L’histoire de ces délicieux petits carrés d’amour offerts tout spécialement pour faire plaisir au monde remonte chez nous à plus d’un quart de siècle. Après un mariage malheureux, un divorce sans provisions et sans rien dans nos poches, nous avons commencé, mes enfants et moi, l’aventure de survie familiale en 1987 dans un petit espace de restauration de 29 places assises.
La pauvreté nous a appris à tendre la main pour demander et, bien souvent, pour donner. Et c’est sans le savoir que nous sommes devenus chaleureux et généreux. À force d’avoir besoin d’amour, on s’est habitués à faire plaisir aux autres. Tout ça s’est bâti comme la mousse sur les arbres, sans qu’on s’en aperçoive vraiment. Parce qu’on était toujours prêts à surprendre un client avec notre générosité, avec un deuxième bol de soupe gratuit ou avec une pointe de dessert emballé pour emporter à la maison. D’un jour à l’autre, l’amour s’est mis à germer dans nos oreilles pour écouter de plus près notre monde; sur nos paupières pour être certains de reconnaître nos clients à chaque visite; dans nos mains pour les éblouir chaque fois; et dans le fin fond de la coquille osseuse de notre cerveau où grandissait une créativité bienheureuse.
Cette énergie salvatrice a fait son chemin à travers nous, affectant au passage notre volonté, notre raisonnement et l’imagination constructive qui allaient nous faire réussir en affaires.
Comme par magie, l’invisible sollicitude émanant de nos mains collait sur celles des autres, propageant le bénéfique virus à tous nos employés, à nos collaborateurs et, plus tard, à tous les alliés d’un réseau engagé à offrir à sa clientèle une nourriture et un service de première qualité, et imprégné d’une chaleureuse atmosphère familiale.
C’est ainsi qu’est née la tradition de donner après le repas un petit plaisir supplémentaire à nos clients. Et le plateau de sucre à la crème gratuit est vite devenu une partie intégrante de nos procédures. Chaque client recevait donc un chaleureux « Bonjour » en arrivant et une petite douceur à emporter en nous quittant.
Alors dans le but de faire plaisir à votre famille ou à vos voisins, faites du sucre à la crème et je vous garantis que vous entendrez tout un gazouillis de compliments venant de vos proches.
Beurrer d’abord un plat d’environ 6 po X 10 po
Préparer 2 tasses de sucre à glacer dont vous aurez besoin après la cuisson
Dans une casserole, mélanger :
3 tasses de cassonade pâle
2/3 de tasse de beurre fondu
2/3 de tasse de crème 15 % ou 35 %
Et quelques pincées d’amour
Porter à ébullition
À partir des premiers signes d’ébullition, poursuivre la cuisson pendant 5 minutes
Retirer du feu
Ajouter le sucre à glacer en fouettant énergiquement avec un fouet ou une mixette
Lorsque le mélange est onctueux, verser dans le plat beurré
Laisser refroidir et couper en généreux morceaux
Déguster avec modération et partager généreusement
La prochaine fois que vous viendrez en restaurant, prenez-en deux morceaux de ma part.
Un matin, chez IGA, malheureuse comme une citrouille qui se croit un légume, je longe les allées à la recherche d’une petite douceur. À l’intérieur de mon triste cœur, quelques larmes tombent et brouillent ma courte liste d’épicerie. Vivre seule et vieillir me déboussole, me coupe la faim. Je maigris un peu. Vêtue d’un pantalon et d’un blouson désormais un tantinet trop grands, j’avance dans l’allée des congelés tel un brise-glace polaire se dirigeant sur sa peine surgelée.
Devant l’étalage de bonbons, je pense à mes deux arrière-petits-fils à qui leur mère interdit d’en manger. Je zieute pour moi les bonbons brun-noir qui goûtent le café. Délicieux! Une jeune tête rousse s’avance et dépose exactement 225 grammes de sucreries sur la petite balance à bonbons.
— « Une demi-livre de bonheur! », me lance le jeune homme. Je me demande s’il en aura assez pour se contenter.
Une bouffée de chaleur m’enserre soudainement les viscères. Midi pile, dans cet immense IGA, j’ai faim de câlins. J’ai soif d’amour. Je voudrais me trouver dans les bras de quelqu’un; dans ceux de ma mère ou de mon père pour qu’ils me bercent, pour qu’ils me rassurent et me disent des mots doux.
Arrivée au comptoir des laitues, un beau vieux en tablier blanc m’accoste et m’explique tous les bienfaits d’un avocat.
— « L’avocat que je connais est en très bonne santé, lui dis-je avec le sourire. Dans son bureau, il passe ses journées à rédiger de précieux contrats de franchise et des contrats de travail pour l’entreprise. »
— « Attendez, belle dame. L’avocat dont je parle se mange! Riche en lipides, il procure toutes sortes de bienfaits pour la santé. »
— « Pourquoi je n’en mange pas plus souvent, dans ce cas? »
— « Croyez-moi sur parole, poursuit le vieux en tablier blanc, j’en mange deux ou trois chaque semaine et je suis en pleine forme. Je joue au hockey, je saute à la corde et ma femme m’oblige à entretenir un grand jardin en été et à déblayer moi-même la neige en hiver. »
Seigneur! J’ai envie de mettre ce beau vieux en tablier blanc dans mon panier. Mais au lieu de cela, je tâte l’avocat qui s’avère ni trop dur ni trop mou, et j’en prends deux. L’expert au tablier me confirme qu’ils sont parfaitement mûrs et prêts à être mangés. Je suppose qu’on n’est jamais assez protégés des maladies ni des méchants garnements.
Je me dirige ensuite dans l’allée la moins excitante à zieuter. À droite, des soupes et autres produits en conserve ainsi que mille et une sortes de craquelins. À gauche, un fouillis de marinades, de sauces à crevettes cocktail et la nouvelle vraie de vraie mayonnaise MAG entièrement québécoise. J’ai faim! J’aurai certainement besoin de quelques tranches de jambon Première Moisson et de deux ou trois belles feuilles de laitue bien lavées si je veux goûter à cette merveilleuse mayonnaise entre deux tranches de pain.
Approchant le royaume du poissonnier, je fais semblant de calculer mentalement combien de homards j’aurai besoin pour une table de huit convives samedi qui vient. L’homme, lui aussi magnifique, réfléchit et sort de son enclos. Il s’approche de moi et s’informe si des à-côtés complémenteront les homards. Je faiblis. J’ai presque envie de m’évanouir pour me retrouver dans ses bras!
Sur l’étal devant moi, une centaine de homards rouges cuits à point sont couchés dans la neige attendant d’être choisis. Encore une fois, je zieute le bel homme parfumé aux algues. Marié et un peu plus jeune que moi, sa bouille est à mourir d’amour.
Puisque nous discutons quasi chaque fois que je fais mes achats ici, le poissonnier sait que je suis Gaspésienne et, comme la saison du homard bat son plein, il se permet de me toucher la pince et de m’en choisir un très gros. Ce soir, le gros homard et moi allons festoyer.
Arrivée à la maison, je sors le marteau du coffre à outils. Comme grand-père Frédéric me l’a appris, je commence par ébouillanter mes instruments : le marteau pour fracasser la carapace et le couteau pour détacher la chair. Ensuite, j’ouvre délicatement la bedaine du gros homard. Wow, tout ce que j’y trouve! Je tire et coupe pour détacher les quatre paires de pattes de l’animal, ses deux généreuses pinces à l’avant et l’immense queue large et musclée prête à se détacher du tronc.
Je me suis souvenu que j’avais aussi mis dans mon panier un pot de la nouvelle mayonnaise québécoise et deux avocats, ceux qui sont mangeables, hihi! J’ai donc décidé de m’offrir un festin! J’ai sorti de l’armoire une belle assiette de service, un grand bol à soupe pour mettre la carcasse de l’animal et mon assortiment de pinces et de fourchettes à homard. J’ai ensuite débouché une bonne bouteille de vin blanc et je me suis régalée.
Mon gros homard rouge a vite avalé ma peine!
Cora
❤️
Vous souvenez-vous de mon amie journaliste qui m’a interrogée plusieurs fois avec ses questions originales? Elle m’a soumis quelques autres idées. J’ai envie de lui dire non, mais je cède et je dis OUI.
— « Que voulez-vous encore savoir de moi? Je vous ai confié déjà tellement de choses! Mon cœur balance maintenant entre retraite et vieillesse. Rien de très intéressant, sauf l’écriture qui alimente mon esprit quasi chaque matin. Allez, allez! Chère dame Isabel, posez-moi vos questions! J’ai ce soir un bal et je dois choisir une robe convenable. »
— « Vous allez au bal? »
— « Non, mais j’aime l’idée! »
— « Vous me semblez en grande forme et tout en blague ce matin, Madame Cora! Comment va votre santé? Travaillez-vous encore? »
— « Certes, comme le beau divan en cuir rouge du salon, j’ai vieilli. Les coussins sont un peu ridés, comme mon cou, mais la sieste d’après-midi y est fantastique. Quant à ma santé, je touche du bois, je suis en pleine forme. Mes doigts piochent sur le clavier, mais mes rotules se lamentent un peu et m’empêchent de prier à genoux, hi! hi! »
— « Cora, est-ce qu’on naît entrepreneur ou est-ce qu’on le devient? »
— « Moi, je le suis devenu. J’étais une intellectuelle qui ne rêvait qu’à écrire des poèmes. Puis, il y a eu le mariage qui a chamboulé ma vie et mes projets. Je me suis tournée vers la restauration pour nourrir mes enfants. Mon succès dans les affaires m’a étonné énormément. Peut-être est-ce ma créativité qui s’avéra le fil conducteur de ma réussite? Si on parle de ma naissance, je dirais que je suis née quelque part entre les 26 lettres de l’alphabet. Oui, oui! Ma capacité d’écrire demeure ce que j’ai de plus précieux. C’est un trésor que je n’ai découvert que sur le tard. Quant à devenir entrepreneur, c’est en ouvrant un tout petit restaurant de 29 places que j’ai commencé. J’ai vite compris que j’étais géniale en cuisine et très créative. En insistant pour développer le premier repas de la journée, j’ai créé un extraordinaire concept de restauration matinale. Rapidement, notre bannière a ouvert quelque 150 restos de déjeuners au Canada, me couronnant officiellement, en toute humilité, la Reine des déjeuners. »
— « Vous considérez-vous comme un loup solitaire ou un papillon batifoleur? »
— « Je ne me connais pas encore vraiment. Je me considère sans doute surtout comme un loup solitaire qui a appris à lire, à écrire et à compter. En affaires, j’ai dû m’entourer et apprendre à travailler en meute. Vaille que vaille, j’ai toujours fait de mon mieux pour mes enfants, pour mes employés et pour mes précieux clients. J’ai longtemps été une femme tellement sérieuse. Aujourd’hui pourtant, à 78 ans, j’ai tendance à batifoler, à faire la folle, tout en demeurant un tantinet sérieuse. »
— « Nous savons tous que votre dada, c’est l’écriture. Au début de la pandémie, vous avez commencé à publier une lettre chaque dimanche et nous constatons que vous n’avez jamais cessé. Allez-vous finir par arrêter? »
— « Je vous le jure, j’ai besoin d’écrire pour exprimer mes émotions et surtout pour élaguer mes obsessions. Je désire continuer jusqu’à ce que mon cœur arrête de battre. Tellement de fourmis trottinent encore entre mes lignes. Je veux vider ma caboche. La dernière fois, vous m’aviez demandé si je préférais dessiner ou écrire et j’avais oublié de vous répondre. Je préfère écrire, mais j’aime aussi dessiner, surtout des fruits, des fleurs et des oiseaux exotiques de toutes les couleurs. Et des hiboux, comme vous le savez déjà! »
— « Qu’est-ce qu’on peut offrir à une femme comme vous, qui ne manque de rien? »
— « Tricotez-moi si possible quelque 22 nouvelles années pour que, moi aussi, comme notre fameuse Janette Bertrand, je puisse fêter mes 100 ans. Trouvez-moi un amoureux digne de ce nom! Un homme doux, gentil, instruit qui aime beaucoup, comme moi, aller au cinéma. Je ne désire rien d’autre ici-bas que de conserver dans mon cœur cette divine providence qui m’a toujours aidée. »
— « Que diriez-vous à un potentiel beau prétendant? »
— « Avec maintenant plusieurs kilos de maturité derrière mon tablier, je me tairais d’abord et j’écouterais religieusement ce que l’homme aurait à me dire pour me séduire. J’étudierais son allure, un tantinet sa vêture, ses souliers bien frottés et la petite odeur de parfum cachée derrière ses oreilles. Presque chaque matin, lorsque j’écris chez McDo, je me rince l’œil! J’ai le choix des colosses qui viennent passer leur commande à l’intérieur, sur de fortes jambes, au lieu des paresseux qui utilisent la commande à l’auto. Je badine, je rigole. L’appétit vient en mangeant! »
— « Justement, plaisantons un peu! Si vous étiez un légume, lequel seriez-vous, et pourquoi? »
— « Chère dame Isabel, si j’étais un légume, pour sûr, je serais un joli blé d’Inde. Jaune comme mon soleil jaune Cora, bourré de vitamines, de phosphore, de magnésium et de potassium. Avec ma belle chevelure au vent, je me tiendrais debout dans les champs jusqu’à complète maturation. Puis, lorsqu’on me cueillerait tout doucement sous la lumière étincelante du mois d’août, peut-être pour une épluchette, je deviendrais immanquablement la reine du jour! Chaque légume devrait vivre son heure de gloire! »
Cora
♥️
Rendement : 6 pancakes
Ingrédients :
1 tasse (200 g) de mélange gaufres/pancakes
1 tasse (250 ml) d’eau
30 ml (2 c. à soupe) de beurre fondu ou d’huile végétale
2 fraises coupées en tranches de 6 à 8 mm
16 à 20 bleuets
1 kiwi coupé en 6 tranches de 6 à 8 mm
Décorations : Aucune
Méthode :
Préchauffer une poêle antiadhésive légèrement huilée à feu moyen.
Fouetter vigoureusement le mélange et l’eau. Ajouter le beurre ou l’huile et mélanger jusqu’à homogénéité.
Verser environ ¼ tasse (60 ml) dans la poêle. Ajouter une sorte de fruit par pancake. Retourner quand le dessus est encore légèrement humide.
Cuire jusqu’à ce que le pancake soit doré.
Répéter les étapes 3 et 4 avec le mélange restant en ajoutant une sorte de fruits par pancake.
Servir 3 pancakes dans une assiette et déguster.
Bon appétit!
Plus j’avance en âge et plus j’ai envie de sauter les clôtures du gros bon sens. Je prends conscience que mon temps ici-bas s’achève. Déjà, j’imagine quelques scénarios. Mes genoux qui craquellent, mes doigts qui grimpent les uns sur les autres, mes affreux oublis et ma mémoire qui devient une réelle passoire.
Au quotidien, je sème quelques graines dans mon cervelet mollet et rien ne pousse. J’essaie d’écrire, je cherche de jolis mots, quelques belles phrases ou une nouvelle histoire à vous raconter. J’avance et j’implore les anges. L’écriture pourrait-elle encore être ma prière matinale?
Très tôt, très souvent au café, j’écris comme si je n’allais jamais mourir. Aujourd’hui (le 11 mai 2025), je célèbre la fête de toutes les mères et je me demande où sont mes trois enfants. Tous dans la cinquantaine, ce sont peut-être leurs rejetons qui, en fin de journée, me diront « Bonne fête des Mères, grand-mère! ».
Ainsi va la vie. Mon âge s’affaire à grimper plus haut que les nuages. J’essaie de rester forte, j’en perds des bouts. Je vis au gré de ma météo avec mes brouillards et mon beau temps cachés en dedans de moi.
J’observe le gazon tout jaune de pissenlits, l’eau trop froide de la piscine, deux marmottes sous ma galerie, quelques jeunes chevreuils grignotant ma haie de cèdres. Dehors, sur mon toit en pente, quelques corneilles s’agrippent et s’agitent, braquant leurs yeux sur un petit chardonneret jaune aux ailes noiraudes. Vite, j’enfile mes vieux bottillons et je remplis toutes les mangeoires de graines de tournesol. L’oiseau jaune construira-t-il son nid tout près des grandes fenêtres de ma cuisine? Suis-je en contrôle de la situation? J’ai quelquefois l’impression que le quadrilatère de ma grande maison rapetisse à vue d’œil. Plus je lis, plus les livres s’empilent, et plus j’oublie la thématique de chaque étagère.
Chaque matin, j’écris pour que ma vie vaille encore la peine d’être vécue. Mère sans père, accro aux mots, j’ai toujours un calepin à portée de main, un ou deux stylos qui ne tachent pas les doigts, des notes, des milliers de notes à me rappeler, à recopier, à peaufiner. Mon esprit emprunte des routes imprévisibles; une succession inédite de lignes se dirigeant toutes vers l’empire du silence. Vivrai-je encore longtemps? J’aimerais m’endormir dans une immense forêt de sapins. Dos au sol, je respirerai le sublime parfum des arbres. Sans larmes, ni peur, ni remords, simplement devenir quelque pitance pour les verres de terre.
Pour moi, vivre est un plaisir qui commence à ressembler à un début d’inquiétude. Fini les longs voyages en Mini, les départs improvisés, les arrivées épuisées. J’espère encore pouvoir imaginer tout ce que je n’ai pas vécu. Même l’amour, ce vagabond inarrêtable. L’aurais-je entendu s’il avait cogné à ma porte? Toutes ces années de femme d’affaires trop occupée à gagner sa croûte; toutes ces réussites m’auraient-elles privée d’amour? Même avec mon nom affiché en grosses lettres sur plus de cent quarante devantures, qui se souviendra de moi?
Écrire, je vous le jure, demeure l’acte par excellence pour amadouer le brouillard mental de mon esprit. Depuis plus de cinq ans, j’écris pratiquement chaque jour, souvent aussi en soirée et dans mon lit la nuit lorsqu’un mauvais rêve me réveille en sursaut. Je ne bois que de l’eau la nuit pour que coulent mes idées.
J’ai souvent l’impression qu’avancer dans une histoire provoque en moi quelques trémolos de plus en plus difficiles à cerner. Parfois un titre s’impose, une ligne énigmatique s’échappe de ma tête, un souvenir à moitié déterré surgit de mon enfance en Gaspésie.
Je creuse, j’explore, je cherche du temps pour allonger mon existence. Je ne suis peut-être qu’une vieille ardoise, mais en excellente santé malgré les aléas d’une mémoire qui n’en fait qu’à sa tête. J’ai encore tellement à dire avant de prendre le large. Tellement de questions à élucider, tellement de monde à remercier de m’avoir aimée.
Cora
♥️
Depuis cinq ans, je vous ai raconté ma vie. J'ai partagé avec vous mes meilleures recettes et mes grands succès. Je n’ai pas non plus lésiné sur les détails concernant l’échec de mon mariage. Je vous ai aussi parlé de mes voyages et de l’ordinaire que j’ai endimanché avec mes mots. Je vous ai avoué que je cherche encore et toujours le grand amour, même dans les agences de rencontre!
J’ai écrit sur tout ce que je souhaite compléter avant de m’envoler. Il me reste encore quelques secrets que j’ai pleurés tellement de fois. Vous les dévoilerais-je avant d’accrocher ma plume?
Toutes ces larmes glacées, tous ces horribles mots venant de l’époux, me tuaient à petit feu. Je n’avais pas trente ans et ma vie tournait uniquement autour de lui, de trois enfants et plusieurs déménagements qui nous avaient menés ici et là dans des logements bourrés de coquerelles. J’avais peur la nuit lorsque le plus jeune se réveillait et braillait. Je savais qu’une armée de blattes dansait sur le plancher de la cuisine et j’évitais d’allumer une lumière pour ne pas les voir en réchauffant le lait pour le biberon.
Quant à l’homme, joueur, danseur et buveur, je m’inquiétais lorsqu’il arrivait aux petites heures du matin. Lui resterait-il un peu de force pour transporter les enfants dans leurs lits? Immobile, les yeux fermés, mon corps lui tournant le dos, je feignais de dormir. Je ne pensais qu’à m’enfuir de cet affreux mariage qui me privait de ma langue maternelle, de la lecture et de l’écriture qui me manquaient tant.
Comme l’homme dormait jusqu’à midi, j’habillais et nourrissais les enfants presque en silence, et hop, chaque matin, nous dégringolions les trois étages miteux de cet affreux triplex avec le tout-petit bien attaché dans sa poussette. Mon cœur en lambeaux et mon âme aussi vide qu’une église païenne, j’essayais de sourire. Même lorsqu’une voisine me disait bonjour, j’avais juste envie de pleurer tellement mon malheur me pesait.
Fin septembre, peut-être début octobre, mes règles se dérèglent. Je connais les premiers symptômes par cœur. L’angoissant retard du sang, mes petits seins gonflés et sensibles, les nausées, la grande fatigue et mon ventre qui se bombe un tantinet. Je calcule péniblement les jours : 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33… J’attends le sang qui n’arrive pas. Comme avant. J’ai mal au cœur, mal à mon corps, et ma tête étourdie se doute qu’une nouvelle vie s’agite en moi. Je ne dis rien à ma mère ni à mon père, et surtout rien à ce bon à rien qui s’en contrefiche certainement. J’essaie bien de me cacher, mais mes trois petits m’entendent sangloter. « Pourquoi tu pleures, maman? », me demande ma fillette. Je crains d’être enceinte une fois de plus et j’ai juste le goût de pleurer. Vais-je en parler à l’homme qui ne me regarde jamais? Il entre son arme en moi et me trucide chaque fois.
J’écris ces lignes ce matin et je ressens encore mon désespoir d’autrefois. Prétextant une douleur au sein gauche, j’attends le samedi pour que ma belle-sœur Maria puisse garder les enfants quelques heures. Même sans paroles, elle sait bien de quoi il s’agit. Elle-même s’est rendue au gros hôpital, et a étendu son corps sur une table de métal glacé.
Le mari toujours endormi, je me prépare à pas de souris. Je m’assure d’avoir en main ma carte d’assurance maladie et d’être à jeun 8 heures avant le rendez-vous fatidique. Je bourre une grosse sacoche de vêtements amples et un haut à manches courtes pour la piqûre au bras. J’apporte aussi trois ou quatre grosses serviettes hygiéniques et un paquet de vieilles guenilles propres.
Lorsque je quitte le triplex, je verse toutes les larmes de mon corps. J’ai presque envie de changer d’idée, mais lorsque je touche le trottoir, je marche courageusement jusqu’à l’arrêt d’autobus. Arrivée à l’hôpital, une infirmière m’installe dans une petite chambre et me demande de remplir un long questionnaire sur mon état de santé. Lorsque la femme revient, elle me fait une prise de sang ainsi qu’une échographie pour évaluer le stade de la grossesse, puis elle m’explique le déroulement de l’intervention. J’ai déjà subi un avortement, en Grèce, à peine un mois après avoir donné naissance à mon plus jeune fils. Le vieux médecin qui avait effectué mon examen de suivi d’accouchement avait dévoilé ma grossesse au mari et, de connivence avec lui, m’avait endormie pour m'avorter. Cet embryon avait été retiré sans mon consentement.
Cette fois, j’ai pleinement conscience de ma décision. Elle torture autant mon esprit que mon cœur. L’infirmière écoute mes préoccupations et répond à mes questions. Je pleure, j’ai honte, je veux m’enfuir, je veux mourir, mais comment pourrais-je abandonner mes trois petits? J’enfouis ma tête sous l’oreiller et j’arrête de respirer.
Lorsqu’une nouvelle infirmière arrive et m’informe qu’elle doit prendre mes signes vitaux, elle m’installe un petit tube dans une veine. Elle m’explique qu’elle m’injectera des médicaments contre la douleur et un calmant; elle me conforte et m’informe que je ne serai pas endormie, juste un peu « gazée ».
J’ai soudainement très peur lorsqu’un homme tout de blanc vêtu, un médecin, je suppose, entre dans la pièce. Il s’approche de mon corps. L’infirmière m’explique que le médecin va geler le col de l’utérus, ce passage par où le bébé sort normalement au moment de l’accouchement.
Je sais trop bien que ma situation n’est pas idéale pour mettre un autre enfant au monde. Je sais aussi, ma belle-sœur me l’a dit, que le médecin spécialiste introduira un petit tube de plastique qui ressemble à une paille pour aspirer le contenu de mon utérus. Je pleure, j’ai peur, je m’en veux d’avoir peut-être oublié la petite pilule que je devais avaler chaque matin.
À peine la procédure terminée, on me transfère dans la salle de réveil pour une petite heure. Une infirmière vérifie mon rythme cardiaque, ma pression, mes saignements et si l’effet des calmants et des médicaments antidouleurs pouvant diminuer mes réflexes et ma concentration s’est atténué. On me suggère fortement d’être raccompagnée à la maison. Moi, je surveille l’horloge et j’angoisse à l’idée du trafic et des autobus bondés en fin d’après-midi et du mari qui cherche peut-être où je suis. Même s’il ne se soucie aucunement de moi, il remarquerait mon absence. Je m’habille lentement, mettant dans ma culotte deux serviettes hygiéniques et une guenille.
Toute seule, je descends lentement le grand escalier de l’hôpital. Je sors et je marche à petits pas jusqu’à l’arrêt d’autobus. Comme je dois lui sembler un peu fatiguée, une jeune fille m’offre son siège. Durant le trajet, je passe par toute la gamme des émotions. Arrivée devant le triplex, je manque de courage, je m’effondre. Mais je dois me ressaisir avant que quelqu’un ne me remarque, ou pire, que le mari s’en aperçoive.
Épuisée et m’agrippant à la rampe, je gravis une par une les marches qui mènent à l’appartement. J’appelle ma belle-sœur pour l’aviser que je suis de retour et qu’elle peut me ramener mes enfants. Je prends une grande respiration et j’avale ma douleur. J’enferme cette journée dans un tiroir de ma mémoire; un tiroir que j’ouvre peu puisqu’un atroce grincement de souffrance se fait entendre chaque fois.
Cora
❤️
Avant de m’envoler, arriverais-je à extraire mon cœur de son écrin de chagrin? J’ai été femme, puis homme pour ma descendance, et me voici, ni l’une ni l’autre pour moi-même. J’ai quelquefois l’impression que mon cœur pourrait cesser de battre, comme si un ange allait enlever les piles. Je ne tiens qu’à un fil, et je n’ai qu’une toute petite idée de ce à quoi l’éternité ressemblerait. Je m’agrippe à cette conception de durée qui n’a supposément ni commencement ni fin.
Avant de m’envoler, je bénirais mes trois rejetons. Une fille et deux garçons, tous dans la cinquantaine aujourd’hui. Ils sont ma raison de vivre, ma joie, mon bonheur et mon héritage ici-bas. Ils m’ont donné quatre petits-fils et deux petites-filles, ainsi que deux arrière-petits-fils. Quel immense bonheur ce sera pour moi de les voir bientôt sauter dans la piscine de leur arrière-grand-mère!
Avant de m’envoler, peut-être devrais-je me réconcilier avec le géniteur de mes enfants. Surtout, lui pardonner ses bêtises, ses manquements d’amour et sa totale ignorance du droit chemin. Comme je sais que cet homme de 91 ans vit encore dans son village natal, je devrais au moins le contacter, lui dire quelques bons mots et lui pardonner.
Avant de m’envoler, je vais prendre le temps de recopier au propre toutes mes meilleures recettes de gâteau : le sachertorte, le citron-pavot, le Reine Elisabeth et le fameux double chocolat bourré de noisettes! De nos jours, les noisettes sont rares et coûteuses, mais heureusement, j’en trouve des fraîches chaque samedi de l’été au marché de Val-David, dans les Laurentides. J’en profite pour faire le plein; deux gros pots Mason que je conserve à la noirceur dans l’armoire du haut. Cet été, j’ai d’ailleurs l’intention d’amener mes deux arrière-petits garnements à Saint-Ambroise-de-Kildare pour qu'ils puissent eux-mêmes cueillir des noisettes et de les regarder se bourrer la fraise.
Avant de m’envoler, j’aimerais encore dessiner. Oui, oui! La femme d’affaires que j’étais jadis transportait toujours son assortiment de crayons noirs bien aiguisés et un coffret de 48 couleurs. Étrangement, j’aimais surtout dessiner des poissons, des hiboux et quelquefois des visages. Assise à ma table de cuisine, je contemple un magnifique hibou crayonné par mes mains il y a plusieurs années déjà. Peut-être devrais-je songer à recommencer.
Avant de m’envoler, il faudrait sans doute que je désembourbe mes garde-robes, mais à force de vivre en bonne santé, je badine, je rigole, je conserve tous ces vêtements colorés auxquels je suis très attachée. Chaque matin, j’enfile du rose ou du jaune, un petit peu de bleu sur mes yeux et du mauve grâce à mes nouvelles barniques.
Avant de m’envoler, je souhaiterais prendre mon temps pour faire mes adieux aux merveilleux paysages que j’ai tant aimés. À ma splendide Gaspésie, à mon village natal, aux falaises rouges escarpées, aux baleines du bas du fleuve et aux milliers de goélands avec lesquels, jeunette, je conversais. Encore une fois, j’insisterais pour revoir le Rocher Percé, le traverser à marée basse, le toucher, le caresser probablement pour une dernière fois.
Avant de m’envoler, traverserais-je encore quelques océans? J’ai visité la France, l’Italie, le Danemark, la Suède et la Norvège et j’ai habité la terrible Grèce d’où venait l’époux. J’ai aussi marché deux grosses heures sur la grande muraille de Chine et, trois ans plus tard, j’admirais les cerisiers en fleurs et le plus vieux village du Japon. Ayant tant de fois bourlingué à travers notre grand Canada pour y planter plus d’une centaine de restaurants, encore et toujours, je me réjouirais d’inaugurer chaque nouveau resto!
Avant de m’envoler, je voudrais tellement tomber en amour pour vrai. Trouver l’homme de mes rêves, celui qui nous construirait une petite île dans nos têtes; là où nos âmes sœurs se rencontreraient gaiement.
Avant de m’envoler, j’implorerais les anges pour que mes parents me reconnaissent et m’accueillent à la grande porte du ciel. Je leur confesserais mes péchés, mes bévues, mes torts, mes remords et, je l’espère, on me laisserait entrer au paradis.
Généralement, lorsque j’écris assise à ma table de cuisine, je ne réponds pas au téléphone. Mais ce jour-là, ce 24 mars 2025, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai répondu. C’était ma bonne amie des Hautes-Laurentides qui m’informait que son époux adoré venait tout juste de mourir d’un affreux cancer qu’il combattait depuis presque dix mois. Je ferme immédiatement l’iPad et je pleure à gros bouillons. La mort, cette affreuse faucheuse, nous guette jour et nuit.
Cora
❤️
Ce matin, je ravive pour vous un autre souvenir de mon enfance. Mon père avait profité du long week-end de l’Action de grâce pour contenter frérot qui voulait voir un ours, « un vrai », avant que la neige ne se mette à blanchir le décor. Papa a demandé à notre oncle Gaston si nous ne pourrions pas emprunter son « shack », en plein cœur de la forêt, pour nous rapprocher de la nature. Et des vrais ours.
La valise familiale débordait de lainages de toutes sortes, de jaquettes en grosse flanelle, de doublures en feutre pour les bottes et chaque marmot portait son parka boutonné jusqu’au cou. Nous étions entassés dans la bagnole et nous avions hâte d’arriver. Puisque le « shack » n’avait ni eau courante ni électricité, maman avait préparé et placé les victuailles dans une glacière et une grosse boîte à lunch en métal pour éviter de répandre trop d’odeurs de nourriture autour du camp.
Papa immobilisa enfin la voiture, maman décolla la toute petite de son sein et frérot sortit en vitesse. À peine arrivés, il fallait d’abord explorer les lieux, une mission que frérot lui croyait destinée. « Attends ton père avant de rentrer là-dedans! », avertit maman. Les deux hommes entrèrent pour faire le tour et s’assurer que c’était sécuritaire pour notre famille. En mettant le pied dans la baraque, nous avons rapidement constaté que le « shack » consistait en une seule grande pièce avec un poêle à bois rafistolé, probablement par oncle Gaston, dont le tuyau, agrippé au plafond, sortait par un trou percé dans le mur au-dessus de l’unique porte, et un pot en tôle avec un couvercle pour les besoins trônant dans un coin. Dans le coin opposé, on trouvait un seul lit double dans lequel seraient cordés les trois enfants au centre, flanqués d’un parent de chaque côté pour éviter qu’un de nous tombe sur le sol durant la nuit. Le bébé dormirait dans un moïse prêté par la voisine, attaché à une chaise et placé près de l’oreiller de maman.
Sœurette avait la tête enfouie sous un oreiller et moi, à quatre pattes sur le plancher, je bougeais désespérément le berceau pour essayer d’endormir la toute petite qui braillait à s’en arracher les poumons.
À mesure que la noirceur gagnait du terrain dans la cabane, maman accélérait le pas. Marchant de long en large, elle tempêtait contre notre père. Comment avait-il osé sortir sans la prévenir? Pourquoi avait-il entraîné son seul garçon dans la nuit qui s’installait sans crier gare?
— « Il voulait inspecter les lieux », que je lui répondis calmement, même si la question ne m’était pas réellement adressée. « Il voulait être prêt pour demain matin ». Mes mots ne suffirent pas à la rassurer. Maman fixait le fusil dans son étui, accoté au mur. « S’il fallait qu’il en ait besoin! », murmura-t-elle, inquiète.
Papa et frérot ne revenaient pas. La nuit s’annonçait infernale! Quand les pleurs de la plus jeune finirent enfin par s’apaiser, c’est le grognement d’un ours qui capta l’attention de nos oreilles pourtant assez éprouvées. Apeurées, nous entendions clairement le bruit des griffes contre la porte d’entrée. Maman avait pourtant ramassé jusqu’à la dernière miette du pain ayant servi aux grosses beurrées à la mélasse que nous avions dévorées avant d’enfiler nos jaquettes. Terrifiée, elle poussa la table contre la porte. Elle grimpa sur une chaise et recouvrit la seule fenêtre du campement avec son manteau, puis ordonna à ses deux fillettes de la rejoindre dans le lit.
Elle voulait prier, me dit-elle; mais sa gorge restait nouée. Au lieu de réciter des mots, elle avalait de longues gorgées d’angoisse. Ses paupières papillonnaient d’effroi. Ses mains, facilement la proie de l’eczéma, devinrent toutes rouges.
Je devais être âgée d’environ 6 ans et je savais écrire des mots. Dans ma naïveté enfantine, j’ai pensé à en écrire partout sur les murs avant d’être dévorée par l’animal qui rôdait autour du « shack ». Agenouillée devant le lit, maman ne parlait plus, mais avec ses bras et ses mains, elle insistait pour que nous restions collées à elle. Je suis demeurée dans les bras de ma mère un si long moment que je me suis crue au paradis, même si la peur que nous vivions était infernale. La chaleur de son corps avait réussi à nous calmer et sans que nous nous en rendions compte, le sommeil s’est étendu dans le lit tel un édredon de rêves. Peut-être nous guiderait-il vers une clairière de bleuets sauvages? Ou sur la grève chaude de la Baie-des-Chaleurs? Ou sinon chez tante Hope, qui habitait à Saint-Alphonse et qui nous laissait caresser ses gentils moutons?
À l’aube, c’est papa en personne qui réveilla notre campement. Frérot croulant de fatigue, mais encore rempli d’excitation, insistait pour nous raconter leur nuit dans un arbre! Haute comme trois pommes, sœurette l’applaudissait comme on le fait pour un héros. Elle aussi, voulait voir un ours!
Notre séjour a été écourté. Très peu de mots ont été échangés, mais comme toutes le filles du clan avaient vécu la frousse de leur vie, les deux gars ne se sont pas objectés. Le lendemain de notre retour, comme tous les dimanches après-midi, papa reprendrait la route avec sa valise de commis voyageur et ses échantillons de petits savons. Heureusement pour leur union, il quittait chaque dimanche en tournée autour de la grosse pointe gaspésienne pour rentrer le vendredi soir. La distance sauvait nos parents, comme le mur de Berlin érigé entre deux partis séparés. Les silences de maman, plus difficiles à vivre que des représailles, s’avéraient la pire des tortures pour papa. Les mains de maman se couvraient alors d’eczéma qui la faisait souffrir et papa avait le cœur qui baignait dans une saumure aigre. Nous, les enfants, ignorions tout de la vie, de leurs vies, de l’amour et du réconfort que procure habituellement la famille. Leurs larmes, versées en silence et à l’abri de nos regards, sauf quand nous arrivions par surprise, emplissaient notre maisonnée de tristesse. Le plus douloureux, c’était leur silence; comme un garde-fou qui doit essayer de nous éviter le pire.
C’est seulement beaucoup plus tard, à la suite de leurs décès arrivés à court intervalle en 1982, que j’appris la raison derrière la lourdeur de leurs chagrins. Maman, en tant que fille, était amoureuse d’un jeune protestant anglophone. Mais, puisque sa famille et le curé du village lui avaient interdit de l’épouser, elle dut rompre avec l’amour de sa vie. Mon grand-père avait neuf filles à marier. Quand il rencontra celui qui allait devenir mon père, il trouva que c’était un bon parti, propre de sa personne, bien habillé, travaillant et surtout épris de sa fille, celle qui avait déjà le cœur brisé. Sous l’insistance paternelle, ma mère épousa mon père. Elle vécut triste et mélancolique la majorité de sa vie après son union. Très tôt après le mariage, elle développa une forme sévère d’eczéma qui lui rongea les mains. Mon père, quant à lui, se révéla être le meilleur des hommes, courageux, responsable et tellement épris de sa femme qui restait de glace que les vieux du village se moquaient de lui.
Je conclus cette triste histoire en vous avouant que je n’ai pas fait mieux qu’eux dans les eaux matrimoniales. Divorcée endurcie, je cherche encore le baume capable d’apaiser mes blessures. Moi aussi, mariée obligée, j’ai assombri la vie de mes jeunes enfants en demeurant dans un mariage sans amour ni affection. Mais j’ai espoir. J’ai beaucoup d’espoir pour mes petits-enfants qui sauront, j’en suis certaine, se libérer des malheurs de leurs ancêtres et construire librement leur propre bonheur.
Cora
❤️
Rendement : 6 gaufres
Vaisselle :
Mini gaufrier de 10 cm
6 bâtons de popsicle en bois
Ingrédients :
1 tasse (200 g) de mélange gaufres/pancakes
1 tasse (250 ml) d’eau
30 ml (2 c. à soupe) de beurre fondu ou d’huile végétale
600 g de chocolat (70 % de cacao au minimum)
90 ml (6 c. à soupe) de beurre d’arachides
90 ml (6 c. à soupe) de confiture de framboises
Décorations : Arachides concassées
Méthode :
Préchauffer le gaufrier légèrement huilé.
Fouetter vigoureusement le mélange et l’eau. Ajouter le beurre ou l’huile et mélanger jusqu’à homogénéité.
Verser 60 ml (1/4 de tasse) du mélange à gaufres dans le gaufrier et placer le bâton de bois dans le mélange en vous assurant que le mélange couvre le bout du bâton.
Cuire jusqu’à ce que la gaufre soit dorée.
Répéter les étapes 3 et 4 avec le mélange restant.
Faire fondre le chocolat au micro-ondes ou au bain-marie. Mettre le chocolat dans un récipient assez profond et assez large pour le trempage.
Sur un côté de chaque gaufre, badigeonner les 2/3 de la surface de beurre d’arachides et de l’autre côté, 2/3 de confiture de framboises.
Tremper les gaufres dans le chocolat et laisser égoutter le surplus. Ensuite, tremper les gaufres dans le concassé d’arachides.
Placer les gaufres sur une assiette tapissée de papier parchemin et laisser refroidir au réfrigérateur pendant une quinzaine de minutes.
Bon appétit!
Le temps de quelques lignes, je vais me blottir dans le passé, dans un précieux souvenir d’un après-midi au parc avec Paul. J’avais vingt-sept ans et, depuis sept ans, j’étais l’épouse d’un mari horrible. Paul complétait son doctorat en génie aérospatial. Nous nous étions croisés par hasard dans une bibliothèque de Montréal où j’allais parfois lire loin des regards indiscrets de ma belle-famille. Je lisais en cachette du mari qui m’interdisait de lire et d’écrire. Dans sa tête, calcinée de prétentions et durement forgée par ses succès militaires, il vivait en retard de quelques siècles sur la civilisation. Il ignorait le respect, la bienveillance et l’amour véritable. Je me cachais pour tenter de survivre un tantinet normalement.
Lorsque j’ai vu Paul s’approcher de ma table, mon cœur s’est tout de suite mis à trembloter. Avant cet instant, notre dernière rencontre autour d’un immense feu de joie remontait à l’adolescence. Paul n’était pas un ami proche, mais plutôt mon partenaire de tennis occasionnel dans la ville où nous habitions. J’étais trop jeune et trop naïve pour réaliser ce que signifiait l’étrange courant électrique qui nous ébranlait lorsque nous ramassions ensemble une balle ou que nous nous serrions la main en imitant les pros, à la fin d’un match. J’avais peut-être quinze ou seize ans, j’étais ignorante et troublée lorsque je sentais les yeux de ce jeune homme de bonne famille sur moi. Tout ce dont je me souvenais de Paul en plongeant mes yeux dans les siens, une décennie plus tard, c’était ce fameux feu organisé par la municipalité à la fin de l’été. Il ne me restait qu’une brève souvenance de son regard rivé sur moi au travers des flammes ardentes. Nous étions assis autour du feu, un en face de l’autre. Quelque chose en moi brûlait comme la bûche dans la flamme. Était-ce ma tête ou mon cœur? Durant toutes ces années qui ont suivi, j’ai voulu ressentir à nouveau, ne serait-ce qu’une seconde, la chaleur de ce feu. Assise à la table de la bibliothèque, mes mains peinaient à tenir mon livre.
Paul m’avait-il reconnue? Il a soudainement reculé sa chaise, s’est levé et s’est tourné vers moi. De sa bouche est sorti un sublime « Tu es encore plus belle qu’autrefois! » J’ai cru m’évanouir; mes jambes s’enlisant dans des sables mouvants et mon cœur sortant de ma poitrine en courant. Il faut comprendre qu’à ce moment de ma vie, c’est une femme complètement démolie, inapte à répondre à cette immense douceur qui se tenait devant lui. Mes lèvres tremblaient, incapables de prononcer un seul mot. « Ça te dirait de prendre une marche au parc La Fontaine? », me demanda Paul. En bafouillant, je l’ai suivi. Pour traverser la rue, il a candidement pris mon bras et il me semble avoir eu l’impression qu’un courant électrique transperçait nos corps, comme dans le temps. Il devait l’avoir ressenti lui aussi, car en foulant l’herbe du gazon, il s’est empressé de me dire qu’il était fiancé, avec une actrice, par-dessus le marché.
Paul était désormais un homme et une personne splendide. Aussi beau que mon docteur Jivago! La tête haute, je le suivais vers le lac, mes yeux faisant de leur mieux pour refouler un océan de chagrin. Ma vie de couple me tuait à petit feu. J’étais prisonnière de l’affreux mari et de mes enfants chéris qui n’avaient que moi à aimer. Mes bébés me nourrissant de petites cuillerées d’amour enfantin. Leurs sourires me gardaient en vie.
Nous nous sommes assis sur un grand banc de parc, à une certaine distance l’un de l’autre. Paul m’a consolée sans le savoir en me disant qu’il m’avait cherchée pendant longtemps. Il ne savait aucunement que j’avais moi aussi fait de grandes études. Il ignorait que j’avais dû épouser le père d’un premier enfant arrivé inopinément et que j’avais donné naissance à deux autres enfants après le mariage.
Comme s’il sentait ma peine, Paul prit ma main. Il me redit à quel point il me trouvait jolie, et comment son cœur de jeune homme faiblissait lorsqu’il avait une pensée pour moi pendant toutes ces années. Même s’il m’avait vite fait part de ses fiançailles, il eut la délicatesse d’éviter de me parler de sa dulcinée. J’ai simplement appris qu’ils allaient déménager aux États-Unis pour de meilleures possibilités d’avancement. Tout allait bien pour lui et je devais m’en réjouir.
J’allais bientôt devoir partir pour aller chercher les enfants à l’école. Paul a voulu que je lui laisse mon adresse, mais j’ai refusé. Dans l’autobus qui me conduisait vers l’école des petits, j’avais le cœur brave. J’ai compris que Paul m’aimait; ne fut-ce qu’un seul après-midi d’été. Il s’était intéressé à moi, dans le passé comme dans le présent. Contrairement à ce que me réservait le mari, Paul m’avait complimentée; avouant qu’il me trouvait encore plus belle que l’innocente jeune fille de jadis.
Cora
❤️
Mon premier-né a les doigts maculés de couleurs vives. Il peine, il peint à cœur de jour, cherchant une teinte capable d’endormir ses tourments. Quelques fois, il m’envoie la photo d’une toile plus noire que l’obscurité abyssale et il me demande si j’y vois un dragon. Un quelconque pèlerin perdu dans le bois? Un bateau à la dérive? Ce premier fils est un artiste, il voit des choses avant qu’elles n’existent.
Ce grand garçon de plus de cinquante-sept ans peut passer une semaine entière à coiffer la houle d’une mer agitée, caressant chaque vague qui déferle ou qui se brise sur le rivage. Jouant avec dix teintes de bleu, sa patience est comparable à celle d’un moine bouddhiste. Et moi, d’un jour à l’autre, j’assiste à l’élaboration d’une ébauche qui dure quelques fois jusqu’à plusieurs mois.
Nous avons cela en commun : l’ébauche, tel un premier jet, une forme encore imparfaite que l’on donne à l’ouvrage. Mes brouillons de textes et ses dessins sont très semblables. Ils s’aventurent tous vers un commencement. Un titre éphémère au départ, puis une première couche de couleur, ou une suite de phrases filées, emprisonnées sous une montagne de doutes et d’hésitations.
Les agencements de mots s’avèrent moins salissants que la peinture, mais leur signification met plus de temps à aboutir. Comme des enfants indisciplinés dans une cour d’école, sujets, verbes et adverbes doivent attendre que la cloche sonne pour avancer en ligne droite. Bien souvent, la récréation dure plusieurs jours dans ma tête. Les phrases titubent et louvoient sur une patinoire glissante. J’attends. J’en souffre et je doute de mon talent. J’implore dame créativité de venir à mon secours.
Toi et moi, fils chéri, nous avons commencé nos carrières artistiques sur le tard. Avec nos têtes blanches aussi fougueuses qu’une tempête de neige, nous n’avons ni besoin de savoir qui nous sommes avant de nous lancer ni besoin d’anticiper un quelconque aboutissement. Nous aimons créer, mélanger le rouge et le bleu pour en faire du mauve. Nous exploitons tout ce qui nous inspire; les belles maximes, les livres, les chefs-d’œuvre des maîtres, les citations inspirantes, les conversations entre amis, nos rêves et tout ce qui parle à nos âmes la nuit.
Moquons-nous un peu de Picasso et faisons semblant d’être à sa hauteur! Profitons de ce qui nous nourrit, de tout ce qui nous donne à penser que nous progressons. Faisons confiance à dame inspiration; cette veine nourricière qui alimente la toile et le texte.
L’artiste, fils chéri, se découvre en travaillant, en priant, en enfonçant les touches d’un clavier ou en caressant mille et une fois le même paysage. Il expérimente, il pratique et patauge dans les esquisses des maîtres, imitant ici et là, jusqu’à ce qu’il découvre sa propre singularité, son art. C’est souvent lorsqu’on échoue à copier parfaitement ses idoles qu’on découvre sa propre voie.
Construisons chacun notre propre univers avec quelques vaillants pigeons voyageurs accoudés à chacune de nos fenêtres. Échangeons textes, textos, photos, idées saugrenues, couleurs inusitées et inspirations divines. Et prenons l’air. Respirons à pleines goulées. Le cerveau s’endort s’il reste toujours dans son lieu habituel. La distance et la différence de paysage stimulent l’imagination. Il paraît même que le mauvais temps stimule l’artiste.
Cher fils, sois spartiate, car tout avoir est nuisible à la créativité. Aie confiance en ton ouvrage, au moment magique et indescriptible où un certain coup de pinceau illuminera ton tableau. Savoure cette fraction de seconde où tu expérimenteras la félicité, la surprise et l’émerveillement; cet instant où toutes les forces de l’univers ne feront qu’une et où tu verras ce que personne d’autre ne verra.
Sache que cet instant d’euphorie est comme une drogue. Lorsqu’on y a goûté, on tente à tout jamais de retrouver cette seconde de pure allégresse. Tu dois d’ailleurs savoir que la créativité nécessite 95 % de travail ardu et 5 % d’inspiration magique. La créativité représente un ensemble de compétences que l’on peut arriver à maîtriser en y mettant du temps.
Je tape sur le clavier pendant d’inlassables heures, essayant de construire une phrase époustouflante. J’espère et je prie; quémandant les muses et la grâce du métier. Très cher fils, j’aspire, moi aussi, à ce rare moment de génie où l’imprévisibilité ouvrira la porte à la possibilité.
N’est-ce pas ce que nous sommes en train de vivre, tous les deux? Tu peins le tableau que tu voudrais accrocher dans ton salon. J’ai publié le livre que j’avais envie de lire. Il n’est jamais trop tard, disent les sages. Et moi, ta maman, je chercherai l’aigle noir caché sous tes couleurs vives jusqu’à mon dernier souffle.
Cora
♥️
Je vous l’ai déjà raconté, toute ma vie de jeune fille, je rêvais de devenir écrivaine et la gueuse de vie m’en a longtemps privé. Aujourd’hui, vieillotte aguerrie, l’écriture est l’activité qui me réjouit le plus. J’écris pour partager mon expérience, mes secrets et ma longue vie. J’écris pour semer un peu d’amour et pour en récolter un peu, beaucoup. J’écris surtout parce que je ne peux pas faire autrement.
Je tape sans relâche sur mon iPad pour apprendre à m’aimer et pour découvrir qui je suis. J’écris pour me surprendre avec toutes ces petites révélations qui surgissent; ces secrets enfouis au tréfonds de ma personne. J’écris pour prendre le temps d’amadouer l’incompréhensible de cette vie et pour insuffler un peu d’espoir dans mon cœur cabossé. J’écris pour déterrer le pire et l’occire. J’écris pour garder une trace de ma vie; pour ne pas oublier tous ces petits riens du quotidien et me convaincre que mon vécu jusqu’à présent n’aura pas été inutile. Je le fais pour tenter de savoir ce qui risque de m’arriver. J’écris surtout pour éviter les ensommeillements de mon conscient. Les mots me servent de petits remontants qui, je l’espère, me fourniront de l’encre pour encore plusieurs des années.
Je couche mes mots sur le papier pour mon plaisir et pour faire plaisir aux gens qui me lisent. Toujours, l’écriture me permet de m’exprimer et d’exposer mes idéaux. Je me prends parfois pour un gourou de la plume; créant des mondes, des situations et des mises en scène abracadabrantes, donnant aussi naissance à des personnages, mais les histoires qui naissent au bout de mes doigts se révèlent habituellement véridiques. J’écris, la plupart du temps, pour sortir de moi l’indicible vérité trop bien cachée.
Je noircis des feuilles pour rêver et muscler mon imagination. Je ne sais ni danser, ni chanter, pas plus que je ne sais flirter ou aimer. Je me console en pensant que mon dernier pouvoir magique réside dans un bel assemblage de mots. Mon écriture pourrait-elle ajouter à ce monde quelque chose jusqu’à maintenant inexistant?
Une couronne de fleurs, un trèfle à quatre feuilles, une corneille savante, mon cœur agenouillé. Mes phrases dénuées de sens, mais remplies de poésie.
Ma tête est un cirque et, pourtant, les histoires que je raconte m’aident à survivre. Écrivant dans un café ou assise à ma grande table de cuisine, je tape, je m’amuse, je bricole une histoire. J’écris pour crier que mon cœur contient encore beaucoup d’amour à donner. J’écris pour apprivoiser ma solitude, pour vivre moins triste et pour abêtir mes angoisses inutiles. Je fuis le désert de la page blanche pour me distraire avec l’indiscipline des mots. J’écris pour imaginer le paradis et sa grande porte dorée. J’écris aussi pour réfléchir tout haut aux mystères de l’univers et pour essayer d’amadouer l’incompréhensible.
Avec chaque aube naissante, je me réjouis. J’allume la lampe et j’écris dans mon lit une petite heure. Combattant le vertige d’être encore vivante, j’imagine mon cœur ronronnant d’amour. J’écris pour chasser mes peines incrustées, pour me guérir des griffures du temps et pour sauver mon histoire de l’effacement.
Je prends la plume pour titiller l’inspiration, pour contrer l’abrutissement du quotidien et aussi pour éviter l’engourdissement de mes dix doigts. Il m’arrive d’enfouir ma peine au plus profond de la page.
J’écris pour rendre hommage à dame inspiration, stimuler mon hémisphère créatif, et parce que l’action de l’écriture me procure un immense bonheur.
J’écris pour exprimer mes émotions et surtout mes obsessions.
J’écris pour rattraper ma vie galopant trop vite.
J’écris pour mettre à profit mon originalité d’être humain.
J’écris pour me rendre disponible à l’émerveillement.
J’écris pour apprendre à vivre sans travailler.
J’écris pour devenir quelqu’un de bien.
J’écris pour ne pas pleurer.
J’écris pour apprivoiser la mort.
Très chers lecteurs, n’auriez-vous point, vous aussi, quelques bonnes raisons d’amadouer l’écriture?
Cora
❤️
Le corps dans lequel j’habite commence à m’effrayer. Aurait-il atteint la limite du nombre de fois que ses cellules peuvent se régénérer? Fonctionnent-elles au ralenti maintenant qu’elles ont bientôt 78 ans bien sonnés? C’est certes le cas pour ma mémoire et mes jambes, ces magnifiques jambes qui ont jadis pratiqué le saut à la perche. Athlétiques, elles m’avaient même propulsée jusqu’à gagner une compétition intercollégiale à Montréal. Je les vois encore sautant dans les airs, longues, minces et agiles.
Lorsque je vois de jolis visages qui vieillissent derrière l’écran de ma télé, je paralyse. Mon regard rivé sur le plasma, je touche mes joues un peu dégonflées, mes lèvres qui se froissent et mes yeux reculant dans leurs orbites.
Selon moi, un des mots les plus élégants du vocabulaire à propos des gens matures est certainement « mûrissement ». Arrêtez-vous un instant pour y réfléchir. Ce magnifique mot signifie s’acheminer lentement vers la maturité plutôt que vers la déconfiture.
Avec ma manie de manger des pommes à tout bout de champ, j’en achète tellement qu’il arrive que quelques-unes ratatinent avant que je n’aie la chance de les croquer. Presque imperceptiblement, la masse corporelle du fruit défendu se déshydrate, s’affaisse, s’amoindrit, et sa peau ramollit. Même si sa chair se révèle encore bonne à la consommation, son enveloppe se détériore.
Mon visage est tout probablement à l’image de cette pomme rabougrie, mais avec de belles barniques colorées accrochées au nez! C’est d’ailleurs grâce à ma vue contrôlée annuellement par l’opticien du canton que je continue à bien voir mes mots qui s’écrivent et s’envolent aux quatre vents.
À ce que j’ai lu sur le sujet, la perte de volume et d’efficacité des trois couches cutanées entraîne un certain nombre de changements : perte d’élasticité, perte de lipides essentiels, diminution du nombre de terminaisons nerveuses cutanées et perte de sensibilité. Seigneur, aidez-moi! Mais le pire, et personne ne s’en doute, c’est la réduction du nombre de glandes sudoripares et de vaisseaux sanguins qui provoque une baisse de la capacité de la peau à se protéger de la chaleur. Donc, en plus de moins bien tolérer les rayons du soleil, nous faiblissons plus facilement sous la chaleur, même si nous n’avons plus chaud comme dans notre plus jeune temps! Je ne m’étendrai plus jamais dehors!
Pourtant, je me rappelle parfaitement les années où j’avais toujours chaud : l’époque de mes bouffées de chaleur de cuisinière ménopausée. Dans ma première toute petite cuisine, je cassais des œufs, je tournais des crêpes et j’endurais. J’étouffais de mon mieux mes sensations et, lorsqu’une intense chaleur me détrempait le chignon, j’appelais ma fille en renfort pour qu’elle prenne ma place une petite trentaine de minutes devant la plaque chauffante. Si je lançais la phrase codée, « les tortellinis bouillent », elle comprenait subito presto.
Cette jolie expression, chères lectrices, je vous la prête avec grand plaisir si le besoin s’en fait sentir.
Dieu merci, je ne vois pas mes fesses pendouiller. Pourtant, c’est à cause de ces fesses mollettes que mes jambes tirent de la patte. Pendant la pandémie, j’en ai marché un coup, mais, depuis que la routine avec mes amis au café s’est établie, mon arrière-train est toujours assis. À force de taper sur un clavier et d’empiler des brouillons d’écriture, tout mon bas du corps s’ankylose et mes pauvres belles jambes de jadis me réveillent la nuit. Je dois alors sortir du lit et marcher une bonne quinzaine de minutes de bord en bord dans la maison jusqu’à ce que la douleur se rendorme.
Vous le savez bien, je raffole des couleurs. J’aimais garnir mes assiettes à déjeuner de beaux fruits colorés. J’aime m’habiller de coloris éclatants et variés. Pourquoi croyez-vous que je colore la vêture de ce corps qui s’apprête à perdre la bataille contre l’âge? En ouvrant vos écrans pour me lire, ne voyez-vous pas les couleurs vivifiantes, les jolies épinglettes qui sont pour moi comme des distinctions honorifiques récompensant la vaillance et le courage de vivre? Avant de plier bagage, remercions nos charpentes bringuebalantes de nous avoir menés si loin et félicitons-nous d’avoir vécu.
Pour plusieurs, puisqu’ils s’en inquiètent, la lente décrépitude du vieillissement empire. Comme si un démon aux cornes roses mettait tous les maux de la terre sur le compte de l’âge. Une moustache pousse aux carottes oubliées et des tubercules se pavanent sur la caboche des patates trop fripées. Selon moi, l’âge n’a pas d’âge, mais le vieillissement, même s’il me déplaît, est incontournable. Certes, certains changements physiologiques apparaissent. Advienne que pourra!
Ce matin, j’ai voulu me moquer un peu de la mortelle charpente qui nous semble si précieuse. Il faut la traiter avec soin pour l’aider à traverser autant de bonnes années que possible, mais, pour le reste, il ne s’agit que d’un bouddha d’apparat décorant nos vies et nos petits palaces.
Notre vraie nature est invisible à l’œil nu. Comme une sève miraculeuse qui nous abreuve, nous construit et nous différencie. Cette véritable nature brille comme une lumière en nous, une flamme dont nous avons le devoir d’entretenir le feu.
Je prends de l’âge; je m’amenuise, je m’affaiblis; je meurs à petits bonds d’une terrible lenteur. Chaque orteil et chaque doigt grimpent l’un sur l’autre comme s’ils tentaient de fuir leur destin.
Ma mémoire est une cuvette trouée qui a même réussi à oublier ce qui me faisait ruer dans les brancards dans le temps. Mon vieux cœur presque aussi vide qu’une église espère toujours arriver à combler quelques désirs.
Vieillottes, lasses et malhabiles servantes, mes mains préfèrent encore ÉCRIRE. Elles insistent pour continuer à me raconter.
Plus que tout l’or, la myrrhe et l’encens, ces précieuses mains ne veulent pas redevenir poussière.
Cora
♥️