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23 juin 2023

La couleur me réchauffe

J’étais l’autre midi à ma bouquinerie préférée lorsqu’une femme m’aborda. Dame Christine, fervente lectrice des Lettres du dimanche, m’avait reconnue. Elle était curieuse de savoir où, quand et comment j’écris mes fameuses lettres. Je les écris tout partout et n’importe comment, belle dame! Je ne suis pas une professionnelle de l’écriture et j’ai le loisir de faire mon possible.

La plupart du temps, la lettre commence à s’écrire dans ma tête. En conduisant bien souvent, avec des mots que j’écris dans ma paume; en lavant la vaisselle ou, comme hier midi, en accouplant mes chaussettes d’été fraîchement sorties de la sécheuse.

L’inspiration est un ange sacré qui sait bien faire les choses et je l’écoute. J’attrape au vol tantôt une sérieuse interrogation, tantôt le souvenir d’un rêve mirobolant. Ma caboche vagabonde n’est qu’une courroie de transmission donnant vie à mes pattes de mouche hiéroglyphiques. Au gré du vent, je colore mes feuillets. Un rang à l’endroit, un rang à l’envers, l’ouvrage avance. La plupart du temps, je me considère bienheureuse de ne plus avoir de destination ni même de quai d’où larguer les amarres.

J’ai une mémoire de pigeon voyageur et le réflexe de tout consigner dans un calepin. Si toute l’encre de ces écrits n’avait pas séché, j’aurais pu y noyer ma grosse tête. Même si je n’insiste plus pour durer, j’aime être là, à l’affût de la glorieuse banalité du quotidien. Je ne suis qu’un moment de grâce dans l’étourdissante valse du monde.

Dame Christine voudrait tout savoir de moi. Mais qui suis-je donc? Je l’ignore encore. Elle commente mon pantalon rose framboise et la petite grenouille accrochée à mon collet. D’où me vient ce goût des couleurs vives, demande-t-elle. De l’arc-en-ciel, que je lui réponds. Oui, oui! J’insiste pour lui dire que je porte du pâle en hiver. Avec un gros collet en fourrure synthétique couleur turquoise.

Que m’importe la parure, c’est la couleur qui me réchauffe. C’est cette petite fille en moi qui n’a pas fini de grandir. C’est elle qui insiste pour ressembler aux jolies fleurs sauvages du sous-bois de mon enfance. Elle encore qui barbouille l’envers du calendrier; inventant des histoires abracadabrantes de prince et de princesse dans un château doré.

Je rêve en couleurs, chère dame Christine! J’imagine encore trouver le grand amour. L’homme de mes rêves qui bientôt se réveillera.

— Vous êtes donc célibataire, chère Cora?
— Je le suis depuis l’aube des temps.

Peut-être que dans le grand registraire de l’Amour avec un grand A, une erreur s’est produite. N’importe quel fonctionnaire peut faire une bévue; se tromper d’adresse ou oublier un nom.

Serais-je cette erreur, une ligne vide dans l’ultime déclaration mondiale de la liste des êtres capables d’aimer et d’être aimés?

Je suis une plume aussi légère que l’espoir, mais cette absence dans mon cœur m’alourdit bien souvent. Et le temps, ce divin croque-mort, tardera-t-il lui aussi à venir?

Cora

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