Très chère Jocelyne B. de Shawinigan, je viens tout juste de lire votre commentaire du dimanche 12 mars où vous me dites que je vous inspire « à écrire un livre à vos petits-enfants », et que vous avez hâte d’entreprendre ce projet que vous écrirez, comme moi, dans un café près de chez vous.
Vous dites que vous avez déjà en tête le titre du livre : « GRAND-MAMAN RACONTE ». Vous me dites aussi que vous aimeriez que je sois assise près de vous pour vous conseiller. Quel honneur vous me faites, chère dame! Je serai près de vous et je vous aiderai à comprendre que le maître de cet univers est immensément bon et qu’il ne nous envoie pas des projets que nous sommes incapables de réaliser. Si ce désir d’écriture vous est venu, c’est que vous êtes amplement capable de le matérialiser.
Fouillez dans votre armoire à talents et mettez sur la table votre créativité, votre originalité, l’amour que vous portez à vos petits-enfants, et votre audace et votre courage. Car il en faut, du courage, pour devenir ce que nous sommes appelés à être. Il en faut des tonnes et des tonnes de courage pour permettre à nos idées de s’étendre sur la page, pour oser croire que nous sommes dignes des belles phrases que nous nous apprêtons à immortaliser.
Sachez que chaque matin d’écriture, j’hésite, je tremblote et je doute que mes phrases vaillent la peine d’être lues. Et pourtant, lorsqu’arrive le dimanche au soir et que je vois ces centaines de bons commentaires, je respire un peu mieux. Je décide de continuer, de creuser plus creux dans ma caboche où se cachent les meilleurs mots.
N’ayez crainte, le vaste ciel est rempli d’inspiration et d’idées merveilleuses à raconter. Ce ciel paradisiaque est aussi le plus gros entrepôt de souvenirs au monde. Chacun et chacune d’entre nous possède son propre casier proportionnel à l’énormité de ce qui est inscrit dans notre mémoire. Vous ne manquerez jamais d’idées, chère amie. Effilez vos crayons et habituez-vous à sortir de la maison. Oui, oui! Résistez à la tentation du ménage, du lavage et de ces mille et une tâches qui essaieront de vous distraire de votre but.
Je dois vous le dire, j’adore votre titre, « GRAND-MAMAN RACONTE ». Il est très approprié, vivant et il stimule la curiosité. Vous aurez certainement votre plus belle bouille sur la couverture du livre et vos petits-enfants seront très fiers de leur mamie.
Moi-même, toujours aussi curieuse que le petit dragon d’Australie, je n’ai pu résister à me rendre sur votre page Facebook et quelle magnifique figure vous avez, chère Jocelyne de Shawinigan. Quelle belle tête grise et quel sourire appétissant! Même vos jolies barniques feront honneur à l’écrivaine que vous deviendrez peut-être un jour.
Je suis avec vous, chère amie, comme avec toutes les femmes qui osent exprimer le meilleur d’elles-mêmes. Raconter notre passé nous aide à paver le reste du chemin. Tous ces merveilleux souvenirs qui nous ont appris à mieux vivre, nous devons presque les encadrer et les suspendre dans nos salons. Dépoussiérer des visages que nous aimions tant et qui se sont envolés; et tous ces jeunes poupons qui sont devenus grands pendant que nos chevelures blanchissaient.
Chère Jocelyne, vous aurez tellement de choses à raconter, tellement de visages à vous remémorer, tellement de pages de calendrier à tourner. Toutes ces dates d’anniversaire à vous remémorer, tous ces gâteaux de fêtes dont vous aurez peut-être oublié la saveur.
J’ai moi-même commencé ce genre d’aventure et j’ai toujours l’impression d’en être au début. L’écriture me permet de vieillir en me souvenant continuellement de ma jeunesse. Goûtez à cette médecine, chère amie et, comme moi, vous finirez par emmailloter votre propre vie dans un fin papier ligné.
Pour la première fois de ma vie, je m’intéresse aux signes astrologiques et j’affirme être une femme Gémeaux née le 27 mai 1947. Pourtant, toute ma vie j’ai toujours un peu pensé que l’horoscope sur la dernière page d’un journal se voulait un genre d’arnaque pour les gens à la recherche de sensations. Pour rêvasser, quelquefois, je lisais dans la case du Gémeaux qu’un gros montant d’argent allait m’arriver alors que j’étais raide pauvre. Quand elle ne me promettait pas un possible montant d’argent à venir, pour sûr l’astrologue en chef de la planète me faisait miroiter un bel amoureux. Parfois, je me forçais pour y croire tellement la solitude me pesait.
L’autre matin, mes bons amis ont entamé la discussion sur l’astrologie et j’ai réagi! Soudainement, je m’intéresse à cette femme Gémeaux que je suis. J’interroge l’ami Google et il m’apprend que « la femme Gémeaux, reine de la communication, toujours souriante et attentive aux autres, sait quoi dire au bon moment et insuffler l’énergie et la bonne humeur autour d’elle ». Wow! Je dois admettre que cette description me ressemble. Google poursuit : « au travail, la femme Gémeaux s’avère un élément essentiel qui a un effet stabilisateur, motive les troupes et apporte des ondes positives ». Ça aussi ça me ressemble! Je pense bien avoir été une présidente assez charismatique qui maîtrisait très bien les enjeux quotidiens d’une entreprise importante. La description se termine en m’apprenant que si j’étais un petit animal, je serais sûrement une vaillante abeille butinant de fleur en fleur. Chercher des mots, taper sur le clavier chaque jour, n’est-ce pas moissonner ces fameuses lettres du dimanche? Devrais-je accorder quelque crédibilité à l’astrologie?
Ce matin, de retour au café avec les amis, j’interroge chacun pour connaître son signe astrologique. Steven le policier est un Capricorne, Jean-Pierre et Claude, deux Sagittaires, George l’homme d’affaires, un Taureau, Denis, un Scorpion, Doris, un Cancer, Bruce le comptable, une Balance et l’ami Éric, un Bélier. En fin d’après-midi, je me rends chez Renaud-Bray et je trouve un magnifique livre sur l’astrologie. Bien entendu, de retour à la maison, je l’ai feuilleté quelques heures, et me voici un tantinet plus savante qu’avant.
La première ligne du volume m’apprend que « l’astrologie n’est ni une religion ni une croyance. C’est un système à la fois astronomique, psychologique et prévisionnel. Contrairement à de nombreuses autres techniques divinatoires qui ont traversé les siècles, l’astrologie conserve sa popularité pour la simple raison qu’elle fonctionne ». Il y a certainement quelque chose de bon à savoir si ça fonctionne encore! Mais avant de m’emballer, je questionne à nouveau Google à propos du pedigree de l’auteure du savant volume.
La dénommée Sasha Fenton est « une astrologue professionnelle. Elle a déjà publié six volumes sur le sujet et écrit des rubriques pour de nombreux magazines et journaux. Elle intervient très souvent à la radio et à la télé au Royaume-Uni. Elle anime aussi des ateliers et des discussions dans des salons d’astrologie du monde entier. »
Le livre est sérieux et je vais essayer de l’être moi aussi, à mon propre bénéfice et un peu à celui de mes bons amis. Nous allons certainement rigoler de nos travers et nous vanter de nos attributs innés! Approchant tous les 75-80 ans, il est grand temps que nous en apprenions davantage sur le système solaire et sur nous-mêmes.
Personnellement, j’ai toujours eu l’habitude de regarder le ciel et je l’imaginais vide sauf lorsque la pluie s’accumulait dans les nuages. Aujourd’hui, je prends conscience de tout ce que ce désert blanc cache derrière les nuages. Je feuillette le livre savant, je saute des pages trop ardues et, en tant que Gémeaux, j’apprends que mon signe lunaire est l’air. Je ne sais pas encore ce que ça veut dire, mais l’auteure m’explique que c’est à titre de femme Gémeaux que j’ai pu gravir les échelons du succès et mener une vie enviée par beaucoup. Wow! Encore quelque chose de vrai!
En conclusion, je retiens que « le Gémeaux fait en réalité preuve de détermination lorsqu’il est question d’un sujet qui l’intéresse. Il sait alors lui consacrer une étude approfondie ».
Ne pourrais-je point faire d’une pierre deux coups?
Premièrement, essayer de comprendre l’astrologie avec l’aide d’un Sagittaire de la planète Jupiter.
Deuxièmement, me rapprocher de Claude, ancien professeur d’électricité et pilote de brousse à ses heures. J’ai déjà constaté que nous avons beaucoup d’affinités : les mêmes valeurs familiales, les mêmes lectures, le même nombre d’enfants, le même amour de la nature et le même âge.
Dame Sasha Fenton se rendrait-elle disponible pour une consultation outremer?
CORA
❤️
L’autre jour, on m’invite à parler de mon livre dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Mes auditeurs sont surtout des femmes de mon âge et trois hommes relativement en bonne forme. Ils ont tous l’air heureux de pouvoir me questionner sur ma vie, vanter mes délicieux déjeuners et s’enquérir de mon avenir. Je réponds à ceci, à cela, je patauge et leur raconte quelques morceaux épicés de ma longue vie.
Puis, l’animatrice de l’événement m’offre de rencontrer quelques patientes alitées qui, semble-t-il, me connaissent aussi, mais ne peuvent venir me rencontrer. Comme j’accepte de grimper à l’étage, nous rencontrons quelques braves femmes luttant ardemment contre des cancers. J’entrouvre la porte de la chambre 118 et j’entends : « Tabarnak, Jésus! Tu m’as encore oubliée cette nuit! » La femme s’adresse au crucifix doré qu’elle a placé dans sa chambre. « Tout mon monde est mort, mon hostie de mari, mes deux frères, mes trois sœurs, mes deux filles et le garçon de la plus jeune, mort du sida. Que le diable m’emporte si le bon Dieu ne veut plus de moi! »
La pauvre animatrice me confie à mots couverts que cette malheureuse femme est un réel miracle, une force de la nature. Depuis deux ans, elle a subi toutes sortes de chirurgies et elle vit toujours… malgré elle, on dirait. Je ne sais plus quoi dire, je bégaye, j’échappe des mots. Je vois l'aînée tirer son drap au-dessus de sa tête. Elle ne souhaite plus nous parler, je suppose. Mon cœur cherche un petit mot de consolation, mais rien ne sort de ma bouche stupéfaite. L’animatrice m’invite ensuite à visiter les installations de la cuisine, les tables agréablement disposées et le menu équilibré. Je n’ai que des félicitations pour ce genre d’établissement. Je laisse quelques livres à la bibliothèque de l’endroit, et je remercie l’animatrice avant de quitter le CHSLD.
J’ai encore toute ma tête, mes pattes bien droites et mes doigts vaillants. Quelle chance de pouvoir m’exprimer, écrire presque chaque jour et exercer mes vieilles méninges! Ma tête est un tonneau inépuisable de souvenirs et plusieurs réminiscences m’assaillent et méritent de revivre un court moment. Je me souviens comme si c’était hier : nous, les petites filles modèles, avions notre propre chapelet et devions obligatoirement nous rendre à l’église vers 7 h du soir pour assister au chapelet. Si nous avions oublié notre mantille ou notre chapelet, il fallait retourner les chercher à la maison. Je me souviens aussi du solfège qu’une religieuse m’obligeait à pratiquer pendant deux longues années. Je n’avais aucun talent en musique et cela n’a pas du tout changé! La seule chose que ma mémoire a enregistrée c’est « do, ré, mi, fa, sol, la, si, do ».
Un autre souvenir refait surface! Un certain vendredi soir, juste avant mon anniversaire. En ouvrant la porte de la cuisine, j’ai vu ma mère tremper une pomme dans un sirop brûlant. J’avais déjà vu des enfants en croquer, mais c’était la première fois qu’elle me présentait une pomme de tire, pour sûr, pour mon anniversaire. La semaine d’école était finie et maman avait fait bouillir des petites fraises des champs pour en tirer un sirop rouge et en napper les pommes. Frérot tapait du pied pour être servi le premier, mais la priorité fut accordée à la fêtée. Jamais je n’oublierai ce temps des pommes de tire. Une année, j’en ai préparé à l’Halloween pour mes jeunes enfants, mais ils ont tous préféré les bonbons colorés qu’ils quêtaient de porte en porte.
L’âge est une roue qui ne cesse jamais de tourner.
On naît, on vit, on meurt, nos cœurs n’arrêteront pas d’aimer.
Qui pourrait prédire ma dernière heure?
J’avance, je recule, je grimpe, je tombe.
Mon esprit translucide laisse passer la lumière.
Depuis toujours la couleur rehausse mon allure.
Le jaune soleil me garde joyeuse.
Le bleu du ciel et de la mer m’apaise.
Le orange m’invite à l’aventure.
Le vert nourrit mes espoirs.
Le rouge et le rose excitent mon petit cœur.
La page blanche m’invite à écrire
Et tous les tons de noir me font peur.
Cora
❤️
Je n’ai plus d’illusions. Je suis beaucoup trop vieille pour devenir un jeune prodige, mais ma caboche, cette tête entêtée, espère toujours. Elle bûche comme une acharnée. Mieux que personne, elle insiste, elle rêve, elle s’enfarge dans les fleurs du tapis et s’imagine arrivée au paradis.
Jour et nuit, ces temps-ci, je noircis des lignes, j’amoncelle des pages et je me nourris de feuilles froissées. Désespérément, je cherche ma voie. Surgira-t-elle d’une idée ensemencée dans mon passé qui soudainement pourrait ressortir de terre?
J’ai peur, j’ai froid. Un manteau de phrases rassurantes pourrait me réchauffer. Après notre fuite du logis, mes pauvres enfants ont été bringuebalés sans tendresse et sans câlins comme des petites grenouilles obligées de grandir trop vite. À cette époque, notre vie tournait en rond comme un manège de fête foraine. Je me souviens, moi qui connaissais tant de beaux mots, je n’ai plus eu de voix pour exprimer le massacre de mes écrits par l’affreux mari.
Serais-je trop vieille pour entreprendre une nouvelle carrière? Un nouveau livre pourrait m’intéresser, m’occuper, me rendre meilleure. La construction d’un récit me fascine. J’adore abouter des idées, des fragments de phrases, des souvenirs encore chauds et même d’étranges mots qui veulent dire quelque chose. Ces accumulations de lignes font naître de nouvelles perspectives servant de terreau fertile à de nouvelles idées. À mes yeux, une phrase, si saugrenue soit-elle, est bonne à coucher sur le papier. Elle peut ne jamais dépasser le stade du gribouillage, mais elle peut aussi se transformer en article, en jolie lettre ou en pavé de cent pages.
Je souffre d’un vide ce matin. J’ouvre la fenêtre et j’accueille l’aurore. Une espérance de soleil mijote derrière le clocher du village. L’écriture ressemble à une danse. Un mot en avant, un mot en arrière, puis une musique surgit. Ma radio FM tient la cadence. Entre averse de pluie et coup de soleil, mon cœur balance. Un souvenir me revient. Un certain après-midi de mai où j’allais avoir dix-sept ans. Le collège avait manqué d’électricité vers onze heures et nous, collégiens et collégiennes, comme nous étions tous pensionnaires, il nous fut interdit d’aller ailleurs que dans la cour clôturée de l’école. J’avais quelques pommes dans mon sac, deux dattes et une belle pointe de fromage Oka. J’étais amoureuse d’un certain Paul sans jamais lui avoir parlé. Quelques garçons ôtèrent leurs vestes, roulèrent leurs manches et déboutonnèrent quelques boutons. Il faisait si chaud! Mon front dégoûtait, mon petit cœur grelottait de peur.
Souvent, l’écriture déferle comme un raz de marée; ça entre dans nos têtes et ça déchiquette tout ce qui s’y trouve : les jugements que l’on porte, les attentes, l’impatience, l’égo, les croyances toutes faites et la terrible peur sous toutes ses formes. Écrire nous libère de cette prison existentielle. Plus je lis, plus je rêve, plus je vis; mon imagination gagne en élasticité. J’écris rarement sur ce que je sais. J’écris pour apprendre à écrire, pour mieux me connaître, pour découvrir à quelle catégorie de pousse-mine j’appartiens. Je gribouille dans mon lit, étendue dans un hamac, les orteils dans la piscine, ou encore admirative devant le chant des pinsons et les cris stridents des vaillantes corneilles. L’été est ma meilleure saison. J’ai beau implorer l’inspiration, la chercher, la supplier, c’est toujours elle qui bat la mesure et j’en conclue qu’elle m’aime et veille sur ma plume.
Parce que j’apprécie tous les aspects de l’écriture, je travaille dans la joie : lorsque je recherche des sujets de lettre, lorsqu’il faut me documenter sur quelque chose que j’ignore, lorsque je dois prendre des milliers de notes pour maîtriser un sujet, lorsque ma tête s’emballe et lorsque mon cœur bat la chamade. Je bois une dizaine de cafés par jour, je mange léger, j’écoute des chants grégoriens, je sieste deux petites heures et je noircis du papier jusqu’à ce qu’un point final me ferme le clapet. Je n’écris pas pour performer, j’écris pour jaser avec mes fidèles lecteurs. Et je le fais surtout pour qu’ils ne m’oublient pas.
Cora
❤️
Il y a quelques mois, mon grand ami cuisinier et moi sommes allés faire une petite virée à Ottawa. Je voulais aller serrer la pince à quelques-uns de nos franchisés de la région. Ensuite, je désirais visiter l’épicerie « WHOLE FOODS » de la rue Bank, le célèbre Moulin de Provence et tout le Marché By. Le clou de la journée allait être un souper dans un restaurant chinois connu mondialement à cause de ses délicieux « egg rolls ».
Je fais ce genre de voyage à l’occasion d’abord pour visiter nos restaurants établis un peu partout au Canada. J’en profite pour rencontrer nos franchisés et me familiariser avec nos supers employés corporatifs. Ils sont ma tête et mes yeux dans les restos et semblent toujours heureux de me rencontrer. Nous lunchons ou soupons ensemble bien souvent lorsque l’horaire le permet. Je suis extrêmement reconnaissante envers tous ces gens qui veillent au grain, qui aident et appuient nos valeureux franchisés. Lorsque je fermerai mes yeux pour toujours, je voudrais que l’on répande mes idées au pied d’un immense pommier. Ma dépouille entortillée dans les racines de l’arbre, j’imaginerai chaque jour des milliers de pépins de pomme qui feront apparaître des vergers. C’est ainsi que j’aime me représenter mon réseau de franchisés.
Comme je ne vais pas mourir de sitôt, revenons à nos moutons! Sur l’autoroute 50 vers Ottawa, je constate qu’un ange bienveillant vient tout juste de balayer l’hiver pendant que nous discutions cuisine et mangeaille. L’ami Éric, originaire de Suisse, a immigré au Canada il y a plus de 30 ans. Il a étudié la grande sagesse culinaire dans son pays et travaillé dans les plus grands palaces de Genève et de Lausanne. Grand voyageur, il parcourt le monde à la recherche de nouvelles saveurs. Son palais est un proche cousin de celui du grand Bocuse. L’amitié qui nous lie goûte immensément bon! Nous cuisinons ensemble très souvent et expérimentons de nouvelles façons de faire pour surprendre nos amis.
Une fois arrivés près du centre-ville d’Ottawa, nous nous rendons sur la rue Bank où se trouve l’extraordinaire marché « Whole Foods » que j’ai découvert au cours de mes virées américaines. Il s’agit d’une chaîne écoresponsable avec, entre autres, des produits frais, biologiques, naturels et écologiques. Je me régale à pas de tortue en ratissant tout simplement les allées. À chaque visite, je découvre une tonne d’excellents produits : nourriture, pâtisseries, céréales inusitées, fruits exotiques, cosmétiques, savons et poissons de toutes sortes. Je raffole aussi des plats à emporter. Comme nous venons de déjeuner à notre restaurant CORA de Kanata, je deviens raisonnable et n’achète que du saumon séché pour rapporter à la maison.
Passionné de crèmes magiques pour sa peau, Éric passe une grosse demi-heure dans l’allée des miracles en petits pots. Oui, oui! J’exagère à peine! L’homme vient de fêter ses 70 ans, mais en fait à peine 50. Il ne mange que de la bonne nourriture, des produits bios de préférence. Il aime énormément la viande qu’il cuisine avec dextérité et il excelle dans les sauces.
Je suis peut-être une spécialiste des bons plats matinaux, mais je n’ai aucun talent pour la viande, moi qui en mange si peu. Comme dit mon entourage, je suis une Gaspésienne qui mange de la morue d’Islande. La meilleure au monde, selon mon ami Éric!
Le temps file à 100 à l’heure lorsqu’on veut tout voir, et plus spécialement notre restaurant CORA de la rue Rideau. Je pensais me souvenir de l’adresse exacte, mais ma mémoire est aussi vieille que l’ancienne mairesse de Mississauga, Hazel McCallion, qui a régné pendant 36 ans. Je l’ai d’ailleurs rencontrée lorsque nous avons inauguré notre premier restaurant en Ontario, puis chez elle, quelques semaines plus tard, pour prendre le thé. Cette femme extraordinaire est décédée deux semaines à peine avant de fêter ses 102 ans, en 2023. Elle était un modèle d’efficacité pour moi, et j’espère l’imiter en matière de longévité.
Quelques bouffées d’air et nous entrons dans l’immense CORA tout de bleu vêtu et décoré d’une vingtaine de cadres significatifs en guise de clin d'œil à l'évolution de notre marque à travers le temps. Dans cet endroit bellement habité, j’ai l’honneur de serrer la pince à mon franchisé. Nous prenons quelques photos pour immortaliser l’instant et, comme toujours, plusieurs clients s’approchent pour une photo avec « la » madame Cora. Mon cœur, telle une véritable reine, aime tous ses sujets. Je n’ai peut-être pas de réel amoureux, mais ma vie déborde d’amour. J’ai des amis extraordinaires, des collègues géniaux, des franchisés bien intentionnés et des clients qui me choisissent depuis toujours.
Tourne à droite, tourne à gauche, nous cherchons la devanture du Marché By et son célèbre Moulin de Provence. Lors de sa visite officielle au Canada, le 19 février 2009, Barack Obama est entré dans le Moulin de Provence pour acheter des biscuits pour ses deux filles et sa femme. Il a choisi des biscuits rouge et blanc sur lesquels était inscrit « Canada ». Depuis cette célèbre visite, l’engouement pour ces biscuits surnommés « Obama Cookies » s’avéra absolument incroyable. Le Moulin de Provence vendit pendant longtemps tellement de biscuits que le propriétaire du commerce voulut remercier le Président en versant 10 000 $ dollars à la Fondation Obama.
Nous nous promenons dans le marché et je m’empresse de programmer sur mon téléphone le trajet vers le GOLDEN PALACE. Jadis trop occupée à ouvrir des restaurants, j’y suis allée une seule fois, il y a environ dix ans et j’ai toujours voulu y retourner. La vie passe tellement vite! Puis une pandémie nous a immobilisés et j’ai oublié mes bonnes adresses de jadis.
Mon ami me fait plaisir en acceptant de nous conduire au vieux restaurant chinois. Il ne s’agit pas du tout de son genre de nourriture et j’ai cru qu’il craindrait même d’entrer lorsqu’il verrait que la bâtisse est aussi vieille que l’arche de Noé. Oui, oui! Le Golden Palace a célébré son 63e anniversaire en 2023 et je mettrais ma main au feu qu’aucune rénovation n’a été faite pour rajeunir l’endroit. Tout est vétuste, détérioré par le temps et l’usure. S’y trouvent deux chandeliers branlants et, dans un coin, comme élément de décoration, un chat ou peut-être un tigre géant.
Tous les serveurs se dirigent assurément vers les cent ans, mais ils sont immensément polis, gentils et souriants. Je suis presque certaine qu’ils viennent tous de la même lignée. Ils nous présentent un menu aussi vieux qu’eux-mêmes avec un sourire fendu jusqu’aux oreilles.
Je suggère à mon ami de commander le dîner numéro 2, pour deux. Le tout comprend deux soupes wonton, un « egg roll » chacun, une assiette de chow mein au poulet, des côtes levées à saveur BBQ, une assiette de riz frit au poulet et deux biscuits aux amandes. Lorsqu’Éric croque une bouchée de son « egg roll », il tombe en pâmoison. Il n’a jamais goûté quelque chose d’aussi bon! Nous avalons avec appétit, car tout est délicieux.
Je n’avais pas raconté à mon ami que je connaissais déjà le Golden Palace. Comme il aime les « egg rolls » et qu’il n’en trouve jamais d’assez bons, j’ai voulu le surprendre et lui faire connaître l’or en barre que représente le « egg roll » pour le Golden Palace. Ces petits délices sont livrés en format de deux douzaines presque partout dans le monde, par livraison prioritaire le lendemain.
Évidemment, nous avons quitté l’endroit avec chacun une douzaine de délicieux « egg rolls ». Avant notre virée à Ottawa, j’étais allée au Golden Palace juste une fois, mais quelques superviseurs de notre réseau avaient toujours la gentillesse de me rapporter une douzaine de ces merveilles lorsqu’ils venaient à notre siège social. Hier soir, en commençant cette lettre, j’en avais trois à réchauffer dans le grilloir pour mon souper.
Cora
❤️
En Gaspésie jadis, à la fin juin ou au début juillet, le temps de faire les foins arrivait. Cette année-là, j’avais 7 ans et j’allais devoir aider grand-père Frédéric à ramasser le foin coupé et séché. Pour moi, le moment marquait le commencement des grandes vacances.
Grand-père dirigeait les opérations. Le matin de la fauchaison, les travailleurs se partageaient le champ et cousin George était toujours le premier à commencer. On m’avait postée tout près de l’immense brouette pour que je rassemble le foin séché qui en tombait afin d’en faire un tas qu’un adulte allait ramasser et lancer tout haut dans la grosse charrette. Je suivais le cortège avec, dans mes petites mains, un lourd râteau de bois avec des dents manquantes. Avançant à pas de tortue, je zieutais de loin le cousin George et mon jeune cœur tourbillonnait comme une brindille soulevée par les grands vents.
Chaque année, grand-père s’assurait de réunir le nombre de bras nécessaires pour que le travail se fasse à temps. Après la coupe et le séchage du foin, il fallait avoir deux hommes pour râteler, un pour charger la brouette, un troisième pour fouler le foin et un quatrième pour conduire le tracteur. Heureusement que la récolte visait à l’autosuffisance d’une seule grande famille.
Cousin George avait roulé les manches de sa chemise ouverte et son torse blanc, visible sous le mince tissu de sa camisole, explosait au soleil. Ses longs bras, ses grandes mains tenant la faux, sa chevelure couverte de brindilles dorées, et ses yeux aussi bleus que l’océan me subjuguaient. De mon poste, je le dévisageais et le vent m’amenait son énigmatique odeur.
Il faisait si chaud! Le cherchant des yeux une énième fois, j’ai vite remarqué que ses boucles blondes dégouttaient sur ses larges épaules, sur son torse maintenant dénudé. Je le trouvais si beau! Selon grand-père Frédéric, ce cousin George était le meilleur faucheur du canton. Certes, il avait une bonne faux qu’il n’employait que là où il ne courait pas de risque de rencontrer des pierres.
Lorsqu’un lointain clocher sonnait midi, les hommes avaient déjà cinq ou six heures de travail dans le corps. Tante Hope arrivait avec un immense chapeau de paille et un assez gros panier de victuailles. Elle se dirigeait vers le plus proche sous-bois et étendait deux grandes nappes à carreaux. Puis elle criait mon nom pour que je vienne l’aider à beurrer les tranches de pain de ménage. Chaque travailleur, je m’en souviens encore, recevait une généreuse assiettée de fèves au lard garnie d’une épaisse tranche de jambon. Puis la tante Hope ouvrait les thermos de café et sortait d’une boîte en métal les fameuses galettes à la mélasse du Bas-du-Fleuve. Le dessert vite avalé, l’un après l’autre, les travailleurs s’isolaient à l’ombre pour piquer un petit somme. Tante Hope et moi, nous replacions dans le panier les victuailles restantes, les deux nappes et les thermos vides.
Étendu à l’ombre de quelques bouleaux jaunes, cousin George mâchouillait une mince branche. Il avait roulé sa camisole en boule pour s’en faire un oreiller. Je le regardais de loin et j’entendais battre mon cœur aussi fort qu’un sabot de cheval sur l’asphalte.
J’ai eu peur, je n’ai plus su quoi dire ou quoi faire. Son torse nu collé à la terre, ses bras bronzés, ses yeux mi-clos; était-il en train de rêver? Quel âge avait-il? D’où venait-il? Au village, l’écume des vagues distillait des ragots : tante Hope était-elle sa mère ou sa grand-mère? Je ne l’ai jamais su.
Cousin George, aujourd’hui tu reviens dans ma mémoire, soixante-dix ans plus tard. Serait-ce pour honorer ce premier amour enfantin que tu m’as inspiré? C’était en 1954, avec grand-père Frédéric, pendant que nous faisions les foins. Tu étais un jeune homme si beau que mon cœur s’est emballé, cet été-là, pour la première fois. Si petite, j’apprenais l’amour et ça me faisait mal. Ce n’était pas ta faute. Nous n’avions même jamais échangé un seul mot! Fillette, je suppose, j’imaginais de toute pièce cet engouement amoureux. Comme ces cadeaux que j’attendais à Noël et qui n’arrivaient jamais. Ces premiers battements de cœur, je ne les oublierai jamais.
Te souviens-tu, cousin George, que ce jour-là après la sieste, tu avais perdu ta chemise à l’ombre de quelques bouleaux jaunes? Je te trouvais tellement beau que mon cœur s’est fourvoyé. J’ai voulu garder quelque chose qui venait de toi et j’ai dérobé ta chemise pendant que tu dormais! Des mois, je l’ai gardée dans mon lit, sous mon oreiller. Je la sentais, je la câlinais. Son odeur m’endormait. Sache, cousin George, que ta beauté est restée gravée dans ma mémoire à tout jamais.
Cora
❤️
Voilà! Je me lance. J’ai enfin décidé d’écrire une histoire inventée. Depuis quelques mois, je tourne et retourne cette idée dans ma tête. Pourrai-je y arriver? Inventer de toutes pièces une intrigue; peut-être une histoire d’amour avec un ensemble d’événements et assez de faits pour constituer un court récit. Une nouvelle, comme l’appellent les écrivains de métier. J’ai toujours rêvé de devenir une véritable auteure à succès, mais par où devrais-je commencer? J’ai lu quelque part qu’écrire c’est comme « gravir une montagne sans quoi il n’y aurait guère d’intérêt à vouloir toucher les cimes ». C’est bien vrai! Si je me lance, j’aurai besoin d’un aigle géant pour m’aider à grimper très haut.
Je rumine une idée, je cherche un filon, une histoire peut-être à moitié inventée. Et vlan, l’idée jaillit! Depuis quelque temps, il y a ce nouvel ami qui nous courtise au café où j’écris. Cet homme a l’air plutôt vieux, mais il a bonne mine. Il aime boire des lattés et apprécie certainement notre groupe d’amis. Avant-hier, il nous parlait de sa déconcertante histoire d’amour.
Pianotant sur mon iPad, je l’entendais discourir, parler ouvertement d’une certaine « catin » qu’il avait dans la peau. Ciel! Pourrais-je m’emparer de cette histoire? L’enlaidir ou l’embellir? Moi qui en sais si peu sur l’amour et sur l’attachement à la chair, j’ai dû consulter l’ami Google pour apprendre la signification de l’expression « avoir quelqu’un dans la peau ». L’expression remonte au XIXe siècle et signifie « être follement, follement amoureux de quelqu’un ».
Google m’informe aussi des plaisirs de la chair, ceux-là mêmes qui sont toujours à demi pardonnés. Trop manger, s’empiffrer, avaler la mer et tous ses poissons. J’attends, je désespère; je ne sais plus à quel saint me vouer. Peut-être que pour moi, l’amour constitue le pire sujet d’écriture? Qu’en sais-je? Je n’ai encore jamais aimé à en perdre la boule!
Ce soir, assise à ma table de cuisine, j’implore la page blanche avec un cœur vacillant, quelques idées en déroute et la peur de ne pas être à la hauteur. Mes doigts pianotent dans le vide; j’entends craquer un mur; la noirceur extérieure m’enferme dans une cage. Trouverais-je une faille par laquelle entrer dans l’histoire de sa tigresse éhontée?
J’ai appris que la première fois que l’homme discret la vit, il en tomba follement amoureux. Pour elle, il quitta sa femme, ses enfants, son foyer et son statut. Et pourtant! Il découvrit rapidement qu'il s'agissait d'une racoleuse, débrouillarde et bougonne de petite vertu. Mais cet homme l’aimait et lui pardonnait toutes ses frasques. Élevée dans une famille trop peu recommandable, cette femme admirait tous les grands bandits et les pires canailles. Petits oublis de payer, gros larcins, elle exploitait toujours le système à son avantage.
L’autre matin, le même vieillard nous fit pouffer de rire. Il nous raconta qu’à l’époque, les orteils des gars crochissaient juste à regarder sa dulcinée. Orpheline en bas âge, cette catin, cette force de la nature contrôlait plutôt bien son propre univers. Elle barguignait, marchandait et volait tout ce qu’elle pouvait sans jamais se faire prendre. Comme le passe-temps favori de madame était le magasinage, presque chaque jour elle s’y adonnait.
S’empiffrant de mets de première qualité dans les grands restaurants, sa beauté lui servait de précieux viatique lorsqu’elle oubliait de payer.
Croyez-le ou non, ce couple si mal assorti a vécu en concubinage pendant vingt-cinq longues années. Croisière dans les îles grecques, voyages dans le Sud, bagues en or, colliers de diamants, tours de gondole à Venise, escalade du mont Fuji; tout ce qu’elle désirait, mon ami lui donnait. Parce qu’il l’aimait. L’extraordinaire bleu des yeux de cette femme l’envoûtait. C’est d’ailleurs ce que tout le monde autour d’eux supposait.
Cette semaine au café, cet homme vieilli, isolé, blessé et abandonné s’ouvre pour la première fois à notre cercle d’amis. Il déballe ses frustrations, ses regrets, ses idioties et son immense chagrin de s’être retrouvé le bec à l’eau. Oui, oui! Cette poulette l’a plumé jusqu’au dernier sou.
Quant à moi, je constate une fois de plus que la fiction se révèle souvent moins tragique que la réalité.
Cora
❤️
J’adore écrire et ce matin j’ai envie de vous présenter mon abécédaire de mots triés sur le volet. Ce sont des mots ordinaires, significatifs et porteurs de jolis messages capables d’embellir notre quotidien.
AUJOURD’HUI est une succession de rencontres, d’actions et d’instants, qui peuvent être vécus pleinement dans le présent. Prenez le temps d’apprécier ce que vous dites, ce que vous faites en ce jour, car demain cogne déjà à la porte.
La BIENVEILLANCE est une preuve de confiance. Dans sa relation aux autres, son intention est toujours de créer des liens sans égoïsme et sans partialité. J’essaie de toujours faire preuve d’empathie et de gentillesse envers les autres. Peut-être est-ce ainsi que j’ai attiré d’aussi bons amis?
Toute réussite est l’occasion de CÉLÉBRER, de vanter les mérites et de mettre en valeur une personne, une équipe ou un résultat. Jadis comme femme d’affaires trop occupée, j’ai souvent oublié d’honorer les bons coups de mes collègues et employés. Aujourd’hui je les remercie beaucoup plus souvent et j’espère qu’un jour mon écriture endimanchée pourra célébrer l’humanité des gens ordinaires.
Chaque soir, avant de m’endormir, je rêve à ce DEMAIN qui sera toujours meilleur qu’hier. Ma tête sur l’oreiller, je l’imagine plus beau, plus sage et porteur de plus grands espoirs. Je suis une idéaliste qui anticipe toujours le meilleur. Je m’active, je fais ce que je peux aujourd’hui et j’ai toujours hâte à demain.
L’ESPOIR est un sentiment qui m’incite à attendre avec confiance un dénouement heureux. C’est une promesse qui, chaque fois, me redonne de l’énergie. L’espoir est un demain qui ouvre des fenêtres dans mon cœur. J’espère l’impossible et je réalise le possible.
Je voudrais apprendre à m’envoyer une lettre de FÉLICITATIONS. Oui, oui! Pour mes écrits du dimanche, pour mes mots triés sur le volet et pour l’immense joie que j’éprouve à être lue. Faites un geste concret, chers lecteurs. Félicitez-vous chaque matin d’être encore en vie. Achetez-vous des fleurs ou des chocolats. Anticipez le meilleur et lancez vos félicitations aux quatre vents.
Mes amis sont ouverts, généreux, délicats et prévenants. Leur GENTILLESSE « est le langage qu’un sourd peut entendre et qu’un aveugle peut voir » (Mark Twain). J’aime tellement mes amis et je n’abuse jamais de leur gentillesse. J’aurais trop peur d’épuiser leur bon vouloir.
Ce soir, c’est la grande Simone de Beauvoir qui m’apprend « qu’entre deux individus, l’HARMONIE n’est jamais donnée; elle doit indéfiniment se conquérir ». Wow! J’écoute des musiques apaisantes, je me cherche des affinités et un équilibre réussi. Quant à la complémentarité de deux êtres, peut-être dirais-je que j’avance à pas de géants.
Depuis toujours l’IMAGINATION est ma copine et ma folle du logis. J’aime écrire et, lorsque mon ciel s’embrume, elle vole à ma rescousse. Sur ma page elle lance du rose et du bleu. « Partons en voyage », me dit-elle! L’imagination est l’air qui gonfle ma montgolfière et me donne des ailes. Je rêve, je vole, je m’imagine en train de réussir mon plus beau roman. Ce que je ne vois pas est infiniment plus important que ce que je vois.
Être capable de trouver sa JOIE dans la joie de l’autre; voilà peut-être le secret du bonheur. J’ai trimé, besogné, roulé ma bosse et, par bonheur, j’ai rencontré quelques immenses joies. Le sourire de mon premier-né, le berceau de ma fillette que j’ai moi-même brodé. Aujourd’hui, j’ai enfin la conviction que je suis née sous une bonne étoile et j’ai confiance en moi.
Selon la tradition hindouiste, le sort de chacun est déterminé par le bilan moral de ses vies antérieures : celui qui reçoit maintenant aura beaucoup donné avant. Chacun son KARMA, dirais-je. Si on veut changer sa destinée, il faut s’activer. Dans tout ce que j’entreprends, j’essaie de faire de mon mieux. Je recule, j’avance. Je n’abandonne jamais.
Soyons libres penseurs, libres, rieurs et utilisons notre libre arbitre. La LIBERTÉ est un des dons les plus précieux que le ciel ait fait aux hommes. Profitons-en. Tellement de dictatures ici-bas enchaînent l’homme et la femme sans raison. Vous connaissez certainement le fameux Bernard Werber, un des romanciers les plus lus depuis la publication de son roman intitulé Les fourmis. Eh bien, cet homme a écrit « le libre arbitre des hommes consiste à choisir la femme qui décidera à leur place ». Hihihi!
Selon Ingrid Bergman, la célèbre actrice suédoise, « le bonheur c’est d’avoir une bonne santé et une mauvaise MÉMOIRE ». Comme un muscle qui se développe et s’entretient. La mémoire stocke plus ou moins d’information, crée des liens pertinents entre des sensations et des expériences. Ma propre mémoire est souvent comme une ardoise effacée lorsqu’il s’agit des difficultés que j’ai rencontrées. J’ai trimé, j’ai eu peur, j’ai souvent oublié le meilleur.
J’apprends à dire NON; à refuser de devoir me justifier. Oui, oui! Je ne suis plus l’oiseau sur la branche qui penche et qui risque de tomber. Avec l’âge, ma raison se solidifie et j’assume mes décisions; ma liberté de dire oui ou non.
OSER, c’est inventer le possible derrière l’impossible. À mes débuts en restauration, j’ai tout de suite osé me dépasser et aller au-delà de mes appréhensions. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai pu créer un tout nouveau concept de restauration matinale que tout le monde a su envier. Vieillotte aguerrie, j’ose aujourd’hui être entièrement moi-même, de la tête aux orteils.
Peut-être que le PARADIS n’existe que par opposition à l’enfer. Cet endroit paradisiaque me tourmente depuis ma tendre enfance. Ma mère disait toujours que nous, les enfants, devions laver nos pieds et nos mains avant d’aller dormir pour ne jamais risquer d’arriver souillés à la porte du paradis. Cette consigne m’est restée! Toute ma jeune vie, ma tête imaginait un Jésus éclatant de lumière. Aujourd’hui, c’est mon cœur enfoui sous mes chairs qui cherche la lumière…
Q R S T U V W X Y Z… à suivre, peut-être?
Cora
❤️
Que me reste-t-il à faire avant de mourir? Ce qui peut arriver à toute heure, ce soir ou dans deux ans, dix et peut-être vivrai-je jusqu’à cent ans? Ce qu’il me reste à faire, c’est vivre, évidemment! Ouvrir mes yeux chaque matin vers 5 h et attendre que le soleil se réveille. J’adore cette clarté blanchâtre qui précède la naissance du jour. Ce bleu clair envahissant la terre, telle une immense mer à l’envers. Devant tant de beauté, je referme mes yeux et laisse l’aiguille du temps s’envoler.
Où suis-je? Je rêve, je suis confuse, je cherche le paradis. Serait-il en haut, tout blanc, ou peut-être au fond des mers, tout vert? Comment pourrais-je quitter cet endroit paradisiaque? Les fleurs, les immenses sapins, ma famille, mes livres, mes écrits et mes arrière-petits-fils heureux de bientôt s’asseoir sur les bancs d’école.
Je somnole encore en imaginant une toute petite fille qui marche à quatre pattes dans la cuisine de Caplan. Elle mâchouille un petit poisson séché et me sourit. Serait-ce possible de recommencer ma vie? Je veux juste vivre encore quelques années, découvrir qui je suis, me guérir et apprendre à aimer.
Qu’est-ce que vivre? Si la vie était de longues vacances, et elle est loin de l’être, on regretterait à la fin comme on le fait toujours de ne pas avoir vu ceci ou cela : le Sphinx de Gizeh, la tour Eiffel ou quelques kilomètres de la grande muraille de Chine. Dans cet autocar qui amène une poignée de vivants aux portes de l’au-delà, de quoi parlerait-on avant de ne plus parler?
Je me tais. J’avale mes questions puis j’explose. Je crie mes regrets : de ne pas avoir terminé mes études classiques, de ne pas être devenue une grande écrivaine, de m’être retenue d’agir selon mon cœur et ma vraie volonté. J’aurais tellement dû refuser d’épouser le mauvais père de mes enfants.
J’ai encore tant de choses à vivre avant le grand départ. Ma tête s’agite, mon cœur s’enflamme! C’est difficile d’apprendre à mourir lorsqu’on n’a jamais appris à vivre. Devrais-je dresser une liste de choses à faire, à voir et à penser pour davantage ressentir la beauté de la vie au-delà des limites que je lui ai moi-même fixées? Pourtant, j’aime cette vie, ma vie. Quelquefois tranquille et pourtant si bonne et si belle! Lorsque je me contente d’une monotone quotidienneté, je risque d’être déçue. Si je chasse les abeilles de mes platebandes, pour sûr je ne peux m’attendre à recevoir le miel.
Suis-je bien vivante? Je m’interroge. Je tâte mon bras gauche, mon sein droit, mon cou, mon ventre. Je suis faite de poussières d’étoiles selon le célèbre astrophysicien Hubert Reeves. J’aurais tellement voulu le rencontrer en personne, lui demander où nous allons lorsque nous nous envolons. Serions-nous vraiment les enfants des étoiles incarnés sur terre? Et, dites-le-moi, qui serait le père d’autant de marmots?
Je suis forte, je suis sotte, ma pendule déraille. Tel un poupon, je confonds le jour et la nuit. Dans un coin de ma tête, je cultive la sagesse et cette miséreuse pousse à pas de tortue. Il me reste si peu de temps!
Je désespère, l’âge défigure ma beauté. Il plisse ma peau, tache mon front, renfonce mes joues et affadit mon goût. Mes rêves d’aventure fondent comme glace au soleil.
J’écris et je tremble de peur. Rien n’arrive que ce qui doit arriver. Je voudrais m’envoler, je voudrais rester, m’attacher à un chêne géant et ne plus bouger. Pourrais-je réfléchir et me définir avant de partir? Mon chemin de vie a toujours été de cultiver mon imagination et d’explorer de nouvelles formes d’expression. Je surmonte ma peur de ne pas être à la hauteur. Jeune fille, je cousais mes vêtements, j’écrivais des poèmes, je dessinais des fleurs, des visages, de jolis hiboux et des têtes de lion dont j’imaginais le sort.
C’est inné, l’artiste en moi est capable de voir le potentiel d’une idée, d’un paysage, d’une couleur ou d’une tournure de phrase. Ma tête s’emballe, mes doigts s’activent. Ils avancent dans un Sahara imaginaire, sur une page blanche soudainement inondée de milliers de pattes de mouches. Ainsi m’arrive la grâce des mots, la générosité de l’écriture. Je crée chaque matin en expérimentant l’advenance des mots arrachés au chaos. Je plane, je vole; le parfum des lilas enrubanne mon été.
Dans ce généreux monde des mots, ne pourrais-je point imaginer ma propre mort? Voir cette immortelle dame arriver tout doucement comme arrive le printemps. Entendre les sirènes des bateaux, les cris des pêcheurs, le doux chant des goélands, les pleurs des enfants. Je nous vois, la mort et moi, avançant sur le quai. Nos robes roses soulevées par le vent. Nos souliers blancs souillés d’écailles de poisson. Un aigle géant nous empoigne et je souris. Je sais que c’est la fin et pourtant je suis bien. L’oiseau connaît le chemin jusqu’à la porte des anges. Ouvre-moi, maman!
Cora
❤️
Toute ma vie de femme d’affaires, je n’avais pas d’amis. Certes, j’étais entourée de collègues attentionnés, d’employés extraordinaires et de franchisés triés sur le volet, mais pas de véritables amis avec lesquels discuter d’autres sujets que les affaires. À cette époque, j’étais tellement occupée, préoccupée et accaparée par mille et une choses que je n’avais vraiment pas le temps de socialiser avec des amis. Les magnifiques hommes d’affaires qui voulaient me rencontrer étaient la plupart sur le qui-vive. Ils voulaient tous faire affaire avec notre entreprise et me savaient sélective et intransigeante. Je ne barguignais jamais. Ni marchandage ni tergiversation. S’ils voulaient me vendre quelque chose, je lançais mon prix et ils devaient acquiescer ou retourner chez eux.
Dans ce temps-là, j’ai souvent pensé qu’un homme habitait ma tête. J’étais pourtant une intellectuelle, une artiste des mots sans aucune formation en affaires. J’apprenais mon métier de franchiseur en dévorant des biographies d’hommes ayant développé de grands réseaux de franchises. Heureusement, j’avais toujours quelques pas d’avance pour me rassurer. D’ores et déjà, je savais que le risque d’échouer était beaucoup plus grand que celui de gagner. La beauté de la chose c’est que je n’ai jamais eu peur! Comme avoir peur d’un ours malin, peur de manquer d’argent, ou peur de n’avoir aucune capacité d’invention.
Lorsque j’ai ouvert mon premier bouiboui, la restauration matinale de l’époque (1987) souffrait d’un manque flagrant de bons déjeuners. C’est donc ma caboche qui a dû mettre son tablier pour créer des déjeuners inusités, magnifiques et capables d’éblouir des milliers de clients. Un, deux, trois, quatre, cinq, six. Le septième restaurant Cora devint un établissement franchisé! Ce restaurant exceptionnel du West Island est encore debout et bien vivant au 187, boul. Hymus, à Pointe-Claire.
Il a bien fallu se rendre à l’évidence, j’étais douée en créativité et en affaires. J’avais créé un magnifique concept de restauration matinale et il me restait maintenant à parcourir mon propre chemin de Compostelle, semant des franchises un peu partout à travers notre grand pays. Tout ce temps, j’étais audacieuse et prudente, économe, et grippe-sou. Je ne cessais de grossir notre équipe d’experts et je m’empressais toujours d’ouvrir le prochain restaurant. J’ai pris des risques calculés sans jamais mettre en danger le cœur de nos opérations.
Je me souviendrai toujours de la fin de l’été lorsque nous allions cueillir des noisettes avec grand-père Frédéric. Chaque année, avec la même poche de jute, grand-père nous apprenait à détacher les noisettes de l’arbre et à les mettre dans la poche qu’ultérieurement il pendait dans la grange pour faire sécher les précieuses noisettes. Puis, après quelques mois de séchage, il frappait la poche sur un mur de pierre plusieurs fois pour sortir les noisettes de leurs écailles. Grand-mère gardait précieusement ces petits trésors et nous en donnait parcimonieusement quelques-unes le dimanche pour qu’il en reste jusqu’à Noël. Comme la grand-mère qui me donnait au compte-gouttes quelques noisettes, trente ans plus tard, je récompensais mes enfants qui m’aidaient au restaurant avec quelques maigres dollars comme argent de poche.
Dans cette seule petite vie bien chargée, comment aurais-je pu faire pour aller vers les autres et m’en faire de véritables amis? Je tournaillais sans cesse comme une girouette en cherchant toujours le meilleur emplacement pour installer le prochain gros Soleil jaune. Il a fallu que je donne mon rôle et mon titre à mon plus jeune enfant pour m’habituer à ralentir. C’est bien sûr l’affreuse pandémie qui a réussi à m’immobiliser. J’ai changé mon mode de vie. Puis, lorsqu’on nous a permis de sortir de nos chaumières, j’ai commencé à écrire dans le café du village où je me suis fait des amis.
Oui, oui! Tout doucement comme l’oisillon qui apprend à voler, je murmurais des bonjours à mes voisins de table et ils me rendaient la pareille. Je souriais et je jubilais. Quelques semaines aidant, nous rapprochions nos tables pour apprendre à nous connaître. Telle l’abeille qui tout doucement se nourrit du nectar des fleurs, moi j’apprenais l’amitié; ce sentiment réciproque et aussi précieux que du véritable miel. Je ne peux pas dire que ce fut difficile de me faire des amis. La fonceuse que j’étais s’en était privée parce que j’avais à cette époque un urgent besoin de gagner ma vie et surtout d’assurer la survie de mes trois enfants. Disons donc que l’amitié m’est servie aujourd’hui comme un superbe dessert, comme un cadeau, comme une récompense. Je ne vais pas fuir les défis qui m’occupent encore l’esprit et qui m’empêchent de vieillir.
J’aime énormément mes amis et les frasques qu’ils me racontent, comme leur envie de mourir debout. Ensemble nous apprenons que vivre c’est être sans cesse confronté à ce qui nous dépasse. Nous en parlions l’autre matin en constatant combien c’est facile de devenir vieux dans nos têtes et de se laisser aller à la fatigue et à la lassitude. « Moins nous en faisons, moins nous voulons en faire », disait Georges, le plus vieux d’entre nous (82 ans). J’ai vitement répondu que ma caboche et mon être profond ne seront jamais à la retraite. Je déteste le mot retraité, car il ressemble à un fragile bibelot à tête branlante avec une canne à pommeau.
En vieillissant, nous ne pouvons le nier, une part de nous demeure jeune comme l’est toute création en train d’advenir. Que le Dieu d’en haut bénisse cette continuelle jeunesse qui nous empêche de faiblir. Je m’interroge. J’ai peut-être jadis manqué d’amour, mais je suis aujourd’hui entourée de valeureux amis chevaliers servants.
Très tôt, dimanche dernier, un vieil homme entre dans le café et s’approche de ma table. Je ne l’avais jamais vu. Ses deux mains appuyées sur la chaise en face de moi, il se penche et me dit « Chère dame, votre modestie est un signe de grandeur ». Puis il me salue, se tourne, se rend au comptoir à café, commande un latté pour emporter et quitte les lieux. Ni vu ni connu. Je suis la seule cliente dans le café.
Cette année, c’est entourée de mes amis que je célèbre mes 77 ans bien sonnés. Je m’estime bien chanceuse d’avoir un cercle si bien tissé, des gens qui veillent sur moi, qui prennent de mes nouvelles et avec qui je passe du bon temps.
Cora
❤️
La neige a fondu, le froid décroît et les jeunes pousses du gazon verdissent rapidement. Ce matin, j’ai même vu quelques fourmis à la queue leu leu, essayant de grimper sur ma galerie. J’ai faim, j’ai soif; j’ouvre la porte de la cuisine et y entrent quelques éclairs de chaleur, quelques bouffées de bonheur. Je m’installe à ma grande table pour écrire, je pianote quelques phrases et mes doigts se réveillent. Deux, trois, cinq pages noircissent, le temps d’avaler mes premiers cafés.
C’est quand même quelque chose de voir la froide saison céder sa place à l’été! J’avais 5 ou 6 ans et je me souviens de mon père qui disait que dans 50 ans, la Gaspésie serait aussi chaude que la Californie. Bof! Avant de m’envoler, aurais-je le temps de me brûler les orteils sur l’asphalte en janvier?
J’ai lu hier soir qu’il semblerait que certaines vertus thérapeutiques de l’écriture ont un effet bénéfique sur les humeurs féminines. Qu’en sais-je? Je suis maintenant si vieille. Ma seule médecine consiste à encapsuler mes mots dans l’encre et j’en abuse à profusion.
Au café, l’autre matin, une jeune femme déclare qu’écrire ne mène à rien. Elle a peut-être raison. C’est en servant de bons déjeuners que j’ai gagné ma vie, mais aujourd’hui, je n’arrêterais jamais ma plume, car c’est l’écriture qui enrichit mon bonheur. Oui, oui! Écrire est à ma vie un superbe dessert. Hier une crêpe aux fraises, cet après-midi un gâteau à la pistache et demain ma tarte aux pommes préférée badigeonnée de sauce au sucre à la crème.
La jeune femme continue son discours :
— À quoi ça sert madame, de noircir des pages à longueur de journée? Ne pourrais-tu pas voyager? Voir l’Espagne, la tour Eiffel ou Venise et ses magnifiques gondoles, ses superbes cafés, l’île de Murano et ses artisans du soufflage de verre? N’as-tu pas tout dit depuis 4 ans, poursuit la femme abêtie en haussant les sourcils.
— Qu’est-ce donc qui te motive à taper des mots au lieu d’être dehors à profiter des brises douces du printemps? Le temps s’enfuit comme un filou et toi, chère dame, tu tapes, tu tapes et tu vieillis. Tu recommences inlassablement une nouvelle histoire. Tu sasses, tu brasses, tu inventes une intrigue, quelques personnages et une fin qui ressemblera à un nouveau recommencement!
Quelle détestable questionneuse que cette jeune femme qui n’aime pas les mots! Un doute m’assaille. Quel malheur ce serait si je devenais un puits presque vide! Je ne fais de mal à personne en noircissant mes pages. Je réfléchis un moment et lui remets quand même la seule copie de mon livre que j’ai encore dans mon sac. La femme semble surprise, mais se tait enfin.
Ce soir encore, sur ma grande table, j’écris. Qui donc pourrait décrire aussi bien que moi les larmes de l’hiver tombant sur la terre chaude du printemps? Je tape et je tape encore jusqu’à ce que l’horloge passe minuit quand soudainement, je vois une petite souris sortir d’une armoire. Je la suis des yeux. Elle traverse sous la table, longe le mur, entre dans le salon et se cache sous mon divan rouge. J’ai si peur des souris, moi qui suis si seule dans cette grande maison! Je me calme, je me rassois et je réfléchis. J’invente un nouveau paragraphe. Un chemin tracé en pleine forêt avec des arbres centenaires et des pousses de muguet. Dans le plus gros chêne, un trou géant, un refuge parfait pour ma famille de souris. Et patati et patata, je les gave de fromage et elles oublient l’adresse de mon logis.
Je ne me fatigue jamais de poursuivre un inépuisable filon d’idées. Je saute une ligne, j’achève une page, j’ai toujours hâte d’entreprendre une nouvelle histoire. Ce plaisir enfantin d’aligner des mots me fait penser à frérot, inlassable joueur de billes. Tout concentré qu’il était, le garçonnet se taisait, s’immobilisait, visait et lançait la bille de verre coloré le plus loin possible. Comme lui, j’arrête, je pense, j’invente, et je tire, mais moi c’est à la sève des arbres que je m’abreuve pour me construire des châteaux.
Je ris, je pleure, j’ai souvent les émotions en compote. Oui, oui! Je m’acharne à embellir mon monde et les milliers d’oiseaux qui se posent sur mes lignes, sur mes mots, dans mes histoires et dans mon cœur. Ce qui me motive à continuer d’écrire c’est ma capacité d’avancer; d’aller plus loin; d’aller au plus profond et au plus sérieux dans l’âme du monde éparpillée en chacun d’entre nous.
Ressemblerais-je à celle que j’aurais voulu être à 20 ans,
Mon cœur grand ouvert, mes yeux si verts,
Les vagues bleues, les poissons discutant entre eux?
Cora
❤️
J’avais cinq ans et déjà je te savais tellement triste, maman.
Ce martyre des doigts rongés d’eczéma, tes mains momifiées, gantées, brûlantes de douleurs, maman.
Ces trop-pleins matinaux quand tu traversais chez la voisine pour supposément emprunter un demiard de crème, maman.
Ces nuits blanches passées à découdre et recoudre un vieux paletot pour m’en faire un joli manteau, maman.
Je me souviens de tes bons petits plats, des confitures que tu nous faisais, maman.
Coudre, cuisiner et nettoyer. Tu as toujours fait ton devoir, mais ton triste cœur fut incapable de nous aimer, maman.
Tes longs silences déboussolaient nos petits cœurs assoiffés d’amour, maman.
En t’affairant à tes besognes, ta vaillance à toute épreuve, tu devais t’occuper l’esprit pour éviter de penser à ce qui t’avait arraché le cœur, maman.
La rage, la peine et la déception devaient t’épuiser tous les jours. Cet immense secret que tu as gardé jusque dans ta tombe, maman.
Nous ignorions ton incommensurable peine tandis que tu souffrais en silence, maman.
Indiscernable et menaçante, une mystérieuse douleur avait chamboulé ta vie et la nôtre, maman.
Notre enfance, nous l’avons vécue effacés, ayant toujours peur de te déplaire, maman.
Je t’en ai voulu. J’avais besoin de connaître les vraies choses de la vie et tu ne m’as rien enseigné ni à tes deux autres fillettes qui, comme moi, ont dû inopportunément accueillir un poupon, maman.
Était-ce le manque de connaissances ou la peur qui t’empêchait de nous parler? Nous étions des oies blanches et tu as laissé nos ailes se salir, maman.
Cette ignorance maudite nous a causé mille tourments. Comme toi, sans amour, tes filles se sont accouplées. Et nos vies, en pure perte, sont devenues des champs de bataille, maman.
Tu ne savais rien de ma triste vie d’alors. Si malheureuse que j’étais, il m’arrivait de penser à ma propre fin, maman.
Dans cette collision frontale, ton chagrin, ton secret et toi-même êtes morts au même instant, maman.
Lorsqu’à la morgue j’ai dû t’identifier, j’ai eu très peur. Tellement peur de ton visage déconstruit, du sang coagulé sur tes joues, des veines ouvertes dans ton cou, maman.
Aussi coriace soit-elle, la vie m’a pourtant choyée. À tes funérailles, une de tes sœurs m’a enfin raconté ton secret. Cette histoire aujourd’hui inimaginable, tu l’as pourtant vécue et elle a gâché ta vie, maman.
Tu étais la plus belle maîtresse d’école du canton, amoureuse d’un protestant que l’Église t’a interdit d’épouser. Tu t’en souviens, à cette époque la religion gouvernait, maman?
Tu as écouté ton père lorsqu’il t’a présenté un brave et vaillant jeune homme récemment revenu en Gaspésie. Grand-père l’aimait beaucoup, mais toi, tu en aimais un autre, maman.
Je m’en veux tellement de t’avoir accusée, critiquée, blâmée sans même avoir connu ta triste destinée. Mille milliers de fois, je m’excuse, maman.
Tout l’amour inutilisé que je garde en moi, je te le donne au grand complet, maman.
Attends-moi là-haut, car ensemble, pour sûr, nous recommencerons une nouvelle et magnifique vie, maman.
Ta fillette,
Cora
❤
AVERTISSEMENT : Cette lettre contient des détails en lien avec un décès qui pourraient offenser certains lecteurs. Nous préférons vous en avertir.
Ce matin, au café du village, j’ai ce terrible avantage d’entendre de la bouche d’un véritable policier tous ces affreux moments de la vie quotidienne que certains humains tolèrent et endurent jusqu’à rendre l’âme tellement ils en souffrent. Oui, oui! L’histoire quasi inimaginable de ce matin, je vous la raconte pour nous inciter à apprendre à connaître et à considérer nos voisins, nos amis et tous ceux qui nous semblent dans le besoin.
Alors qu’il était en devoir ce jour-là, mon ami policier reçoit un appel du concierge d’un immeuble de six logements qui se plaignait d’une odeur inhabituelle et qui insistait pour que la police s’amène sur les lieux. La police s’exécuta pour une vérification de bien-être. Juste à l’approche de la bâtisse à multiples logements dont il connaît l’adresse, le policier flaire une étrange odeur. De saleté? De brûlé? De viande avariée? Il s’agit de quelque chose de pire, suspecte-t-il. Les deux hommes empruntent l’escalier jusqu’au troisième étage et s’arrêtent devant la porte de l’appartement numéro six. Le policier confirme qu’il s’agit d’une odeur de putréfaction.
– « Quelqu’un est mort dans l’appartement? », demande le concierge.
– « Un corps mort commence à sentir en dedans de 72 heures, dépendant de la cause du décès », répond le policier.
J’ai demandé à mon ami comment il se faisait que les habitants des différents logements n’aient pas senti l’étrange odeur de la mort. « Tout probablement parce qu’elle ne leur était pas familière avant ce drame. » Il affirme que cette odeur, on ne l’oublie jamais.
Lorsque le policier entre dans le logement numéro six avec le passe-partout du concierge, il voit tout de suite le corps d’un homme dans un fauteuil roulant présentant les signes d’une mort évidente. Des lambeaux de chairs brunes et noires pendent du crâne de l’homme, ses joues sont renfoncées, vidées de leur substance avec un bataillon de grosses mouches noires picorant dans les yeux du mort.
L’agent de police constate aussi que le seuil de marbre de la salle de bain avait probablement bloqué le fauteuil roulant du vieillard. Le pauvre était coincé et mourut possiblement d’épuisement ou de faim. « Une véritable tragédie », dit le concierge, les larmes aux yeux. Le policier continua sa visite et, en entrant dans la seule chambre à coucher du logis attenante à la cuisine, il constata la présence d’un deuxième corps inanimé, couvert d’un drap jusqu’au cou, et la tête noircie.
L’agent rebrousse immédiatement chemin, appelle son supérieur et demande la présence d’un enquêteur et d’un autre collègue pour remplir les deux rapports de décès. D’après le concierge, ces deux personnes étaient âgées de plus de 80 ans. Étaient-elles malades? Seules dans l’appartement? Le couple avait-il des enfants? La police allait devoir trouver toutes les réponses à ces questions et tenter de déterminer la cause des décès.
À l’arrivée du second policier, rédacteur du rapport d’événements, ils firent diligence pour préserver et garder intacte la scène des deux décès. Portant des gants de protection, l’un des policiers prit le carnet d’adresses qui se trouvait sur la table de chevet de la défunte. Sous la supervision de l’enquêteur principal, le policier rédacteur ouvrit le carnet et trouva trois prénoms de femme, sans nom de famille. L’agent de police composa le numéro sous le premier prénom, s’identifia et demanda à la voix de femme au bout du fil de s’identifier à son tour. Instantanément, la femme demanda ce que l’homme faisait chez ses parents et le policier lui expliqua que les deux résidents du logis d’où il téléphonait venaient d’être retrouvés morts.
– « C’est impossible, s’affola la femme. J’ai parlé à ma mère hier matin! »
Le policier ne l’a pas contredite. Étant donné l’état de décomposition avancée des deux corps, la mort datait d’environ 10 à 15 jours.
Très chers lecteurs, j’ai raconté cette histoire immensément triste parce qu’elle m’a fendu l’âme et parce que mon ami policier m’assure qu’encore aujourd’hui, plusieurs personnes âgées subissent le même sort. Ce vieux en fauteuil roulant et sa compagne à peine capable de marcher selon le concierge, vivaient dans un trois et demi au troisième étage d’un édifice sans ascenseur. Qui s’occupait de qui?
Aujourd’hui, le policier est retraité depuis plus de vingt ans. L’année dernière, il s’est retrouvé célibataire. En s’étant rappelé la triste histoire qu’il vient de me raconter, l’homme s’interroge. Arrivera-t-il à prendre soin de lui jusqu’à la fin en demeurant dans sa maison de trois étages? Cette demeure avec deux longs escaliers; un pour descendre bricoler au sous-sol et l’autre pour grimper au deuxième étage pour dormir.
L’histoire dont mon ami s’est souvenu ce matin provoque en nous beaucoup de questions; chez lui-même, chez l’ami George (82 ans) et chez moi, bien sûr. Nous sommes restés pour boire un second café et réfléchir à haute voix. « Il faut vite y penser, de dire le policier, car l’âge s’enfuit comme un voleur et nous pourrions rester le bec à l’eau, isolés, mal installés, loin des nôtres et ignorés de nos voisins ».
« On est tous des solitudes, de dire à son tour le vieux George. On naît seul et on mourra seul, comme de vieilles souris déboussolées, affamées, cachées bien souvent dans les profondes armoires… »
Quant à moi, qui approche les 77 ans, je crois que si la vieillesse est une dégradation progressive du corps, il s’agit cependant d’une incroyable occasion d’enfin ralentir la cadence. De prendre soin de notre esprit comme jamais nous n’aurions eu le temps de le faire en gagnant notre vie. Aujourd’hui, ce corps intelligent nous force à ralentir la plupart du temps, pour mieux chouchouter notre petit cœur et les amis qui nous entourent.
Prenons soin de tout un chacun; appelons nos amis, gardons contact avec nos voisins, assumons cette vérification de bien-être dont les âmes esseulées et vieillissantes ont tant besoin. Chaque minute, aimons notre vie d’aujourd’hui. Peut-être que plus nous l’étirerons, plus nous risquerons de mériter quelques granules de sagesse.
Cora
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