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29 août 2020

Le Déjeuner Magie !

L’histoire du « Déjeuner Magie » remonte au début de décembre 1990. Situé dans la banlieue nord de la grande ville de Montréal, nous avions acheté ce troisième restaurant de 140 places presque pour une bouchée de pain. Des 29 places du premier resto, aux 49 places du deuxième, je me demande encore où avais-je trouvé l'audace de tripler le nombre de places assises tout d'un coup?

- « Vimont est une grande municipalité, disaient les enfants pour m’encourager. C’est bourré de monde, maman. Attends qu’on ouvre et tu vas voir. Pis au moins, on va avoir de la place pour dresser un bel arbre de Noël tout bien décoré. »

Et les enfants d’avoir encore raison. À peine ouvert au public, nous sommes estomaqués de voir les clients se ruer dans le parking comme les poissons dans le filet de la pêche miraculeuse. Avec le recul, je pourrais certainement qualifier cette troisième ouverture de phénoménale. Et bien des fois je me dis que notre courage, notre détermination et notre profonde foi en l’Univers pourraient être à l’origine d’autant de magie.

Et comme promis, trois gros sapins de Noël furent installés aux trois extrémités de l’établissement. Dans chaque arbre pendaient, à l'aide de bouts de laine rouge, une centaine de biscuits joliment décorés que nous avions faits, tous ensemble, dans la presque trop grande cuisine du mastodonte de vieux restaurant grec réaménagé en business matinale.

Et Martha, notre gérante associée, s'était empressée d’installer dans l'entrée une jolie affiche sur laquelle elle avait elle-même écrit en gros crayon Sharpie rouge:

                 DÉFENSE DE MANGER

                        LES BISCUITS

                 AVANT LE 31 DÉCEMBRE

Martha était imbattable pour faire appliquer les règles et, en même temps, surveiller chacune des 140 places assises du resto. Et pourtant, le lendemain de l’apparition des trois arbres de Noël dans la salle à manger, un autre dignitaire en cravate rouge s’installa, quasi incognito, à la terrasse chauffée de l’établissement. Martha ne le vit point entrer. Elle qui insistait pour accueillir personnellement chaque nouveau client, elle faillit s’évanouir lorsqu’une serveuse lui indiqua du doigt l’homme magnifique qui l’attendait en terrasse.

-David ? Cria-t-elle, c’est véritablement toi ?

-Cora, s’il te plaît, viens rencontrer mon ex-mari, lança-t-elle comme si sa phrase était une  fusée capable de traverser le restaurant et de me rejoindre en cuisine.

Et le mari de se lever poliment et d’embrasser avec admiration notre Martha comme si elle était encore la Marilyn Monroe qu’il avait épousée un quart de siècle plus tôt.

Et notre majordome en talons hauts d'oublier totalement la discipline, les serveuses et les clients qui entraient en s’informant de la soupe du jour.

Et moi de traverser le grand établissement avec un filet sur la tête et mon tablier moucheté de traces de nourriture que j’essayais de rouler vers ma taille.

-Cora, voici David Weinberg, mon ex-mari ! Il a appris pour le restaurant et il est venu me féliciter!

-S’il-te-plaît, Cora, fais-lui la coupe magique que ton jeune fils a inventée l’autre jour.

Et Martha de s'installer devant son ancienne flamme comme entrain de retomber en amour avec l'amour.

Et l'ancien mari d'accepter de canceller son lunch d’affaires dans les parages pour dîner avec notre gérante en pâmoison.

Et moi d'être incapable de lui dire que j'avais besoin de dégraisser le ragoût  de boulettes du midi qu’on devait  servir dans 15 minutes.

Et pourtant, après quelques mots en cuisine et parce que j'apprécie beaucoup notre Martha, je m'installe au comptoir à fruits pour la satisfaire.

Je remplis une belle coupe transparente d’un mélange de fraises, bleuets, banane, framboises et raisins et je nappe le tout avec notre délicieuse crème anglaise. Puis cahin-caha, j'essaie d’imiter l’agilité des doigts de mon jeune fils en façonnant un dôme de fruits habilement fignolé par-dessus la coupe déjà bien remplie. Avec de fines tranches de pommes, des pointes de melons, des quartiers d’agrumes, des demi-kiwis, quelques minces tranches de carambole et une belle fraise rougeaude, la coupe finit par ressembler à un joli bouquet printanier.

Le chef-d’œuvre est servi sur une assiette transparente et accompagné d’un bagel passé deux fois dans le grille-pain (comme l’exige notre Martha) et d’une généreuse portion de fromage à la crème.

Lorsque la serveuse traverse le resto avec ce déjeuner extravagant, plusieurs clients étirent la tête pour bien le voir.

Et dame Martha de se lever pour applaudir lorsqu’on dépose sur sa table la coupe si bellement garnie.

Et monsieur Weinberg de me féliciter chaleureusement en insistant pour qualifier mes mains de magiques.

Et moi, m'inquiétant du service du midi sans notre gérante aux aguets, je salue les tourtereaux et file en cuisine.

Quelques jours plus tard, Martha me raconta toute l’histoire de son homme d’affaires de mari qui préféra épouser sa secrétaire avec trois jeunes enfants.

Elle était fondamentalement d’accord avec le choix de son époux  puisqu’elle-même, pendant les quinze années de leur mariage, s’avéra  incapable d’enfanter.

Martha n’était pas du genre à verser des larmes, mais une toute petite goutte d'eau perla de son œil gauche lorsqu’elle me proposa  de nommer la nouvelle coupe de fruits :

                          DÉJEUNER MAGIE

Et j'ai immédiatement répondu Oui à Martha. Parce que j’avais besoin de lui faire plaisir après avoir entendu sa triste et belle histoire. Et, croyez-le ou non, ce  « Déjeuner  Magie » fait encore tourner des têtes après plus de 30 ans.

          ❤️

        Cora

Psst: Le travail, les amours, les enfants, les petits bonheurs et les contrariétés sont comme une grosse soupe aux légumes qui mijote sur le feu; ça nous alimente  toute une vie durant.

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