du temps. Nous buvons quelques cafés chaque matin sans vraiment converser.
Et voilà qu’à la longue, je deviens curieuse de ce qu’écrit cette étrange femme silencieuse. Outre son sourire béat et son calme majestueux, qui est-elle vraiment? Tous ces feuillets grouillants de mystère qu’elle retouche sans cesse ne peuvent être un roman. Zieutant de loin, j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’un plan d’affaires; d’une ébauche sans cesse retravaillée d’un quelconque projet grandiose.
Claudette libère toujours sa table à la même heure et son départ attise ma curiosité. N’est-elle pas à la retraite? Où va-t-elle donc? Les jours passent et Pâques s'installe dans le café soudainement inondé de gros œufs en chocolat, de lapins, de canards, de poussins multicolores et de figurines de tout acabit.
En arrivant ensemble devant l’étalage de chocolats, Claudette et moi pouffons de rire comme de jeunes écolières en vacances. Nous rejoignons nos tables et commençons à jaser. La fine glace printanière est cassée. Enfin, nous nous parlons.
— Tu sais, madame Cora, je fais moi-même un excellent chocolat maison. Quelques fois, je le truffe de ganache et c’est encore plus délicieux.
— Ah bon, vous êtes une cuisinière?
— Non, je ne le suis pas. Je suis une musicienne de carrière.
— Et vous connaissez mon nom?
— Tout le monde vous connait; surtout comme « la dame qui écrit ». Et moi, c’est Claudette.
— Enchantée, chère Claudette. Sachez que vous m’intriguez avec votre écriture à la main qui me semble de la plus haute importance.
— Effectivement, j’élabore un projet qui me tient à cœur. Et maintenant, sur le tard, je veux à tout prix le réaliser.
— Puis-je vous demander de quoi il s’agit?
— J’ai finalement vendu ma dernière demeure et je veux maintenant en acheter une plus grande que je voudrais convertir en genre de commune où moi-même et quelques cinq ou six personnes âgées pourrions vivre ensemble.
— Ah bon, je comprends. Vous êtes en train de rédiger votre plan d’affaires et c’est ce que je vous vois faire chaque matin?
— Exact. Je suis une artiste musicienne, mais j’ai les deux pieds bien ancrés dans la réalité. En planifiant la vente de ma maison, je me préparais à déménager dans un très grand édifice où je serais aux petits oiseaux, comme on dit par ici.
— Et alors?
— J’y suis depuis six longs mois et j’ai la nostalgie d’une vraie maison. J’ai donc décidé d’utiliser tout mon pécule pour améliorer ma situation et celle de quelques comparses qui accepteraient que nous vivions ensemble.
— Wow! Vous n’avez pas les deux pieds dans la même bottine. Je vous vois écrire, rayer et réécrire depuis plusieurs mois. Vous tenez beaucoup à ce projet, mais est-ce réalisable? Qui serait en charge?
— Chacune d’entre nous fournirait à égalité l’argent nécessaire à acheter une maison propice à loger cinq ou six personnes de 65 ans et plus. Chacune d’entre nous aurait sa chambre et contribuerait au train-train quotidien ainsi qu’aux frais afférents. Au besoin, nous pourrions structurer un comité et nous entendre sur une procédure décisionnelle.
— Vous m’impressionnez, chère Claudette. Ai-je votre permission pour demander à mes lectrices et lecteurs ce qu’ils en pensent? Question de savoir si le projet est viable selon eux.
Cora
❤
Très chère Jocelyne B. de Shawinigan, je viens tout juste de lire votre commentaire du dimanche 12 mars où vous me dites que je vous inspire « à écrire un livre à vos petits-enfants », et que vous avez hâte d’entreprendre ce projet que vous écrirez, comme moi, dans un café près de chez vous.
Vous dites que vous avez déjà en tête le titre du livre : « GRAND-MAMAN RACONTE ». Vous me dites aussi que vous aimeriez que je sois assise près de vous pour vous conseiller. Quel honneur vous me faites, chère dame! Je serai près de vous et je vous aiderai à comprendre que le maître de cet univers est immensément bon et qu’il ne nous envoie pas des projets que nous sommes incapables de réaliser. Si ce désir d’écriture vous est venu, c’est que vous êtes amplement capable de le matérialiser.
Fouillez dans votre armoire à talents et mettez sur la table votre créativité, votre originalité, l’amour que vous portez à vos petits-enfants, et votre audace et votre courage. Car il en faut, du courage, pour devenir ce que nous sommes appelés à être. Il en faut des tonnes et des tonnes de courage pour permettre à nos idées de s’étendre sur la page, pour oser croire que nous sommes dignes des belles phrases que nous nous apprêtons à immortaliser.
Sachez que chaque matin d’écriture, j’hésite, je tremblote et je doute que mes phrases vaillent la peine d’être lues. Et pourtant, lorsqu’arrive le dimanche au soir et que je vois ces centaines de bons commentaires, je respire un peu mieux. Je décide de continuer, de creuser plus creux dans ma caboche où se cachent les meilleurs mots.
N’ayez crainte, le vaste ciel est rempli d’inspiration et d’idées merveilleuses à raconter. Ce ciel paradisiaque est aussi le plus gros entrepôt de souvenirs au monde. Chacun et chacune d’entre nous possède son propre casier proportionnel à l’énormité de ce qui est inscrit dans notre mémoire. Vous ne manquerez jamais d’idées, chère amie. Effilez vos crayons et habituez-vous à sortir de la maison. Oui, oui! Résistez à la tentation du ménage, du lavage et de ces mille et une tâches qui essaieront de vous distraire de votre but.
Je dois vous le dire, j’adore votre titre, « GRAND-MAMAN RACONTE ». Il est très approprié, vivant et il stimule la curiosité. Vous aurez certainement votre plus belle bouille sur la couverture du livre et vos petits-enfants seront très fiers de leur mamie.
Moi-même, toujours aussi curieuse que le petit dragon d’Australie, je n’ai pu résister à me rendre sur votre page Facebook et quelle magnifique figure vous avez, chère Jocelyne de Shawinigan. Quelle belle tête grise et quel sourire appétissant! Même vos jolies barniques feront honneur à l’écrivaine que vous deviendrez peut-être un jour.
Je suis avec vous, chère amie, comme avec toutes les femmes qui osent exprimer le meilleur d’elles-mêmes. Raconter notre passé nous aide à paver le reste du chemin. Tous ces merveilleux souvenirs qui nous ont appris à mieux vivre, nous devons presque les encadrer et les suspendre dans nos salons. Dépoussiérer des visages que nous aimions tant et qui se sont envolés; et tous ces jeunes poupons qui sont devenus grands pendant que nos chevelures blanchissaient.
Chère Jocelyne, vous aurez tellement de choses à raconter, tellement de visages à vous remémorer, tellement de pages de calendrier à tourner. Toutes ces dates d’anniversaire à vous remémorer, tous ces gâteaux de fêtes dont vous aurez peut-être oublié la saveur.
J’ai moi-même commencé ce genre d’aventure et j’ai toujours l’impression d’en être au début. L’écriture me permet de vieillir en me souvenant continuellement de ma jeunesse. Goûtez à cette médecine, chère amie et, comme moi, vous finirez par emmailloter votre propre vie dans un fin papier ligné.
Cora
📝 ❤
Chère dame Isabel P., quelle belle surprise vous me faites en vous intéressant à moi, et c’est avec grand plaisir que je vais répondre à toutes vos questions. J’ai cru comprendre, en lisant votre lettre reçue hier matin au siège social de l’entreprise Cora, que vous travaillez en communication et que vous devez produire un article consistant à interroger une personnalité du monde de la restauration.
Je dois d’abord vous dire, chère Isabel, que je suis très honorée que vous m’ayez choisie. Dans ce monde d’aujourd’hui, rempli d’une foule de jeunes et de moins jeunes cuisiniers émérites, vous aviez amplement le choix d’interroger une étoile scintillante. Et vous avez choisi une orange confite, va pour sanguine et colorée, mais dont le jus se vide tout doucement du fruit… Allez, chère Isabel, sortez votre liste de questions! Je suis rarement en panne de réponses.
— Dame Cora, je dois vous dire que j’ai décidé justement de faire un article intimiste. Je lis vos Lettres du dimanche et je suis certaine que ce qui intéresserait vos lectrices n’est ni votre parcours professionnel ni vos trophées et le grand nombre de vos établissements. Toutes ces lectrices qui ont fait le tour de la Gaspésie avec vous, ce qu’elles veulent connaître, c’est votre rapport à la nourriture, vos préférences, vos petites manies et ce dont vous ne pouvez vous passer.
— J’adore ce genre d’interview, chère Isabel. Sortez vos questions et déplumez l’oiseau rare!
— Allons-y! Quelle est la recette que vous aimez le plus cuisiner?
— Des feuilletés aux épinards (spanakopita) parce que c’est ce que mes enfants et petits-enfants préfèrent manger et parce que je les réussis très bien.
— Mis à part les chefs dans les restaurants Cora, qui est votre cuistot favori?
— J’en ai deux. Matthew, notre génial jeune chef corporatif au sein de notre Entreprise et Éric, un vieux pruneau de mon âge, grand ami, cuisinier de métier et diplômé des grandes écoles culinaires de Suisse. Éric excelle dans les sauces et son caramel, je l’avoue, est meilleur que le mien. Oui, oui!
— Lorsque vous avez envie de vous gâter, que choisissez-vous de manger?
— Longtemps, lorsque je travaillais à grande vitesse, c’était la pizza et les lasagnes. Réconfortant, délicieux et bourratif, un seul gros repas par jour m’économisait du temps. Aujourd’hui, je mange beaucoup plus sainement, accompagnant chaque repas de crudités (radis, carottes nantaises, bâtons de céleri, daïkon mariné et petits concombres d’été) pour remplacer le pain. Je préfère le poisson et les fruits de mer à la viande, mais les côtelettes d’agneau bien cuites me font saliver.
— Êtes-vous davantage du type sucré ou salé?
— Je suis définitivement du type salé même si, jeune femme, je ne pouvais résister à une tarte au sucre St-Hubert. Aujourd’hui, je ne mange pas de dessert; une bouchée pour goûter au travail, et une beurrée de confitures sur une toast lorsque j’en fais.
— Si vous ne deviez manger qu’une sorte de plat pour le reste de votre vie, quel serait-il?
— Des feuilletés aux épinards, avec modération, et des crudités. Et si la planète arrivait à manquer d’épinards et que le prix des homards était toujours raisonnable, j’en mangerais un beau gros matin, midi et soir; froid avec mayonnaise ou chaud saucé dans le beurre à l’ail.
— Quel est le pays ou quelle est la culture que vous appréciez le plus pour sa cuisine?
— La cuisine grecque, bien entendu, parce que je la connais et la maitrise très bien. C’est d’ailleurs la seule chose que l’époux m’a donnée en plus de trois semences dans mon ventre.
— Avez-vous une petite fringale un peu étrange; quelque chose que vous mangez qui fait sourciller les autres?
— Pas vraiment. Je mange beaucoup de poisson, du hareng boucané, des petits capelans séchés, beaucoup de saumon fumé, autant de morue, des calmars frits à l’occasion et de grosses crevettes d’Argentine lorsque c’est la fête.
— Êtes-vous une fine bouche, une adepte de la gastronomie?
— Pas du tout! Ma spécialité, c’est le déjeuner et je marcherais à genoux jusqu’à Boston si j’étais certaine d’y découvrir un nouveau déjeuner mirobolant.
— Croyez-vous qu’un homme pourrait vous séduire par la panse?
— Quelle épouvantable question que voilà! Je marine depuis tellement longtemps dans les eaux du célibat que je désespère. Les hommes me voient comme un réel succès alors que mon cœur de reine est échec et mat depuis presque 60 ans.
— En 1987, lorsque vous avez ouvert votre premier petit restaurant de déjeuners, ce repas n’était ni à la mode ni populaire. Pourquoi avez-vous choisi cette spécialité?
— Croyez-moi ou non, c’est un ange du ciel qui a mis cette idée dans ma tête. Je relevais à cette époque d’un sévère burnout, obligée de vendre l’abri familial. C’est le ciel qui a eu pitié de moi en trouvant un acheteur pour ma maison dont la vente m’a permis d’ouvrir un petit resto pour au moins gagner notre croûte. Inspirée d’en haut, je me suis concentrée sur le repas matinal et ma créativité a fait le reste.
— Avez-vous un péché mignon? Une chose à laquelle vous ne pouvez résister?
— Malheureusement non. Mais si, un de ces matins bénis, tous les grands poètes pouvaient ressusciter ensemble dans ma cour arrière, je ne pourrais résister à l’envie de dresser pour eux une immense table de toutes mes meilleures spécialités matinales.
— Merci beaucoup, chère Madame Cora.
— Merci à vous, chère Isabel.
Cora
🍽
7 h 34 au café du village
La nuit dernière, j’ai rêvé d’un tatouage. Quelle étrange chose! Ce n’était pas l’image de la jolie colombe de Picasso, ni celle de l’abeille emblématique de Bonaparte. Ce n’était pas non plus le mont Fuji que j’ai contemplé de très près en 2015, ni le beau soleil jaune de Cora, ni quoi que ce soit que j’aurais pu chérir au point de vouloir le tatouer sur ma peau.
Je suis d’ailleurs rebelle à ce genre de choses. Et pourtant, la femme qui s’est réveillée dans mon lit ce matin fixait son avant-bras gauche. Elle caressait les huit chiffres et les quatre lettres d’orthographe d’un tatouage à l’encre bleue d’environ un demi-pouce de hauteur.
Cette femme du rêve n’était pas moi; elle était juste LA PEUR EN MOI; la peur de faiblir, la peur de perdre mes facultés et la terrible peur de mourir. Je le confesse, j’ai un attachement quasi irraisonnable à cette vie terrestre et je perds facilement ma sérénité en imaginant ma dernière heure.
Toute la nuit durant, c’est la peur qui parlait et qui agissait à ma place. C’est elle qui a eu l’affreuse idée d’un tatouage. Elle sait que je suis gauchère et que l’encre doit être du bleu de la Baie-des-Chaleurs où je suis née.
J’en vois de plus en plus souvent de ces audacieuses œuvres d’art tatouées sur la peau des humains. Je suppose que ces trésors, souvent bien cachés, rendent hommage à l’animus qui les nourrit. Les symboles illustrés peuvent se ressembler, mais le grain du canevas est unique et les rend impossibles à dupliquer.
C’est la PEUR en moi qui a tout manigancé. C’est elle qui, pendant que je dormais, a fait tatouer ce passeport à l’encre indélébile sur mon bras gauche. Elle qui a inscrit mon année de naissance, le nom de ma grand-mère paternelle (qui est aussi le mien) et la date de mon grand départ : 1947-CORA-2047
Ce tatouage onirique ne représente pas une tendance artistique ni une création à montrer. Je connais la PEUR qui m’anime; elle a toutes mes qualités : audacieuse, entreprenante, astucieuse et infatigable. Ce qu’elle veut dire à propos de ce tatouage, c’est une subtile exhortation lancée au Maître de l’Univers. Comme un pacte écrit dans ma chair. Deux dates m’assurant 100 ans d’existence.
10 h 35
Elle parle, elle parle ma PEUR et elle veut toujours avoir raison. Elle aussi ne veut pas mourir. C’est pourquoi elle insiste autant, venant dans mes rêves, me remplaçant dans mon lit et me bourrant la tête de recettes de longévité.
Même en écrivant cette lettre, elle me chuchote ses consignes. Elle m’invite à ne pas exhiber mon tatouage car il ressemble, mais n’a rien à voir, au marquage au fer rouge des esclaves de jadis. Les chiffres tatoués sur mon avant-bras sont là pour convaincre mon corps de rester en vie. La PEUR connaît mon attachement à cette vie d’ici-bas. Comme elle ferait n’importe quoi pour m’encourager à vivre, je lui pardonne ses incartades nocturnes. Je sais que cette suggestion de tatouage est un espoir, une alliance avec l’au-delà.
11 h 15
Jour après jour, ma longue vie s’effrite, s’allonge et court après son souffle. Le reste de mon âge vit dans une maison à ciel ouvert d’où s’envolent des milliers de phrases à cheval sur le vent. J’aime disparaître en fines tranches. Semaine après semaine, mes lettres s’appuient l’une sur l’autre comme les marches d’un long escalier menant vers le paradis. Mot à mot, je grimpe vers la fin à pas de tortue.
Je réfléchis si peu, avec cette vieille caboche et ces doigts crochus qui tapent encore des fautes sur le clavier. Vaille que vaille, j’imagine qu’un certain matin, très tôt ou durant mon sommeil, un elfe bienveillant fermera mes paupières. J’imagine qu’à cet instant précis, sur la cinquième planète du Petit Prince de Saint-Exupéry, un allumeur de réverbères fera naître une nouvelle étoile.
11 h 40
Voici que Carmen, mon habituelle voisine de table, me demande ce sur quoi j’écris.
— J’écris sur la mort, chère Carmen. Surtout sur ma peur de mourir.
— N’aie crainte, chère Cora, « Quand on meurt, soit on s’endort, soit on se réveille. »
— Qui donc a dit cela?
Carmen ne s’en souvient plus.
Cora
❤
7 h 30 au café du village
Comment pourrais-je, ce matin, peupler de mots cet étrange avant-midi à la bouche muette? Comment pourrais-je débâtir cet inhabituel silence agrippé à chaque table? Je suis toute seule dans ce café tristounet à attendre que l’humanité se réveille.
Dehors, le vent souffle sur la neige et la transforme en rigoles de gadoue. L’hiver agonisant insiste pour gagner du temps. Il ne veut pas céder sa place au printemps. Vers 9 h 30, quelques somnambules cherchent des humains en entrant dans le café. Ils ont les yeux à demi fermés, la mine basse et l’estomac vide. Comme encore endormis, ils piétinent sur des nuages imaginaires jusqu’à se rendre au comptoir de viennoiseries.
Mes doigts leur lancent quelques brefs « bonjour », mais ils ne les voient pas. Lorsque la machine à expresso crachote sa fumée brûlante, quelques-uns ouvrent l’œil. Dans leurs mains jointes, la mousse blanche de leurs lattés tremblote et lorsque le liquide réconfortant glisse dans leur œsophage, la plupart se réveillent pour de bon.
10 h 20
De lui-même le café se remplume. Le personnel retrouve le sourire et dix, douze mains s’activent derrière le comptoir. Et voilà qu’un étrange Terrien en bottes de peau de phoque entre et s’assoit à la table à côté de la mienne. Il zieute la foultitude de clients réguliers et s’informe à moi comment commander un repas.
Je m’empresse donc de lui expliquer avec moult détails comment il doit se lever, s’approcher du long comptoir de sandwichs et choisir lui-même ce qui lui convient. J’insiste pour lui suggérer le gros sandwich au pain noir bourré de délicieux saumon fumé, d’oignons rouges finement coupés et de différentes laitues aromatisées.
Ouf! Le magnifique visage hâlé de cet homme du Grand Nord me chamboule; ses yeux en amandes et très noirs me transpercent. En ligne devant la machine à café, l’homme me semble encore plus grand qu’un superhéros.
Les battements de mon cœur s’accélèrent. Mes doigts figent sur le clavier, coupant même une belle phrase en trois morceaux. Je ferme le clapet de l’iPad.
D’où me vient soudainement cette femelle extasiée? Ces joues brûlantes? Ce cœur battant la chamade? Ces yeux valsant dans le vide, ces bras s’allongeant jusqu’au 55e parallèle?
Une gentille serveuse apporte à sa table le repas du nouveau venu. Celui-ci enlève son parka et dépose sous sa chaise ses mitaines en peau de bête.
En me dévisageant, l’homme dit : « Inuktitut, my language. Suis un Inuit du Nunavik. My grandparents were living dans un igloo. » Et patati et patata, ce dieu Thor du Grand Nord hachure et mâchouille l’anglais jusqu’à me faire comprendre qu’il est venu par chez nous pour visiter les parents de son épouse québécoise.
— Because new baby arrived last month.
— I understand. Congratulations for the baby!
— Thank you, Madame; I now have six children.
Esseulé dans un Sahara imaginaire, mon cœur désespère. Un fragile instant, j’ai rencontré la beauté, un visage magnifique, l’homme de mes rêves.
J’aime la beauté, le David de Michel-Ange, la Vénus sans bras de Milo, le Penseur de Rodin et tous les autres chefs-d’œuvre des grands créateurs. Et tout naturellement, j’aime les choses bien faites et les hommes magnifiques à contempler.
Je vous l’avoue humblement, cet homme du bout du monde glacial était particulièrement splendide. Il cumulait toute la beauté et la simplicité du vent, de la neige, de la glace et du soleil.
— Tout un coup de foudre!, me dirait mon amie la corneille.
— Un satané coup de foudre, répondrais-je avec empressement.
Cora
❤
Mercredi, 10 h 35 au bureau de l’Entreprise
Ouache! Ce matin, je suis contrariée. J’attends depuis trois jours une confirmation de rendez-vous et rien n’arrive. Depuis hier, je vérifie mes courriels aux dix minutes, j’essaie de contacter la personne en question et NADA. Impossible de la joindre, ni elle ni l’entreprise où elle officie.
Il s’agit pourtant d’une rencontre décisive pour moi, afférente à mon bien-être intellectuel et mental. Cette longue attente m’irrite et me distrait de toute autre pensée. J’enfile deux cafés de suite et encore RIEN. Cachée dans mon bureau, j’apprends de nouveaux mots : grogner, bougonner, ronchonner comme une adolescente privée de cinéma.
Lorsque je me calme, tout ce à quoi je peux penser c’est de vous écrire. Oui, oui! Chers lecteurs, vous êtes mon refuge préféré, une île de bonheur où j’aime me prélasser. Je ne peux pas encore vous parler de ce fameux rendez-vous, mais s’il est positif, il me comblera de bonheur; et vous aussi par ricochet.
Il m’arrive de penser que je suis trop vieille pour entreprendre de nouveaux défis. Et vite, juste à me souvenir de dame Janette Bertrand, j’enfouis cette idée au plus profond de mon jardin. Mon enthousiasme se remplume. Entreprendre m’a jadis très bien servie. J’excellais et je n’avais aucune peur. Je me souviens tellement. Dans l’arène, je fonçais comme un taureau dans la cape rouge du torero.
Deux fois, mon cellulaire a sonné pour autre chose que ce que j’attends. Je n’ai pas répondu. Un brin tranquillisée, je sors de mon bureau. Vous êtes avec moi. Nous traversons ensemble les longs corridors de l’Entreprise. Dans la cuisine, je me coule un troisième café. En voulez-vous une tasse?
Le saviez-vous? Mon nom de baptême est Marie Antoinette Cora, le nom d’une grande reine de France, épouse du roi Louis XVI. Une reine morte à 37 ans, guillotinée sur la Place de la Révolution (aujourd’hui nommée Place de la Concorde) le 16 octobre 1793 à 12 h 15 exactement.
C’était du temps où l’on ameutait les foules et où tout pouvait arriver, même occire une reine. Venant d’Autriche, la jeune noble Marie-Antoinette est arrivée à la cour de France alors qu’elle n’était âgée que de quinze ans. Dès son mariage avec le dauphin Louis, héritier du trône, elle montre des difficultés à s’adapter aux usages français et, devenue reine, elle multiplie, le plus souvent de façon inconsciente, les maladresses qui lui aliènent peu à peu l’opinion publique et contribuent à ternir son image de façon désastreuse.
Pauvre reine et bienheureuse Bibi qui a encore de nombreuses années à vivre. J’adore la vie, ses contrariétés et ses multiples beautés. Toutes les artères de la grande vie s’étant rouvertes, peut-être pourrions-nous, vous et moi, recommencer à réfléchir à de nouvelles aventures. Servez-vous un énième café, assoyez-vous tranquille dans un coin avec calepin et stylo et projetez-vous dans l’avenir. Comme un véritable acte de foi dans le futur, rédigeons une liste de tout ce que nous aimerions expérimenter avant de lever les feutres.
On peut commencer par écrire pêle-mêle tout ce qui nous vient à l’esprit et après on décline par priorité. L’objectif étant d’identifier des expériences, des souhaits, des rêves, des envies ou des défis qu’on aimerait relever. Dans le langage familier, l’exercice s’appelle « faire sa bucket list ».
Et voici que j’ose vous dévoiler la mienne. Je l’ai déjà fait pendant la pandémie, mais peut-être suis-je aujourd’hui beaucoup plus audacieuse. Et peut-être que les bucket lists c’est comme les détecteurs de fumée, il faut les revisiter à l’occasion. Voici donc ce que j’aimerais oser faire avant d’éteindre mon cœur :
1– Revoir Paris, la Place Saint-Germain-des-Prés, la Mère Poulard au Mont Saint-Michel et le café Les Deux Magots jadis fréquenté par Verlaine et Rimbaud, mes poètes préférés.
2– Aller à l’opéra pour la première fois de ma vie parce que je n’ai jamais pris le temps d’apprécier la voix humaine en action. Je me décide. Je veux voir Madame Butterfly à la salle Wilfrid-Pelletier de Montréal du 6 au 14 mai 2023. Ce sera un beau cadeau pour mes 76 ans en mai.
3– Visiter la Suède et plus spécialement les boutiques de l’artiste designer Gudrun Sjödén et ses collections de vêtements en harmonie avec les couleurs de la nature. Dans une autre vie, j’aurais tellement aimé être sa voisine et travailler dans ses ateliers.
4– Visiter l’Islande, mère patrie de mon écrivaine préférée, Andur Ava Ólafsdóttir, auteure de Rosa Candida et Miss Islande. Faire quelques fois le tour de l’île et admirer ses époustouflantes beautés.
5– Trouver un maître de haïku accessible dans mon entourage et suivre avec lui un atelier de création par pur plaisir créatif et pour améliorer mon écriture poétique.
6– Bien sûr, publier un nouveau livre ou deux avant que le labyrinthe de mes pensées s’assèche complètement.
On me l’a offert. J’ai dit oui et j’attends cette damnée confirmation de rendez-vous qui n’en finit plus d’aiguiser ma patience. C’est d’ailleurs le plus précieux des objectifs de ma « bucket list ». J’y tiens et je suis capable de bien le faire.
DRING DRING! DRING, DRING!
– « Bonjour, Madame Cora, je devais confirmer notre rendez-vous lundi dernier, mais j’étais dans un Salon du livre complètement époustouflant. Le grand hall d’exposition était archiplein et à chaque comptoir, de longues files d’admirateurs attendaient pour parler aux auteurs. Je m’excuse, chère Cora. La bonne nouvelle c’est cette importante recrudescence de lecteurs. Cet automne, j’en suis à mon troisième salon, et c’est la folie.
Tout enthousiaste, l’éditrice me confirme notre rendez-vous de vendredi matin. Je me calme enfin le pompon. La population aime encore la lecture, elle l’aime de plus en plus à ce qu’il paraît. Et peut-être aurais-je aussi la chance, chers lecteurs, de vous rencontrer en personne dans un Salon du livre et de vous serrer la pince. Mon cœur se remplit d’espoir; mon espérance de vie s’allonge. Puisse le Paradis patienter un brin; puisse-t-il attendre que je me vide de tous mes mots?
Cora
📚 📖 📚