Je ne sais pas pour vous, mais moi j’adore les listes de questions inusitées qu’on retrouve un peu partout dans les magazines de psychologie ou de cheminement personnel. Chaque fois, j’ai l’impression qu’en répondant aux différentes questions, j’apprendrai enfin QUI JE SUIS. Et pourtant, d’après mon expérience, l’exercice est toujours à refaire, car l’éternel QUI SUIS-JE? me semble insaisissable.
Donc, sans dénigrer ces savants questionnaires, j’ai pensé qu’il serait rigolo ce matin de vous composer une liste de questions disparates dont le seul but serait de titiller votre réflexion. D’accord? Écrivez les réponses dans votre tête. Si vous souhaitez découvrir mes réponses, je vous les laisse à la fin du texte.
1– Un seul mot pour vous décrire.
2– La mauvaise habitude que vous désirez perdre.
3– La chose la plus précieuse que vous possédez.
4– Votre plus grande qualité.
5– Ce qui vous met en colère.
6– Qui aimez-vous le plus au monde?
7– Si vous pouviez faire un seul miracle, lequel serait-ce?
8– L’acte le plus courageux que vous ayez posé.
9– Si vous l’écriviez, quel titre donneriez-vous à votre biographie?
10– En quoi consiste votre plus beau souvenir d’enfance?
11– Que choisiriez-vous entre l’amour ou la richesse?
12– Si vous aviez pu choisir votre prénom, quel serait-il?
13– Un moment épouvantable de votre vie.
14– Que feriez-vous avec 2 millions de dollars gagnés à la loterie?
15– Votre plus grand regret.
16– Le cadeau que vous aimeriez vraiment recevoir.
17– Un désir encore inassouvi.
18– La destination de votre prochain voyage.
19– Si vous pouviez vous réincarner, qui seriez-vous?
20– Aimez-vous la vie que vous menez?
Bien entendu, vous devez savoir que j’aimerais beaucoup être votre meilleure amie. J’aimerais être assise avec vous sur un banc de parc et nous entendre pouffer de rire ou de larmes en comparant nos réponses. Il n’y a point de bonnes ou mauvaises réponses. Il n’y a que la vie, cette gourgandine qui passe son temps à cirer les bottes du hasard. Jadis, lorsque je rassemblais une dizaine de copines à ma table, j’avais toujours un bol rempli de nouvelles questions à piger, chacune à son tour, en savourant desserts et café. Et nous nous esclaffions sans arrêt, tantôt des réponses et tantôt du commentaire de chacune me comparant à la fameuse Janette Bertrand de l’Amour avec un grand A.
Cora
♥
Mes réponses : 1– Courage
2– Boire trop de café
3– Le talent d’écriture
4– Généreuse
5– La stupidité
6– Mes enfants
7– Enrayer la pauvreté
8– Quitter le méchant mari
9– Vaincre malgré tout
10– Être avec mon grand-père
11– L’amour
12– Cora
13– L’enlèvement de mon fils
14– Je les donnerais aux démunis
15– M’être mal mariée
16– Un compagnon compatible
17– Être en amour
18– L’Islande
19– Margaret Atwood
20– Oui, beaucoup
7 h 30 au café du village
Comment pourrais-je, ce matin, peupler de mots cet étrange avant-midi à la bouche muette? Comment pourrais-je débâtir cet inhabituel silence agrippé à chaque table? Je suis toute seule dans ce café tristounet à attendre que l’humanité se réveille.
Dehors, le vent souffle sur la neige et la transforme en rigoles de gadoue. L’hiver agonisant insiste pour gagner du temps. Il ne veut pas céder sa place au printemps. Vers 9 h 30, quelques somnambules cherchent des humains en entrant dans le café. Ils ont les yeux à demi fermés, la mine basse et l’estomac vide. Comme encore endormis, ils piétinent sur des nuages imaginaires jusqu’à se rendre au comptoir de viennoiseries.
Mes doigts leur lancent quelques brefs « bonjour », mais ils ne les voient pas. Lorsque la machine à expresso crachote sa fumée brûlante, quelques-uns ouvrent l’œil. Dans leurs mains jointes, la mousse blanche de leurs lattés tremblote et lorsque le liquide réconfortant glisse dans leur œsophage, la plupart se réveillent pour de bon.
10 h 20
De lui-même le café se remplume. Le personnel retrouve le sourire et dix, douze mains s’activent derrière le comptoir. Et voilà qu’un étrange Terrien en bottes de peau de phoque entre et s’assoit à la table à côté de la mienne. Il zieute la foultitude de clients réguliers et s’informe à moi comment commander un repas.
Je m’empresse donc de lui expliquer avec moult détails comment il doit se lever, s’approcher du long comptoir de sandwichs et choisir lui-même ce qui lui convient. J’insiste pour lui suggérer le gros sandwich au pain noir bourré de délicieux saumon fumé, d’oignons rouges finement coupés et de différentes laitues aromatisées.
Ouf! Le magnifique visage hâlé de cet homme du Grand Nord me chamboule; ses yeux en amandes et très noirs me transpercent. En ligne devant la machine à café, l’homme me semble encore plus grand qu’un superhéros.
Les battements de mon cœur s’accélèrent. Mes doigts figent sur le clavier, coupant même une belle phrase en trois morceaux. Je ferme le clapet de l’iPad.
D’où me vient soudainement cette femelle extasiée? Ces joues brûlantes? Ce cœur battant la chamade? Ces yeux valsant dans le vide, ces bras s’allongeant jusqu’au 55e parallèle?
Une gentille serveuse apporte à sa table le repas du nouveau venu. Celui-ci enlève son parka et dépose sous sa chaise ses mitaines en peau de bête.
En me dévisageant, l’homme dit : « Inuktitut, my language. Suis un Inuit du Nunavik. My grandparents were living dans un igloo. » Et patati et patata, ce dieu Thor du Grand Nord hachure et mâchouille l’anglais jusqu’à me faire comprendre qu’il est venu par chez nous pour visiter les parents de son épouse québécoise.
— Because new baby arrived last month.
— I understand. Congratulations for the baby!
— Thank you, Madame; I now have six children.
Esseulé dans un Sahara imaginaire, mon cœur désespère. Un fragile instant, j’ai rencontré la beauté, un visage magnifique, l’homme de mes rêves.
J’aime la beauté, le David de Michel-Ange, la Vénus sans bras de Milo, le Penseur de Rodin et tous les autres chefs-d’œuvre des grands créateurs. Et tout naturellement, j’aime les choses bien faites et les hommes magnifiques à contempler.
Je vous l’avoue humblement, cet homme du bout du monde glacial était particulièrement splendide. Il cumulait toute la beauté et la simplicité du vent, de la neige, de la glace et du soleil.
— Tout un coup de foudre!, me dirait mon amie la corneille.
— Un satané coup de foudre, répondrais-je avec empressement.
Cora
❤
Mercredi, 10 h 35 au bureau de l’Entreprise
Ouache! Ce matin, je suis contrariée. J’attends depuis trois jours une confirmation de rendez-vous et rien n’arrive. Depuis hier, je vérifie mes courriels aux dix minutes, j’essaie de contacter la personne en question et NADA. Impossible de la joindre, ni elle ni l’entreprise où elle officie.
Il s’agit pourtant d’une rencontre décisive pour moi, afférente à mon bien-être intellectuel et mental. Cette longue attente m’irrite et me distrait de toute autre pensée. J’enfile deux cafés de suite et encore RIEN. Cachée dans mon bureau, j’apprends de nouveaux mots : grogner, bougonner, ronchonner comme une adolescente privée de cinéma.
Lorsque je me calme, tout ce à quoi je peux penser c’est de vous écrire. Oui, oui! Chers lecteurs, vous êtes mon refuge préféré, une île de bonheur où j’aime me prélasser. Je ne peux pas encore vous parler de ce fameux rendez-vous, mais s’il est positif, il me comblera de bonheur; et vous aussi par ricochet.
Il m’arrive de penser que je suis trop vieille pour entreprendre de nouveaux défis. Et vite, juste à me souvenir de dame Janette Bertrand, j’enfouis cette idée au plus profond de mon jardin. Mon enthousiasme se remplume. Entreprendre m’a jadis très bien servie. J’excellais et je n’avais aucune peur. Je me souviens tellement. Dans l’arène, je fonçais comme un taureau dans la cape rouge du torero.
Deux fois, mon cellulaire a sonné pour autre chose que ce que j’attends. Je n’ai pas répondu. Un brin tranquillisée, je sors de mon bureau. Vous êtes avec moi. Nous traversons ensemble les longs corridors de l’Entreprise. Dans la cuisine, je me coule un troisième café. En voulez-vous une tasse?
Le saviez-vous? Mon nom de baptême est Marie Antoinette Cora, le nom d’une grande reine de France, épouse du roi Louis XVI. Une reine morte à 37 ans, guillotinée sur la Place de la Révolution (aujourd’hui nommée Place de la Concorde) le 16 octobre 1793 à 12 h 15 exactement.
C’était du temps où l’on ameutait les foules et où tout pouvait arriver, même occire une reine. Venant d’Autriche, la jeune noble Marie-Antoinette est arrivée à la cour de France alors qu’elle n’était âgée que de quinze ans. Dès son mariage avec le dauphin Louis, héritier du trône, elle montre des difficultés à s’adapter aux usages français et, devenue reine, elle multiplie, le plus souvent de façon inconsciente, les maladresses qui lui aliènent peu à peu l’opinion publique et contribuent à ternir son image de façon désastreuse.
Pauvre reine et bienheureuse Bibi qui a encore de nombreuses années à vivre. J’adore la vie, ses contrariétés et ses multiples beautés. Toutes les artères de la grande vie s’étant rouvertes, peut-être pourrions-nous, vous et moi, recommencer à réfléchir à de nouvelles aventures. Servez-vous un énième café, assoyez-vous tranquille dans un coin avec calepin et stylo et projetez-vous dans l’avenir. Comme un véritable acte de foi dans le futur, rédigeons une liste de tout ce que nous aimerions expérimenter avant de lever les feutres.
On peut commencer par écrire pêle-mêle tout ce qui nous vient à l’esprit et après on décline par priorité. L’objectif étant d’identifier des expériences, des souhaits, des rêves, des envies ou des défis qu’on aimerait relever. Dans le langage familier, l’exercice s’appelle « faire sa bucket list ».
Et voici que j’ose vous dévoiler la mienne. Je l’ai déjà fait pendant la pandémie, mais peut-être suis-je aujourd’hui beaucoup plus audacieuse. Et peut-être que les bucket lists c’est comme les détecteurs de fumée, il faut les revisiter à l’occasion. Voici donc ce que j’aimerais oser faire avant d’éteindre mon cœur :
1– Revoir Paris, la Place Saint-Germain-des-Prés, la Mère Poulard au Mont Saint-Michel et le café Les Deux Magots jadis fréquenté par Verlaine et Rimbaud, mes poètes préférés.
2– Aller à l’opéra pour la première fois de ma vie parce que je n’ai jamais pris le temps d’apprécier la voix humaine en action. Je me décide. Je veux voir Madame Butterfly à la salle Wilfrid-Pelletier de Montréal du 6 au 14 mai 2023. Ce sera un beau cadeau pour mes 76 ans en mai.
3– Visiter la Suède et plus spécialement les boutiques de l’artiste designer Gudrun Sjödén et ses collections de vêtements en harmonie avec les couleurs de la nature. Dans une autre vie, j’aurais tellement aimé être sa voisine et travailler dans ses ateliers.
4– Visiter l’Islande, mère patrie de mon écrivaine préférée, Andur Ava Ólafsdóttir, auteure de Rosa Candida et Miss Islande. Faire quelques fois le tour de l’île et admirer ses époustouflantes beautés.
5– Trouver un maître de haïku accessible dans mon entourage et suivre avec lui un atelier de création par pur plaisir créatif et pour améliorer mon écriture poétique.
6– Bien sûr, publier un nouveau livre ou deux avant que le labyrinthe de mes pensées s’assèche complètement.
On me l’a offert. J’ai dit oui et j’attends cette damnée confirmation de rendez-vous qui n’en finit plus d’aiguiser ma patience. C’est d’ailleurs le plus précieux des objectifs de ma « bucket list ». J’y tiens et je suis capable de bien le faire.
DRING DRING! DRING, DRING!
– « Bonjour, Madame Cora, je devais confirmer notre rendez-vous lundi dernier, mais j’étais dans un Salon du livre complètement époustouflant. Le grand hall d’exposition était archiplein et à chaque comptoir, de longues files d’admirateurs attendaient pour parler aux auteurs. Je m’excuse, chère Cora. La bonne nouvelle c’est cette importante recrudescence de lecteurs. Cet automne, j’en suis à mon troisième salon, et c’est la folie.
Tout enthousiaste, l’éditrice me confirme notre rendez-vous de vendredi matin. Je me calme enfin le pompon. La population aime encore la lecture, elle l’aime de plus en plus à ce qu’il paraît. Et peut-être aurais-je aussi la chance, chers lecteurs, de vous rencontrer en personne dans un Salon du livre et de vous serrer la pince. Mon cœur se remplit d’espoir; mon espérance de vie s’allonge. Puisse le Paradis patienter un brin; puisse-t-il attendre que je me vide de tous mes mots?
Cora
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7 h 35 au café du village
J’écris comme je tricote, avec des laines colorées. Je fais bien attention de ne pas échapper de mailles ou faire des trous dans le tricot. J’ai toujours un modèle fictif en tête. Un collet de blouson ou une ébauche de manche. Vaille que vaille, j’attends l’élan créateur. Il tarde bien souvent, mais finit toujours par ressembler à quelque chose : L’histoire d’un voisin de table qui attend son amoureuse ou celle de Carole dont c’est l’anniversaire aujourd’hui. L’être humain est un moulin à paroles et c’est relativement facile de lui tricoter une vêture. J’écoute, je regarde et j’enregistre des repères sur l’écran lumineux. Même un tout petit oiseau pourrait comprendre que je m’intéresse au genre humain, du moins, à ceux qui sortent de leur tanière et qui ont quelque chose à dire.
8 h 10
Je porte en moi, depuis peu, la vision d’un livre achevé. Il est dans ma tête comme un gros ventre qui ne demande qu’à s’ouvrir. À l’intérieur de moi, j’entends des phrases toutes faites, des chapitres dépareillés quémandant un peu d’air frais.
Ma longue grossesse aspire à mettre bas. Je voudrais être devant un immense miroir et permettre à mes yeux de voir ce que mes chairs transportent. L’aile d’un ange? Une nouvelle façon d’écrire? Un soudain jaillissement d’idées sublimes? Un cri primal donnant voix à mon écriture?
Je me débarrasse de ma mémoire trop encombrante et je me tiens dans la quotidienneté du jour, là où la chance sème ses granules d’or. Mes mains sont vides, sans un quelconque échafaudage d’idées. J’attends et je priorise la spontanéité et l’intuition créatrice.
10 h 4
Et c’est ainsi, comme bien souvent, qu’un nouveau voisin de table arrive, s’assoit et me sourit. Poliment, l’homme s’informe de ce que je suis en train d’écrire. Comment lui dire que je ne le sais pas vraiment? Certes, pour avoir de la suite dans mes idées, je peux lui répondre que j’accouche de quelques résolutions du jour de l’An. Mais je préfère me taire. Je lui souris quand même et il se lève pour aller choisir une viennoiserie au comptoir.
Lorsqu’il revient à sa table avec un café débordant de mousse blanche et un pavé aux framboises fraîches, je le félicite pour son choix de pâtisserie. Des framboises en plein mois de janvier, c’est plutôt rare. Et l’homme souriant de me répondre qu’il adore la vie avec un A majuscule.
Tout le bénéfice de sortir de chez soi, c’est ce genre de rencontre stimulante. Monsieur G. Ladouceur porte bien son nom. Il a passé sa vie professionnelle dans une Caisse Populaire, heureux comme un roi. À la retraite depuis quelque 10 ans, il prend soin de sa vieille mère et à temps perdu, il fabrique, peinture et vernit de jolis petits chardonnerets jaunes, des geais bleus et des colibris à gorge rubis pour offrir en cadeau. L’homme voyage dans le Sud. Il est allé plus de 15 fois à Cuba.
— « OUACHE! » La nourriture est horrible, répond l’ancienne moi cachée dans la nouvelle! Et patati et patata, monsieur Ladouceur m’apprend qu’il quitte dans une semaine l’hiver québécois pour deux gros mois à l’hôtel Paseo El Prado de La Havane.
— « WOW! » Répond la nouvelle moi, aussi gentille qu’un petit lapin domestique. ADIOS, AMIGO!
11 h 8
J’aime écrire dans un café. Je ne comprends pas trop pourquoi, mais je suis certaine que de m’entourer d’êtres humains aide ma concentration. J’ai souvent l’impression d’être assise dans une bulle translucide, comme à l’abri des bruits disgracieux. J’adore mes avant-midi d’écriture avec deux, trois cafés par matin. Je mange rarement avant d’avoir terminé une lettre. Sauf si je n’ai pas soupé la veille. Lorsque ma tuyauterie grésille, j’enfile un croissant au fromage en pitonnant et l’affaire est ketchup!, comme dirait ma petite-fille de 10 ans.
12 h 5
Ensommeillée dans la lueur froide de l’aube, je rêvais ce matin à cet enfant-livre grandissant dans mon cœur. Je caressais chacune de ses pages, je les tournais, prenant grand soin de ne point bousculer les paragraphes ou de trop les alourdir d’adverbes incongrus. Le texte a besoin de respirer et de boire l’essence des mots. Il me fallait aussi penser à la justesse des titres de chapitres; harmonisant chaque histoire avec le bien-fondé de ses rebondissements.
Un chapitre ne peut pas ressembler à une soupe de légumes hors saison ni à un gratin de pâtes trop cuites. La colonne vertébrale d’un texte ne peut pas perdre son aplomb ni valser impunément, de gauche à droite. La ligne directrice doit être aussi solide que la tour Eiffel de Paris. Je l’ai grimpée moi-même et je garantis sa solidité.
12 h 10
Je mange ma main et je garde l’autre pour demain, tellement j’ai faim. Imaginez-vous donc qu’ils ont construit un McDo dans mon village. Juste en face d’un IGA et en biais avec une pharmacie JEAN COUTU. Ce McDo m’a rappelé l’autre jour que j’y emmenais jadis mes marmots pour un repas de fête. J’ai donc considéré que je devais y faire un quelconque pèlerinage en honneur de ces joyeux moments du passé. Je m’en souviens tellement. Les jeunots prenaient chacun un gros Big Mac, frites et boisson gazeuse, et moi je choisissais toujours le McFish à la sauce tartare, frites et cola.
12 h 35
Affamée, je rentre donc dans notre McDo moyennement occupé pour le lunch. On m’oblige presque à pitonner sur un grand tableau lumineux pour commander. Je me trompe quelques fois et un tout jeune employé m’offre de passer ma commande. Je ne prends pas de frites, mais je commande un McFish, maintenant nommé Filet-O-Fish, celui qui vient avec deux filets de poisson et un cola. Ce fut totalement délicieux! Inimaginable à l’époque où nous y allions (1975-1980), la cuisine ouverte est aujourd’hui remplie de jeunes ados au travail.
Bref, chers lecteurs, j’ai beaucoup aimé mon dîner et j’y retournerai bientôt pour ce délicieux burger de poisson délicatement pané dont le pain était brioché et la sauce tartare des plus savoureuses. On s’en lècherait les doigts.
Cora
❤
8 h 10 au café du village
Oui, oui! J’aime un Français et pas n’importe lequel. Journaliste, écrivain et critique littéraire, BERNARD PIVOT (né le 5 mai 1935) est célèbre pour ses émissions culturelles, ses rencontres avec des écrivains et pour son élocution à la fois claire et littéraire. Moi, j’aime ses propos. Surtout depuis qu’il est à la retraite et qu’il se consacre à l’écriture de ses frasques et aléas du quotidien.
Ami proche d’une bande de vieillards dégourdis, Bernard glorifie ses 87 ans sonnés. Je l’imagine aussi comique que grave lorsqu’il décrit avec moult détails l’arrivée d’un quelconque symptôme de dégénérescence. Tantôt l’un, tantôt l’autre, l’intellectuel consulte certainement ses dictionnaires spécialisés en sirotant un bon verre de rouge.
Je viens de terminer son tout récent « MAIS LA VIE CONTINUE » (collection livre de poche, 224 pages, parution 06-04-2022) et je me suis régalée. Tellement, que je veux partager avec vous, chers lecteurs et chères lectrices, le dernier chapitre du livre dans lequel le sérieux patriarche énumère sept ENGAGEMENTS sur lesquels il veut construire sa fin de vie et s’en souvenir le plus possible.
Avec la ferme intention d’honorer chacun de ces engagements, je vous les énumère :
1 – Ne jamais me plaindre
2 – Être de bonne humeur, le plus souvent possible
3 – Entretenir ma curiosité, lire, m’informer et apprendre
4 – Ne pas m’isoler, converser c’est une preuve de vitalité
5 – Profiter des avantages de la vieillesse
6 – Ajouter, enrichir et embellir ma vie
7 – Rêver les yeux ouverts, désirer et planifier
Je considère ces engagements comme le plus beau cadeau jamais reçu. Réfléchissez-y un brin. Le temps passe tellement vite et la quotidienneté est exigeante. Nous n’avons généralement pas le temps de réfléchir à notre mieux-être.
1 – Se plaindre, c’est comme renverser un chaudron de soupe. Ça ne sert à rien et il faut nettoyer le dégât, extérieur et intérieur.
2 – Maugréer et chicaner endurcit le cœur et l’habitue à ne jamais être content. Ça ne sert à rien, car l’entourage est porté à fuir les bougons.
3 – Depuis que les humains ont inventé l’écriture, ils s’informent, lisent pour se divertir et apprennent continuellement de nouvelles choses. Ne pas entretenir sa curiosité en vieillissant, c’est comme choisir la plus terne et ridée des citrouilles d’Halloween. Les gens la croient moisie et s’en désintéressent rapidement.
4 – Les personnes âgées incapables de créer des liens s’isolent facilement. Elles deviennent comme des têtes de tortue cachées sous leurs carapaces. Elles ont beaucoup de difficulté à socialiser et perdent tout doucement leur vitalité.
5 – Certaines personnes âgées vivent comme des tresses d’ail cachées dans une armoire. Elles ont si peur de dénouer les cordons de la bourse qu’elles demeurent tressées, serrées à leurs petites habitudes. Elles ne profitent guère des avantages de la vieillesse et même leurs proches s’éloignent d’eux.
6 – Une personne âgée blasée et inintéressante ressemble à un soufflé sans blancs d’œufs. Elle ne s’émerveille de rien, n’apprend rien de nouveau à ses proches et demeure isolée dans son cocon. Personne ne désire embellir sa vie.
7 – Rêver les yeux grand ouverts est le propre de tout être humain. Mais nous, les vieux, nous avons tendance à nous imaginer trop âgés pour élaborer des plans, pour planifier des voyages ou pour désirer quoi que ce soit. Nous avons tellement tort. À notre âge vénérable, c’est maintenant ou jamais.
Je vais certainement retourner en Gaspésie cet été. Je vais y demeurer plus longtemps, prendre des photos, parler avec le monde et aller à la pêche en haute mer.
Et vous, chers lecteurs et lectrices, qu’allez-vous faire pour sortir de l’ordinaire; pour honorer les engagements de ce cher BERNARD PIVOT?
Allez-vous faire la cour à un gentil voisin? Zyeuter une ancienne flamme? Ou vous inscrire à un cours de cuisine? Apprendre l’espagnol? Marcher quelques étapes vers Compostelle? Partir en croisière ou prendre la plume pour immortaliser votre vécu?
C’est peut-être ça « rêver les yeux grand ouverts ». Essayer de nouvelles choses. Porter du rose pâle en hiver et s’épingler des fleurs sur le collet. Apprendre un nouvel instrument de musique. Dormir en plein jour lorsqu’on est fatigué ou passer la nuit à dévorer une série sur Netflix.
Arrêtons un instant notre train-train de pensées coutumier et réfléchissons. Notons ce qui compte le plus à nos yeux. Laissons parler notre petite voix intérieure. Oublions le passé et concentrons-nous sur l’avenir.
Ces temps-ci, l’âge est mon meilleur « sauf-conduit ». Si je lui ajoute une jolie canne, je vais partout. Oui, oui! C’est déjà commencé. J’ai repris mes visites de Fondatrice à travers notre beau pays et j’adore ces petits voyages.
Je suis la plus chanceuse des chanceuses d’être aimée par autant de Canadiens : propriétaires franchisés, employés des restaurants, très fidèles clients et vous tous, très chers lecteurs, qui me gardez fringante et passionnée d’écriture.
Cora
❤
7 h 40 au café du village
À peine installée à ma table habituelle, j’implore dame inspiration pour que, d’en haut, elle me lance un gigot bien dodu. Attendant ma pitance d’aujourd’hui, je fixe le plafond noir du café et ses grosses lampes noires suspendues au-dessus des comptoirs de victuailles.
J’attends, j’attends qu’une foultitude de phrases dégringolent d’un nuage et atterrissent sur le blanc de ma page. Je ne suis pas inquiète. J’ai confiance au magnétisme des mots qui jamais ne s’éloignent trop longtemps de mon encre. Je les imagine embourbés dans la neige ou tournoyant sur la glace vive. Je sais qu’ils me cherchent et je les attends sans grincer.
On me sert un deuxième café. Les demoiselles au comptoir me sourient. La plus jeune ose me demander sur quoi j’écris aujourd’hui. « Sur rien » que je lui réponds; sur un fantôme invertébré capable de passer à travers une porte. Je me rassois et l’attente s’éternise.
Et voilà que, sans crier gare, Claude, mon ami pilote de brousse, entre dans le café et se dirige vers ma table. Rapidement il s’assoit pour me raconter un miracle dont il a été témoin, en plein vol, la semaine dernière; juste avant la tempête de neige.
Il s’affairait à photographier les rives des Îles-Laval dans le cadre d’un mandat confié par la municipalité lorsque soudain, il a vu sa mère assise sur le siège à côté du sien. Elle venait de mourir quelques semaines plus tôt et elle voulait rassurer son fils concernant la mort, lui dire à quel point l’au-delà est magnifique et ce qu’on appelle la mort « n’est qu’un passage dans une autre forme, d’une autre vie sur une autre fréquence ».
— WOW! Ta mère t’est apparue!
— Oui, exactement comme je te vois.
— Es-tu certain Claude que ce sont exactement les mots qu’elle t’a dits?
— Absolument certain. Ma mère était une maîtresse d’école qui a jonglé avec les mots toute sa vie durant. Elle écrivait des textes à l’occasion et elle lisait beaucoup. Elle connaissait tout de la mort et elle l’envisageait avec optimisme.
— J’ai moi-même beaucoup lu sur la mort, cher Claude, et surtout sur le passage de la vie à la mort. Ce que ta mère t’a raconté, ce sont presque les mêmes mots que la docteure Elisabeth Kübler-Ross (1926-2004) a publiés dans son fameux livre La mort est un nouveau soleil.
— Ma mère connaissait les écrits de la docteure Kübler-Ross. Elle savait qu’ils ont longtemps été contestés par « l’establishment » de son époque. La théorie d’alors était « qu’il ne pouvait y avoir de vie après la mort, puisque d’après la pensée matérialiste, l’homme et son corps, composé d’atomes et d’énergie, étaient une seule et même chose, de sorte qu’avec la mort du corps, son âme et donc toute son existence devaient être considérées comme terminées. »
— Exact, dit Claude. Selon la docteure qui a passé plus de 20 ans au chevet des mourants, la mort « est une expérience unique, belle et libératrice que l’on vit sans peur ni détresse. »
— C’est dans ces mots, chère amie, que maman m’a raconté son passage vers l’autre rive. Et je ne suis pas du tout surpris, car elle était prête. Elle savait que la mort n’est pas la fin, mais un nouveau commencement. Elle m’est d’ailleurs apparue pour m’encourager à ne pas avoir peur. Elle m’a même dit que j’aurais un meilleur avion dans ma prochaine vie; que je ne vieillirais plus et que, chaque jour, je serais heureux et comblé.
— WOW! Claude. Quel magnifique cadeau tu me donnes aujourd’hui! Avant ton arrivée, j’attendais candidement l’inspiration et voilà que tu me parles d’une future vie éternellement belle. Sais-tu, cher ami, que la mort a une très grande importance dans mes gribouillages? J’en parle assez souvent à mes lecteurs, peut-être trop souvent à leur goût. La mort est pourtant une réalité inévitable; aussi tangible que l’année de naissance sur le baptistaire. J’approche moi-même du basculement sur l’autre rive. « Là où tout n’est qu’ordre et beauté », comme disait si bien Charles Baudelaire dans son fameux poème « L’invitation au voyage » en 1857.
10 h 26
À ma dernière heure, j’en suis certaine, un immense oiseau, un albatros hurleur transportera ma dépouille somnolente sur ses grandes ailes bienveillantes.
Nous avancerons par grands vents, traversant les vastes mers et effleurant les pics enneigés des plus hautes montagnes.
Nous transpercerons quelques nuages, caresserons des arbres centenaires et saoulerons d’eau des prairies de tournesols en prière.
Au coucher du soleil, nous amerrirons dans une baie cristalline. En touchant l’eau, mes paupières s’ouvriront, mon cœur recommencera à battre et une nouvelle vie m’ouvrira ses bras.
Cora
❤
Le courage au quotidien ressemble à des empreintes de pattes d’oiseaux sur une fine neige. On ne s’en aperçoit presque pas, mais l’animal courageux avance dans l’adversité. Il en est ainsi pour tous les petits gestes quotidiens que nous tentons d’améliorer. L’art du changement avance à pas de tortue.
Chaque début d’année, nous prenons des tas de résolutions et nous nous promettons d’enrichir nos vies et d’élever l’indice de notre contentement quotidien. Nous nous croyons obligés de changer drastiquement nos comportements pour abonnir notre vie alors que, justement, le changement se produit à partir de modifications imperceptibles et de transformations de chaque instant.
L’art de s’améliorer est un nouveau mode de vie qu’on pourrait appeler justement « LE COURAGE AU QUOTIDIEN ». Car la volonté de devenir meilleur ne suffit pas toujours. S’améliorer tout doucement demande du courage, des tonnes de petits gestes généreux capables de nous rendre meilleurs. On ne change pas en criant ciseau; il faut y mettre le temps.
Toute ma vie, j’ai voulu être meilleure. Plus emphatique et plus souple, plus avenante, plus ouverte d’esprit, plus généreuse de mon temps et plus à l’écoute des gens qui m’entouraient. En affaires, bien souvent, j’avançais comme un train à grande vitesse, délaissant les commentaires de mes collègues. J’avais de ces idées fixes capables de grimper jusqu’au sommet de l’Everest pour avoir raison. Heureusement, la vieillesse et la retraite sont arrivées dans ma vie. Elles m’ont grandement aidée à ralentir mes transports et à me calmer le pompon.
J’ai cette qualité d’attraper vitement tout ce qui peut embellir ma condition, mon caractère et ma façon de vivre. Quant aux craquelures de l’âge, elles ont vite assagi l’orgueil et le désir de plaire. Puis le COURAGE AU QUOTIDIEN EST DEVENU MON HÉROS. Celui-là même qui garde en tête que c’est le premier pas qui compte lorsqu’on veut changer la tournure des événements de notre vie. Comme changer de comportement, changer d’entourage, changer de travail, changer de conjoint, changer de ville, de maison ou de pays.
Juste s’interroger sur la façon dont s’écoule notre vie est déjà un bel acte de courage. S’interroger sur ce qui est le plus important pour nous, revisiter nos désirs, nos ambitions et la « bucket list » imaginaire que nous aurions jadis remplie à ras bord.
Ne jamais dire jamais est un autre acte de courage au quotidien; comme laisser la porte ouverte en pleine nuit. Oser affronter un rêve récurrent. Oser monter sur les marches et devenir pleinement l’acteur de nos vies. C’est courageux de répondre à ses envies, d’avancer comme l’oiseau à petits pas dans la neige glacée. Vous êtes peut-être une maîtresse d’école qui rêve de devenir professeur de yoga ou un jeune comptable ivre de mécanique. Accepter de changer de vie au nom d’un plus grand bonheur au quotidien est très courageux.
Accepter de vieillir en beauté est aussi un bel acte de courage, presque aussi important qu’accepter d’entreprendre, s’il y a lieu, une thérapie nécessaire à votre mieux-être. Plusieurs pensent que les vieux ne sont que d’insipides choucroutes qu’on remet au frigo pour le lendemain. Mon cœur pleure lorsque je les croise. Chaque fois, je voudrais crier aux autorités municipales d’ouvrir des écoles pour ces vieux sages qui meurent d’ennui avec chacun une vie d’enseignements à propager. Comme pour moi, juste raconter leurs histoires serait bénéfique; à eux-mêmes d’abord, et à quelques autres, j’en suis certaine.
Être courageux c’est aussi affronter ses peines et ses gros chagrins. C’est aussi d’accepter d’avoir fait des erreurs. Comme de m’être mariée avec un homme que je n’aimais pas parce que j’étais enceinte. Je voulais que l’enfant ait un père. Je m’en souviens comme si c’était hier! Autour de la table de cuisine, mes parents m’encourageaient à garder l’enfant, à ne pas avorter comme le voulait l’homme que j’allais quand même épouser. J’ai trop longtemps abimé mon cœur à force de détester ce père incompétent. Et plusieurs blessures marinent encore dans ma tête malgré mes efforts pour oublier. Je regrette tellement mes erreurs. J’aurais voulu ne pas perdre mon innocence, j’aurais voulu savoir ce que je sais aujourd’hui.
Le courage est selon moi le mot le plus important de notre vocabulaire et c’est probablement lui qui, in extremis, nous demandera si nous avons le sentiment de nous être pleinement épanouis. Moi la première, il me reste beaucoup de désirs à combler. Vous me connaissez : je suis gourmande et je veux mourir usée jusqu’à la corde, ayant épuisé tous mes talents. Certes, je désire vivre encore longtemps en utilisant au mieux tout ce qu’il me reste de capacité à m’émerveiller.
Je rêve de reconquérir ma jeunesse de cœur en expérimentant de nouvelles choses comme voyager, visiter les grands musées, aller à l’opéra pour la première fois, me tremper dans les eaux chaudes d’Islande, réapprendre à dessiner, faire de jolis portraits, retourner au Japon et voir mes arrière-petits-enfants entrer à l’école.
Je l’avoue, certains soirs, je rêve de revivre mes vingt ans, de m’inscrire à l’université et d’entreprendre des études littéraires. Je rêve d’être meilleure et le courage m’encourage.
Dieu merci, j’aime encore vivre et j’aime écrire et cette passion me rajeunit. À cœur de jour et de soir bien souvent, je m’invente des espaces magiques tapissés de pages blanches à l’infini. Mes écrits sont comme des routes en déroute, des souhaits disparates s’amusant à éteindre des feux et à assourdir le bruit des chagrins humains. Dans chacune de mes lettres, chers lecteurs, un chapelet d’intentions implore la paix dans vos cœurs. Je vous le promets, jusqu’à ce que le rouge de l’encre sèche dans mes veines, je n’arrêterai pas de noircir du papier.
Cora
❤
7 h 32 au café du village
On dirait, ce matin, que la neige a mangé un coup de poing en plein visage. Noir de boue, le stationnement du café ressemble à l’enflure noiraude d’un visage massacré. Même nous, les gentils premiers clients, avons tacheté le plancher en ciment gris pâle du café. Dehors, la froidure faiblit, le balcon dégoûte à gros bouillons et les immenses glaçons, soudés aux corniches extérieures du bâtiment, plongent dans le vide.
Confrontés de plus en plus souvent aux énigmatiques incertitudes climatiques, seuls mes yeux semblent retenir leurs larmes. Et pourtant! La page B6 du journal LE DEVOIR du 14 et 15 janvier de ce début de Nouvel An affiche 12 photos d’avis de décès : huit hommes et quatre femmes. D’habitude, il en montre quatre ou six. Je suis toujours surprise et quasi heureuse de constater que les trois-quarts des morts sont plus vieux que moi.
Chaque samedi matin, je fais le plein d’essence au Couche-Tard du village et j’achète les journaux du week-end. Je les épluche consciencieusement : les nouvelles internationales, la guerre en Ukraine, le devoir de PHILO, la situation dans les hôpitaux, l’encart PLAISIRS, la section LIRE, VOIR ET CULTURE ainsi que la pénible section AVIS DE DÉCÈS.
L’âge des morts m’intéresse au plus haut point. Je lis la courte biographie de chacun d’entre eux et je cumule les statistiques qui m’intéressent. L’année de naissance, l’âge de la mort, l’état matrimonial, l’emploi dominant et l’endroit de la mort. Quelques fois, je pleure de peur parce que les morts sont très près de mon âge, et assez souvent, je me réjouis parce qu’ils sont beaucoup plus vieux que je ne le suis.
Ainsi, aujourd’hui sont affichées quatre femmes dont l’âge du décès est 77, 85, 95 et 99 ans. Et 8 hommes décédés à 73, 75, 80, 83, 88, 93, 96 et 99 ans. Ça ne veut certainement pas dire que plus d’hommes que de femmes meurent, ni que j’aie encore 24 belles années à vivre.
L’importante question est peut-être de savoir si l’homme s’use plus rapidement que la femme. Y avez-vous déjà pensé?
— « GOOGLE, aide-moi ». Et la machine de répondre vitement : « Selon le magazine QUÉBEC SCIENCE, fondé en 1962, au Québec, l’espérance de vie à la naissance est de 80,6 ans chez les hommes et de 85,5 ans chez les femmes. Personne ne s’en émeut, puisque c’est comme ça dans toutes les sociétés du monde, à divers degrés et même chez beaucoup d’autres mammifères. Et patati et patata. À ce qu’il paraît, les “structures microscopiques” qui fournissent l’énergie à nos cellules sont mieux adaptées aux femelles. Ainsi, c’est la mère qui lègue ces structures à sa progéniture, et une fonction de la sélection naturelle ajuste par la suite cesdites structures au métabolisme féminin, au détriment des mâles ».
— OUACHE!
Je me demande ce qu’en dirait ma petite-fille (21 ans) qui termine ses études universitaires au printemps. Je sais qu’elle envisage d’aller plus loin dans sa connaissance de l’humain et je vais lui parler de cet épineux sujet.
À travers la « bay window », je dévisage un soleil printanier qui essaie de nous leurrer; de nous faire accroire que demain, les pissenlits envahiront nos plates-bandes. En sortant, je constate que tout le stationnement est rempli d’automobiles et de skieurs de fond qui s’empressent de rejoindre, derrière le café, la piste cyclable encore passablement enneigée. Je me réjouis d’admirer tous ces faciès de sportifs bienheureux. J’ai chaussé des skis une seule fois dans ma vie et j’en ai perdu un dans ma troisième descente. Ce fut donc pour moi la fin de ce plaisir hivernal. La vie tourna la page.
Midi
J’ai toujours un peu faim après un avant-midi d’écriture, surtout qu’hier soir j’ai presque jeûné en me contentant de dégeler un restant de soupe « dinde et petites nouilles ». Il faut quand même accommoder les restes de l’oiseau de Noël.
Nous étions 22 attablés comme des ogres autour de deux longues tables aboutées ensemble et placées de travers dans mon immense cuisine. Ma grande fille se porta volontaire pour étaler toute la nourriture de circonstance sur les comptoirs, le chaud sur le poêle à huit ronds avec les tourtières ronronnant dans le four et les boulettes mijotant dans le ragoût. Quelle extraordinaire bénédiction que nous soyons enfin revenus à notre habituel réveillon!
Nous ne sommes pas des gens qui fêtent à tout bout de champ, mais Noël doit redevenir, je l’espère, un rassemblement immanquable.
Cora
❤
7 h 30 en route vers le café du village
Ce matin, en quittant la maison, j’ai tout de suite été éblouie par le spectacle de la neige. Un épais brouillard blanc me donnait l’impression que le ciel s’était transformé en immense salle de bal où des milliers de gros flocons valsaient avec de magnifiques compagnes en crinolines de lin blanc. À mi-chemin de la descente vers la route principale, j’ai immobilisé la bagnole. À ma droite, les branches d’un majestueux sapin exhibaient ses immenses meringues de neige. Le pied solide sur le frein, je cherchais mon cellulaire pour capturer ce trop-plein de beauté. Clic, clic, clic. L’hiver n’a jamais été aussi beau qu’aujourd’hui.
Oui, oui! Même plus beau que dans la fameuse balade en traîneau du Docteur Jivago (interprété par Omar Sharif) avec son amoureuse Lara (Julie Christie) dans le film inspiré du roman de Boris Pasternak et réalisé par David Lean, Docteur Jivago, sorti en salle en 1965. J’avais alors 18 ans et je me souviens encore de chaque détail de cette magnifique histoire d’amour. J’entends encore aujourd’hui, en vous écrivant, l’immortelle musique et la chanson Lara du compositeur Maurice Jarre. Allez sur YOUTUBE et écoutez la chanson. C’est presque aussi beau que la plus belle tempête de neige!
Mes quatre roues bien agrippées à la route 117, je roule vers le café. Sera-t-il ouvert? Je demeure très proche, que cinq ou six rues à traverser pour y être. Je roule à pas de tortue et ne peux m’empêcher d’admirer une dizaine d’hommes-enfants jouant avec de gros camions poussant la neige sur les trottoirs. À travers la buée de leurs longs parebrises, j’entrevois leurs joues rouges et leurs sourires fendus jusqu’aux oreilles. Ils s’amusent comme des enfants, j’en suis certaine. Sont-ils au moins raisonnablement payés pour autant de plaisir hivernal?
Les anciens déneigeurs de mon entrée ont fermé boutique l’année dernière. Je les aimais beaucoup, surtout le pelleteur à la main qui gardait ma galerie et le devant des deux portes de garage spic and span tout l’hiver. Je sais d’expérience que lorsqu’on doit remplacer une bonne personne, on est toujours un peu inquiet, comme s’il s’agissait de remplacer un vice-président des finances. Faut donc se calmer le pompon et avoir confiance en l’humanité. Personne ne veut mal faire; surtout pas ceux qui ont à cœur de passer l’hiver au froid, dans la tornade, et bien souvent avec des doigts à moitié gelés.
7 h 58
J’arrive enfin dans un espace presque vide avec quatre employés accoudés sur le haut comptoir à viennoiseries. Deux d’entre eux s’élancent vers la machine pour me faire un latté. Le café est un endroit magique. Je m’y installe quasi toujours à la même table sauf lorsqu’un inconnu arrive et s’y assoit avant moi. C’est plutôt rare, car je suis presque toujours la première arrivée. Sauf ce matin.
J’aimerais quelques fois dessiner une carte géographique de ma vie avec tous les noms des êtres qui me sont chers, imprimés en lettres blanches sur des petites pancartes vertes bordées de blanc, comme les noms des villages de ma GASPÉSIE natale. Chaque personne n’est-elle pas un village en soi? Une histoire à raconter? Des talents à exploiter? Des paysages à admirer? Je planterais aussi des panneaux d’affichage fluorescents annonçant tous les bons conseils que je n’ai pas écoutés; toutes les limites de vitesse qui m’ont jadis rendue folle d’impatience; tous les oui qui auraient dû être des non, et tous les non qui auraient dû être des oui.
Je calligraphierais volontiers à l’encre rose des pensées inspirantes à afficher dans les parcs, dans les cours d’école et les pourtours des universités. Dans les grandes rues commerciales, sur les gros panneaux rouges, j’écrirais ARRÊTE DE CONSOMMER. La consommation inutile n’est-elle pas la plus grosse dépense du logis, surtout ces années-ci?
9 h 15
« Tous ces cœurs, tous ces visages éblouis devant “Madame Butterfly”, de Puccini ». Ainsi parle la copine d’Estrie qui adore l’opéra. Moi qui n’y suis encore jamais allée! C’est un accroc majeur à ma culture et ça devrait être ma première résolution de l’An nouveau. Voilà, je vais y être! Je viens de demander QUAND à l’ami Google. Wow! MADAME BUTTERFLY en personne à Montréal du 6 au 16 mai 2023. J’ai amplement le temps de me renseigner sur cet opéra de Puccini.
— « Google, s’il te plaît, parle-moi un peu de cette Madame Butterfly ».
— « Une jeune geisha de Nagasaki, nommé Cio-Cio-San, devient Madame Butterfly en se mariant à Pinkerton, un officier de la marine américaine. La jeune femme lui voue un amour éternel et attend patiemment son retour avec son jeune fils, jusqu’au jour où Pinkerton revient avec sa nouvelle femme américaine ».
— « OUACHE! Cette histoire est pire que mon mauvais mariage! Mais j’ai envie d’en connaître tous les détails, car j’aime encore les histoires d’amour; même celles qui tournent au vinaigre. À Montréal, du 6 au 16 mai 2023 ».
Hier soir, lovée bien au chaud sur mon divan rouge, j’ai visionné un magnifique film sur NETFLIX : Hector et la recherche du bonheur du réalisateur Peter Chelson, sorti en septembre 2014. Il s’agit des aventures rocambolesques d’un psychiatre nommé Hector (joué par Simon Pegg), fatigué d’entendre les bla-bla de ses clients, et qui décide de partir en voyage autour du monde pour découvrir ce qui rend les gens heureux.
Pendant presque deux heures, j’ai voyagé avec Hector, visité plusieurs pays et recueilli une douzaine de bonnes raisons d’être heureuse. C’est un film absolument magnifique et je vais vite le revoir, car je veux noter chacune des raisons d’être heureux. Je vous recommande chaudement ce film rempli de sagesse.
Nous voulons tous être heureux. N’est-ce pas la principale mission de notre vie? Au-delà des aléas du quotidien, ne devrions-nous pas tous finalement mourir contentés? Pensez-y un brin. Devrions-nous, comme Hector, chercher de nouvelles raisons d’être heureux? Peut-être avons-nous oublié celles que nous pensions avoir?
La vie change la donne tellement souvent et les tracas tombent dans nos chaumières comme des pommes trop mûres dans un verger. Sans devoir, comme Hector, ratisser la planète, j’ai moi-même besoin de désherber mon jardin, d’assouplir mon discours et de m’ouvrir à de nouvelles expériences, rencontres et aventures.
Cora
🗺
5 h 49 à l’hôtel ALT, Toronto
Enfin, enfin! Je reprends mes responsabilités de fondatrice en effectuant plusieurs visites de nos restaurants en sol ontarien. Je m’y trouve avec quelques directeurs de l’Entreprise et j’en suis des plus heureuses. Revoir nos valeureux franchisés me ravit complètement et cela me donne l’occasion de rencontrer beaucoup de clients déjà attablés qui reconnaissent ma figure et qui insistent pour me serrer la pince.
Comme dans le bon vieux temps, j’insiste pour m’assoir à leur table quelques instants. Je m’informe de leur famille et de leurs enfants et leur demande s’ils aiment les nouveaux plats au menu. La plupart d’entre eux insistent pour prendre une photo avec moi et j’adore cette proximité. À chaque rapprochement, je remercie le ciel de cette courte intimité douce à mon cœur et je me considère très privilégiée d’être autant aimée.
35 années tissées serrées ont probablement quelque chose à y voir ainsi que ma binette exposée un peu partout, sur le grand menu, dans de jolis cadres accrochés aux murs des restos et, très souvent, sur le matériel publicitaire. Qu’on ne puisse m’oublier me garde joyeuse, vaillante et encore totalement incapable d’imaginer mon envol vers une autre dimension.
Nous avons dû prendre l’immense oiseau d’acier pour nous rendre en 58 minutes au centre de Toronto. Le temps de boire un café et de feuilleter l’horaire de nos déplacements et de nos activités des prochains jours. Nous devons marcher au pas. Pas une minute à perdre, selon François, le chef de l’expédition. Sauf bien entendu pour les multiples interventions de madame la Fondatrice avec ses clients.
N’ayant point volé depuis presque trois ans, j’ai oublié mes écouteurs Bose et pendant toute notre descente, mes oreilles ont dansé la rumba. J’avais beau brasser les petites marmites avec mon petit doigt, ma tête souffrait le martyre.
« Faut souffrir pour réussir », me dirait ma pauvre mère si elle était encore de ce monde. Avec ses mains couvertes d’eczéma, elle a eu son lot de souffrances et je suis certaine que c’est elle, resplendissante de santé, qui repasse les robes des anges au paradis. Oui, oui! Elle aimait repasser, même lisser les plis des habits surdimensionnés de son immense époux.
6 h 52
Installée pour écrire dans le grand hall de l’hôtel, j’ai soudainement l’opportunité de piquer une jasette avec un compatriote du dalaï-lama. Ce Tibétain immigré au Canada depuis 30 ans, a le visage d’un ange : calme, plat et souriant. Tel un moine en prière, il s’affaire à dépoussiérer les tables basses du grand hall et à replacer bien droit les multiples coussins sur les immenses divans. Lorsqu’il s’approche de la table haute sur laquelle j’écris, son visage s’illumine et moi j’ai l’impression d’être une communiante attendant l’hostie sacrée. Son chaleureux BONJOUR s’imprime sur ma figure et s’ensuit une très paisible conversation sur la vie, la grâce et le possible apaisement qui réside en chacun de nous.
Lorsque j’ose mentionner l’actuelle guerre dans les pays baltes, l’homme m’incite à croire que c’est dans notre cœur qu’il faut construire la paix. Puis il reprend son plumeau tel un véritable objet de prière, et me salue en penchant la tête.
Et voilà que, à cet instant précis, les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur la meute de mes collègues tous souriants qui zieutent la machine à café. Ils se restaurent un brin et nous jasons ensemble des activités du jour. Nous quittons l’hôtel vers notre prochaine destination : un restaurant ouvert depuis dix ans qui vient tout juste d’être rénové.
Les franchisés nous accueillent avec très grand plaisir et fierté. Ils sont toujours contents de nous voir. Surtout la fondatrice, ça se voit à l’œil nu. Et moi, pour un instant, je deviens la personne la plus heureuse au monde; celle qui a créé cet extraordinaire concept de restauration matinale.
Après avoir serré mille mains et m’être assise cent fois à la table de clients enchantés, je ratisse les murs, et tous les détails de la nouvelle rénovation. J’ai moi-même créé plusieurs artéfacts de la décoration et j’insiste pour qu’ils soient mis en valeur, aux bons endroits, sur les bons murs. Les collègues m’endurent; ils savent qu’un tigre se cache sous la vêture d’un agneau. Ils savent aussi que je les aime tous, car ils sont exceptionnels. La plupart travaillent avec nous depuis toujours; ils font partie de la famille.
19 h 32 à l’aéroport
Cahin-caha, je pianote sur l’iPad, instable sur mes cuisses. Notre vol de 20 h est retardé de 30 minutes. Attendant l’arrivée de l’oiseau géant, les collègues parlotent de tout et de rien. Ils sont satisfaits du travail accompli à Toronto. Et ils ont hâte de rentrer chacun chez eux. Demain matin, la plupart d’entre eux, avec leurs enfants, participeront à une séance de photos annonçant un nouvel événement promotionnel et je ferai bien évidemment partie du groupe.
La restauration n’est pas un métier de tout repos. Nous le savons depuis 35 ans. Nous adorons enseigner notre expertise, partager notre passion avec nos franchisés et faire plaisir à nos précieux clients.
Cora
🐑
7 h 37 au café du village
Ce matin j’arrive au café comme une somnambule programmée par l’habitude. Oui, oui, je n’ai presque pas dormi de la nuit. Heureusement, c’est vendredi et je n’ai nulle part d’important où aller. J’ai tellement envie de partager avec vous les détails de ma nuit et mon étrange découverte d’une pépite d’or à la portée de tous.
Tout de go, je vous pose la question qui m’a tordu les boyaux une nuit entière. « Si vous pouviez garder un seul souvenir à apporter dans l’au-delà, lequel serait-ce? » Que feriez-vous s’il y avait une vie après la mort et que tous vos souvenirs étaient effacés sauf un? Quel souvenir choisiriez-vous de conserver avec vous dans l’Éternité?
Croyez-moi ou non, tôt hier soir, je m’étais tranquillement étendue dans mon lit pour lire un peu avant de fermer l’œil. Et la tête bienheureuse, appuyée sur deux oreillers de satin, voilà qu’une page de magazine me chavire.
Qu’est-ce qui compte le plus pour moi? Quel unique souvenir garderai-je dans ma mémoire pour l’Éternité? Je me soulève droite comme un i dans mon lit et considère cette problématique immensément lourde de sens.
Vous me connaissez, je ne suis pas du genre à balayer mes interrogations sous la carpette. Je me lève donc, cherche mes pantoufles et avance en robe de chambre vers la cuisine. J’ouvre mon iPad, pitonne quelques touches et le nom de la journaliste qui m’empêche de dormir. Je veux en savoir plus.
Je découvre donc que cet important sujet provient, selon Google, du film japonais AFTER LIFE sorti en 1998 et réalisé par Hirokasu Kore-eda.
Vous vous en doutez, j’ai coulé un café et me suis assise devant le site d’Amazon pour chercher AFTER LIFE qui, un coup trouvé à 37 $, ne mentionne rien concernant la langue du film. Devant attendre de joindre un ami qui s’y connaît bien en recherches de ce genre, je m’installe sur le divan de la bibliothèque et me rabats sur l’article du magazine Happiness.
Dans le film, un groupe de personnes qui viennent de mourir se retrouvent dans un endroit, entre ciel et terre, dans les limbes je suppose, où on leur accorde une semaine pour choisir un seul souvenir de leur vie passée. Un seul souvenir qu’elles pourront ensuite apporter dans l’Éternité. Le film met en scène et enregistre le souvenir que chaque personne choisit et qu’elle pourra visionner en tout temps par la suite.
En lisant, ma tête et mon cœur ont tout de suite plongé dans un vide existentiel épouvantable. Quel unique souvenir apporterai-je dans l’Éternité? Le corps raide sur le divan, je deviens soudainement comme les personnes défuntes du film, stationnées dans les limbes et qui n’ont qu’une semaine pour choisir leur souvenir à apporter dans l’Éternité. Égarée dans mes pensées, je passe la nuit blanche à réaliser mon propre film; des dizaines de scénarios que je déchire chaque fois.
Vers 4 h du matin, je reprends le magazine et découvre un petit article connexe de dame Jacky van de Goor, une PhD qui consacre son travail à recueillir les uniques souvenirs de milliers de personnes de toutes catégories et de tous genres. J’essaie d’aller plus loin, mais toutes les infos sur dame Jacky, accessibles sur Google, sont en allemand ou en anglais universitaire difficile à lire. Et je commence à avoir des fourmis sous les paupières. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas choisir. Que savons-nous de la mort? Rien de rien.
Aussi curieuse que le petit dragon d’Australie, j’aimerais beaucoup connaître le souvenir que vous apporteriez dans l’Éternité. Chers lecteurs, ne faites pas comme moi; ne passez pas une nuit blanche à vous torturer les méninges. Réfléchissez-y en vous promenant dans la nature. Et si jamais le cœur vous en dit, partagez votre précieux souvenir avec moi et nous n’en serons que plus proches.
Je suis quasi certaine que chacun de ces souvenirs uniques se rapproche de l’essentiel de nos vies.
Cora
❤
P.-S. Je vous le promets, j’examinerai ma vie de bord en bord jusqu’à ce que je trouve mon plus précieux souvenir à apporter dans l’Éternité et j’en ferai tout probablement le sujet d’une future
(Note à mes lecteurs : cette lettre a été écrite en décembre.)
Vendredi après-midi dernier, je me suis retrouvée dans la bibliothèque du Paradis. Oui, oui! Un immense endroit de je ne sais combien d’étages, avec un peu partout de très longs escaliers mécaniques, de belles affiches suspendues, des flèches directionnelles, des comptoirs de rafraîchissements, des kiosques d’information, des anges en costumes de brigadier et des milliers d’enfants papillonnant un peu partout à travers mon rêve devenu réalité.
Je n’ai pas assez de mots pour décrire le spectacle inimaginable de millions de livres ouvrant leurs pages aux affamés de lecture. L’ensemble du lieu respire la joie d’apprendre. Et même moi, comblée mais curieuse, je virevolte d’un îlot à l’autre, butinant les perles de sagesse de chaque histoire. Je sais depuis toujours que la lecture est le plus nourrissant des cadeaux que l’on puisse offrir à ceux qu’on aime.
Pour l’occasion, Saint-Pierre avait séparé le Paradis en centres d’intérêt bien précis. J’ai d’ailleurs eu l’impression que l’univers des enfants était cent fois plus vaste que celui du grand âge. C’est bien normal, je suppose. Il m’en reste si peu à chérir ici-bas. Et les jeunes ont tellement besoin de connaissances pour apprendre à bien vivre.
Je me souviens, toute petite, nous n’avions ni livres de lecture ni calepin d’écriture à la maison pour noyer nos secrets dans le bleu de l’encre. Maman avait pourtant été maîtresse d’école avant son mariage. N’avait-elle jamais lu un roman avant que l’eczéma l’empêche de tenir un vrai livre dans ses mains?
Il m’aura fallu insister auprès d’elle pour qu’elle m’inscrive au Collège de Rosemont. Je me souviens du petit uniforme bleu marin qu’elle m’avait cousu dans l’envers d’un vieux paletot de papa; des longs bas beiges que les sœurs nous obligeaient à porter; de la mantille noire sur nos têtes pour visiter la chapelle.
J’ai appris à lire de vrais livres en première année du Cours classique de l’époque. Et je n’ai jamais arrêté. Outre les manuels scolaires que je prenais très au sérieux, je me suis un tantinet laissée séduire par les romans d’amour, mais j’ai vite préféré les grands auteurs de vraie littérature, ceux qui pouvaient m’apprendre à bien écrire.
Avec le temps, presque tous les murs de ma maison sont devenus des étagères Ikea brunes ou blanches, selon les pièces. Oui, oui! Je vis dans une bibliothèque. Et j’adore être aussi bien entourée. Mes livres sont classés par sujet : spiritualité, religions du monde, géographie, voyages, affaires, histoire, littérature, biographies, magazines divers, et j’en oublie. Tout ce qui me manque, je suppose, c’est un club de lecture à domicile. Et j’y pense.
J’ai aussi plusieurs belles photos d’auteurs qui me tiennent compagnie et que j’affectionne tout particulièrement.
Sur le plancher des anges, j’avance gaiement, je déambule entre les tables, je m’approche des présentoirs, je trottine dans les allées et le temps s’écoule dans le sablier divin.
Après quelques heures à rencontrer mes auteurs favoris, je cherche la canne de l’ange Gabriel ou une aile bienveillante pour m’envoler.
Et, comme si elle m’avait entendue, ma merveilleuse petite-fille apparaît sur mon cellulaire. Elle m’offre de venir me chercher. Elle aimerait que nous soupions ensemble. Je quitte donc le Salon du livre de Montréal portée par la grâce de l’amour familial et, le temps de traverser la ville, nous nous retrouvons à Laval dans le resto favori de ses parents.
Savez-vous combien j’aime mes petits enfants? Gros comme le ciel et encore plus gros.
Cora
📚
7 h 35 au café du village
La coquine neige a profité de la nuit pour peinturer notre joli village laurentien. À mon réveil, j’avais cinq ans et je voulais sortir jouer dehors.
« Maman, où sont mes petites bottes? Et mes mitaines, et mon foulard tricoté bleu? »
La neige me fait rêver à mon enfance lorsque nous découpions des morceaux de neige glacée pour construire un fort. Frérot dirigeait les opérations et nous, les fillettes, devions l’écouter à la lettre moyennant une motte de neige dans le cou. Bobby, comme l’appelait papa, était le champion des projets hivernaux. Sa spécialité était les igloos dans lesquels il lui arrivait de m’enfermer lorsque j’exagérais mes moqueries.
Je me souviens encore d’une certaine journée d’hiver. Nous étions affairés, frérot et moi, à construire un bonhomme de neige géant. La neige était molle et c’était facile de rouler les deux grosses boules qui serviraient de corps à papa. Oui, oui! Nous faisions un bonhomme ayant la forte corpulence de notre papa, dont frérot aimait se moquer. Et moi j’aimais lui rendre la pareille.
Je venais tout juste de l’aider à soulever une grosse boule pour l’installer sur l’autre lorsque le corps de mon frère se mit à gigoter. Il serrait ses cuisses et pliait son ventre comme pour une grosse envie de faire pipi. Et voilà que sans que sans crier gare, un haut jet de liquide rouge gicla sur la neige immaculée. Frérot gesticulait et criait comme une poule étouffée. Il avait peur. Il se croyait malade.
Lui qui savait tout ignorait que lorsqu’on mange des betteraves, il arrive que l’on pisse rouge. Comment l’aurait-il su? C’était la première fois que l’eczéma des mains de maman lui avait permis de faire un vrai jardin. Et les jolies betteraves rouge-brun faisaient partie des millions de choses que nous ne connaissions pas encore à cette époque.
8 h 45
Imaginez-vous donc que j’ai reçu cette semaine une missive de la lointaine France, adressée au siège social de l’Entreprise. La lettre mentionnait tout de go quelques félicitations à ma belle écriture québécoise. Elle venait du village de Gordes que j’ai dû chercher sur Google pour en apprendre davantage :
Population : 1 670 habitants
Dernier recensement : 2019
Densité : 35 habitants/km2
Superficie : 48,04 kilomètres
Altitude : 373 m
Fondation : 1031
À ce qui paraît, Gordes est classée parmi les plus beaux villages de France. Sa particularité est d’être perchée sur un rocher que l’on voit de très loin. Et lorsqu’on arrive à ses pieds, on a aussi le sentiment qu’il veille sur la vallée depuis toujours. Dieu du ciel, où est-ce? Google, aide-moi encore!
« Le village de Gordes est une commune française située dans le département de Vaucluse en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. »
Paris-Gordes : 718,8 kilomètres
Trajet par auto durée de 8 h 5
Location de voiture : 16 euros par jour
Une certaine Apolline Duchesne veut savoir qui je suis. Comme elle me l’explique, sa fille institutrice vit au Québec et connait mes Lettres du dimanche qu’elle lui envoie après les avoir lues. Journaliste à la retraite depuis 20 ans, dame Apolline s’ennuie des véritables mots. Sans grand préambule, elle m’avoue qu’elle veut faire comme moi : ÉCRIRE.
Apolline veut chasser de sa tête 30 années de faits divers sortis de son encre. Elle veut changer de vie et changer de discours. Elle me supplie de lui expliquer comment je fais pour être si proche de mes lecteurs, complice avec eux, intime, honnête et généreuse en leur racontant ma vie entre les lignes.
10 h 28
Très chère Apolline, votre lettre me touche beaucoup. Nous avons probablement le même âge. Après de nombreuses années de travail acharné, j’ai cessé mes activités de gestion au sein de mon entreprise en 2018 et, quatorze mois plus tard, un méchant virus s’est étendu sur l’entièreté de la planète. Encabanée pour un long moment, j’ai entrepris d’écrire une lettre chaque dimanche à nos précieux et nombreux clients via la page Facebook des restaurants Cora, et ils ont commencé à nous lire. Au début, je voulais juste les encourager à garder espoir pendant la pandémie. Je voulais demeurer en contact avec eux, les informer et les rassurer.
Sans m’en apercevoir, j’ai désencombré ma tête du chagrin que la retraite m’avait causé, et aussi des multiples frustrations de m’être sentie inutile. J’ose vous dire, chère Apolline, que l’ÉCRITURE m’a sauvé la vie. Écrire chaque jour est devenu pour moi un rituel de bonheur. À force de jaser étroitement avec mes lecteurs, mon cœur s’est ouvert.
Chaque jour, j’explore le présent et la quotidienneté surprenante de la réalité. Comme faire une balade dans les montagnes, aller au marché, visiter une nouvelle librairie ou tout simplement apprendre à pédaler plus vite sur mon nouveau bicycle stationnaire.
J’écris habituellement quelque quatre ou cinq heures par jour, souvent dans un café, ou sur la table de ma cuisine en écoutant de la musique baroque. Un sage dont j’ai oublié le nom m’a dit que le baroque facilitait l’écriture. Je dois vous dire aussi que je dors en plein jour, une ou deux heures sur le divan de la bibliothèque, avec un épais bandeau sur les yeux.
Le reste du temps, je lis, j’apprends ou je cherche de nouveaux mots que je risque d’aimer. Depuis que j’écris, les best-sellers, les livres instructifs et les magazines de toutes sortes sont ma plus grosse dépense. Ils ont dépassé de loin les fringues colorées, les foulards, les souliers et les babioles à épingler un peu partout.
Voilà, dame Apolline, je suis convaincue que vous allez réussir votre virage. À son heure, tout être humain est un tréfonds à débroussailler, une histoire à raconter, un futur à ensemencer. Peut-être qu’un jour, sur la commune de Gordes, j’aurai l’extrême bonheur de visiter avec vous l’Abbaye Notre-Dame de Sénanque.
Cora
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