Heureusement qu’hier soir j’ai revisionné Avatar. Et heureusement que les bons ont gagné. Parce qu’hier midi, en revenant de ma marche quotidienne, je sentais que de vilaines Gorgones* à tête de serpent commençaient à envahir mon espace. En mettant le pied dans la maison, j’ai tout de suite su que ces méchantes sorcières s’étaient tout probablement emparées de ma tête, vautrées dans mes divans, empiffrées de ma nourriture et amusées à modifier leurs allures avec mes nombreux foulards colorés suspendus bien visibles dans le hall d’entrée. Mais au lieu de la peur, c’est un cafard monumental qui s’est immiscé dans mes veines. Une déprime aussi grave que des patates à déjeuner brûlées sur la plaque.
Tout l’après-midi, j’ai tourné en rond comme une lionne en cage. Commençant ceci, délaissant cela. Me sentant inutile, bonne à rien et désœuvrée. M’ennuyant tellement de mes anciennes activités, de mes collègues, de mes enfants, de leurs descendants, de mon magnifique arrière-petit-fils et, le pire à avouer, m’ennuyant de l’importance bidon que je croyais avoir dans le monde avant la pandémie.
Les méchants virus endommageront tout probablement la majorité de nos piédestaux et c’est bien tant mieux pour les fanfarons, les gaspilleurs, les irréfléchis et les imprudents.
Le magnifique film de James Cameron m’a complètement touchée, hier soir. Les Na'vi surdimensionnés du clan Omaticaya peuvent nous sembler irréels au cinéma, mais leurs profondes valeurs font partie d’un idéal planétaire auquel chacun d’entre nous devra se rapprocher davantage.
Bref, ce matin, joyeuse en vous écrivant, je me tricote une nouvelle moi. Un tronc de laine aussi fort et courageux qu’avant avec des dizaines de nouvelles mains pour aider, donner, prendre soin, tisser des liens, cuisiner, dessiner, écrire et applaudir.
Merci d’être avec moi
Je vais bien maintenant
Cora
*Dans la mythologie grecque, les Gorgones sont des créatures malfaisantes. Elles habitent un lieu s’apparentant à l’enfer tel qu’on l’imagine nommé Tartare.
Voici une histoire que j’ai apprise entre les branches cabossées de notre arbre généalogique. Venus de la lointaine Belgique, les ancêtres Charles-Louis et Philomena Van Zandweghe ont traversé l’océan vers une nouvelle vie. Avec leur demi-douzaine d’enfants, deux frères de Charles-Louis et de quelques amis dont deux religieux, un boulanger, un charpentier, un boucher, un notaire et des experts en filature du lin, ils ont fait le voyage pour s’établir dans l’arrière-pays gaspésien à la hauteur du village de Caplan. L’appel de l’aventure, la possibilité de posséder des terres agricoles bien à eux et la quête d’une vie meilleure encouragèrent les Belges à s’installer. Ils nommèrent vite l’endroit « Petite Belgique » et ensuite « Saint-Alphonse-de-Caplan ».
C’est à cet endroit que naquit l’héroïne de mon histoire le 1er octobre 1884, quelque quinze ans avant l’arrivée des Belges en sol québécois. J’imagine difficilement la psyché de cette petite fille condamnée à vivre très pauvrement sur une terre aride que les défricheurs de l’époque avaient baptisée le Calvaire. Ses idées, ses croyances et sa programmation mentale furent formées dans un village dont l’exploitation forestière était l’activité principale. Elle côtoyait des bûcherons, des cultivateurs, quelques enfants dans une école de rang, une maîtresse et probablement un curé.
Lorsqu’à l’adolescence surgirent les questions, la jeune fille, je suppose, développa son identité, ses propres pensées et ses sentiments. Je donnerais toute ma sagesse au Bonhomme Sept Heures pour comprendre comment elle a fait pour devenir une jeune femme aussi admirable. Je détiens malheureusement trop peu d’information sur sa vie de l'époque pour en discourir à loisir. Ce n’est que lorsque les Belges arrivèrent que sa vie se transforma. Pour le mieux ou pour le pire, à vous, chers lecteurs, d’en décider.
Un dimanche sur le perron de l’église, un homme tiré à quatre épingles, attira le regard de mon héroïne. Ça se voyait à l’œil nu que l’étranger n’était pas du pays. La jeune femme se renseigna et apprit du bedeau qu’un paquebot venait tout juste d’amarrer au grand quai de Bonaventure. « Encore une cargaison de Belges! », s’exclama-t-elle au bedeau.
Comme elle voulait se montrer à son meilleur pour revoir l’étranger, elle se confectionna une belle jupe plissée et un petit boléro à partir de la robe d’une grand-tante décédée. La femme avait hâte au prochain dimanche pour le revoir. Et patati et patata, quelques semaines plus tard, le mariage eut lieu le lundi 8 septembre 1913. La jolie mariée avait vingt-neuf ans et son beau George une année de moins.
Pour les besoins de l’histoire, appelons le mari « Gros George », celui qui ne se salissait jamais les doigts. Mon héroïne comprit rapidement que son homme préférait exhiber ses fringues dispendieuses plutôt que d’arracher à la main les mauvaises herbes du jardin. Gros George détestait le travail manuel. Cultiver la terre, charrier le bois de chauffage, nourrir les animaux, l’homme avait toujours une bonne raison pour se défiler. Il aimait aller au village, boire un gin chez l’épicier, mettre une lettre à la poste ou prendre deux heures pour choisir une belle morue avec qui s’offrir du bon temps.
Tout ce que Gros George fit de bon fut de peupler rapidement la bourgade d’immigrants qui avait grandement besoin de bons bras pour travailler. Convaincu qu’il faisait sa juste part d’efforts, l’homme engrossa son épouse huit fois en douze ans. Quatre garçons et quatre filles à nourrir. Il fallut donc agrandir la table de cuisine, quadrupler l’étendue du jardin, saigner trois cochons par été, saler sept à huit barils de morues, acheter un second cheval, deux nouvelles vaches, des poules couveuses, quelques chiens, une baignoire en métal et des tissus à bon prix pour vêtir la marmaille.
Mon héroïne pleurait en silence trop souvent, surtout lorsque Gros George picolait et voulait tremper sa bite là où il ne fallait plus. Qu’il pleuve ou qu’il vente à écorner les bœufs, la femme le fuyait. Elle cuisinait, cousait, lavait, nettoyait et sortait après souper pour sarcler son jardin. J’imagine son corps fatigué, déformé, son dos courbé, ses mains gercées, ses doigts fendillés déracinant les mauvaises herbes en priant le bon Dieu pour que la terre puisse nourrir sa ribambelle d’enfants. Bien souvent seule dans le jardin à la brunante, elle confiait ses états d’âme à l’épouvantail à moineaux. Tout ce qu’elle aura semé, se dit-elle, les enfants le mangeront avec appétit et il en restera pour faire des conserves.
Fin septembre, la pauvre mère épuisée dut être conduite chez l’apothicaire du village voisin. Elle avait chuté en transportant un immense seau d’eau bouillante pour le bain de Gros George. Ses bras, son ventre et ses jambes ébouillantées et brûlantes la faisaient souffrir. Elle avait besoin d’un onguent. On lui offrit un tabouret et elle attendit. Elle entendit surtout quelques mâles qui parlaient des mines d’or de Timmins, en Ontario. Beaucoup d’hommes, jeunes ou vieux et en santé, s’y rendaient pour gagner du bon argent. Elle qui travaillait si fort, la conversation n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Ses quatre garçons deviendraient des mineurs, se dit-elle, ses quatre filles l’aideraient à ouvrir un restaurant pour les travailleurs de la mine.
Quelques jours plus tard, la femme se confia au curé de la paroisse. Elle avait un plan en tête. Elle partirait pour l’Ontario avec ses garçons en âge de travailler dans les mines. Elle et ses filles ouvriraient un restaurant pour nourrir les mineurs. « Faites-en des pêcheurs, des cultivateurs ou des curés!, rétorqua l’homme en soutane noire bien pressée. Dieu a besoin d’intermédiaires ici-bas pour sauver les âmes. » L’épouse n’ajouta mot. Elle remercia le curé pour ses bonbons forts et lui dit adieu.
Quant à Gros George et ses nouvelles fringues de prince consort, plus il vieillissait, et plus il détestait Saint-Alphonse-de-Caplan. Lorsque l’épouse lui suggéra d’aller visiter ses cousins curés au Rhode Island, il sauta sur l’occasion pour s’évader.
Peu de personnes remarquèrent le départ incognito de la femme et de ses huit enfants. Ils se rendirent d’abord à Montréal et embarquèrent dans un train qui les mena jusqu’à Timmins. En arrivant à destination, mon héroïne bouillait d’enthousiasme. Le surlendemain de leur arrivée, elle zieuta une grande maison abandonnée à courte distance du complexe minier. Devant le notaire, la mère prévoyante tâta son bas de laine et offrit la moitié du montant demandé. Les garçons entrèrent à la mine et les filles aidèrent leur mère en cuisine et au service.
Rapidement, le commerce devint très florissant grâce aux talents culinaires de la mère et aux faveurs particulières que les serveuses conciliantes accordaient aux meilleurs clients, moyennant une rétribution, dans les chambres à l’étage.
Oui, oui! C’est donc ainsi qu’après mille misères, mon héroïne s’est enrichie. J’ai souvent voulu raconter son histoire, mais chaque fois, j’hésitais. J’avais honte qu’une vieille femme de ma lignée ait eu recours à des « faveurs particulières » pour gagner sa croûte. Cette femme est morte à Kapuskasing en Ontario le 5 juillet 1967 alors que je venais tout juste d’avoir vingt ans.
Elle aussi s’appelait Cora.
Elle était la mère de mon père.
Et mon audacieuse grand-mère.
Cora
❤
L’autre soir, j’avais vingt ans,
une fillette agrippée à mon flanc.
Nous marchions à la brunante,
lançant aux quatre vents
notre trop-plein de tourments.
L’enfant et moi avancions sur un sentier
nos quatre yeux verts amplement mouillés.
J’adorais la pluie diluant nos larmes,
l’horizon mouillé, ses nuages troués.
Prisonnière d’un poème inimaginable,
ma pauvre tête cherchait des idées,
des fuites mirifiques, des îles dorées.
Un désespoir quasi irracontable.
Sur ma hanche, à demi endormie,
l’enfant becquetait mon cou.
Ses petits bras pendants,
ses jambes ballantes.
Mon cœur, mes bras, mes jambes,
tout mon corps, des roseaux flottants.
Mes folies, mes rêves, mes désirs,
des extravagances d’antan.
Fuyant l’homme malveillant,
nous espérions gagner le large.
Descendre vers le grand océan,
tel l’ancêtre dans sa barge.
Sur une route déroulée à l’improviste,
l’inquiétude m’empêche d’avancer.
Hululements de loups et cris de hiboux.
L’océan noir, ses flots en courroux.
Feuilles qui tombent, plumes qui volent,
toutes mes belles certitudes s’envolent.
Seule demeure une histoire irracontable,
un sauve-qui-peut quasi impensable.
L’homme malin et beaucoup trop beau;
son cœur malfaisant attifé d’oripeaux.
Par fragments, m’arrivent quelques lignes.
Sa mère, sa sœur, quelques belles-sœurs.
Les lumières de la ville s’éteignent.
Devant nous, l’horizon tombe dans le vide.
L’enfant vite s’enrobe de frimas,
cherchant la porte de mon ventre.
Ce soir encore la cruauté du réel
nous empêche de grimper sur la lune,
de décrocher une étoile,
de glisser sur un nuage,
et de sauter dans l’océan bleuté.
Je suis en promenade, se dit mon corps.
Là-haut, sur un nuage, l’astre jaune m’éblouit.
La lumière entre dans mes dix doigts.
Elle ruisselle dans le cou de la fillette.
Et j’écris!
— « Maman! », crie l’enfant.
Cora
❤
Je badine, je rigole, je radote à profusion. J’ai souvent l’impression d’écrire comme si j’étais en phase terminale. Comme si je voulais tout dire avant de partir; tarir mon puits de jolies phrases et m’enfuir. La chair des mots a toujours été ma terre natale, là où toute réalité prend naissance, là où ce matin mes doigts usés essaient de coudre ensemble des espoirs troués, une biographie mille fois rapiécée.
J’avance et j’implore CHRONOS, le dieu du temps qui s’écoule. Des tréfonds de l’âge, ce fils de Zeus va-t-il me répondre? Je m’incline et je supplie tous les bonzes du Panthéon. Mes griffures d’encre noire sont une longue revendication, une prière pour mon cœur assoiffé d’amour.
J’ai jadis voulu aimer et j’ai dû traverser le mur barbelé des lamentations. Tant bien que mal, je cherchais un peu d’affection. Dieu merci, aux études comme en affaires, j’avais cette bienheureuse propension à avancer droit devant. Le ciel, je suppose, m’aide à ne jamais me sentir toute seule ici-bas. Toujours, toujours, quelques anges me déroulent un tapis volant; un aigle me lance quelques plumes et j’écris ma vérité.
Contente de quitter le royaume des rêves. J’adore le faciès rosi de l’aurore. Dans ma grande cuisine, je compte mes bénédictions. Je m’extasie. Combien de jours me reste-t-il pour peinturlurer mes derniers désirs? Je m’agenouille et je prie pour que la moissonneuse m’oublie au lieu de m’occire. Mon cœur s’immisce entre les lignes; mon ardeur harmonise les rimes.
Je badine, je rigole, j’imagine mon corps outrageusement flétri nageant en plein océan. Qui donc l’amènera sur la rive paradisiaque de l’éternité? Une baleine pourrait grignoter mes chairs. Je tremble et j’ai peur qu’elle avale aussi mon cœur. Que l’on me jette en pitance à la terre, que l’on cache mes mots dans les veines des ruisseaux!
Mes doigts frissonnent, mais ils foncent dans ces bienheureux matins d’écriture. Ils remontent l’aiguille du temps à leur guise. Ils utilisent les heures comme si elles étaient des minutes gratuites dans un parcomètre. Dans son gros bol, le temps mélange les étapes de ma grouillante vie.
Lorsque j’allume ma tablette, une gerbe d’étincelles jaillit d’une phrase à demi complète. C’est mon truc à moi pour ne jamais perdre le chemin d’une histoire débutée la veille. Ainsi, ce matin, je m’empresse de décrire les dernières coulées volcaniques de mon cœur. Une nuée ardente de désirs assèche l’encre noire de mes mots. Je m’imagine quitter ce monde sans attache ni regret, sans cadavre ni feuillet.
Devant ma page lumineuse, je réfléchis. Ce matin, comme chaque jour, mes doigts muets plient et déplient des dizaines de brouillons d’écriture. Ils biffent, ils raturent, ils effacent puis ils tapent et tapent de bons mots jusqu’à vider l’aurore de tous ses rêves éveillés.
Immanquablement, de nouvelles phrases planent et volettent à travers les nuages. Elles touchent la cime des montagnes, frôlent les aigles, cognent à la porte des anges et implorent la bénédiction d’en haut. Quand pourrai-je m’envoler? Le globe tourne, tourne, mais la vie est toujours une seule fois vécue.
Cora
❤
Suite à ma virée chez l’épicier du village (lettre publiée le 18 février dernier), beaucoup de lecteurs bien intentionnés ont voulu me consoler. Comme je lis tous vos commentaires, j’en ai presque pleuré.
Oui, oui! Ce soir-là, je broyais du noir. Comme je n’avais pas dîné, j’étais affamée, mais aucune nourriture ne m’attirait. Il ne faisait pas très froid dehors et j’ai pensé aller chez l’asiatique ou chez l’italien du coin, mais ma Mini Cooper m’a conduite chez cet épicier que je connais depuis toujours. J’aurais voulu jaser avec lui comme j’ai l’habitude de le faire, mais l’homme s’était absenté pour toute la soirée et je me suis retrouvée le bec à l’eau.
En revanche, j’ai trouvé vos commentaires tellement délicieux que j’ai décidé de vous en citer quelques-uns!
Dame Sylvie Choquette, une fidèle lectrice, me console en m’écrivant dans son commentaire que, comme moi ce soir-là, elle se sentait morose dans les allées de son épicerie locale. Elle a réalisé que c’était la nouvelle lune. Cet astre qui, selon elle, prend d’assaut les émotions. « Soyons fortes », me dit-elle! Un gros merci, chère Sylvie.
Madame Nadia Lesage me donne un précieux conseil : « Si vous voulez retrouver l’espoir et vous persuader qu’il n’est jamais trop tard, lisez mon livre intitulé J’AI ATTRAPÉ LE BONHEUR AU VOL (Éditions Maïa). Chère Nadia, j’aime tout ce qui vole dans le ciel : les abeilles, les papillons, les oiseaux, les avions et sûrement votre livre que je lirai avec avidité.
« Bonjour madame Cora, merci de nous amener à l’épicerie avec vous. Nous sommes plusieurs à être seules, sans compagnon pour l’instant. Il faut garder espoir, le compagnon arrivera au moment où nous serons prêtes à l’accueillir. Ce cafard dont vous parlez, il m’accompagne souvent ». Très chère Lilianne Blondeau, nous sommes toutes des femmes matures et magnifiques. Ne nous décourageons pas.
Michel Tanguay, un autre habitué des lettres du dimanche, m’interroge via son commentaire. « Est-ce que le mot DISPONIBLE serait en train d’apparaître sur votre front? » Quelle surprenante question, cher Michel! Moi qui crois encore que tous les mâles en âge d’aimer passent leur tour lorsqu’ils me rencontrent, peut-être devrais-je broder le mot magique sur mon manteau?
Dame Sylvie Chamberland m’écrit : « Mme Cora, vous accompagner dans les allées d’épicerie était délicieux et touchant à la fois. J’ai ressenti plein d’amour à travers votre vague à l’âme. Je dois vous avouer que, parfois, j’imagine que vous êtes ma grand-mère. » Quel bonheur ce serait de faire nos emplettes ensemble, chère Sylvie! Nous pourrions même cuisiner ensemble si nous étions voisines.
Dame Maria Domenica Sabelli est une autre lectrice bien loyale et, ce matin, elle me dit que me lire est un vrai délice. « Quel plaisir! », note-t-elle. « Vos descriptions à l’épicerie me donnent l’eau à la bouche ».
Merci à dame Johanne Simard Pomerleau qui me suggère de laisser tomber une canne de soupe comme jadis on « échappait » un mouchoir pour attirer l’attention. Quelle bonne idée, chère Johanne! Je pourrais peut-être vouloir une boîte de céréales placée sur la plus haute tablette et devoir être aidée par un beau brummel aidant?
« Dame Cora, ne désespérez pas. L’homme est là, tout près, regardez bien autour. Il est peut-être garagiste ou médecin? » Chère Rachel Lavoie, je préférerais le garagiste qui pourrait me faire des petits plats et aussi laver ma bagnole à l’occasion.
« Ouf, ce matin, madame Cora, votre mélancolie m’a atteint en plein cœur. Pas tant pour le manque d’un homme; ça pour moi, c’est affaire classée. Mais le fait de manger toute seule; faire des courses pour des aliments que je ne partagerai avec personne. C’est, je crois, le plus grand regret de ma vie en solo. » Très chère Diane Gagné, je vous comprends tellement. Dans un monde idéal, nous serions de grandes amies, nous échangerions des recettes et, à l’occasion, nous casserions la croûte ensemble.
« Chère Cora, il est si paisible de ne plus rêver aux hommes. On ne meurt pas pour autant. Au contraire, on renaît à la vie et aux autres ». Dame Michèle Paré, vous avez peut-être raison, mais j’espère quand même! J’en ai connu juste un et ce n’était pas un bon modèle. De grâce, laissez-moi espérer. Laissez-moi rêver d’une belle tête blanche sur mon oreiller.
« Vous décrivez si bien les sentiments que je partage avec vous d’ailleurs. Où est-il l’homme qui irait si bien avec moi? Faudra-t-il se faire à l’idée d’épouser le célibat jusqu’à la fin? Ne perdons pas espoir! » Je suis d’accord avec vous, chère Suzanne Duchaîne. Nous ne baisserons pas les bras.
« Il y a beaucoup d’émotion dans ce texte et, comme toujours, je suis très touchée par vos mots. Je comprends votre tristesse. Il y a des jours où même le soleil n’arrive pas à nous réchauffer le cœur. Mais l’amour prend toutes sortes de formes et parfois il se cache dans l’imprévu. Je vous le souhaite de tout cœur ». Merci, chère Danielle Locas.
« Madame Cora, j’ai une idée. Peut-être qu’il faudrait vous créer un amoureux imaginaire; votre homme idéal et en lui écrivant de belles lettres d’amour, vous allez l’attirer. Ce serait comme une forme de visualisation ». Je vais y penser, chère Lucie Beauregard! J’aime écrire et mon cœur serait capable de le décrire. Mais aurai-je le culot de publier cette description? Tout probablement. Qu’ai-je à perdre?
« Bon dimanche, tante Cora. Il faudrait bien que vous veniez visiter le Prêt-à-manger du IGA où je travaille, à Notre-Dame-des-Prairies. Votre Roméo s’y cache peut-être ». Merci, Ann Mary. J’y passerai certainement.
« C’est tellement réconfortant de vous lire, même dans les dédales de vos pensées moroses » m’écrit
Pauline L’Italien.
« Ces beaux ténébreux, grisonnants, ils nous attendent au détour du chemin », m’assure Katerine Ka.
« Que dire? Faut-il en rire ou en pleurer? Paix à votre âme et chaleur dans votre cœur. Gros bizous », me souhaite Murielle Tremblay. Il faut en rire, chère Murielle! Je me livre à vous pour vous faire réfléchir et pour vous divertir! Mon cœur est peut-être seul, mais il n’est pas triste!
« L’amour arrive avec sa valise de larmes », médite Lorraine Bowles (91 ans).
Merci tellement de m’accompagner fidèlement dans cette aventure ludique. Je badine, je rigole et je doute à l’occasion. J’espère que vous aurez trouvé ces quelques commentaires aussi inspirants que moi.
Cora
❤
J’ai besoin de vous, chers lecteurs. J’en suis à la deux cent onzième lettre et je me demande si je vous ai tout raconté. Je ne vois plus clair dans l’immense entrepôt de ma mémoire. J’imagine qu’en dessous des basses tablettes les souris dansent, et que sur, les plus hautes, des corneilles grappillent et déterrent de vieilles affaires.
Oui, oui! Comme la corneille, j’ouvre mon calepin de phrases célèbres et je tombe sur les magnifiques lignes de Mahatma Gandhi : « NOTRE POUVOIR NE RÉSIDE PAS DANS NOTRE CAPACITÉ À REFAIRE LE MONDE, MAIS DANS NOTRE HABILITÉ À NOUS RECRÉER NOUS-MÊMES. » En réfléchissant à cette phrase, je reprends courage. Moi qui me pensais usée, je réalise QU’IL N’EST JAMAIS TROP TARD pour me recréer.
Jamais trop tard pour… trier, garder ce qui m’est cher et élaguer tout ce qui m’encombre.
Jamais trop tard pour… pour écouter plus souvent mon cœur, car il sait des choses que mon esprit ne comprend pas.
Jamais trop tard pour… vouloir prendre soin d’un petit animal, un chat, un chien qui me rendrait plus sensible et plus affectueuse, tout le monde me le conseille.
Jamais trop tard pour… aller contempler plus fréquemment les vagues bleues de ma Gaspésie natale. J’en ai toujours envie et j’hésite à prendre la route la plupart du temps.
Jamais trop tard pour… m’émerveiller, pour laisser mes yeux boire le monde, admirer la nature et les grands sapins qui entourent ma maison.
Jamais trop tard pour… dire merci plus souvent, le dire du fond du cœur. Un merci sincère demande tellement peu d’efforts.
Jamais trop tard pour… tisser des liens, ouvrir mon cœur à de nouvelles amitiés et à de nouvelles aventures.
Jamais trop tard pour… améliorer la vie des autres autour de moi, la mienne n’en sera que meilleure.
Jamais trop tard pour… pimenter ma vie et ne pas laisser le train-train quotidien engourdir ma raison. Heureusement, l’écriture me permet d’être fofolle à l’occasion.
Jamais trop tard pour… apprendre à lâcher prise, pour me défaire de ce qui pèse sur mes épaules et s’accroche à mes chevilles.
Jamais trop tard pour… vieillir en beauté. Nous avons l’âge que nous donnent nos pensées et non celui que nous prête le calendrier. Des projets audacieux nous aident à rester jeunes à ce qu’il paraît.
Jamais trop tard pour… cultiver quelque chose. Planter une graine, regarder la fleur s’épanouir et en prendre soin. Mon comptoir de cuisine est rempli de plantes vertes et je leur fais des bisous pour qu’elles poussent plus vite.
Jamais trop tard pour… pardonner à quelqu’un qui nous a fait souffrir. La rancœur est un lourd fardeau. Pardonner interrompt le ressassement de nos chagrins, libère la pensée et allège le cœur.
Jamais trop tard pour… se lancer. J’ai débuté à 40 ans et ma carrière de femme d’affaires intrépide en témoigne.
Jamais trop tard pour… dire « je t’aime ». C’est un cadeau précieux. Disons-le souvent et, surtout, avec sincérité. Je meurs d’envie de pouvoir le dire à un prince charmant!
Où diable se cache mon âme sœur?
Cora
❤
Ayant passé la journée à peaufiner un poème d’amour, j’ai faim, mais rien ne me tente. Même pas l’asiatique que je préfère toujours lorsque j’ai le vague à l’âme. J’ai besoin de savon à vaisselle, de petits fruits pour ma santé, d’une papaye bien mûre, de quelques tranches de jambon et, j’en rêve tellement, d’une belle côtelette sur laquelle m’épancher. Vieillir en solo est un véritable coupe-faim.
J’ai toujours été seule, mais jadis j’avais ma merveilleuse entreprise à titre de compagnon. Nous apprenions ensemble, travaillions ensemble, développions de nouveaux marchés ensemble et je jubilais. Sautant d’un rayon de soleil à l’autre, j’étais au paradis.
J’ai besoin de crème à café. J’en bois tellement! Chaque fois que je m’ennuie, je pitonne sur la Keurig. Et vlan! Le chaud liquide ravigote mon esprit. Jamais de sucre dans mon café, si peu d’hommes dans mes pensées.
Les comptoirs de fruits me réjouissent. Moi qui, autrefois, me forçais à en manger, aujourd’hui je les savoure, surtout comme repas du soir. Je me compose de belles assiettes colorées auxquelles j’ajoute une portion de yogourt et de granola « keto ». En été, bien souvent, je garnis le tout de quelques fleurs sauvages. C’est tellement beau et ça réchauffe mon petit cœur esseulé.
Délaissant la pâlotte pulpe des ananas en bocaux de plastique, mon panier avance vers une grande table de desserts. Je zieute les renversés aux framboises, les gâteaux aux chocolat, les poudings chômeur et les nouvelles grosses galettes aux dattes de la fameuse Madame Labriski. Tout a l’air tellement bon! Merci, mais non merci. Je n’avale plus ces coupe-chagrins. J’affronte ma réalité de vieillotte laissée pour compte.
Je traverse rapidement l’allée des thés et des cafés de toutes sortes. Je n’ai pas un fin palais pour les liquides. Pourtant, dernièrement, une très bonne amie, entrepreneure et créatrice de mélanges d’épices, m’a donné une bouteille de rhum nommé « L’Assemblée ». Un rare élixir aromatisé avec les épices de ma copine Catherine de « LA PINCÉE ». J’ai beaucoup aimé! Bien sûr, pas tous les soirs, mais lorsque le cafard regarde un film avec moi, j’en bois une lampée. Pour un moment, ça ressuscite mes espoirs endormis.
Dans l’allée des surgelés, je sasse et ressasse de vieilles idées. Où est donc la meilleure crème glacée? L’enfance dorée que l’on m’a volée? Tous mes mots se défrisent juste à y penser. Reverrai-je la Baie-des-Chaleurs avec ses falaises rouge feu, son vieux quai renfoncé entouré d’anguilles aux petites dents coupantes? J’y suis allée il y a deux ans et j’ai eu peur d’entrer dans l’eau glacée.
Devant les pizzas surgelées, mes doigts de pieds gèlent. J’ouvre une grande porte et la referme aussitôt. Même si je vois sur les boîtes les jolies bouilles des plus beaux mecs de par ici, j’ai envie de dire que toutes les bonnes pizzérias sont décédées. Je me souviens du temps où j’aimais tellement les pâtes et les pizzas.
Où diable sont les petits pois verts surgelés? Ma petite-fille viendra demain et je vais lui cuisiner son plat favori : des « arakas » (des petits pois). Dans une casserole, faire sauter des petits cubes de veau avec des oignons coupés fins et des tomates broyées. Lorsque la viande est tendre, ajouter les petits pois, du sel, du poivre et de l’aneth frais (si possible) en abondance. Laisser mijoter tout doucement jusqu’à ce que la faim ouvre le couvercle. Ai-je encore du pain à la maison? Peut-être une baguette Première Moisson?
Au comptoir des poissons, l’homme grisonnant me sourit. Je l’aime tellement, mais son anneau de mariage brille encore à travers les écailles de poissons. Décidément, tous les bons hommes ont été harponnés. Qu’ai-je donc fait au Bon Dieu pour mériter cette infortune? Ouache! J’ai soudainement envie de brailler : le comptoir de morue est vide!
— « Je vous promets, j’en aurai demain! », dit le poissonnier sérieusement désolé.
C’est ce soir que je veux être consolée. Quelques tranches de jambon dans une demi-baguette pourraient-elles me calmer? Tout est vague dans ma tête, tout est vide dans mon cœur. Vais-je un jour arrêter de clamer mon manque d’amour? Les sages disent que « Ce sur quoi l’on insiste se manifeste ». Si je change mon fusil d’épaule, les hommes seront-ils tous à mes pieds? Peut-être!
Accrochée au panier, je traîne de la patte. Dans l’allée des spaghettis, des linguinis, des rigatonis, tout m’indiffère; même mes anciens héros, les beaux Stefano et Ricardo. À droite, les sauces blanches, à gauche les rouges. Le ciel tout blanc, l’enfer tout rouge. Dans celle des grignotines et des colas, un vieillard bedonnant tâtonne les gros sacs de croustilles. Il me sourit et je lui réponds :
— « Oui, oui! Les meilleurs sont les chips Kettle au sel marin. »
— « C’est la mémoire qui dégringole en premier, dit le vieux au sourire édenté. Ma tête oublie jusqu’au nom des biscuits préférés de ma chère Clémence. »
J’évite l’allée des cornichons, des olives et des légumes marinés. Peut-être un pot de betteraves pour accompagner mes fameux pâtés au saumon que je veux faire incessamment? Le saumon en conserve m’attend dans l’armoire depuis assez longtemps. Je constate que je suis définitivement moins vaillante qu’avant. Serait-ce l’âge qui me contrarie? La fainéantise qui me courtise? Ma sauce aux œufs est la meilleure au monde. Juste à y penser, j’ai faim!
Arrivée devant le réchaud à poulets BBQ, j’imagine ma dernière heure : mon corps parfumé d’épices piquantes, ma poitrine un tantinet croustillante, mes cuisses bien cuites, attachées ensemble. On m’enrubanne de papier glacé et on me garde au chaud. Les affamés passent et repassent devant le comptoir brûlant et tout comme dans mon ancienne vie, j’ai encore l’impression qu’ils m’ignorent.
On finit tous par passer à la caisse et je crois fermement que c’est l’addition de tous nos bons coups qui coûtera le moins cher. Quant au Roméo de mon cœur, peut-être devrais-je agrandir mon territoire de chasse? Sortir du village et arpenter les grandes surfaces de fringues au rabais.
Je badine, je rigole, ces mots enivrés de chagrin
bayent aux corneilles juste pour étirer le temps.
Qui donc s’occupera de moi de l’autre côté?
Quelquefois, j’ai peur et je pleure dans les allées.
Si peur que mes doigts ne peuvent plus vous parler!
Cora
❤
Beau temps, mauvais temps,
à la boulangerie où j’écris,
des hommes magnifiques
traversent l’endroit pour un café.
Affamés, intrigués, maladroits,
ils sourient, zieutent les viennoiseries
et commandent leur café,
le plus souvent pour emporter.
De silencieuses pensées volettent
à petits coups d’ailes et plongent
dans la mousse des doubles lattés.
De loin, mon cœur de jeune poulette
tournaille et sautille telle une girouette.
Le vent souffle et j’imagine
tous ces beaux hommes projetés à ma table,
leurs yeux noyés dans les miens.
Tout l’été, jusqu’à l’automne avancé,
il y eut cet homme déguisé en golfeur
venant chaque jour vers dix heures.
Je le regardais, je le trouvais si beau!
Son sourire me parlait.
Penchée sur mon clavier
telle une nonne en prière,
j’attrapais ses chaleureux bonjours.
Je ressuscitais de nouveaux mots,
juste pour, un jour, lui écrire.
Passe et passe le temps
et l’automne s’endort.
Les grands vents de l’hiver
amènent neige et froid
et ce fameux 14 février.
Tous les sapins de mon village
s’agenouillent sur un tapis blanc.
Pour sûr, ils prient pour moi.
Pour ma tête enrubannée d’espoir.
Pour mon cœur assoiffé d’amour.
Je réfléchis à ce que j’écris,
je lève les yeux et voici que je le revois.
L’homme de mes rêves entre dans le café
habillé d’un splendide complet laineux.
Mon cerveau s’agite, mon cœur s’enflamme,
mes doigts figent sur le clavier.
Lorsque l’homme qui me regarde me sourit,
j’ai envie d’arrêter l’aiguille du temps.
Cet homme de mon âge assagi,
me dira-t-il quelques mots?
Remplies de pattes de mouche,
mes pages implorent le printemps,
le sec des immenses gazons,
le chant joyeux des pinsons.
Toujours, toujours, mon cœur espère.
Je rêve de succomber à la tentation
des petites balles blanches atterries dans ma cour,
des grands lattés avalés sous l’érable argenté.
J’imagine sa carrure,
sa poitrine accueillante.
Ses bras si forts, si longs,
ses jambes musclées,
enrobées de caramel exotique.
Ses yeux bleu mauve magnifiques.
Ses joues, des pommes rouge-rose
que j’aimerais tellement croquer!
Je rêve, je fabule, j’imagine sa tête
remplie de tournesols géants.
Sa chevelure gris-blanc, bouclée,
entremêlée à mes couettes laquées.
« Vingt mille lieues sous les mers »
Je badine, je rigole.
J’invente un quatorze février
pour tous les êtres esseulés.
CORA
❤❤❤
Je suis du genre à terminer une lettre le mardi et à vouloir en commencer une autre le mercredi. C’est très rare que je reste à ne rien faire. Soit je suis appelée à l’entreprise, soit j’amorce quelques chantiers de ménage dans ma grande maison. Je dévore aussi de sérieuses informations à la recherche d’une histoire à vous raconter. Assez souvent, ces jours-ci, je badine, je rigole, j’écris des poèmes que j’entrepose dans un recoin de ma caboche. Je fais danser mes doigts sur le clavier comme si j’avais peur qu’ils ne s’ankylosent juste à trop réfléchir.
La page blanche est une maison vide dont il faut prendre possession. J’ouvre la porte et tout est blanc; tout est vide. J’ai peine à distinguer la hauteur des murs, la grandeur des pièces. J’avance à tâtons dans une luminosité étourdissante.
Une fenêtre entrouverte laisse entrer un oiseau; c’est un merle noir, aussi noir que mon encre avec son joli bec orange. Et voilà que la couleur chante dans ma tête; elle réveille tous mes sens. Venant de nulle part, j’entends de timides gazouillis, des grésillements de mots. L’oiseau ivre d’encre convoque la folle du logis; l’irraisonnable imagination échappe à toute raison et le texte apparaît. Prenant la forme d’un nuage dansant dans le ciel, mille oiseaux se rassemblent et emplissent mes pages de signification. Écrire est la plus magique des passions. Elle ouvre la voie au miracle quotidien.
J’aime le poème, ses phrases courtes, son rythme et ses mots évocateurs. Comme une guirlande, comme un chapelet de bonnes intentions, le poème endimanche chacun de ses précieux mots. Sans savoir si mes lecteurs apprécient l’idée d’en lire quelques-uns, j’en lance aux quatre vents à l’occasion. Toujours, toujours, j’essaie de trouver la forme qui convient le mieux à ce que j’ai envie de dire. Une courte histoire, un fait saillant, un souvenir d’enfance qui ressurgit; tout me nourrit, tout est pitance à l’écriture.
Je suis encore une novice qui s’améliore. J’ai dû faire mille détours avant de pouvoir me consacrer à ma passion des mots. Mais il n’est jamais trop tard et j’insiste pour continuer. Je suis une bonne raconteuse de faits réels. J’aime décrire ce que je vois, ce que je ressens, ce que je conclus d’un fait réel. J’ai quelques fois tendance à enjoliver la nature humaine. Surtout en ce qui concerne mes vieux princes charmants. Je les veux magnifiques, intelligents et prometteurs, quitte à pardonner leur allure téméraire et leurs propos aventureux juste pour faire danser mes mots.
Je ne suis pas une écrivaine engagée plaidant des causes concernant la gouverne du monde. Je suis clairement une rapporteuse du quotidien capable d’embellir la moindre petite chose, la tristesse d’un lieu, d’un propos ou d’un cœur amoché. J’ai cette tendance naturelle à toujours endimancher l’ordinaire.
J’observe, je lis beaucoup et je prends des notes. J’ai des dizaines de calepins noircis de jolis mots. Depuis toujours la vaillance des abeilles m’inspire et j’ose rêver qu’un de ces jours mes humbles mots puissent devenir du bon miel.
Depuis le Salon du livre et la publication de mon récent recueil, beaucoup de gens me reconnaissent comme auteure et j’en suis ravie. Je réfléchis. Peut-être devrais-je taquiner une différente forme d’écriture inédite pour moi? Essayer ma plume sur une « nouvelle » peut-être? Ce genre d’écriture est un bref récit fictif faisant appel à la réalité. Généralement, la nouvelle se termine avec un dénouement inattendu qu’on appelle « la chute ».
Comme il s’agit d’une courte histoire, la nouvelle littéraire comporte peu de personnages, peu d’action et peu de lieux. L’intrigue est souvent menée par un seul personnage ou deux. Je me demande si la nouvelle pourrait avoir la même longueur qu’une Lettre du dimanche, plus ou moins 1200 mots.
WOW! Je m’emballe. L’écriture me permet de grandir et d’ouvrir en moi de nouveaux possibles! Je ne crois pas qu’écrire soit le privilège uniquement des poètes, des philosophes et autres romanciers. Il suffit de m’y mettre avec passion et détermination pour que l’écriture devienne ma meilleure amie.
Déjà, je me cherche un personnage. Un être fictif que je vais devoir sortir du néant et créer de toute pièce. Pourrais-je raconter une histoire qui n’est pas totalement vraie? Pourrais-je apprendre à garnir le portrait psychologique du personnage central? Créer une intrigue inattendue avec seulement 1200 mots, en suis-je capable?
J’imagine déjà que l’intériorité du personnage central occuperait une grande partie du court récit. Ses sentiments et ses émotions deviendront peut-être une caractéristique prédominante dans le déroulement de l’intrigue. Déjà dans ma tête, je dessine deux vieux crapauds qui s’obstinent. Ouache! Serait-ce trop ordinaire comme intrigue?
Lorsqu’on est plus âgé, excepté nos pilules, on brasse beaucoup moins de choses hyper importantes. Et pourtant! La finale doit être surprenante, époustouflante et totalement inattendue. Quel défi!
Moi qui prends mes aises dans la page, je vais devoir me soumettre à un impératif de brièveté si je veux écrire une nouvelle. Que les anges m’aident à écourter mes phrases!
Cora
❤
Toute ma vie, j’ai su qu’au début du mois de janvier, il fallait réfléchir aux résolutions qui allaient gouverner la nouvelle année. Adolescente, je griffonnais dans un cahier secret une dizaine de résolutions pertinentes à mon avancement. Au fil du temps, les difficultés m’ont heureusement transformée de naïve jeune fille en femme entreprenante et progressive, capable de naviguer dans les tempêtes de la vie. Mais cette année, je me calme le pompon. Dans quelques mois, à la fin de mai, les deux 7 de mon âge (77) me le permettront aisément.
Chers lecteurs, je vous suggère donc en douceur, et dans la neige molle, quelques verbes portant à réflexion.
AIMER
Aimer profondément nous donne de la force; être profondément aimé nous donne du courage.
ALLÉGER
Éliminons toutes ces choses inutiles que nous avons accumulées au fil des ans et qui ne nous servent plus.
AFFRONTER
Affrontons nos peurs. Tant que nous les fuyons, elles nous enchaînent. Ne sous-estimons pas notre courage.
APPRENDRE
Ouvrons chaque jour notre esprit à une nouveauté.
BÉNIR
Bénissons notre positivisme. Soyons à l’affût des bons côtés de la vie.
CÉLÉBRER!
Célébrons! La vie est trop courte pour ne pas la fêter chaque matin.
CHOISIR
Choisissons le meilleur! Réévaluons certains de nos propres objectifs; visons plus haut.
DÉLÉGUER
C’est l’un des talents les plus précieux et l’un des plus sous-utilisés.
DIRE NON
Rien ne paraît plus facile, mais c’est presque impossible pour beaucoup de gens.
ÊTRE SON PROPRE MAÎTRE
C’est impossible de prospérer dans l’ombre d’autrui.
S’ÉCOUTER
Écoutons notre corps, donnons-lui une chance de nous parler. Fions-nous à notre intuition. Notre boussole interne se trompe rarement. Consultons-la.
FAIRE DE NOTRE MIEUX
Engageons-nous corps et âme!
FINIR
Finissons ce que nous avons commencé. Ne nous soucions pas du temps nécessaire pour arriver à nos fins.
NAÎTRE
Renaissons chaque jour. Ne laissons pas hier nous freiner.
PRENDRE SOIN DE NOUS
Nous n’avons droit qu’à une seule vie! Prenons-en grand soin comme si c’était de l’or en barre.
IGNORER
Ignorons les pessimistes. Évitons leur compagnie et la noirceur qu’ils dégagent.
PARTAGER
Partageons notre expérience. Nous en serons récompensés.
QUESTIONNER
Posons des questions. Peut-être la première : pourquoi sommes-nous sur terre?
RALENTIR
Prenons le temps d’observer; élargissons notre champ de vision. Contemplons l’infinie beauté des grands sapins.
RÉVEILLER
Réveillons l’artiste qui sommeille en nous. Exprimons le meilleur de nous-mêmes. Créer nous amène vers une conscience supérieure.
SORTIR
Sortons des sentiers battus. Il y a des risques, mais aussi l’espoir de grandes récompenses.
SAVOURER
Savourons le silence. Permettons à nos propres mélodies de s’épanouir.
TENIR
Tenons notre langue. La retenue nous évite de nuire à autrui.
ADMIRER
Admirons la beauté du monde car elle est partout; dans les amitiés sincères, dans un esprit lumineux, dans un cœur amoureux.
Très chers lecteurs, je nous souhaite d’apprendre chaque jour quelque chose de nouveau, une leçon venant de la nature, des gens qui nous entourent ou de ce qui se trouve en nous. Je nous souhaite d’affiner nos ailes pour un jour réussir à voler.
Cora
❤
Quelques jours après mon retour du fameux Salon du livre de Montréal, je ne pouvais vider ma tête de tous ces lecteurs intentionnés qui ont pris la peine d’arrêter à ma table pour un brin de jasette, de multiples compliments et une dédicace personnalisée à chacun.
Pour un moment, je me croyais dans un de mes premiers restos à accueillir chaque client avec mon sourire fendu jusqu’aux oreilles. Oui, oui! J’ai d’ailleurs été enchantée de rencontrer de nombreux lecteurs des lettres du dimanche qui en voulaient encore plus en se procurant le vrai livre à dévorer.
Pourtant, j’avoue que mes cinq jours d’affilés au Salon du livre m’ont paru presque aussi ardus que chaque dimanche de jadis alors que je devais retourner des centaines de crêpes aux fruits sur la plaque chauffante. Aujourd’hui, ces mêmes dix doigts cuisinent de jolis paragraphes pour vous ravir.
Au Salon du livre, j’ai croisé Janette Bertrand pour qui j’ai une totale admiration pour ses 98 ans. Sa lucidité, sa très grande pertinence et sa vitalité sont exceptionnelles. Je suis certaine qu’elle va dépasser la doyenne du pays, Cecile Edith Klein, décédée à 114 ans, en 2022. Il semblerait que le secret de la longévité de dame Klein c’est qu’elle est toujours restée très positive. Alors, c’est noté, évitons la morosité et la tristesse si nous voulons devenir centenaires!
Reposée et remise de mes émotions, j’ai vite pensé à reprendre l’écriture. Mais avant toute chose, j’ai tenu à remercier mes amis proches du café qui n’ont cessé de m’encourager sincèrement pendant l’écriture de mon livre. Oui, oui! À force d’être à la même table chaque matin, dans une boulangerie de village, je me suis fait des amis. Des hommes, des femmes et des habitués m’inspiraient par de beaux bonjours, une courte jasette ou un sourire, et me racontaient même quelquefois, une histoire entre deux cafés. Plusieurs sont devenus des complices ayant à cœur de m’aider tout en évitant de me distraire.
C’est donc pour cela que je les ai invités à ma grande table pour un souper amical quelques jours avant Noël. Nous avons vaincu la superstition du chiffre 13. Nous étions treize à table comme lors du repas de la dernière scène. Mon grand ami Neil et son épouse Adèle, Marie-Pierre l’hôtesse de l’air, Claude le pilote de brousse, George le vieux Sicilien et son épouse Carole, Steven le policier à la retraite, Éric l’ami cuisinier, Denis l’ado de 70 ans, Sylvain qui vient de perdre son épouse, le plus vieux de mes fils, sa compagne et moi-même. Tous ces vieux sages de mon âge (et même mon garçon et sa copine) ont beaucoup apprécié mon invitation. Ils ont tous apporté leur grand cœur et quelque chose dans leurs mains. Le sucre à la crème de Sylvain, le délicieux gâteau d’Adèle, les chocolats de George, les îles flottantes de l’hôtesse de l’air, les tartes au sucre de l’ami cuisinier et plusieurs bouteilles de vin. J’avais déjà mentionné au pilote de brousse, ancien professeur d’électricité, qu’une pièce de la maison manquait de chauffage. Il est arrivé avec un nouveau thermostat au lieu d’une bouteille de vin, et l’a aussitôt installé.
Comme c’était la première fois que nous nous rassemblions à la même table, j’ai préparé des questions « brise-glace » pour le café et le dessert, afin d’apprendre à nous connaître davantage et de solidifier notre amitié. Pour sûr, nous avons ri comme des ados à entendre les réponses et, surtout, à découvrir des anecdotes sur chaque invité.
Toute ma vie de cuisinière et plus tard celle de femme d’affaires se sont passées sans grande amitié. Toujours, toujours, je devais être aux aguets, prête à régler un problème, inventer un nouveau menu, inaugurer un restaurant, conquérir une province, réussir à dépasser mes objectifs, année après année. Je n’avais en ce temps-là ni le temps d’exister, ni l’audace de me jeter dans le monde, ni l’opportunité de me faire des amis. Aimer à cette époque était le possible le plus lointain.
Et pourtant, voici que sur le tard m’arrive l’immense cadeau de l’amitié, ce sentiment réciproque d’affection et de sympathie qui ne se fonde ni sur la parenté ni sur l’attrait sexuel. Il n’est jamais trop tard pour apprendre que les relations d’amitié sont source de bonheur, d’épanouissement et de partage. Je réalise aujourd’hui que les vrais amis sont comme des anges. Nous n’avons pas besoin de les voir pour sentir leur présence. Ils sont toujours là, dans nos têtes.
Cora
❤
Cette histoire remonte à l’automne 1987, quelques mois après l’ouverture de notre premier resto. J’avais déjà décidé que nous allions concentrer nos efforts à offrir à notre clientèle des déjeuners hors du commun. Personne à cette époque n’aurait pu deviner que ce minuscule boui-boui de 29 places assises deviendrait le premier maillon d’une grande chaîne de restaurants de déjeuners répandus à travers notre vaste pays.
Aujourd’hui encore, je m’ennuie de tous ces braves hommes en bottes de construction qui s’assoyaient au comptoir pour savourer un bon déjeuner et quelques cafés en espérant croiser le regard de la patronne souvent trop occupée à tourner ses œufs sur la plaque chauffante.
Un peu avant midi, un certain vendredi de novembre, un travailleur d’Hydro-Québec m’apporte la recette du gâteau Reine Élisabeth de sa grand-mère Pamela, recopiée sur du beau papier acheté à cet effet.
Caché derrière un joli JEAN-MARC bleu cobalt brodé sur le flanc gauche de son uniforme, le bel électricien me tend le parchemin enrubanné. Faisant cela, ses grands yeux d’acier me dévisagent comme s’ils étaient en train de découper une porte dans mon cœur.
Je m’en souviens comme si c’était hier. Ces travailleurs m’offraient souvent leur plus charmant sourire, une marque d’attention ou toute autre gentillesse qui pourrait m’inciter à leur offrir un deuxième bol de soupe, une autre cuillerée de sauce hollandaise sur leurs œufs bénédictine, ou une double portion de dessert du jour.
Nous étions ouverts depuis quelques mois à peine et j’étais encore en train d’apprendre mon métier de restauratrice. Heureusement qu’assez rapidement je suis arrivée à faire la part des choses et à reconnaître entre tous un regard affamé, de grandes mains désœuvrées, un cœur inassouvi.
La recette, maintenant!
ALLUMER LE FOUR À 350 °F
Il faut d’abord verser 1 tasse d’eau bouillante sur 1 tasse de dattes hachées finement en y ajoutant 1 cuillère à thé de bicarbonate de soude. Laisser refroidir jusqu’à ce que le mélange soit tiède.
C’est probablement ce que je trouvais le plus souffrant à mes débuts. Ne jamais connaître véritablement les clients, ni leur histoire, ni leur vrai nom la plupart du temps. Ne jamais entendre réellement ce que leurs yeux meurent d’envie de nous dire. Ne jamais savoir ce qui arrive dans leurs vies le soir lorsqu’ils entrent chez eux. Ignorer pourquoi ils viennent chez nous, ce qu’ils y trouvent, et pourquoi soudainement, sans avertir, ils ne reviennent plus.
DANS UN GRAND BOL, battre ¼ tasse de beurre en crème avec 1 tasse de sucre blanc, puis incorporer 1 œuf battu en fouettant. Ajouter à ce mélange les dattes, l’eau dans laquelle elles ont trempé et 1 cuillère à thé de vanille.
Dans ce premier resto, mes enfants et moi étions en train de nous rebâtir une vie. Nous-mêmes moitié tristes et moitié joyeux, nous pouvions totalement compatir à la tristesse des autres et en être facilement imbibés. Ceci explique peut-être pourquoi nos 29 places assises étaient tellement populaires à nos débuts. Nous aimions profondément nos clients et ils nous aimaient en retour. Cette complicité se voyait à l’œil nu. Ça se sentait lorsque la nourriture arrivait sur la table, ça s’entendait dans les conversations des nouveaux clients répétant « ici, ce n’est pas comme ailleurs ».
DANS UN AUTRE BOL, mélanger 1 ½ tasse de farine avec 1 cuillère à thé de poudre à pâte et ¼ cuillère à thé de sel. Incorporer ces ingrédients au mélange de dattes en remuant jusqu’à ce que le tout soit bien mélangé. Ajouter au mélange ½ tasse de noix de Grenoble hachées. Verser le mélange dans un plat graissé d’environ 9 pouces carrés allant au four. Cuire environ 40 minutes jusqu’à ce que la lame d’un couteau, glissée au centre, en ressorte propre.
POUR LE GLAÇAGE
Dans une petite casserole, mélanger 5 cuillères à table de cassonade, 3 cuillères à table de beurre, 2 cuillères à table de crème à fouetter et 1 tasse de noix de coco râpée. Porter à ébullition à feu moyen et laisser bouillir 3 minutes. Tandis que le gâteau est encore chaud, étendre le glaçage sur le dessus puis mettre sous le gril 2 à 3 minutes, jusqu’à ce que le glaçage ait bruni.
Peu après m’avoir fait cadeau de cette précieuse recette, le beau Jean-Marc s’électrocuta les papilles gustatives en croquant dans une pointe du délicieux Reine Élisabeth à peine refroidi. L’électricien me jura même qu’il le trouvait meilleur que celui de sa grand-mère! Puis, quelques jours après, Jean-Marc disparut du comptoir pour toujours. Nous en étions désolés.
Pourtant, quelque deux années plus tard, je le revis, effondré de chagrin dans la salle d’attente de l’hôpital Rosemont de Montréal. J’y accompagnais le jeune cuistot qui avait pris ma place en cuisine. Pendant qu’un urgentiste allait recoudre la moitié du doigt coupé, l’électricien me raconta le cancer de son épouse et ses deux dernières années d’enfer. Il avait même quitté son travail pour être à son chevet jour et nuit.
Toutes ces années où j’ai été la cuisinière de mes premiers restos, le seul véritable lien que j’aie développé a été mon immense amour pour mes clients et pour mon métier de restauratrice. J’ai été une confidente anonyme, muette et complice. Je pouvais soulager la douleur momentanée d’un œil noyé de chagrin ou celle plus tragique d’un doigt amputé de son anneau de mariage. J’ai finalement réalisé que le malheur d’autrui s’amenuise à mesure qu’il coule dans une oreille bienveillante.
Cora
❤
Satanée souffrance de penser qu’il nous manque toujours quelque chose; que nous sommes incomplets, inachevés et miséreux. Je souffre parce que je crois encore qu’il me faut gagner mon ciel à la sueur de mon front. J’ai été éduquée ainsi et lorsque de bonnes choses m’arrivent facilement, j’ai la trouille. J’ai beaucoup de difficulté à oublier le petit catéchisme catholique de mon enfance. Croyez-le ou non, j’en ai encore un exemplaire quelque part parmi mes livres sur Dieu et les différentes religions; trois hautes étagères bourrées de mystère entourant notre salut.
J’arrive à la fin de ma vie et j’ai encore peur du diable, de l’enfer, et de tous les péchés que j’aurais commis sans m’en apercevoir. Alors que j’étais toute jeune, en troisième ou quatrième année, je me souviens de monsieur le curé qui s’installait dans le confessionnal. Il ouvrait une petite porte haute et à travers le grillage, il m’interrogeait. Il cherchait à savoir si j’avais dit des mensonges, commis des péchés, de petits vols de friandises ou des touchés interdits.
Je me souviens de son acharnement. Il insistait pour que j’avoue quelque chose. Une caresse entre les cuisses? Une main sur un sein? Je disais toujours non. Je ne trouvais rien à confesser. J’étais confuse bien souvent et je tremblais devant cet homme à la soutane noire. Trop gênée pour en parler à ma mère, ma tête a grandi en transportant cet étrange et sombre personnage. Ce n’est que rendue au collège que j’ai appris que les zones érogènes de la femme attiraient les mâles de tout acabit. Et moi, grandette, je les fuyais parce que j’avais encore peur des péchés.
À quel âge ai-je compris la différence entre le bien et le mal? J’ose à peine y penser. Mes parents ne parlaient jamais de ces choses-là. Nous apprendrons beaucoup plus tard, après la mort de maman, qu’elle était amoureuse d’un protestant que la religion l’avait empêchée d’épouser. Par dépit, elle a marié le bon gars que son père voulait pour elle, et nous, les fillettes, avons malheureusement grandi sans amour dans la maison. Le cœur brisé de ma mère ne s’est jamais réparé et, par conséquent, elle a toujours semblé incapable de nous couvrir d’affection, de démontrer de la tendresse à ses enfants ou à son époux.
Certes, nous étions baptisés et je me souviens d’un certain album de photos trouvé après la mort de maman. Parmi les rares photos d’enfants, j’y étais, toute de gris vêtue avec une mantille noire sur la tête. Au dos, c’était écrit : confirmation de Cora.
Au collège, j’avais aussi des religieuses comme professeurs. Elles m’enseignaient le latin, le grec ancien, l’histoire, la géographie et la terrible arithmétique qui me tournait en bourrique. Pourtant, la seule religieuse dont je me souviens du nom aujourd’hui s’appelait sœur Marie Maxime, et c’est elle qui, cent fois sur le métier, remettait son ouvrage pour m’apprendre à compter. Comment suis-je un jour devenue femme d’affaires? Je me le demande sans cesse. Autant j’aimais chacune des lettres de l’alphabet, autant les chiffres me déboussolaient.
En réalité, je dois tous mes succès à l’aide venue d’en haut, de la divine Providence, et de ce Dieu bienveillant et discret, compréhensif et miséricordieux. À la longue, j’ai compris que la religion est humaine et faillible comme chacun d’entre nous ici-bas qui pouvons tomber dans l’erreur ou commettre des fautes. Combien de fois, en ignorant la bonté de mon cœur, ai-je fini par oublier les esseulés, les affligés, les attristés? Et je me crois bénie?
J’ai encore à pardonner à cet époux lointain. Comment dissoudre ma rage, l’oublier, lui pardonner? Avec autant de manquements, comment pourrais-je cogner à la porte du ciel? Je veux m’améliorer, abonnir mon cœur, me rendre disponible à mon entourage et apprendre à reconnaître l’opportunité dans l’accidentel, les enseignements à tirer de l’observance du monde.
Auteur d’une œuvre titanesque sur la spiritualité, Jacques-Bénigne BOSSUET nous incite à cultiver « l’attention qui, en tout, est ce qui nous sauve ». Avec ma meilleure intention, je vais donc approfondir mes observations sans pour autant me fixer d’objectif précis. Pourquoi ne pas contempler mon environnement comme une extraterrestre tout juste débarquée sur notre planète?
Évitant les jugements hâtifs et les idées préconçues, mon regard et mon esprit seront les plus frais, les plus neufs possible afin que s’aiguise et se renforce ma capacité à m’émerveiller, à discerner le vrai du faux, l’extraordinaire de l’ordinaire.
Cora
❤