L’histoire de ces délicieux petits carrés d’amour offerts tout spécialement pour faire plaisir au monde remonte chez nous à plus d’un quart de siècle. Après un mariage malheureux, un divorce sans provisions et sans rien dans nos poches, nous avons commencé, mes enfants et moi, l’aventure de survie familiale en 1987 dans un petit espace de restauration de 29 places assises.
La pauvreté nous a appris à tendre la main pour demander et, bien souvent, pour donner. Et c’est sans le savoir que nous sommes devenus chaleureux et généreux. À force d’avoir besoin d’amour, on s’est habitués à faire plaisir aux autres. Tout ça s’est bâti comme la mousse sur les arbres, sans qu’on s’en aperçoive vraiment. Parce qu’on était toujours prêts à surprendre un client avec notre générosité, avec un deuxième bol de soupe gratuit ou avec une pointe de dessert emballé pour emporter à la maison. D’un jour à l’autre, l’amour s’est mis à germer dans nos oreilles pour écouter de plus près notre monde; sur nos paupières pour être certains de reconnaître nos clients à chaque visite; dans nos mains pour les éblouir chaque fois; et dans le fin fond de la coquille osseuse de notre cerveau où grandissait une créativité bienheureuse.
Cette énergie salvatrice a fait son chemin à travers nous, affectant au passage notre volonté, notre raisonnement et l’imagination constructive qui allaient nous faire réussir en affaires.
Comme par magie, l’invisible sollicitude émanant de nos mains collait sur celles des autres, propageant le bénéfique virus à tous nos employés, à nos collaborateurs et, plus tard, à tous les alliés d’un réseau engagé à offrir à sa clientèle une nourriture et un service de première qualité, et imprégné d’une chaleureuse atmosphère familiale.
C’est ainsi qu’est née la tradition de donner après le repas un petit plaisir supplémentaire à nos clients. Et le plateau de sucre à la crème gratuit est vite devenu une partie intégrante de nos procédures. Chaque client recevait donc un chaleureux « Bonjour » en arrivant et une petite douceur à emporter en nous quittant.
Alors dans le but de faire plaisir à votre famille ou à vos voisins, faites du sucre à la crème et je vous garantis que vous entendrez tout un gazouillis de compliments venant de vos proches.
Beurrer d’abord un plat d’environ 6 po X 10 po
Préparer 2 tasses de sucre à glacer dont vous aurez besoin après la cuisson
Dans une casserole, mélanger :
3 tasses de cassonade pâle
2/3 de tasse de beurre fondu
2/3 de tasse de crème 15 % ou 35 %
Et quelques pincées d’amour
Porter à ébullition
À partir des premiers signes d’ébullition, poursuivre la cuisson pendant 5 minutes
Retirer du feu
Ajouter le sucre à glacer en fouettant énergiquement avec un fouet ou une mixette
Lorsque le mélange est onctueux, verser dans le plat beurré
Laisser refroidir et couper en généreux morceaux
Déguster avec modération et partager généreusement
La prochaine fois que vous viendrez en restaurant, prenez-en deux morceaux de ma part.
Rendement : 5 crêpes pizza
Ingrédients :
1 1/3 tasse (200 g) de mélange à crêpes nature Cora
1 1/3 tasse (325 ml) de lait (ou boisson végétale)
2/3 tasse (150 ml) de sauce à pizza
Plus ou moins 25 tranches minces de pepperoni environ 1 po de diamètre)
1 1/2 tasse (400 ml) de fromage râpé mozzarella
Décoration : aucune
Méthode :
Huiler légèrement une poêle antiadhésive et chauffer à feu moyen vif.
Mélanger vigoureusement le mélange Cora avec le lait (ou la boisson végétale) à l’aide d’un fouet, jusqu’à ce que la préparation soit lisse et homogène.
Huiler légèrement une poêle antiadhésive et chauffer à feu moyen vif. Ajouter 1/3 de tasse (80 ml) du mélange au centre de la poêle et faire pivoter la poêle pour répandre le mélange uniformément.
Lorsque le rebord se décolle facilement et commence à dorer, après environ 1 minute, retourner la crêpe à l’aide d’une spatule et poursuivre la cuisson 30 secondes ou jusqu’à cuisson complète. Retirer la crêpe de la poêle.
Répéter les étapes 3 et 4 avec le mélange restant.
Sur le plan de travail, étaler 2 c. à soupe (30 ml) de sauce à pizza sur une crêpe.
Ajouter 5 tranches de pepperoni en une ligne verticale au centre de la crêpe et ajouter le fromage mozzarella sur la surface complète de la crêpe.
Ramener les deux côtés de la crêpe vers le centre pour que les côtés se touchent, mais ne se chevauchent pas. Plier le bas vers le haut et mettre dans le grille-pain avec l’ouverture vers le haut.
Répéter les étapes 6 à 8 avec les autres crêpes.
Faire griller au goût.
Bon appétit!
Tard un soir, je soulevais mes bras, palpais mes jambes; je tournais ma tête d’un côté, puis de l’autre comme si je conduisais un étrange transporteur. Ce corps vaillant dans lequel j’habite me transporte où je souhaite aller, un véritable véhicule vivant, composé d’une solide ossature, capable d’accommoder et de nourrir.
Je ne me suis jamais vraiment soucié du corps humain. Certes, je le côtoie chaque jour, je le vois faiblir et perdre son agilité lentement mais sûrement. Telle une pelisse portée mille ans, son revêtement se fendille, se craquelle, s’abîme et accumule les taches. Je n’ai pas aidé la cause en ignorant totalement les crèmes magiques qui auraient pu ralentir la dégénérescence de ma peau.
Née entre terre et mer, dans une large baie, je me suis toujours perçue forte comme le roc des falaises gaspésiennes et vive comme l’eau des grandes marées. Beaucoup trop occupés à essayer de s’entendre et à trouver un compromis au bonheur qui leur manquait, mes parents sont passés un peu à côté de l’éducation de leurs marmots. Nos corps ont grandi en toute liberté; un peu comme les quenouilles sauvages des bords de routes.
Vitement obligés de gagner notre croûte, nous avons longtemps négligé de prendre le temps de nous connaître. Nous avons peu appris sur nous-mêmes jusqu’à ce que chacun, avec courage et détermination, découvre ses forces, ses faiblesses, ses talents et ses appréhensions. Nous avons pris de l’âge et me voici aujourd’hui en train de gruger ma soixante-dix-huitième année sur terre. Ce corps abîmé, fatigué et usé, me sert encore fidèlement. Comment pourrais-je le nommer? Persona, individu, anatomie, matière, corpus, substance, ou peut-être organisme? Quelle étrange chose que ce corps qui persiste à durer! Je suppose qu’il agit comme la maison qui ne se demande jamais qui l’habite; elle les héberge et les abrite, tout simplement.
J’apprécie tout ce que ce corps a été et, heureusement, tout ce qu’il s’entête toujours à faire pour moi depuis toutes ces années. Il ne gémit pas, même s’il émet des sons; il ne me maudit et ne me contredit jamais. Cette ultime merveille du monde mérite tous mes éloges et, un jour, quelqu’un devra déposer à ses pieds les plus belles tulipes de Hollande en mon nom.
Ce corps va-t-il rendre l’âme lui aussi et mourir un jour? Comment pourrai-je continuer sans lui? Lui qui gesticule, parle, s’agite et dit tout ce que j’ai envie de dire. Lui qui se heurte à l’adversité, prend soin de ma centrale de création et donne vie à plusieurs de mes désirs. Lorsqu’il est contrarié, agacé, fatigué ou mécontent, ce corps hausse le ton. Quelquefois, il me semble que ses pulsations cardiaques inventent des cavalcades inécoutables juste pour nous divertir. Jusqu’à ce qu’il expulse son dernier souffle, c’est ce vénérable corps qui me gardera vivante.
Que m’arrivera-t-il par la suite? Sans ce corps, que verrai-je dans le miroir? Qui serai-je dans le monde? Un fugace souvenir, une centrale nucléaire désactivée? Sans ces yeux, j’oublierai vite la beauté. Sans le pouvoir olfactif de ce nez, je délaisserai le parfum des fleurs et, sans cette motricité globale, je deviendrai une morte-vivante cherchant le repos éternel.
J’anticipe pourtant une imperceptible réconciliation de tout ce que je suis avant de ne plus être. Ce souffle de vie m’animera et se manifestera au centre d’un univers que j’aurai moi-même créé. Du moins, c’est ce que supposent les sages. Ma pensée, ma conscience, mon discernement et tout l’amour que mon cœur contient ne mourront point. Ce souffle, cette bienheureuse présence immatérielle dans un monde matériel, sera immortel. Et lorsqu’arrivera l’heure où le corps se décomposera, la maison de chair se transformera en millions d’étoiles filantes.
Quand mes doigts grimpent l’un sur l’autre sans que je puisse faire quoi que ce soit pour les empêcher de fuir, je reste tranquille et j’attends. Je savoure ce moment d’attente.
Je patiente avant que mes phalanges ne se disloquent, que mes paumes échappent leur contenu et que je ne puisse plus me dresser contre l’inévitable.
J’attends l’ultime spectacle où le corps s’effondrera et se renouvellera en millions de granules d’espoir et où le cœur arrivera enfin à la porte du paradis.
Mais le souffle demeure. Il cherche une autre maison pour loger la matérialité de son air; un genre d’état d’esprit paradisiaque que tout humain décédé pourra connaître.
Cora
♥️
Dans ma grande maison transformée en bibliothèque, il ne me reste plus qu’un seul petit coin pour insérer un nouveau livre sur une étagère. Tous les murs de ma cabane sont placardés d’étagères, un ramassis de succès de librairie que j’époussette depuis plus de trente ans. Dans ma verrière quatre saisons, j’ai une très longue table étroite sur laquelle s’empilent mes récentes acquisitions. Et la table déborde! Certes, je lis à outrance; souvent incapable de séparer le bon grain de l’ivraie.
En ce qui concerne les romans, je ne suis experte de rien. Pourtant, lorsqu’on me conseille un Dany Laferrière quasi toujours usagé, je lis la quatrième de couverture et je l’achète à n’importe quel prix. Je sais, je sais! Je suis une acheteuse compulsive lorsqu’il s’agit de livres. Je suis totalement incapable de résister aux délicieux bouquins de poésie qui affinent mon esprit. Comme je vis à la campagne, chaque semaine, mes promenades tournent autour des bouis-bouis de livres usagés, et il y en a tellement dans nos magnifiques Laurentides! Surtout lorsqu’arrive l’été, et qu’un peu partout, les gens tiennent des ventes de garage et étalent leur marchandise en plein soleil. J’ai souvent trouvé des bijoux de livres très peu malmenés, des classiques, quelquefois même des raretés à peine feuilletées.
J’aime les livres encore plus que la crème glacée ou le sucre à la crème! Bien sûr, il m’arrive de craquer pour un titre accrocheur avant même d’avoir lu la quatrième de couverture. Je crois sérieusement que mon amour des livres vire à l’obsession. Oui, oui! Je zieute, je reluque, je m’emballe. J’ai grandi, puis vécu en manque d’affection, de considération et, le pire, en manque d’amour. Serait-ce pour cela que je compense aujourd’hui en accumulant toutes sortes de beaux bouquins pour me tenir compagnie? Ces amoncellements de livres comblent certainement un vide existentiel. Chacun d’eux camoufle peut-être les barreaux d’une prison imaginaire.
Comment pourrais-je me libérer de cette dépendance compulsive à acheter des livres, aussi merveilleux soient-ils?
Mon pire défaut, mon vice, c’est justement d’être une acheteuse compulsive qui n'arrive pas à s’empêcher d’acquérir sans cesse de nouveaux ouvrages neufs ou usagés que je ne lirai probablement jamais, même à moitié. Il y a les véritables amoureux des bouquins qui les feuillettent avec égard, qui conservent quelques-uns de leurs favoris et les mettent à l’honneur dans leurs étagères, un peu comme moi. Et puis il y a la vraie moi, l’acheteuse maniaque qui ne réussit pas à arrêter d’acquérir sans cesse de nouveaux ouvrages que, tout probablement, je n’aurai pas le temps de lire. Mon amour des livres s’éteindra-t-il avec moi?
Les yeux mouillés, j’ai déjà donné six gros sacs IKEA remplis de mes meilleurs livres de cuisine à des organismes municipaux. Comme on m’a chaleureusement remerciée, peut-être vais-je récidiver avec des classiques et des romans que j’ai presque tous parcourus.
Comment vais-je m’en sortir? Je n’arriverai jamais à tout trier, et les jeter me briserait le cœur. Pour toutes sortes de raisons, j’aime encore chacun de mes livres et surtout ceux qui m’ont particulièrement appris à vivre, à m’exprimer et à écrire correctement.
Toutes ces pages qui me parlent, ces histoires inventées, ces lettres du dimanche, ces quelques livres publiés. Ma vie se résume à une accumulation de mots imprimés et précieusement conservés.
Cora
♥️
Ingrédients :
1 tasse (200 g) de mélange à gaufres et à pancakes Babeurre
1 tasse (250 ml) d’eau
2 c. à soupe (30 ml) de beurre fondu ou d’huile végétale
Fraises en quantité suffisante, coupées en tranches de 6 à 8 mm
Décoration : aucune
Méthode :
Préchauffer une poêle antiadhésive légèrement huilée à feu moyen.
2. Fouetter vigoureusement le mélange et l’eau. Ajouter le beurre ou l’huile et mélanger jusqu’à obtenir un mélange homogène.
3. À l’aide d’une fourchette, tremper les fraises dans le mélange et les déposer dans la poêle.
4. Retourner à l’aide d’une spatule lorsque le dessus est encore légèrement humide. Cuire jusqu’à ce que le pancake soit doré.
5. Répéter les étapes 3 et 4 avec les fraises et le mélange restant.
6. Déposer dans une assiette et garnir selon l’envie du moment.
Bon appétit!
Aujourd’hui, que faire avec cet étrange thème occupant l’entièreté de ma caboche? Je plie et déplie mes mains; le froid glace mes dix doigts. Depuis quelques semaines, j’essaie d’animer ce cher clavier, mais tous mes jolis mots restent muets.
Trop tôt sans doute, mon petit moi dégringole et tombe dans le vide. Ma longue traîne de reine du déjeuner s’effrite comme une galette beaucoup trop cuite. Malgré mille miettes de mots, une abondance de Lettres du dimanche et de festins d’oiseaux, parfois même dans la langue de Shakespeare, les mots m’échappent désormais.
Que puis-je dire, que puis-je faire? Peut-être qu’un matin, ou à la brunante, ma lourde tête se videra tel un puits asséché. J’ai mal, je souffre. Mon monde est un immense déversoir de mots qui s’éparpillent, se disséminent, et quelques rares fois s’envolent. Ce continuel bourdonnement d’histoires dont je peine à me rappeler. Toutes ces lourdes phrases à requinquer; tous ces jolis mots que je commence à oublier.
Je ressens quelques fois ces bleus de l’âme, ces petites morsures du temps. Cet affreux sentiment d’être esseulée, rongée par la déprime ou l’angoisse. J’ai tellement écrit sur des choses joyeuses, sur le vrai monde qui attend mes lettres et qui me lit. Je ne peux que continuer à me coller sur mes précieux lecteurs, sur la présence d’autres humains, sur mes fantastiques semblables.
Je ne veux pas débarquer du tapis roulant de la vie. Peut-être vais-je tituber, tomber parfois, mais j’insisterai pour me relever. Je vais certes traverser des pertes, brûler des biscuits, manquer des rendez-vous, égarer des clés. L’important, c’est de ne jamais oublier l’humain à partir d’une rencontre, d’une émotion, d’une simple curiosité. Serait-ce ma façon d’échapper à l’esseulement?
Avec mon vieux déguisement de super héros, ressusciterai-je les oublis de ma mémoire, le hasard des mots, la suite dans mes idées? Mais, surtout, que puis-je faire pour freiner l’absence de plus en plus marquée de ces précieux mots? Une petite virgule suffirait-elle à changer le cours de ma vie?
La brume se dissipe, le matin se lève. Quelques rêves encore flous taquinent mes orteils. Tellement de mots tombent dans le vide; tellement de phrases besognent pour être écoutées.
Ces jours vieillissants ont ouvert un gouffre de stupeur, de lenteur et d’effarements. Mon corps penché sur mes mains dans le petit lavabo, le miroir qui me renvoie l’image de mon beau visage désormais blessé de cernes et de rides. Je cherche un joli mot, un filon d’idées. Une grimace m’apparaît dans la glace.
Tandis que dehors une famille de corneilles occupe mon gros pommier, je reste au chaud dans ma tanière, j’enlève la robe des pommes pour concocter un dessert. Quelle bonne cuisinière j’ai été, créatrice d’autant de délicieux déjeuners! Au paradis, quasi certaine, je nourrirai les anges et les archanges.
L’euphorie de la possession se dissipe assez vite. Il en va de même des obstacles qui ne sont en réalité qu’une série de leçons à apprendre. Aurais-je été trop dure avec moi-même? J’ai toujours essayé de faire de mon mieux. Je n’ai pas écrit pour performer, mais pour aimer mes lecteurs.
Comment survivre quand mes raisons de vivre s’amenuisent? Quand le travail et la famille ne justifient plus mes efforts, quand mes compétences ne sont plus sollicitées et que je me découvre de moins en moins utile avec pourtant du temps à revendre et encore un peu d’énergie. Comment vivre sans s’accrocher désespérément à des responsabilités que des plus jeunes ou d’autres assument mieux? Quel sens donner à une vie qui rétrécit?
Quelques sages philosophes me parlent de vie nouvelle, d’une vie sans autre raison de vivre que celle de la vie elle-même. Oui, oui! Fini la tentation de vouloir désirer, espérer, performer, prospérer. Je ne veux être que vivante, capable de lire et de tenir un crayon pour écrire ou dessiner.
Je me promets de modifier mon modus operandi. Je vais calmer la vieillotte avec quelques lignes de poésie, quelques haïkus; je vais reprendre le dessin, les grandes balades en Mini, peut-être même en Gaspésie. En continuant d’observer et de décrire au jour le jour mes petits bonheurs, mes paniques, mes surprises et mes tendres oublis.
Assagie et consentante, je patiente jusqu’au moment où la lumière mourante du jour allumera les étoiles!
Cora
♥️
À l’occasion de la fête des Pères, je partage avec vous ce récit : le moment où j’ai ressuscité la mémoire de mon père pour lui dire que je l’aimais.
Est-ce que je lui ai déjà dit? En pensée, je le voyais devant moi, traverser la cuisine de Caplan. Son immense corps, qui pourtant me semblait léger comme une plume, avançait tel un fantôme d’homme oublié. Il ne parlait presque jamais à maman. Elle-même l’ignorait la plupart du temps. Leurs conversations tournaient autour de ce qui s’avérait nécessaire. Je me souviens de cette douloureuse tristesse qui minaient nos jeunes années, à mes sœurs, frérot et moi, et celles des deux adultes s’appelant Papa et Maman. Quels rôles jouaient-ils au juste dans nos existences, à part travailler pour nous nourrir?
Souvent, en soirée, mon papa s’ouvrait d’un clic une petite boîte de sardines. Maman ripostait, je le savais trop. Elle le traitait d’affamé; lui rappelait qu’il était pourtant déjà bien assez gros. « Aussi gros qu’une montagne », qu’elle répétait à la voisine Berthelot. Papa prenait la grosse boîte rouge de biscuits soda dans la dépense, puis il ouvrait la porte vitrée du buffet et y prenait l’assiette rose de grand-maman Cora, sa mère. Je savais qu’il avait toujours un petit creux en soirée, comme si un vorace chagrin dévorait son cœur. Ça me rendait triste de voir maman l’insulter tandis qu’il mangeait en silence. Papa étalait avec ses doigts deux petites sardines étêtées et égouttées sur chaque craquelin. Puis, avec sa grande main, il noyait sa peine dans sa bouche toute grande ouverte. S’ensuivaient les « crounch crounch » bien audibles des craquelins et des petites sardines avalées d’un coup. Est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?
Pour s’amuser, la plus jeune grimpait parfois sur notre père étendu sur le divan. Assise à cheval sur son ventre, elle agrippait de chaque côté le tissu de sa chemise et donnait des coups de talons à ses chairs déjà meurtries par la vie. « Hop-là! », criait frérot qui essayait d’attraper au lasso les gros pieds enflés de papa. À tout coup, cette scène mettait maman dans une de ces colères! Elle m’ordonnait aussitôt de faire cesser le manège, mon père se révélant impuissant sur le sofa. Est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?
La nuit venue, j’entendais parfois maman déverser toute sa hargne sur mon père. Je pleurais, la tête enfouie sous l’oreiller. Je pleurais encore lorsque papa partait le dimanche après-midi ou le lundi matin avec sa valise de commis voyageur. Je devais chaque fois attendre cinq longs jours avant qu’il ne revienne. Est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?
La veille de son départ, lorsque maman repassait les chemises et les deux pantalons de papa, je l’entendais rouspéter à propos de la grosseur de mon père. Elle devait s’y prendre à deux fois pour bien étendre chaque jambe sur la planche à repasser sans compter la fourche, les poches et l’immense tour de taille de « son énorme mari », comme elle le répétait souvent. Elle rageait en étendant un carré de lin imbibé d’eau pour que la vapeur aide à lisser le tissu. Le lendemain de son départ, maman irait vider son sac de douleurs devant la voisine Berthelot, mariée à un instituteur de l’école du village aussi mince qu’un manche à balai. Quand mon papa quittait la maison pour aller gagner notre croûte, est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?
Je ne connaissais rien de l’amour à cette époque. En sais-je réellement plus aujourd’hui? Enfant, je pleurais en cachette lorsque je voyais mon père triste ou blessé. Une fois mariée, j’ai sangloté en silence quand je devais affronter mon trop-plein de solitude. Toute jeune, je me doutais que quelque chose ne tournait pas rond entre mes parents. Je voyais nos voisins et je constatais que, chez nous, l’affection entre les époux manquait tous les rendez-vous. Il manquait les becs que le voisin collait à sa Laurette derrière les oreilles; les sourires coquins qu’ils s’envoyaient et les fins de semaine passées en amoureux, sans enfants, au chalet. Entre nos parents, l’essentiel manquait. Même frérot avait même mentionné à grand-père Frédéric que papa ramenait la tristesse avec lui chaque vendredi soir lorsqu’il revenait de ses voyages d’affaires.
Un jour, je devais avoir cinq ou six ans, papa revint de voyage et m’appela « Coco ». Un tout petit mot qui me semblait aussi doux que les oreilles d’un chat. En comprenant qu’il m’appelait moi, Coco, pour la première fois, mon cœur d’enfant a tremblé de bonheur. Comme si la patte du chat s’était logée dans la paume de ma main. Pendant toute la semaine qui a suivi, ce tout petit mot me rappelait le visage de papa; ses yeux allumant des étincelles dans les miens. Est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais?
Puis, un jour, nous avons quitté les falaises orangées de mon enfance. Mais la tristesse a déménagé avec nous et s’est installée dans nos maisons à Mont-Joli, à Sainte-Foy, puis en banlieue de Montréal, et finalement, même s’ils n’étaient plus que deux, elle les aura suivis à Sainte-Adèle, jusqu’à la mort de papa. Je suis devenue, moi aussi, une adulte à qui les mots doux, les regards tendres et les baisers manquaient.
Comme je vous l’ai écrit précédemment, c’est seulement aux funérailles de maman que j’appris la raison derrière la lourdeur de leurs chagrins. Maman, amoureuse d’un protestant anglophone, dut rompre avec lui. Mon grand-père a convaincu sa fille au cœur brisé d’épouser un homme bon. Un homme qui l’aimait comme un fou, mais qui n’a jamais pu la conquérir.
Il arrive que l’on sacrifie toute une vie dans l’attente de quelques baisers ou mots tendres soufflés derrière les oreilles. On imagine l’amour gros comme une montagne et, à force d’attendre, la montagne nous engouffre, mais elle n’est jamais assez grande pour remplir l’absence d’amour dans notre pauvre cœur.
Je n’ai jamais réellement appris à dire « je t’aime ». Ces mots manquants, cette courte phrase pleine de sens demeurée inédite, a alourdi la tristesse que je côtoyais depuis l’enfance. Aujourd’hui, vieillotte aguerrie, l’idée m’est enfin venue de ressusciter mon père pour lui dire que je l’aimais.
Oui, je t’aime, papa chéri. Tu as été mon premier amour et, je ne l’espère point, tu seras sans doute mon dernier. Si possible, envoie-moi de là-haut un ange voulant se matérialiser; un être bon au cœur bienveillant, un homme que j’aimerai autant que je t’ai aimé.
Ta Coco chérie.
Bonne fête à tous les Pères!
💖
Un matin, chez IGA, malheureuse comme une citrouille qui se croit un légume, je longe les allées à la recherche d’une petite douceur. À l’intérieur de mon triste cœur, quelques larmes tombent et brouillent ma courte liste d’épicerie. Vivre seule et vieillir me déboussole, me coupe la faim. Je maigris un peu. Vêtue d’un pantalon et d’un blouson désormais un tantinet trop grands, j’avance dans l’allée des congelés tel un brise-glace polaire se dirigeant sur sa peine surgelée.
Devant l’étalage de bonbons, je pense à mes deux arrière-petits-fils à qui leur mère interdit d’en manger. Je zieute pour moi les bonbons brun-noir qui goûtent le café. Délicieux! Une jeune tête rousse s’avance et dépose exactement 225 grammes de sucreries sur la petite balance à bonbons.
— « Une demi-livre de bonheur! », me lance le jeune homme. Je me demande s’il en aura assez pour se contenter.
Une bouffée de chaleur m’enserre soudainement les viscères. Midi pile, dans cet immense IGA, j’ai faim de câlins. J’ai soif d’amour. Je voudrais me trouver dans les bras de quelqu’un; dans ceux de ma mère ou de mon père pour qu’ils me bercent, pour qu’ils me rassurent et me disent des mots doux.
Arrivée au comptoir des laitues, un beau vieux en tablier blanc m’accoste et m’explique tous les bienfaits d’un avocat.
— « L’avocat que je connais est en très bonne santé, lui dis-je avec le sourire. Dans son bureau, il passe ses journées à rédiger de précieux contrats de franchise et des contrats de travail pour l’entreprise. »
— « Attendez, belle dame. L’avocat dont je parle se mange! Riche en lipides, il procure toutes sortes de bienfaits pour la santé. »
— « Pourquoi je n’en mange pas plus souvent, dans ce cas? »
— « Croyez-moi sur parole, poursuit le vieux en tablier blanc, j’en mange deux ou trois chaque semaine et je suis en pleine forme. Je joue au hockey, je saute à la corde et ma femme m’oblige à entretenir un grand jardin en été et à déblayer moi-même la neige en hiver. »
Seigneur! J’ai envie de mettre ce beau vieux en tablier blanc dans mon panier. Mais au lieu de cela, je tâte l’avocat qui s’avère ni trop dur ni trop mou, et j’en prends deux. L’expert au tablier me confirme qu’ils sont parfaitement mûrs et prêts à être mangés. Je suppose qu’on n’est jamais assez protégés des maladies ni des méchants garnements.
Je me dirige ensuite dans l’allée la moins excitante à zieuter. À droite, des soupes et autres produits en conserve ainsi que mille et une sortes de craquelins. À gauche, un fouillis de marinades, de sauces à crevettes cocktail et la nouvelle vraie de vraie mayonnaise MAG entièrement québécoise. J’ai faim! J’aurai certainement besoin de quelques tranches de jambon Première Moisson et de deux ou trois belles feuilles de laitue bien lavées si je veux goûter à cette merveilleuse mayonnaise entre deux tranches de pain.
Approchant le royaume du poissonnier, je fais semblant de calculer mentalement combien de homards j’aurai besoin pour une table de huit convives samedi qui vient. L’homme, lui aussi magnifique, réfléchit et sort de son enclos. Il s’approche de moi et s’informe si des à-côtés complémenteront les homards. Je faiblis. J’ai presque envie de m’évanouir pour me retrouver dans ses bras!
Sur l’étal devant moi, une centaine de homards rouges cuits à point sont couchés dans la neige attendant d’être choisis. Encore une fois, je zieute le bel homme parfumé aux algues. Marié et un peu plus jeune que moi, sa bouille est à mourir d’amour.
Puisque nous discutons quasi chaque fois que je fais mes achats ici, le poissonnier sait que je suis Gaspésienne et, comme la saison du homard bat son plein, il se permet de me toucher la pince et de m’en choisir un très gros. Ce soir, le gros homard et moi allons festoyer.
Arrivée à la maison, je sors le marteau du coffre à outils. Comme grand-père Frédéric me l’a appris, je commence par ébouillanter mes instruments : le marteau pour fracasser la carapace et le couteau pour détacher la chair. Ensuite, j’ouvre délicatement la bedaine du gros homard. Wow, tout ce que j’y trouve! Je tire et coupe pour détacher les quatre paires de pattes de l’animal, ses deux généreuses pinces à l’avant et l’immense queue large et musclée prête à se détacher du tronc.
Je me suis souvenu que j’avais aussi mis dans mon panier un pot de la nouvelle mayonnaise québécoise et deux avocats, ceux qui sont mangeables, hihi! J’ai donc décidé de m’offrir un festin! J’ai sorti de l’armoire une belle assiette de service, un grand bol à soupe pour mettre la carcasse de l’animal et mon assortiment de pinces et de fourchettes à homard. J’ai ensuite débouché une bonne bouteille de vin blanc et je me suis régalée.
Mon gros homard rouge a vite avalé ma peine!
Cora
❤️
Vous souvenez-vous de mon amie journaliste qui m’a interrogée plusieurs fois avec ses questions originales? Elle m’a soumis quelques autres idées. J’ai envie de lui dire non, mais je cède et je dis OUI.
— « Que voulez-vous encore savoir de moi? Je vous ai confié déjà tellement de choses! Mon cœur balance maintenant entre retraite et vieillesse. Rien de très intéressant, sauf l’écriture qui alimente mon esprit quasi chaque matin. Allez, allez! Chère dame Isabel, posez-moi vos questions! J’ai ce soir un bal et je dois choisir une robe convenable. »
— « Vous allez au bal? »
— « Non, mais j’aime l’idée! »
— « Vous me semblez en grande forme et tout en blague ce matin, Madame Cora! Comment va votre santé? Travaillez-vous encore? »
— « Certes, comme le beau divan en cuir rouge du salon, j’ai vieilli. Les coussins sont un peu ridés, comme mon cou, mais la sieste d’après-midi y est fantastique. Quant à ma santé, je touche du bois, je suis en pleine forme. Mes doigts piochent sur le clavier, mais mes rotules se lamentent un peu et m’empêchent de prier à genoux, hi! hi! »
— « Cora, est-ce qu’on naît entrepreneur ou est-ce qu’on le devient? »
— « Moi, je le suis devenu. J’étais une intellectuelle qui ne rêvait qu’à écrire des poèmes. Puis, il y a eu le mariage qui a chamboulé ma vie et mes projets. Je me suis tournée vers la restauration pour nourrir mes enfants. Mon succès dans les affaires m’a étonné énormément. Peut-être est-ce ma créativité qui s’avéra le fil conducteur de ma réussite? Si on parle de ma naissance, je dirais que je suis née quelque part entre les 26 lettres de l’alphabet. Oui, oui! Ma capacité d’écrire demeure ce que j’ai de plus précieux. C’est un trésor que je n’ai découvert que sur le tard. Quant à devenir entrepreneur, c’est en ouvrant un tout petit restaurant de 29 places que j’ai commencé. J’ai vite compris que j’étais géniale en cuisine et très créative. En insistant pour développer le premier repas de la journée, j’ai créé un extraordinaire concept de restauration matinale. Rapidement, notre bannière a ouvert quelque 150 restos de déjeuners au Canada, me couronnant officiellement, en toute humilité, la Reine des déjeuners. »
— « Vous considérez-vous comme un loup solitaire ou un papillon batifoleur? »
— « Je ne me connais pas encore vraiment. Je me considère sans doute surtout comme un loup solitaire qui a appris à lire, à écrire et à compter. En affaires, j’ai dû m’entourer et apprendre à travailler en meute. Vaille que vaille, j’ai toujours fait de mon mieux pour mes enfants, pour mes employés et pour mes précieux clients. J’ai longtemps été une femme tellement sérieuse. Aujourd’hui pourtant, à 78 ans, j’ai tendance à batifoler, à faire la folle, tout en demeurant un tantinet sérieuse. »
— « Nous savons tous que votre dada, c’est l’écriture. Au début de la pandémie, vous avez commencé à publier une lettre chaque dimanche et nous constatons que vous n’avez jamais cessé. Allez-vous finir par arrêter? »
— « Je vous le jure, j’ai besoin d’écrire pour exprimer mes émotions et surtout pour élaguer mes obsessions. Je désire continuer jusqu’à ce que mon cœur arrête de battre. Tellement de fourmis trottinent encore entre mes lignes. Je veux vider ma caboche. La dernière fois, vous m’aviez demandé si je préférais dessiner ou écrire et j’avais oublié de vous répondre. Je préfère écrire, mais j’aime aussi dessiner, surtout des fruits, des fleurs et des oiseaux exotiques de toutes les couleurs. Et des hiboux, comme vous le savez déjà! »
— « Qu’est-ce qu’on peut offrir à une femme comme vous, qui ne manque de rien? »
— « Tricotez-moi si possible quelque 22 nouvelles années pour que, moi aussi, comme notre fameuse Janette Bertrand, je puisse fêter mes 100 ans. Trouvez-moi un amoureux digne de ce nom! Un homme doux, gentil, instruit qui aime beaucoup, comme moi, aller au cinéma. Je ne désire rien d’autre ici-bas que de conserver dans mon cœur cette divine providence qui m’a toujours aidée. »
— « Que diriez-vous à un potentiel beau prétendant? »
— « Avec maintenant plusieurs kilos de maturité derrière mon tablier, je me tairais d’abord et j’écouterais religieusement ce que l’homme aurait à me dire pour me séduire. J’étudierais son allure, un tantinet sa vêture, ses souliers bien frottés et la petite odeur de parfum cachée derrière ses oreilles. Presque chaque matin, lorsque j’écris chez McDo, je me rince l’œil! J’ai le choix des colosses qui viennent passer leur commande à l’intérieur, sur de fortes jambes, au lieu des paresseux qui utilisent la commande à l’auto. Je badine, je rigole. L’appétit vient en mangeant! »
— « Justement, plaisantons un peu! Si vous étiez un légume, lequel seriez-vous, et pourquoi? »
— « Chère dame Isabel, si j’étais un légume, pour sûr, je serais un joli blé d’Inde. Jaune comme mon soleil jaune Cora, bourré de vitamines, de phosphore, de magnésium et de potassium. Avec ma belle chevelure au vent, je me tiendrais debout dans les champs jusqu’à complète maturation. Puis, lorsqu’on me cueillerait tout doucement sous la lumière étincelante du mois d’août, peut-être pour une épluchette, je deviendrais immanquablement la reine du jour! Chaque légume devrait vivre son heure de gloire! »
Cora
♥️
Rendement : 6 pancakes
Ingrédients :
1 tasse (200 g) de mélange gaufres/pancakes
1 tasse (250 ml) d’eau
30 ml (2 c. à soupe) de beurre fondu ou d’huile végétale
2 fraises coupées en tranches de 6 à 8 mm
16 à 20 bleuets
1 kiwi coupé en 6 tranches de 6 à 8 mm
Décorations : Aucune
Méthode :
Préchauffer une poêle antiadhésive légèrement huilée à feu moyen.
Fouetter vigoureusement le mélange et l’eau. Ajouter le beurre ou l’huile et mélanger jusqu’à homogénéité.
Verser environ ¼ tasse (60 ml) dans la poêle. Ajouter une sorte de fruit par pancake. Retourner quand le dessus est encore légèrement humide.
Cuire jusqu’à ce que le pancake soit doré.
Répéter les étapes 3 et 4 avec le mélange restant en ajoutant une sorte de fruits par pancake.
Servir 3 pancakes dans une assiette et déguster.
Bon appétit!
Plus j’avance en âge et plus j’ai envie de sauter les clôtures du gros bon sens. Je prends conscience que mon temps ici-bas s’achève. Déjà, j’imagine quelques scénarios. Mes genoux qui craquellent, mes doigts qui grimpent les uns sur les autres, mes affreux oublis et ma mémoire qui devient une réelle passoire.
Au quotidien, je sème quelques graines dans mon cervelet mollet et rien ne pousse. J’essaie d’écrire, je cherche de jolis mots, quelques belles phrases ou une nouvelle histoire à vous raconter. J’avance et j’implore les anges. L’écriture pourrait-elle encore être ma prière matinale?
Très tôt, très souvent au café, j’écris comme si je n’allais jamais mourir. Aujourd’hui (le 11 mai 2025), je célèbre la fête de toutes les mères et je me demande où sont mes trois enfants. Tous dans la cinquantaine, ce sont peut-être leurs rejetons qui, en fin de journée, me diront « Bonne fête des Mères, grand-mère! ».
Ainsi va la vie. Mon âge s’affaire à grimper plus haut que les nuages. J’essaie de rester forte, j’en perds des bouts. Je vis au gré de ma météo avec mes brouillards et mon beau temps cachés en dedans de moi.
J’observe le gazon tout jaune de pissenlits, l’eau trop froide de la piscine, deux marmottes sous ma galerie, quelques jeunes chevreuils grignotant ma haie de cèdres. Dehors, sur mon toit en pente, quelques corneilles s’agrippent et s’agitent, braquant leurs yeux sur un petit chardonneret jaune aux ailes noiraudes. Vite, j’enfile mes vieux bottillons et je remplis toutes les mangeoires de graines de tournesol. L’oiseau jaune construira-t-il son nid tout près des grandes fenêtres de ma cuisine? Suis-je en contrôle de la situation? J’ai quelquefois l’impression que le quadrilatère de ma grande maison rapetisse à vue d’œil. Plus je lis, plus les livres s’empilent, et plus j’oublie la thématique de chaque étagère.
Chaque matin, j’écris pour que ma vie vaille encore la peine d’être vécue. Mère sans père, accro aux mots, j’ai toujours un calepin à portée de main, un ou deux stylos qui ne tachent pas les doigts, des notes, des milliers de notes à me rappeler, à recopier, à peaufiner. Mon esprit emprunte des routes imprévisibles; une succession inédite de lignes se dirigeant toutes vers l’empire du silence. Vivrai-je encore longtemps? J’aimerais m’endormir dans une immense forêt de sapins. Dos au sol, je respirerai le sublime parfum des arbres. Sans larmes, ni peur, ni remords, simplement devenir quelque pitance pour les verres de terre.
Pour moi, vivre est un plaisir qui commence à ressembler à un début d’inquiétude. Fini les longs voyages en Mini, les départs improvisés, les arrivées épuisées. J’espère encore pouvoir imaginer tout ce que je n’ai pas vécu. Même l’amour, ce vagabond inarrêtable. L’aurais-je entendu s’il avait cogné à ma porte? Toutes ces années de femme d’affaires trop occupée à gagner sa croûte; toutes ces réussites m’auraient-elles privée d’amour? Même avec mon nom affiché en grosses lettres sur plus de cent quarante devantures, qui se souviendra de moi?
Écrire, je vous le jure, demeure l’acte par excellence pour amadouer le brouillard mental de mon esprit. Depuis plus de cinq ans, j’écris pratiquement chaque jour, souvent aussi en soirée et dans mon lit la nuit lorsqu’un mauvais rêve me réveille en sursaut. Je ne bois que de l’eau la nuit pour que coulent mes idées.
J’ai souvent l’impression qu’avancer dans une histoire provoque en moi quelques trémolos de plus en plus difficiles à cerner. Parfois un titre s’impose, une ligne énigmatique s’échappe de ma tête, un souvenir à moitié déterré surgit de mon enfance en Gaspésie.
Je creuse, j’explore, je cherche du temps pour allonger mon existence. Je ne suis peut-être qu’une vieille ardoise, mais en excellente santé malgré les aléas d’une mémoire qui n’en fait qu’à sa tête. J’ai encore tellement à dire avant de prendre le large. Tellement de questions à élucider, tellement de monde à remercier de m’avoir aimée.
Cora
♥️
Depuis cinq ans, je vous ai raconté ma vie. J'ai partagé avec vous mes meilleures recettes et mes grands succès. Je n’ai pas non plus lésiné sur les détails concernant l’échec de mon mariage. Je vous ai aussi parlé de mes voyages et de l’ordinaire que j’ai endimanché avec mes mots. Je vous ai avoué que je cherche encore et toujours le grand amour, même dans les agences de rencontre!
J’ai écrit sur tout ce que je souhaite compléter avant de m’envoler. Il me reste encore quelques secrets que j’ai pleurés tellement de fois. Vous les dévoilerais-je avant d’accrocher ma plume?
Toutes ces larmes glacées, tous ces horribles mots venant de l’époux, me tuaient à petit feu. Je n’avais pas trente ans et ma vie tournait uniquement autour de lui, de trois enfants et plusieurs déménagements qui nous avaient menés ici et là dans des logements bourrés de coquerelles. J’avais peur la nuit lorsque le plus jeune se réveillait et braillait. Je savais qu’une armée de blattes dansait sur le plancher de la cuisine et j’évitais d’allumer une lumière pour ne pas les voir en réchauffant le lait pour le biberon.
Quant à l’homme, joueur, danseur et buveur, je m’inquiétais lorsqu’il arrivait aux petites heures du matin. Lui resterait-il un peu de force pour transporter les enfants dans leurs lits? Immobile, les yeux fermés, mon corps lui tournant le dos, je feignais de dormir. Je ne pensais qu’à m’enfuir de cet affreux mariage qui me privait de ma langue maternelle, de la lecture et de l’écriture qui me manquaient tant.
Comme l’homme dormait jusqu’à midi, j’habillais et nourrissais les enfants presque en silence, et hop, chaque matin, nous dégringolions les trois étages miteux de cet affreux triplex avec le tout-petit bien attaché dans sa poussette. Mon cœur en lambeaux et mon âme aussi vide qu’une église païenne, j’essayais de sourire. Même lorsqu’une voisine me disait bonjour, j’avais juste envie de pleurer tellement mon malheur me pesait.
Fin septembre, peut-être début octobre, mes règles se dérèglent. Je connais les premiers symptômes par cœur. L’angoissant retard du sang, mes petits seins gonflés et sensibles, les nausées, la grande fatigue et mon ventre qui se bombe un tantinet. Je calcule péniblement les jours : 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33… J’attends le sang qui n’arrive pas. Comme avant. J’ai mal au cœur, mal à mon corps, et ma tête étourdie se doute qu’une nouvelle vie s’agite en moi. Je ne dis rien à ma mère ni à mon père, et surtout rien à ce bon à rien qui s’en contrefiche certainement. J’essaie bien de me cacher, mais mes trois petits m’entendent sangloter. « Pourquoi tu pleures, maman? », me demande ma fillette. Je crains d’être enceinte une fois de plus et j’ai juste le goût de pleurer. Vais-je en parler à l’homme qui ne me regarde jamais? Il entre son arme en moi et me trucide chaque fois.
J’écris ces lignes ce matin et je ressens encore mon désespoir d’autrefois. Prétextant une douleur au sein gauche, j’attends le samedi pour que ma belle-sœur Maria puisse garder les enfants quelques heures. Même sans paroles, elle sait bien de quoi il s’agit. Elle-même s’est rendue au gros hôpital, et a étendu son corps sur une table de métal glacé.
Le mari toujours endormi, je me prépare à pas de souris. Je m’assure d’avoir en main ma carte d’assurance maladie et d’être à jeun 8 heures avant le rendez-vous fatidique. Je bourre une grosse sacoche de vêtements amples et un haut à manches courtes pour la piqûre au bras. J’apporte aussi trois ou quatre grosses serviettes hygiéniques et un paquet de vieilles guenilles propres.
Lorsque je quitte le triplex, je verse toutes les larmes de mon corps. J’ai presque envie de changer d’idée, mais lorsque je touche le trottoir, je marche courageusement jusqu’à l’arrêt d’autobus. Arrivée à l’hôpital, une infirmière m’installe dans une petite chambre et me demande de remplir un long questionnaire sur mon état de santé. Lorsque la femme revient, elle me fait une prise de sang ainsi qu’une échographie pour évaluer le stade de la grossesse, puis elle m’explique le déroulement de l’intervention. J’ai déjà subi un avortement, en Grèce, à peine un mois après avoir donné naissance à mon plus jeune fils. Le vieux médecin qui avait effectué mon examen de suivi d’accouchement avait dévoilé ma grossesse au mari et, de connivence avec lui, m’avait endormie pour m'avorter. Cet embryon avait été retiré sans mon consentement.
Cette fois, j’ai pleinement conscience de ma décision. Elle torture autant mon esprit que mon cœur. L’infirmière écoute mes préoccupations et répond à mes questions. Je pleure, j’ai honte, je veux m’enfuir, je veux mourir, mais comment pourrais-je abandonner mes trois petits? J’enfouis ma tête sous l’oreiller et j’arrête de respirer.
Lorsqu’une nouvelle infirmière arrive et m’informe qu’elle doit prendre mes signes vitaux, elle m’installe un petit tube dans une veine. Elle m’explique qu’elle m’injectera des médicaments contre la douleur et un calmant; elle me conforte et m’informe que je ne serai pas endormie, juste un peu « gazée ».
J’ai soudainement très peur lorsqu’un homme tout de blanc vêtu, un médecin, je suppose, entre dans la pièce. Il s’approche de mon corps. L’infirmière m’explique que le médecin va geler le col de l’utérus, ce passage par où le bébé sort normalement au moment de l’accouchement.
Je sais trop bien que ma situation n’est pas idéale pour mettre un autre enfant au monde. Je sais aussi, ma belle-sœur me l’a dit, que le médecin spécialiste introduira un petit tube de plastique qui ressemble à une paille pour aspirer le contenu de mon utérus. Je pleure, j’ai peur, je m’en veux d’avoir peut-être oublié la petite pilule que je devais avaler chaque matin.
À peine la procédure terminée, on me transfère dans la salle de réveil pour une petite heure. Une infirmière vérifie mon rythme cardiaque, ma pression, mes saignements et si l’effet des calmants et des médicaments antidouleurs pouvant diminuer mes réflexes et ma concentration s’est atténué. On me suggère fortement d’être raccompagnée à la maison. Moi, je surveille l’horloge et j’angoisse à l’idée du trafic et des autobus bondés en fin d’après-midi et du mari qui cherche peut-être où je suis. Même s’il ne se soucie aucunement de moi, il remarquerait mon absence. Je m’habille lentement, mettant dans ma culotte deux serviettes hygiéniques et une guenille.
Toute seule, je descends lentement le grand escalier de l’hôpital. Je sors et je marche à petits pas jusqu’à l’arrêt d’autobus. Comme je dois lui sembler un peu fatiguée, une jeune fille m’offre son siège. Durant le trajet, je passe par toute la gamme des émotions. Arrivée devant le triplex, je manque de courage, je m’effondre. Mais je dois me ressaisir avant que quelqu’un ne me remarque, ou pire, que le mari s’en aperçoive.
Épuisée et m’agrippant à la rampe, je gravis une par une les marches qui mènent à l’appartement. J’appelle ma belle-sœur pour l’aviser que je suis de retour et qu’elle peut me ramener mes enfants. Je prends une grande respiration et j’avale ma douleur. J’enferme cette journée dans un tiroir de ma mémoire; un tiroir que j’ouvre peu puisqu’un atroce grincement de souffrance se fait entendre chaque fois.
Cora
❤️
Avant de m’envoler, arriverais-je à extraire mon cœur de son écrin de chagrin? J’ai été femme, puis homme pour ma descendance, et me voici, ni l’une ni l’autre pour moi-même. J’ai quelquefois l’impression que mon cœur pourrait cesser de battre, comme si un ange allait enlever les piles. Je ne tiens qu’à un fil, et je n’ai qu’une toute petite idée de ce à quoi l’éternité ressemblerait. Je m’agrippe à cette conception de durée qui n’a supposément ni commencement ni fin.
Avant de m’envoler, je bénirais mes trois rejetons. Une fille et deux garçons, tous dans la cinquantaine aujourd’hui. Ils sont ma raison de vivre, ma joie, mon bonheur et mon héritage ici-bas. Ils m’ont donné quatre petits-fils et deux petites-filles, ainsi que deux arrière-petits-fils. Quel immense bonheur ce sera pour moi de les voir bientôt sauter dans la piscine de leur arrière-grand-mère!
Avant de m’envoler, peut-être devrais-je me réconcilier avec le géniteur de mes enfants. Surtout, lui pardonner ses bêtises, ses manquements d’amour et sa totale ignorance du droit chemin. Comme je sais que cet homme de 91 ans vit encore dans son village natal, je devrais au moins le contacter, lui dire quelques bons mots et lui pardonner.
Avant de m’envoler, je vais prendre le temps de recopier au propre toutes mes meilleures recettes de gâteau : le sachertorte, le citron-pavot, le Reine Elisabeth et le fameux double chocolat bourré de noisettes! De nos jours, les noisettes sont rares et coûteuses, mais heureusement, j’en trouve des fraîches chaque samedi de l’été au marché de Val-David, dans les Laurentides. J’en profite pour faire le plein; deux gros pots Mason que je conserve à la noirceur dans l’armoire du haut. Cet été, j’ai d’ailleurs l’intention d’amener mes deux arrière-petits garnements à Saint-Ambroise-de-Kildare pour qu'ils puissent eux-mêmes cueillir des noisettes et de les regarder se bourrer la fraise.
Avant de m’envoler, j’aimerais encore dessiner. Oui, oui! La femme d’affaires que j’étais jadis transportait toujours son assortiment de crayons noirs bien aiguisés et un coffret de 48 couleurs. Étrangement, j’aimais surtout dessiner des poissons, des hiboux et quelquefois des visages. Assise à ma table de cuisine, je contemple un magnifique hibou crayonné par mes mains il y a plusieurs années déjà. Peut-être devrais-je songer à recommencer.
Avant de m’envoler, il faudrait sans doute que je désembourbe mes garde-robes, mais à force de vivre en bonne santé, je badine, je rigole, je conserve tous ces vêtements colorés auxquels je suis très attachée. Chaque matin, j’enfile du rose ou du jaune, un petit peu de bleu sur mes yeux et du mauve grâce à mes nouvelles barniques.
Avant de m’envoler, je souhaiterais prendre mon temps pour faire mes adieux aux merveilleux paysages que j’ai tant aimés. À ma splendide Gaspésie, à mon village natal, aux falaises rouges escarpées, aux baleines du bas du fleuve et aux milliers de goélands avec lesquels, jeunette, je conversais. Encore une fois, j’insisterais pour revoir le Rocher Percé, le traverser à marée basse, le toucher, le caresser probablement pour une dernière fois.
Avant de m’envoler, traverserais-je encore quelques océans? J’ai visité la France, l’Italie, le Danemark, la Suède et la Norvège et j’ai habité la terrible Grèce d’où venait l’époux. J’ai aussi marché deux grosses heures sur la grande muraille de Chine et, trois ans plus tard, j’admirais les cerisiers en fleurs et le plus vieux village du Japon. Ayant tant de fois bourlingué à travers notre grand Canada pour y planter plus d’une centaine de restaurants, encore et toujours, je me réjouirais d’inaugurer chaque nouveau resto!
Avant de m’envoler, je voudrais tellement tomber en amour pour vrai. Trouver l’homme de mes rêves, celui qui nous construirait une petite île dans nos têtes; là où nos âmes sœurs se rencontreraient gaiement.
Avant de m’envoler, j’implorerais les anges pour que mes parents me reconnaissent et m’accueillent à la grande porte du ciel. Je leur confesserais mes péchés, mes bévues, mes torts, mes remords et, je l’espère, on me laisserait entrer au paradis.
Généralement, lorsque j’écris assise à ma table de cuisine, je ne réponds pas au téléphone. Mais ce jour-là, ce 24 mars 2025, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai répondu. C’était ma bonne amie des Hautes-Laurentides qui m’informait que son époux adoré venait tout juste de mourir d’un affreux cancer qu’il combattait depuis presque dix mois. Je ferme immédiatement l’iPad et je pleure à gros bouillons. La mort, cette affreuse faucheuse, nous guette jour et nuit.
Cora
❤️